Nos 1281 et 1364
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistrés à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 avril 2025 et le 2 mai 2025.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
SUR LA PROPOSITION de loi relative aux soins palliatifs et d’accompagnement,
par Mme Annie VIDAL et M. François GERNIGON,
Députés
ET SUR LA PROPOSITION de loi relative à la fin de vie,
Par M. Olivier FALORNI, Rapporteur général,
Mme Brigitte LISO, M. Laurent PANIFOUS,
M. Stéphane DELAUTRETTE et Mme Élise LEBOUCHER,
Députés
Tome II
AUDITIONS
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Voir les numéros : 1100, 1102.
SOMMAIRE
1. Table ronde réunissant des représentants du Comité consultatif national d’éthique, du Conseil économique, social et environnemental et du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (réunion du mardi 25 mars 2025 à 17 heures 30)
La commission auditionne, dans le cadre d’une table ronde sur les propositions de loi relative aux soins palliatifs et d’accompagnement (n° 1102) et relative à la fin de vie (n° 1100) : pour le Comité consultatif national d’éthique, M. Alain Claeys et le Pr Régis Aubry, corapporteurs de l’avis 139 « Questions éthiques relatives aux situations de fin de vie : autonomie et solidarité » ; pour le Conseil économique, social et environnemental, M. Albert Ritzenthaler, président de la commission temporaire sur la fin de vie, et Mme Dominique Joseph, rapporteure de l’avis « Fin de vie : faire évoluer la loi ? » ; pour le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie, le Dr Sarah Dauchy, présidente, et Mme Giovanna Marsico, directrice ([1]).
M. le président Frédéric Valletoux. Les propositions de loi relatives aux soins palliatifs et d’accompagnement, et à la fin de vie, devraient être discutées en séance publique durant les semaines du 12 et du 19 mai. Conformément au calendrier arrêté par le bureau de notre commission, elles seront d’abord examinées en commission du 8 au 11 avril, puis du 28 au 30 avril, voire jusqu’au 2 mai si nécessaire.
Nous avons également décidé d’entendre le Gouvernement l’après-midi du mardi 8 avril, préalablement à l’examen des articles et des amendements. D’ici là, la commission et les rapporteurs procéderont à des auditions, pour éclairer nos travaux.
Nous commençons ces auditions en commission avec cette table ronde.
M. Alain Claeys, membre du Comité consultatif national d’éthique, corapporteur de l’avis 139 « Questions éthiques relatives aux situations de fin de vie : autonomie et solidarité ». Je suis heureux d’être à nouveau devant cette commission des affaires sociales, pour étudier ces deux propositions de loi, selon le calendrier que vous avez arrêté.
En tant que parlementaire, j’ai travaillé avec Jean Leonetti sur une proposition de loi en 2016. Cette même année a vu la création du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie, un outil important, jouant un rôle modérateur et d’impulsion.
Nous avons repris ce travail avec M. Aubry, au Comité consultatif national d’éthique (CCNE). À la demande de son président, Jean-François Delfraissy, nous avons revisité le sujet de la fin de vie et produit un avis unique sur l’autonomie et la solidarité.
Cet avis comportait deux aspects principaux : un bilan de la loi de 2016 et la nécessité d’impulser une stratégie des soins palliatifs. Cette stratégie s’est concrétisée dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2025, avec des fonds importants alloués chaque année aux soins palliatifs. Cela inclut également la recherche, la formation ainsi que la mobilisation des hôpitaux et des facultés de médecine.
Le second aspect concernait la réflexion sur la place des soins palliatifs au sein de l’hôpital et le développement des centres et maisons d’accompagnement, mêlant des sujets sanitaires et médico-sociaux, et l’implication des familles et des aidants.
Concernant l’aide active à mourir, notre réponse au sein du CCNE a été positive, sous certaines conditions strictes. La principale condition est l’autonomie de la personne, c’est-à-dire sa capacité à s’exprimer et à renouveler sa demande. Ce point est important, notamment dans le cadre des discussions sur les directives anticipées.
Les ministres concernés ont récemment saisi le président du CCNE sur ce sujet précis. Le président du CCNE a réitéré notre analyse, soulignant l’importance de l’autonomie de la personne.
En ce qui concerne la question du moyen terme, il n’y a pas encore de définition retenue.
Je ne souhaite pas commenter les deux propositions de loi, car cela relève de l’exécutif et du Parlement. Nous avons délibérément lié solidarité et autonomie, estimant ces deux aspects indissociables. Toutes les lois votées depuis celle sur les soins palliatifs ont maintenu ce lien.
Notre avis prévoit clairement que toute personne, souhaitant une aide active à mourir, doit préalablement se voir proposer un parcours de soins palliatifs. Il ne concerne pas les mineurs et prévoit une clause de conscience individuelle.
Pr Régis Aubry, membre du Comité consultatif national d’éthique, corapporteur de l’avis 139 « Questions éthiques relatives aux situations de fin de vie : autonomie et solidarité ». Je vous remercie pour cette nouvelle opportunité d’éclairer la complexité de ce sujet.
