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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 26 mars 2025.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI,
visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles (n° 842)
PAR Mmes Marie-Charlotte Garin ET Véronique Riotton
Députées
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SOMMAIRE
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Pages
INTRODUCTION............................................ 5
commentaire des articles de la proposition de loi
Article 2 (nouveau) Double rapport d’évaluation de la proposition de loi
Cette proposition de loi est le fruit d’un travail de longue haleine menée dans le cadre de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Elle a été conçue et déposée en janvier 2025 à la suite des conclusions de la mission d’information créée en décembre 2023 ([1]) pour tenter d’apporter de nouvelles réponses au débat sur la définition pénale du viol relancé à l’occasion de la discussion d’une directive européenne.
En mars 2022, la Commission européenne a présenté une proposition de directive visant à lutter contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique.
Initialement, cette proposition précisait, en son considérant 14, que « l’absence de consentement devrait être un élément central et constitutif de la définition de viol, étant donné que fréquemment, le viol est perpétré sans violence physique ni usage de la force. Un consentement initial devrait pouvoir être retiré à tout moment durant l’acte, dans le respect de l’autonomie sexuelle de la victime, et ne devrait pas signifier automatiquement le consentement à de futurs actes » ([2]). Elle prévoyait également un article relatif à la définition de l’infraction de viol.
Article 5 de la proposition de directive européenne
Viol
Les États membres veillent à ce que les comportements intentionnels suivants soient passibles de sanctions en tant qu’infractions pénales:
(a) le fait de se livrer avec une femme à tout acte non consenti de pénétration vaginale, anale ou orale à caractère sexuel avec toute partie du corps ou avec un objet;
(b) le fait de contraindre une femme à se livrer avec une autre personne à tout acte non consenti de pénétration vaginale, anale ou orale à caractère sexuel avec toute partie du corps ou avec un objet.
Les États membres veillent à ce qu’on entende par acte non consenti un acte accompli sans que la femme ait donné son consentement volontairement ou dans une situation où la femme n’est pas en mesure de se forger une volonté libre en raison de son état physique ou mental, par exemple parce qu’elle est inconsciente, ivre, endormie, malade, blessée physiquement ou handicapée, et où cette incapacité à se forger une volonté libre est exploitée.
Le consentement peut être retiré à tout moment au cours de l’acte. L’absence de consentement ne peut être réfutée exclusivement par le silence de la femme, son absence de résistance verbale ou physique ou son comportement sexuel passé.
Après un an de débat, cette directive a finalement été adoptée en mai 2024 ([3]) sans ces éléments relatifs à la définition pénale du viol. Ce texte européen a néanmoins relancé, dans notre pays mais plus largement en Europe, le débat sur cette définition, opposant deux conceptions, qui ne sont pas exclusives l’une de l’autre. D’une part, celle fondée principalement sur le non-consentement de la victime. D’autre part, celle, comme c’est le cas aujourd’hui en droit pénal français, centrée davantage sur les éléments matériels de l’infraction (violence, contrainte, menace et surprise). Se saisissant de ce sujet, la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, a lancé une mission d’information portant spécifiquement sur la définition pénale du viol et des agressions sexuelles.
Ce débat, à la fois politique, juridique et sociétal, a en outre trouvé en France une résonnance de grande ampleur avec le procès des agresseurs de Gisèle Pelicot, rappelant la dramatique réalité d’une criminalité sexuelle que nous ne parvenons pas à faire reculer. Un climat d’impunité demeure et la culture du viol perdure.
Malgré les avancées législatives, réalisées notamment en 2018 et en 2021, malgré l’allongement des délais de prescription, malgré les efforts de formation des forces de l’ordre et l’amélioration du recueil de la parole et de l’accompagnement des victimes, les chiffres des violences sexuelles demeurent élevés et révèlent autant de drames personnels. Toutes les deux minutes, une personne est victime de violences sexuelles et huit victimes sur dix, hors cadre familial, ne portent pas plainte. Pour un quart d’entre elles, elles ne portent pas plainte parce que l’acte subi ne serait pas assez grave et pour un autre quart, parce que déposer plainte n’aurait, selon elles, servi à rien.