Je souhaiterais apporter quelques éléments supplémentaires, notamment issus de mon expérience dans l’élaboration de la stratégie décennale, avec le Pr Franck Chauvin. Je suis également président du groupe de travail de la Haute Autorité de santé (HAS) sur les définitions relatives aux pronostics à moyen terme et à la phase avancée.
Le CCNE s’est autosaisi de cette question, en raison de l’évolution de la médecine, qui a modifié le paradigme de la fin de vie. Nous sommes désormais capables de guérir des maladies autrefois mortelles, mais aussi de vivre plus longtemps avec des pathologies incurables. Cela change fondamentalement le rapport de l’homme à sa propre finitude. Nous voyons des patients vivre très longtemps avec des cancers métastatiques ou des maladies neurodégénératives, ce qui soulève de nouvelles questions éthiques et pratiques.
De plus, nous sommes confrontés à un nouveau défi médical : la polypathologie. De nombreuses personnes, particulièrement les personnes âgées, vivent avec plusieurs maladies simultanées, une altération de leur indépendance fonctionnelle et parfois une difficulté à exprimer ce qu’elles ressentent.
Face à ce nouveau paradigme, nous avons estimé qu’il était nécessaire de repenser notre approche de la fin de vie. Plutôt qu’un énième plan de soins palliatifs, nous avons proposé une véritable stratégie décennale. Cette durée nous semble nécessaire pour modifier en profondeur, non seulement les pratiques médicales, mais aussi le rapport de notre société à la fin de vie et à l’accompagnement.
Nous préconisons de sortir d’une vision purement sanitaire et médicale des soins palliatifs. Bien que leur développement reste important, il faut également anticiper ce que nous savons inévitable pour chacun : la fin de vie et la mort. C’est pourquoi nous avons introduit le concept de planification anticipée des soins. Ce processus de réflexion à long terme est essentiel pour permettre à chacun d’appréhender sa propre finitude.
La question des maisons d’accompagnement est emblématique de notre vision sociétale. Il est nécessaire que notre société, à travers le bénévolat et de nouvelles formes de solidarité, investisse dans ces structures pour les personnes seules ou sans proches pour les accompagner. Ces personnes se retrouvent souvent à l’hôpital, sans nécessiter d’hospitalisation, ce qui est totalement inapproprié. L’accompagnement devrait être une mission de notre société, plutôt que de l’hôpital.
La recherche est probablement le seul volet de la stratégie décennale que nous avons réellement engagé. L’Agence de programmes de recherche en santé nous a demandé de coordonner scientifiquement un programme de recherche. Cela devrait apporter un éclairage intéressant pour alimenter les débats sur ces questions.
Dans cette stratégie décennale, nous avons jugé essentiel de sortir le développement des soins palliatifs du strict cadre médical et sanitaire, pour l’ouvrir aux champs du travail et des politiques sociales. C’est pourquoi nous avons proposé la mise en place d’une instance de gouvernance et de pilotage, avec pour mission, entre autres, d’évaluer l’impact de la stratégie et de la loi sur l’aide active à mourir, si celle-ci est votée.
Il est important d’évaluer l’impact de nos actions, de vérifier leur pertinence et de les adapter si nécessaire. Dans cette optique, nous avons commencé à travailler, avec Franck Chauvin, sur la structuration d’un dispositif d’évaluation.
Concernant l’aide active à mourir, il était évident que la loi ne pouvait être envisagée sans une politique d’accompagnement et de développement des soins palliatifs. J’insiste sur la distinction fondamentale entre l’assistance au suicide et l’euthanasie, qui impliquent des personnes différentes et nécessitent une réflexion approfondie.
Enfin, la Convention citoyenne et les débats organisés par les espaces de réflexion éthique à travers la France ont démontré qu’il est possible de débattre de questions complexes de manière constructive.
M. Albert Ritzenthaler, membre du Conseil économique, social et environnemental, président de la commission temporaire sur la fin de vie. Le Conseil économique, social et environnemental (Cese) a été saisi par la Première ministre, dans le cadre d’une saisine gouvernementale. La question posée était : « Le cadre d’accompagnement de la fin de vie est-il adapté aux différentes situations rencontrées ou d’éventuels changements devraient-ils être introduits ? »
À cette question s’est ajoutée la demande d’organiser une convention citoyenne, ce que le Cese a fait, conformément à ses missions prévues par la loi organique de 2021.
Les travaux de la convention citoyenne se sont déroulés de décembre 2022 à avril 2023, et ont donné lieu à de nombreux échanges et débats. Ces travaux ont été menés de manière exemplaire. Le Cese, dans le cadre de sa commission temporaire, a ensuite repris ces travaux, pour produire un avis.
Cet avis s’inscrit dans le cadre « d’un projet humaniste, d’une société solidaire, inclusive et émancipatrice », qui propose un parcours d’accompagnement de la fin de vie, incluant un droit à l’accompagnement jusqu’à l’aide active à mourir.
En portant ce débat, nous avons permis à l’ensemble des associations, organisations et groupes, qui composent la société civile organisée et représentée au Cese, de s’emparer de ce sujet. À la suite de cet avis, des dizaines de rencontres ont eu lieu entre les représentants du Cese et leurs organisations, afin de débattre de ce sujet sociétal. Ces échanges ont permis de diffuser la réflexion collective et d’engager un débat apaisé, prenant en compte la complexité du sujet et le respect mutuel nécessaire à ces discussions.
Mme Dominique Joseph, membre du Conseil économique, social et environnemental, rapporteure de l’avis « Fin de vie : faire évoluer la loi ? ». Notre avis, issu de la commission temporaire, formule treize préconisations. Certaines d’entre elles ont été intégrées dans les deux propositions de loi en cours de discussion.
Pour nous, la notion de continuum est essentielle. Il s’agit de préparer sa finitude et d’oser parler de sa mort, bien avant l’apparition d’une pathologie grave ou d’un diagnostic fatal. Cette réflexion a été au cœur de nos travaux, d’où notre insistance sur la possibilité de réitérer ou de modifier ses choix, tout au long du parcours de fin de vie.
Notre avis intègre à la fois les soins palliatifs, l’accompagnement et la fin de vie. Il ne doit pas y avoir d’opposition entre les soins palliatifs et la fin de vie, mais plutôt une complémentarité, dans le respect des personnes et de leur autonomie.
La proposition de loi sur les soins palliatifs et l’accompagnement rejoint l’essentiel de nos préconisations. Néanmoins, nous souhaitons attirer votre attention sur certains points de vigilance, avec d’abord l’absence de disposition sur la pleine opposabilité des directives anticipées, point important abordé dans notre préconisation 4.
Nous saluons les dispositions de l’article 13 sur les associations et l’intervention des aidants, mais nous nous interrogeons sur la non-intégration des sanctions pénales, pour éviter que des associations n’entravent le libre choix.
Nous nous demandons pourquoi le congé proche aidant n’est pas intégré, alors que le congé de solidarité familiale est mentionné.
En outre, nous insistons sur la non-fongibilité des financements et la reconnaissance des temps d’accompagnement.
Enfin, nous saluons l’intégration d’une loi de programmation et des plans pluriannuels, comme nous le demandions.
Cependant, nous nous interrogeons sur la disponibilité des moyens humains et financiers nécessaires, pour mettre en œuvre cette stratégie. Nous attirons également l’attention sur la nécessité d’éviter les inégalités territoriales, notamment dans les territoires ultramarins.
Quant à la gouvernance, nous nous interrogeons sur le rôle des agences régionales de santé (ARS), pour associer toutes les parties prenantes dans le domaine des soins palliatifs et de l’accompagnement, afin d’éviter la compétition entre structures et favoriser la complémentarité.
Concernant la proposition de loi sur la fin de vie, nous considérons que le texte actuel est équilibré, bien que l’article 4 soit plus restrictif que notre préconisation 11. Nous regrettons cependant le manque de références aux directives anticipées, essentielles pour garantir l’effectivité du droit à choisir sa fin de vie, notamment en situation de non-conscience ou d’interrogation sur le discernement.
Notre commission temporaire du Cese a intégré les débats de la Convention citoyenne dans ses réflexions et ses recommandations.
Dr Sarah Dauchy, présidente du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie. Notre centre a été créé pour accompagner l’appropriation et l’information sur les lois relatives à la fin de vie. Cet aspect reste primordial aujourd’hui.
Le contexte actuel est marqué par un manque d’information et d’anticipation. Notre dernier sondage de 2022 révèle que sur les 55 % de Français qui affirmaient bien connaître leurs droits, huit sur dix ne les connaissaient pas correctement. De plus, parmi les quatre personnes sur dix qui disaient bien connaître le droit à la sédation profonde et continue jusqu’au décès, une petite majorité pensait à tort qu’il n’était applicable que pour la souffrance physique, et non pour la souffrance psychique.
Nous sommes confrontés à un problème persistant d’information et d’anticipation. Les directives anticipées ne sont qu’une partie de la solution, car nos données montrent que les Français préfèrent majoritairement aborder leur fin de vie oralement, avec un proche.
Il est nécessaire d’intégrer des dispositions dans la loi, afin d’améliorer l’information et l’appropriation des droits, tant dans le domaine sanitaire, que non sanitaire.
L’inclusion des directives anticipées et de la personne de confiance dans le bilan de prévention est une avancée, mais cette réflexion doit être portée au niveau de l’ensemble de la société civile, et pas uniquement dans le contexte de la santé ou de la fin de vie.
Enfin, la question des dispositifs d’anticipation, qui ne peut se limiter au cadre médical, doit être abordée bien en amont de la fin de vie.