Après plus d’un an de travail et près d’une centaine d’auditions, qui nous ont permis de construire une analyse détaillée de la situation française et de la mettre en perspective avec des comparaisons étrangères, nous sommes parvenues à plusieurs constats et à la conclusion qu’une modification législative était nécessaire.
Nous avons en effet acquis la conviction que le code pénal doit être modifié, car notre définition du viol et des agressions sexuelles échoue dans ses trois grandes fonctions :
– dans sa fonction répressive, car elle ne permet pas aujourd’hui de sanctionner les agresseurs et leurs comportements violents ;
– dans sa fonction protectrice aussi, puisque les victimes ne sont pas correctement protégées face à ces comportements violents ;
– dans sa fonction expressive enfin, car notre droit n’incarne plus les valeurs de notre société et ne rend pas compréhensible l’interdit, pourtant suprême, de jouir du corps d’autrui sans son accord. Personne n’a le droit d’accéder à l’intimité de quelqu’un sans son consentement. Si nous voulons prétendre à une éducation à une vie affective et sexuelle respectueuse, il nous semble qu’affirmer clairement ce principe dans notre loi est un point de départ essentiel.
Certes la jurisprudence a considérablement fait progresser l’appréhension judiciaire des violences sexuelles, mais nous observons que l’interprétation que les juges font de la législation ne parvient pas à combler le silence de la loi quant à la notion de consentement.
Nous avons, en outre, fait le constat d’une véritable contradiction. Malgré l’omniprésence de la question du consentement tout au long de la procédure judiciaire, la loi française reste silencieuse sur ce point crucial dans la définition du viol et des agressions sexuelles. L’absence de cette notion dans le code pénal ouvre la voie à des malentendus, voire à des instrumentalisations du consentement par les auteurs d’agression. Cette lacune législative contribue ainsi à entretenir des stéréotypes nuisibles et à entraver la prise en compte des circonstances particulières dans lesquelles peuvent être commises les infractions sexuelles.
À la lumière de ces éléments, nous pensons donc qu’une réforme législative est impérative. La rédaction que nous proposons vise à mieux protéger, à mieux réprimer, à dire plus clairement qu’un rapport non consenti est illégal, tout en respectant les grands principes de notre droit.
Nous considérons qu’une meilleure prise en compte du consentement permettra de mieux apprécier les vulnérabilités des victimes et les stratégies mises en place par les auteurs pour vicier leur consentement.
Nous poursuivons également l’ambition d’éviter de faire du comportement actuel ou passé de la victime le cœur de l’enquête. Ce point était déjà au cœur des débats en 1980, lorsqu’a été votée l’actuelle définition du viol, conduisant alors le législateur à préférer une définition sans référence explicite à la notion de consentement. Pourtant, le comportement de la victime est toujours interrogé par l’enquête judiciaire et une absence de réaction de sa part est trop souvent appréhendée comme une présomption de son consentement. En éludant cette notion, la définition adoptée en 1980 n’est donc pas parvenue à résoudre cette question.
Notre objectif est donc double : assumer l’introduction de la notion du consentement dans la loi pénale tout en faisant évoluer les investigations pour qu’elles se concentrent d’abord sur les agissements de l’auteur.
L’enquête doit systématiquement porter sur les indices permettant d’évaluer si et par quelles mesures raisonnables le mis en cause a cherché à recueillir le consentement. En inscrivant clairement cette logique dans la loi, nous fournissons un outil supplémentaire pour poursuivre davantage de mis en cause en prenant mieux en compte les stratégies qu’ils peuvent mettre en place.
Pour autant, la rédaction que nous proposons ne crée pas d’obligation positive de s’assurer d’une manière convenue du consentement d’autrui. En effet, le présent texte ne définit pas le viol comme un acte de pénétration « commis sans s’être assuré du consentement de l’autre ». Ce n’est ni ce que nous souhaitons, ni ce que nous faisons. La proposition de loi ne change pas les éléments permettant de caractériser juridiquement l’infraction, mais les complète pour les préciser et les clarifier. Cette nouvelle définition vise ainsi à offrir aux juges davantage de clefs pour identifier, appréhender et qualifier les faits au regard non seulement des quatre critères de violence, contrainte, menace ou surprise, mais également au regard de l’absence de consentement.