Le dispositif d’anticipation est intégré à la fois dans la stratégie décennale et dans l’article 14 du projet de loi sur les soins d’accompagnement. Il inclut le projet personnalisé d’accompagnement, qui prend en compte l’anticipation, l’information sur les perspectives thérapeutiques, notamment celles potentiellement limitées en fin de vie, et la réflexion sur les attentes du patient.
Ce dispositif doit être répété et régulièrement actualisé, pour être efficace dans la lutte contre l’obstination déraisonnable, et pour mobiliser de manière anticipée les ressources nécessaires au patient.
Ce dispositif d’accompagnement et d’anticipation n’est pas un acte unique, mais un processus continu. Il ne se limite pas à un moment suivant l’annonce d’une maladie grave ou à un simple projet de prise en charge globale.
Pour préserver sa dimension d’anticipation, il est nécessaire de le structurer par des actes codifiés dans la nomenclature médicale, ce qui fait défaut actuellement. Qu’il s’agisse de la rédaction de directives anticipées ou de la planification anticipée, nous progresserons en matière d’anticipation lorsque nous serons en mesure de tracer, dans chaque parcours du patient, les moments où ces discussions sur les objectifs de soins et de vie auront eu lieu.
C’est à cette condition que nous pourrons garantir une égalité des chances et un accès équitable à des soins de qualité. L’égalité ne se limite pas à l’aspect territorial. Nous devons atteindre cette « granularité individuelle », afin de savoir qui a réellement bénéficié de cette proposition.
Par ailleurs, l’adaptation du patient à sa pathologie est un processus complexe et singulier. Elle s’appuie sur la mobilisation des ressources du champ sanitaire et social, y compris la société civile. Cette adaptation se caractérise par une évolution fluctuante, souvent décrite par les patients comme une succession de marches, correspondant à des annonces d’aggravation ou des changements de situation, entrecoupées de phases plus longues où l’on parvient à mobiliser des ressources et à retrouver un équilibre.
C’est dans ce contexte d’adaptation complexe et fluctuante que s’inscrit la demande de mort, au cœur de la loi sur la fin de vie.
Le désir de mort est évolutif, variant sur un continuum entre un désir passif et un désir actif, ou une demande claire que la mort survienne. Ce désir est une réponse à une souffrance physique ou psychique, pour laquelle la personne ne voit pas d’autre solution que d’abréger sa fin de vie. Cependant, il peut être sensible à la mobilisation de soins et de soutien.
Il est important de rappeler cette possibilité d’évolution, tant pour la société civile que pour les cliniciens et les patients eux-mêmes. Nous ne savons pas encore distinguer avec certitude quels désirs et demandes resteront stables, reflétant une volonté réfléchie et éclairée, de ceux qui seront plus fluctuants et ambivalents. C’est un domaine où nous avons un besoin important de données de recherche.
À l’échelle individuelle, proposer systématiquement aux patients une consultation avec un psychologue et un psychiatre peut permettre de restaurer cet espace d’autonomie. À l’échelle collective, il est intéressant d’examiner comment d’autres pays ont structuré leurs processus de demande d’aide à mourir, en tenant compte de ces incertitudes.
De nombreux pays ont défini l’aide à mourir comme un processus, stipulant clairement dans la loi la nécessité d’entretiens répétés et d’une volonté réitérée du patient. Certaines lois sont très précises, comme en Belgique, où il est prévu que le patient rencontre l’équipe soignante en charge et ses proches. Toutes les législations qui ont autorisé l’aide à mourir prévoient l’intervention d’un deuxième, voire d’un troisième médecin, notamment lorsque le pronostic n’est pas engagé à court terme.
L’objectif n’est pas de prolonger le processus, mais de structurer et d’ouvrir un espace de réflexion intégrant les proches de la personne, l’équipe soignante référente, et des regards non médicaux, voire non sanitaires. La notion de préservation de l’autonomie reste une préoccupation centrale.
Cette loi doit intégrer des indicateurs et la possibilité de l’évaluer, afin que nous puissions avancer et discuter sur la base de données concrètes, mieux comprendre cette adaptation psychique, et construire un dispositif qui favorise réellement l’autonomie, sous toutes ses formes.
Mme Giovanna Marsico, directrice du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie. La formation des professionnels de santé est fondamentale. La vulnérabilité des personnes se structure dans une dimension d’interaction avec l’environnement. Ce n’est pas une simple fragilité, mais une vulnérabilité liée à la perception de la personne par son entourage.
Souvent définie par catégories – personnes en grande précarité, en situation de handicap, en détention, pauvres, etc. –, cette vulnérabilité peut être compensée par des mesures sociétales. Il incombe à la société et aux législateurs de prendre les dispositions nécessaires, pour que l’autonomie de chacun soit respectée, quelle que soit sa condition.
La formation des professionnels est particulièrement importante pour accompagner, écouter et recueillir la volonté des personnes, sans se laisser influencer par leur apparence ou leurs difficultés d’expression. Actuellement, nous manquons d’éléments sur la formation des professionnels, notamment concernant l’aide à mourir.
Il existe aujourd’hui vingt‑sept législations, dans le monde, qui ont évolué vers l’aide à mourir, dont quatre pays ayant modifié leur dispositif juridique par décision de justice. Ces expériences peuvent être extrêmement utiles pour les travaux en France, offrant des modèles à étudier et analyser, afin de déterminer les meilleures dispositions permettant de prendre en compte la volonté de la société et des citoyens.
Concernant les soins d’accompagnement, un travail conséquent a été mené ces deux dernières années pour changer le paradigme.
Les soins palliatifs, auparavant souvent à l’écart des autres organisations de santé, doivent maintenant s’intégrer pleinement dans une vision de santé publique. Cela implique une stratégie à dix ans, et un pilotage de cette politique publique, par une instance de gouvernance solide, au-delà des changements ministériels.
L’évaluation de cette politique publique est indispensable. Jusqu’à présent, les soins palliatifs ont été peu évalués. Par exemple, ce n’est qu’en 2025 que nous pourrons tracer les sédations profondes et continues, un droit qui existe pourtant depuis 2016. L’évaluation doit permettre de rendre compte aux législateurs qui prennent les décisions.
Les maisons d’accompagnement représentent un élément organisationnel important, offrant une alternative entre le domicile et l’hospitalisation. Ces structures, ouvertes sur l’extérieur et le territoire, peuvent accueillir des personnes souvent isolées dans notre société.
L’engagement de la société civile est également fondamental. La stratégie décennale évoque la notion de collectifs d’entraide, reprenant le concept de communauté compatissante. Ces collectifs sont la réponse d’un territoire à l’isolement des personnes et des aidants. Les 9,3 millions d’aidants en France, souvent impactés dans leur vie personnelle et professionnelle, ne doivent pas être laissés seuls.
Toutes ces dimensions d’une société inclusive, aidante et accueillante envers la fin de vie doivent être mises en place avec vigilance. La stratégie décennale doit être portée avec force.
Enfin, concernant la proposition de loi de M. Falorni, il est important d’entendre la voix de tous, y compris des professionnels de santé qui ne sont pas nécessairement opposés à l’évolution des pratiques. Différents sondages montrent que les infirmiers et les réanimateurs s’interrogent sur ce qui est le mieux pour les patients et la société. Les positions affirmées ne doivent pas occulter les doutes de tous ceux qui sont concernés par ce sujet.
Mme Annie Vidal, rapporteure. Le CCNE, dans son avis 139, insiste sur le renforcement des mesures de santé publique dans le domaine des soins palliatifs, indiquant qu’il ne serait pas éthique d’envisager une évolution législative, sans prendre en compte ces recommandations. Considérez-vous le développement de la stratégie décennale comme un préalable à l’ouverture d’un nouveau droit ? Comment envisagez-vous la complémentarité entre cette stratégie et l’accès aux soins palliatifs dans le cadre d’une demande de fin de vie ?
Concernant le Cese, vous avez mentionné qu’un quart des citoyens s’est prononcé contre une ouverture de l’aide à mourir, craignant notamment des dérives affectant les personnes vulnérables et la réticence des soignants. Ces préoccupations sont-elles toujours d’actualité dans vos débats ? Les positions ont-elles évolué ?
La question suivante concerne le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie. Depuis le 1er janvier, le programme de médicalisation des systèmes d’information permet de coder les différentes pratiques sédatives, dont la sédation profonde et continue. Quand pourrez-vous nous fournir des données plus précises sur l’application de ces pratiques, sachant que les chiffres précédents manquaient de rigueur scientifique ?
Enfin, comment s’assurer qu’un patient demandant une « aide à mourir » comprend clairement ce que cela implique, notamment en termes de suicide assisté ou d’euthanasie, sachant que cette expression peut englober d’autres formes d’accompagnement en fin de vie ?
M. Olivier Falorni, rapporteur général. Ce débat sur la fin de vie est particulièrement important, et j’espère qu’il aboutira à un vote de la représentation nationale.
Je souhaite aborder l’avis 139 du CCNE, particulièrement significatif, porté par légitimité de cette institution et la participation d’Alain Claeys, co‑auteur de la loi en vigueur. Cet avis conclut que la loi Claeys-Leonetti ne répond pas à toutes les situations, mais qu’il existe une voie éthique pour une aide active à mourir sous certaines conditions strictes.
Considérez-vous que les conditions énoncées dans l’avis du CCNE pour l’autorisation d’une aide à mourir sont justes, équilibrées et adaptées ? Ces conditions comprennent l’âge minimum de 18 ans, la nationalité française ou la résidence stable en France, une affection grave et incurable en phase avancée ou terminale, des souffrances réfractaires ou jugées insupportables, et la capacité à exprimer sa volonté de façon libre et éclairée.
Par ailleurs, M. Aubry, vous avez évoqué les deux dimensions de l’aide à mourir : le suicide assisté et l’intervention d’un tiers. La proposition de loi actuelle limite cette intervention aux médecins et infirmiers, excluant la possibilité pour une personne non soignante, désignée par le malade, d’intervenir.