Ces précisions nous permettront, en outre, de consolider les acquis de la jurisprudence en les ancrant dans le marbre de la loi et, ainsi, de mieux prendre en compte la variété des situations et notamment les cas de sidération, de coercition ou encore d’emprise.
Pour atteindre ces différents objectifs, la présente proposition de loi procède donc à plusieurs évolutions dans le code pénal :
– l’introduction de la notion de non-consentement dans la définition pénale du viol et des agressions sexuelles afin de marquer clairement la frontière entre la sexualité et la domination et la violence ;
– l’ajout de précisions sur cette notion qui visent à aiguiller le juge pour apprécier le défaut de consentement, en précisant les cas dans lesquels le consentement ne saurait être déduit, notamment les cas de sidération insuffisamment caractérisés dans la jurisprudence actuelle ;
– la conservation des quatre adminicules de violence, contrainte, menace ou surprise, permettant de préserver tous les acquis de la jurisprudence et de garantir la précision juridique de la définition de ces infractions ;
– le rappel que le consentement doit être apprécié au regard des circonstances environnantes. Par cette référence, qui traduit la réalité du travail du juge et des enquêteurs, il s’agit d’éviter que l’investigation ne soit centrée uniquement sur la plaignante et de conduire à interroger davantage les agissements du mis en cause. La validité du consentement doit en effet toujours être appréciée à l’aune des vulnérabilités éventuelles de la victime.
En vue d’expertiser notre rédaction et de prévenir tout effet de bord non désiré, la présidente de l’Assemblée nationale a décidé, le 27 janvier dernier, de saisir le Conseil d’État de la présente proposition de loi.
La publication de l’avis le 6 mars 2025 nous permet d’aborder l’examen de cette proposition de loi en étant doublement éclairés. Éclairés, d’une part, par les travaux que nous avons conduits au sein de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes pendant plus d’un an et qui nous offrent une connaissance approfondie du contexte dans lequel nous évoluons. Éclairés, d’autre part, par cet avis du Conseil d’État qui nous fournit une confirmation juridique et technique de la pertinence de notre texte.
Afin de consolider l’écriture que nous proposons, le Conseil d’État a formulé plusieurs recommandations que nous comptons entièrement suivre. Trois sont particulièrement importantes :
– la conservation dans le texte d’incrimination des notions de violence, contrainte, menace ou surprise permet en effet de préserver les acquis jurisprudentiels. En sus, le Conseil d’État recommande de supprimer le terme « notamment » qui introduirait une indétermination quant aux autres comportements pouvant être réprimés ;
– malgré la pertinence et la plasticité des quatre adminicules de violence, contrainte, menace ou surprise, nos travaux nous ont néanmoins conduit à constater que l’interprétation de ces éléments par le juge ne permet pas toujours de couvrir tous les cas. Il nous semble donc nécessaire, si nous voulons agir en faveur des victimes, de procéder à l’ajout, proposé par le Conseil d’État, de la formule « quelles que soient leurs natures » afin de clarifier et de garantir une interprétation suffisamment large de ces quatre éléments permettant à notre droit de saisir la variété des situations pouvant survenir.
– notre texte propose plusieurs précisions qui visent à guider le juge dans son appréciation de la validité du consentement. Ce faisant, nous ne définissons pas le consentement, nous ne créons pas de nouvelle obligation pénalement réprimée et nous ne créons aucune présomption de culpabilité. Ces indications permettent simplement de clarifier ce que peut être le consentement et ce qu’il ne peut pas être, en précisant notamment certains cas dans lesquels il ne saurait être déduit. Nos échanges avec le Conseil d’État ont été particulièrement fructueux sur ce sujet. Ils nous ont permis de clarifier le sens accordé précisément à chaque qualificatif que nous souhaitions introduire et de simplifier la formulation que nous avions proposée, afin, là aussi, de parvenir à la loi pénale la plus précise et claire possible.