Nous avons estimé qu’autoriser uniquement le geste du malade lui-même créerait une inégalité. Partagez-vous ce point de vue ?
M. Alain Claeys. Bien que je ne sois pas médecin, je travaille sur ce sujet depuis des années et mon questionnement demeure entier.
Le travail collégial est essentiel entre le moment de la première demande et la suite du processus. Chacun d’entre vous peut avoir été confronté à ces situations dans son entourage. J’ai connu des personnes qui, après avoir demandé une aide à mourir, ont été prises en charge par les soins palliatifs et n’ont pas renouvelé leur demande.
La notion d’autonomie est extrêmement importante dans ce contexte, y compris l’environnement de la personne. Cette question doit être traitée de manière globale.
La loi de 2016 n’est pas parfaite, étant encore mal appliquée. Votre commission a réalisé un travail d’évaluation essentiel.
Concernant la sédation profonde et continue jusqu’au décès, le problème principal, lors de l’élaboration de la loi de 2016, était le mot « continue ». Lors de visites dans certains services de soins palliatifs avec Mme Vautrin, nous avons eu ce débat qu’il faut garder à l’esprit.
M. Falorni a évoqué le suicide assisté et l’euthanasie. Je m’exprime ici à titre personnel, sans engager le CCNE. Je n’utilise pas ces termes. J’adhère totalement au projet de loi initial du Gouvernement.
Cette conclusion m’a été inspirée par un membre du CCNE, le philosophe Frédéric Worms, actuellement directeur de l’École normale supérieure. Il m’expliquait simplement qu’il n’y a pas de choix entre la vie et la mort, car la mort est inéluctable. La question qui se pose à la société est de déterminer, en fonction des interrogations de la personne, quel est le chemin le moins pire.
Nos convictions personnelles, religieuses et philosophiques entrent en jeu, et je les respecte totalement. Cependant, la société, via la démocratie représentative, doit aborder ce sujet et apporter une réponse.
Il est inexact d’affirmer que la loi de 2016, bien qu’elle ait constitué un progrès considérable, répond à toutes les questions.
Pr Régis Aubry. La question de la simultanéité fait débat au sein du CCNE. Une opinion minoritaire au sein du CCNE préconisait d’abord la mise en œuvre d’une politique de développement, avant d’envisager une évolution du droit. Cependant, la majorité du CCNE était favorable à une évolution simultanée.
Personnellement, je pense que l’évaluation, si nous la mettons en place maintenant avec des indicateurs faciles à renseigner, nous permettra de savoir si nous allons dans la bonne direction avec cette approche simultanée.
Concernant l’aide à mourir, nous avions retenu, au sein du CCNE, la notion d’aide active à mourir, pour s’aligner sur la terminologie internationale. Il existe une différence fondamentale entre la sédation profonde et continue jusqu’au décès, l’assistance au suicide et l’euthanasie.
La sédation n’a pas pour but de provoquer la mort, mais d’altérer la conscience au point où l’on suppose que la personne ne souffrirait plus de sa situation. Cette approche n’est adaptée que dans les situations à court terme, car pharmacologiquement, on ne peut pas envisager une sédation au-delà de quelques jours.
Quant à l’assistance au suicide, un débat sémantique est en cours à ce sujet. Il s’agit de permettre à la personne elle-même d’exercer une forme d’autonomie en fin de vie. Je pense qu’il est important de ne pas décider à leur place, tout en établissant des critères stricts pour encadrer cette possibilité.
Nous sommes confrontés à la difficulté de définir l’horizon temporel, notamment la notion de « moyen terme ». Les pays ayant dépénalisé l’assistance au suicide n’ont pas réussi à établir une définition pratique du moyen terme. Il nous semble fondamental de développer des recommandations sur l’accompagnement et l’anticipation. Plus nous serons convaincus collectivement que la demande correspond à la volonté de la personne, moins il sera difficile d’accepter cette question.
Vous évoquiez une potentielle injustice pour une personne incapable d’absorber ou de s’administrer elle-même un produit létal. Cette situation, bien que rarissime, voire hypothétique, pourrait justifier l’administration par un tiers d’un produit létal.
L’expérience des pays ayant dépénalisé l’assistance au suicide montre que les personnes ayant fait une demande jugée recevable conservent la possibilité d’exprimer leur ambivalence et de changer d’avis. Ce droit doit être respecté.
L’assistance au suicide soulève moins de questions éthiques pour les professionnels de santé que l’euthanasie active. En effet, dans le cas de l’assistance au suicide, le professionnel agit comme facilitateur, et non comme acteur direct. Cette distinction semble fondamentale et est bien explicitée dans la proposition de loi.
M. Albert Ritzenthaler. Concernant les craintes exprimées par certains citoyens, notamment des soignants, 78 % des membres de la Convention citoyenne ont approuvé l’idée d’une aide à mourir. Pour répondre à ces inquiétudes, un cadre d’exercice strict a été proposé.