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Aussi impérative qu’elle nous semble, la seule modification de la loi ne pourra toutefois pas répondre à l’ensemble des difficultés rencontrées par les victimes de viol – difficultés qui sont multifactorielles.
Ce changement doit être soutenu par une formation approfondie des enquêteurs, magistrats et professionnels de santé sur les spécificités des violences sexistes et sexuelles pour les auteurs comme pour les victimes, avec l’instauration de protocoles adaptés tout au long de la procédure. Nous devrons en outre collectivement rester attentifs aux moyens attribués à ces institutions, aux associations et à la prise en charge des victimes.
Malgré cette nuance, nous sommes convaincues que la modification de notre loi pénale sera une avancée dans la poursuite judiciaire des viols et des agressions sexuelles. Elle sera aussi un socle solide pour permettre un nouvel effort de pédagogie et d’éducation que nous devons aux générations futures. Nous espérons que de telles perspectives feront l’unanimité dans notre hémicycle.
commentaire des articles de la proposition de loi
Article 1er
(art. 222-22, 222-22-1, 222-22-2 et 222-23 du code pénal)
Inscription de l’absence de consentement dans la définition pénale
du viol et des agressions sexuelles
Adopté par la Commission avec modifications
Résumé du dispositif et effets principaux
Le présent article inscrit l’absence de consentement de la victime dans la définition pénale du viol et des autres agressions sexuelles. Il apporte en outre des précisions sur la notion de consentement.
Dernières modifications législatives intervenues
La loi n° 2021-478 du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste a modifié le premier alinéa de l’article 222-22 du code pénal pour insérer une référence aux nouveaux cas prévus par la loi sanctionnant une agression sexuelle commise sur un mineur par un majeur sans avoir été imposée par violence, contrainte, menace ou surprise.
Position de la Commission
La Commission a adopté six séries d’amendements identiques afin d’intégrer dans le texte l’ensemble des modifications recommandées par le Conseil d’État.
En application de l’article 222-22 du code pénal, constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise.
Le deuxième alinéa du même article précise que l’agression sexuelle est constituée, quand les circonstances prévues sont réunies, quelle que soit la nature des relations existant entre l’agresseur et sa victime, y compris s’ils sont unis par les liens du mariage.
L’article 222-22-2 du même code ajoute que, quand les circonstances sont réunies, le fait de subir une atteinte sexuelle de la part d’un tiers ([4]) ou de procéder sur elle-même à une telle atteinte constitue également une agression sexuelle ([5]).
Le code pénal distingue deux types d’agressions sexuelles qui font l’objet d’un régime répressif différent : le viol et les autres agressions sexuelles.
La caractérisation pénale du viol et des autres agressions sexuelles est déduite du comportement de l’auteur, à travers la présence de violence, contrainte, menace ou surprise. Le code pénal ne définit pas en soi ces quatre adminicules. Ces notions se recoupent parfois : la menace est par exemple une forme de contrainte.
L’interprétation de ces éléments matériels constitutifs des agressions sexuelles a progressivement été affinée par certaines précisions apportées, au fil du temps, par le législateur, ainsi que par la jurisprudence.
En particulier, la notion de contrainte a été précisée par l’insertion dans le code pénal d’un nouvel article 222-22-1 qui dispose que « la contrainte prévue par le premier alinéa de l’article 222-22 peut être physique ou morale » ([6]). Selon le législateur, cette précision était nécessaire car « des quatre éléments permettant de caractériser l’absence de consentement qu’impliquent l’agression sexuelle et le viol, seule la contrainte peut s’exercer sans manifestation extérieure » ([7]). Cette évolution visait notamment à prendre en compte les écarts d’âge et ce même article ajoutait d’ailleurs que la contrainte morale résulte, en particulier, de la différence d’âge existant entre une victime mineure et l’auteur des faits ainsi que de l’autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur cette victime.
Le Conseil constitutionnel a jugé que cette dernière disposition ne définit pas un élément constitutif de l’agression sexuelle en apportant des précisions sur la contrainte, mais « a pour seul objet de désigner certaines circonstances de fait sur lesquelles la juridiction saisie peut se fonder pour apprécier si, en l’espèce, les agissements dénoncés ont été commis avec contrainte » ([8]).
En 2018, la loi dite « loi Schiappa » a en outre précisé que cette autorité de fait peut être caractérisée par une différence d’âge significative entre la victime mineure et l’auteur majeur ([9]). Elle a également inséré une nouvelle disposition selon laquelle, lorsque les faits sont commis sur la personne d’un mineur de quinze ans, la contrainte morale ou la surprise sont caractérisées par l’abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes. La Cour de cassation a jugé que ces dispositions étaient de nature interprétative, n’ayant pour objet que de « désigner certaines circonstances de fait que le juge doit prendre en compte pour apprécier si, dans le cas d’espèce, les agissements ont été commis avec contrainte morale ou surprise » ([10]).
En outre, la jurisprudence a considérablement précisé et enrichi l’interprétation de ces éléments de violence, contrainte, menace ou surprise. Ces notions, parfois assez proches, ont été interprétées in concreto par le juge.
L’interprétation des éléments de violence, contrainte, menace ou surprise
par la jurisprudence
● La violence physique peut consister en des coups sur la victime (1), le fait de la ligoter (2), de la bâillonner (3), ou de la brutaliser (4). Elle peut également résulter de la disproportion des forces en présence (5) et de la supériorité physique de l’agresseur (6). La violence psychologique semble quant à elle avoir davantage été approfondie par la notion de contrainte ou de menace.
● La contrainte physique se rapproche quant à elle de la notion de violence physique. Elle peut toutefois être appréhendée avec une intensité moindre : la Cour de cassation a par exemple retenu que la contrainte doit s’apprécier de manière concrète en fonction de la capacité de résistance de la victime (7). La contrainte morale peut par exemple découler de la crainte inspirée par un supérieur hiérarchique (8)ou encore d’un lien de subordination (9).
● La menace peut résulter d’intimidations verbales, comme les menaces de mort (10), le chantage à la dénonciation (11) ou affectif (12), ou encore prendre la forme de la menace par une arme (13).
● La surprise a été abondamment précisée par la jurisprudence. Correspondant, non pas à une émotion de la victime, mais bien à un comportement de l’auteur, ce terme désigne les stratagèmes ou supercheries destinés à surprendre le consentement de la victime (14) ou à l’empêcher de le délivrer de manière lucide. Cela peut consister en un abus de sa faiblesse physique liée à l’ivresse (15) ou à un état d’hypnose (16), en un abus d’une erreur d’identification de la personne réalisant les actes sexuels (17), ou encore en une administration à la victime d’une substance médicamenteuse (18). Plus récemment, la Cour de cassation a jugé que « l’emploi d’un stratagème destiné à dissimuler l’identité et les caractéristiques physiques de son auteur pour surprendre le consentement d’une personne et obtenir d’elle un acte de pénétration sexuelle constitue la surprise » (19). En septembre 2024, elle a également précisé que la surprise doit également être retenue lorsque la victime est endormie puis lorsque la victime se trouve en état de sidération, jugeant que « Le consentement de la victime ne peut être déduit de la sidération causée par une atteinte sexuelle commise par violence, contrainte, menace ou surprise. Justifie sa décision la cour d’appel qui déclare le prévenu coupable d’agression sexuelle en retenant qu’il a procédé à des attouchements alors que la victime était endormie, puis a poursuivi ses agissements tandis que cette dernière se trouvait dans un état de prostration, ce qui établit qu’il a agi en connaissance d’un défaut de consentement » (20).
(1) Cass. crim., 22 juillet 2009, n° 09-82.966. (11) Cass. crim., 23 janvier 2001, n° 00 87.327.