En tant que représentant de la Confédération française démocratique du travail, je souhaite partager le point de vue de notre fédération des personnels de santé et du social : les soignants acceptent mieux le décès de leurs patients lorsqu’il fait l’objet d’un échange et d’une décision collégiale au sein de l’équipe pluridisciplinaire. Ce qui peut être mal vécu, c’est l’absence de décisions collégiales ou le manque de moyens humains et financiers. Les réticences sont davantage liées à la crainte d’une aide de mauvaise qualité, préjudiciable tant pour les patients que pour les soignants. Il serait hypocrite de nier l’existence actuelle d’une forme d’aide active à mourir. Il s’agit du constat partagé par l’ensemble du personnel soignant, tous métiers confondus.
Mme Dominique Joseph. Concernant l’évolution des opinions des citoyens ayant participé à la Convention citoyenne, il est difficile de se prononcer en leur nom. En effet, la Convention est terminée. Les doutes peuvent persister et évoluer selon les situations individuelles.
La question du langage commun et de la pleine conscience du patient est fondamentale. C’est pourquoi nous proposons une anticipation de l’accompagnement et un questionnement régulier du patient.
Notre préconisation 11 est plus large que les conditions fixées dans la proposition de loi actuelle. Nous recommandons le droit à l’aide active à mourir pour les personnes atteintes de maladies graves et incurables, dans un état de souffrance physique ou psychique insupportable et inapaisable, que ce soit par suicide assisté ou euthanasie.
Nous n’avons pas spécifiquement abordé la question du pronostic vital, mais plutôt celle des phases avancées ou terminales de la maladie. Nous avons également pris en compte les maladies dont l’issue est fatale, mais à long terme, soulevant la question de la dépendance totale. Notre préconisation vise à répondre à ces situations.
Nous avons évalué la loi Claeys-Leonetti et conclu qu’elle n’était pas adaptée à toutes les situations, malgré ses avancées. Enfin, nous avons pris en compte la situation des personnes incapables de faire le geste elles-mêmes, par souci d’égalité et de libre choix.
Dr Sarah Dauchy. La question sur l’aide à mourir est particulièrement importante. L’aide à vivre, en acceptant la dimension d’incertitude, constitue déjà une aide à mourir. Ce sujet se travaille particulièrement en amont, dès l’annonce de la maladie grave. Le sujet de l’aide à mourir s’apparente à l’élaboration de représentations et d’attentes raisonnables, et permet de limiter la perte de repères qui peut survenir, lorsque la réalité n’est plus en adéquation avec les croyances du patient.
L’aide à mourir permet de construire un projet autonome pour sa propre mort, qui passe par l’accès aux droits, à commencer par celui de refuser des soins et à celui de choisir dans un processus d’anticipation. Cela passe également par la mobilisation de soins, y compris psychiques. La coexistence des souffrances psychiques et somatiques nécessite leur prise en compte, avec la possibilité de construire un projet ancré dans ses propres repères.
Les ouvertures sur l’équipe soignante, le médecin habituel et les proches du patient sont nécessaires dans le processus d’accès à l’aide à mourir. De son côté, le soignant doit être suffisamment formé pour accompagner le patient dans sa subjectivité. L’objectif est d’élaborer des projets centrés autour de nos patients et de leurs souhaits.
Les dispositifs collégiaux constituent probablement une façon raisonnable et non idéalisée de répondre à cette problématique. En effet, un médecin seul aura toujours sa propre subjectivité, d’où l’intérêt d’avoir des équipes, des paramédicaux et des extensions.
Le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie a une position neutre. Je ne répondrai donc pas directement à la question posée par M. Falorni. Dans ces conditions, nous parlons de « relations de soins ». Dans le cas de maladies incurables, la relation de soins peut s’arrêter à un moment donné. Dans le cas d’engagement du pronostic vital, il est possible pour le patient, avec les soignants, de considérer qu’une phase avancée est insupportable. La situation est la même pour une souffrance réfractaire ou insupportable, impliquant une proposition de soins, qui peut être refusée.
Tous les dispositifs, qui pourront renforcer l’alliance entre les patients et les soignants autour de l’accompagnement de la fin de vie, amélioreront la situation. Ces mondes doivent se parler, et non s’opposer, afin de pouvoir structurer ces critères.
Mme Giovanna Marsico. Dans le cadre de la sédation profonde et continue, le codage a été introduit cette année, avec un espoir qu’il puisse être affiné. Le codage général actuel sur sédation ne prend pas en compte les différentes situations (sédation demandée par la personne, le patient qui refuse les traitements ou par l’équipe médicale). Le codage actuel ne permet pas d’affiner ces différentes situations.
De plus, ce codage devrait être associé à celui sur la procédure collégiale. En effet, la sédation profonde et continue nécessite une procédure collégiale. Sans cette approche, il n’est pas possible de savoir si cette sédation profonde et continue a été actée selon les critères définis par la loi. Ces données, lorsqu’elles seront disponibles, devront être recueillies.