(2) Cass. crim., 17 octobre 1978, n° 77‑93.172. (12) Cass. crim., 19 septembre 2001, n° 01-84.557.
(3) Cass. crim., 14 septembre 2005, n° 04-87.601. (13) Cass. crim., 5 février 1991, n° 90-86.709.
(4) Cass. crim., 5 juin 2007, n° 07-81.837. (14) Cass. crim., 22 janvier 1997, 96-80.353.
(5) Cass. crim., 29 mai 2002, n° 02-82.125. (15) Cass. crim., 18 octobre 2006, n° 06-85.924.
(6) Cass. crim., 24 septembre 1998, n° 98-83.624. (16) Cass. crim., 4 avril 2007, n° 07-80.253.
(7) Cass. crim., 8 juin 1994,n° 94-81.376. (17) Cass. crim., 11 janvier 2017, n° 15-86.680.
(8) Cass. crim., 8 février 1995, 94-85.202. (18) Cass. crim., 10 décembre 2008, n° 08-86.558.
(9) Cass. crim., 8 décembre 2021, n° 21-81.311. (19) Cass. crim., 23 janvier 2019, 18-82.833.
(10) Cass. crim., 23 octobre 2002, n° 02-85.715. (20) Cass. crim., 11 septembre 2024, 23-86.657.
Bien que le terme de « consentement » ne figure pas explicitement dans les textes d’incriminations des infractions sexuelles, l’absence de consentement de la victime est un des éléments matériels constitutifs de ces infractions, selon une jurisprudence ancienne et constante de la Cour de cassation et appliquée quotidiennement par les magistrats du parquet, de l’instruction et du siège. L’arrêt Dubas de 1857 mentionnait déjà que l’acte devait être réalisé « contre sa volonté » de la victime, « soit que le défaut de consentement résulte de la violence physique ou morale exercée à son égard, soit qu’il résulte de tout autre moyen de contrainte ou de surprise ».
En l’état du droit, le défaut de consentement résulte de l’usage, par l’auteur, de la violence, de la contrainte, de la menace ou de la surprise. Ainsi, le droit pénal français cherche à déterminer les conditions dans lesquelles la victime a été forcée à l’acte sexuel.
Ce défaut de consentement ne se confond pas avec l’élément intentionnel qui correspond à la conscience de l’auteur d’agir malgré ce défaut de consentement. Cette distinction est fondamentale et découle du principe général défini à l’article 121-1 du code pénal selon lequel « Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de les commettre » érigé comme principe à valeur constitutionnelle ([11]). En l’absence de débats sur la matérialité des faits, c’est-à-dire lorsque l’existence d’un acte sexuel non consenti n’est pas contestée, c’est sur cet élément intentionnel que portent les débats. En pratique, les juridictions peuvent être amenées à déduire de la matérialité des faits l’existence de l’élément intentionnel, tels des agissements violant délibérément le consentement de la victime. Par exemple, dans le récent arrêt de septembre 2024, la chambre criminelle de la Cour de cassation énonce que le consentement de la victime ne peut être déduit de la sidération causée par une atteinte sexuelle commise par violence, contrainte, menace ou surprise. En procédant à des attouchements alors que la victime était endormie, puis en poursuivant ses agissements tandis que cette dernière se trouvait dans un état de prostration, l’auteur démontre par ses actes qu’il a agi en connaissance d’un défaut de consentement ([12]).
Depuis 2021, l’article 222-22 du code pénal dispose que constitue également une agression sexuelle une atteinte sexuelle commise sur un mineur par un majeur, dans les cas prévus par la loi. Les infractions sont alors qualifiées sans que les actes n’aient été imposés par violence, contrainte, menace ou surprise :
– l’article 222‑23‑1 du même code qualifie ainsi de viol tout acte de pénétration sexuelle commis par un majeur sur la personne d’un mineur de quinze ans, lorsque la différence d’âge entre le majeur et le mineur est d’au moins cinq ans. L’élément moral de l’infraction résulte alors uniquement de la volonté de commettre une pénétration sexuelle et de la connaissance de l’âge inférieur à quinze ans de la victime ;
– l’