Une cohérence entre tous les systèmes de recueil de données est fondamentale. Dans le travail sur notre Atlas des soins palliatifs, nous constatons que les données sont recueillies par une direction centrale, les agences régionales ou encore par les cellules. La mise en cohérence de tous ces systèmes permettra une évaluation correcte de l’application de la loi.
Enfin, la question des souffrances physiques ou psychologiques, liées à la pathologie sous-jacente, somatique, peut poser une question d’inégalité. En effet, la souffrance réfractaire ou inapaisable, physique ou psychique, mérite la même réponse.
M. François Gernigon, rapporteur. Concernant le refus de soins, notamment l’alimentation et l’hydratation qui sont considérées comme des soins : existe-t-il une différence de traitement entre une personne capable de s’alimenter elle-même et une personne qui doit être alimentée ? Si une personne refuse de s’alimenter elle-même, le corps médical peut-il procéder à une sédation à sa demande ?
Deuxièmement, vous avez mentionné que ces textes ne s’appliquent pas aux mineurs. J’ai connaissance du cas d’un avocat qui a dû plaider devant le tribunal administratif concernant la décision d’un hôpital de débrancher une enfant de 5 ans intubée et maintenue en vie artificiellement, apparemment sans consulter les parents. Je voudrais savoir si le corps médical a réellement le pouvoir de prendre seul ce type de décision, ou si les parents ont leur mot à dire. Ne serait-il pas nécessaire d’avoir une médiation dans ces situations ?
Enfin, concernant la procédure collégiale, doit-elle se limiter aux médecins ou faut-il l’élargir à un collège plus large, incluant les infirmières et les personnes qui accompagnent à domicile ?
M. Laurent Panifous, rapporteur. La question centrale est de savoir si ce texte est souhaitable, ce qui relève d’une appréciation individuelle. Cependant, je souhaite aborder son acceptabilité. Je pense que ce texte vise à établir un cadre garantissant une fin de vie apaisée et choisie, en empruntant un chemin sécurisé, alliant autonomie et solidarité.
Concernant la collégialité, le texte propose un dispositif précis pour évaluer les demandes d’aide à mourir, impliquant un médecin, un spécialiste de la pathologie, un auxiliaire médical ou un aide-soignant, et éventuellement un autre professionnel de santé.
Ce cadre me semble clair, complétant des conditions d’accès strictes et précises. Je considère ce texte comme raisonnable dans le contexte actuel.
Mme Joseph, que pensez-vous de cette collégialité proposée, notamment concernant la place des psychologues ?
M. René Pilato (LFI-NFP). Je rejoins M. Claeys sur la définition de l’euthanasie et du suicide assisté. L’euthanasie relève d’une demande non formulée, tandis que le suicide assisté est un oxymore. Le choix du terme « aide active à mourir » vise à éviter les représentations erronées.
Je souhaite revenir sur la notion de droit opposable aux directives anticipées. Les deux textes actuels excluent de facto les directives anticipées de l’aide active à mourir, puisqu’il faut être en mesure de réitérer sa demande.
Si l’on envisage de prendre en compte les directives anticipées, avez-vous réfléchi aux limites ou à la frontière à établir ?
M. Fabien Di Filippo (DR). J’ai plusieurs questions concernant le texte sur l’euthanasie et les soins palliatifs. Premièrement, l’inclusion de la notion de souffrance psychique n’ouvre-t-elle pas la voie à de nombreuses dérives, comme on l’a vu dans d’autres pays pratiquant l’euthanasie ?
Deuxièmement, quels garde-fous sont envisagés pour l’accès à l’euthanasie ou au suicide assisté des personnes protégées ?
Troisièmement, le texte ne semble pas protéger les mineurs face à l’euthanasie, pratique existante dans certains pays. Quel est votre point de vue sur ce sujet, sachant que certains pourraient vouloir ajouter cette notion ?
M. Philippe Juvin (DR). Quelles dérives potentielles craignez-vous, à la suite de l’évaluation évoquée par M. Aubry ?
Concernant les critères d’éligibilité à l’aide active à mourir, notamment « une affection grave incurable qui engage le pronostic vital », comment interprétez-vous ces critères pour des pathologies, comme l’insuffisance rénale dialysée ou l’insuffisance cardiaque ?
Considérez-vous que les moyens prévus pour les maisons d’accompagnemen, soit 0,2 équivalent temps plein (ETP) de médecin et deux ETP d’infirmiers pour huit à quinze patients, sont suffisants ?
Enfin, comment envisagez-vous la distinction entre les associations de lutte contre le suicide et celles qui pourraient militer contre l’euthanasie, sachant que vous regrettez l’absence de sanctions pour les associations trop militantes ?
M. Christophe Bentz (RN). La principale différence entre le débat actuel et celui du printemps 2024 réside dans le fait que nous travaillons aujourd’hui sur deux textes, qui s’opposent par nature.
D’un côté, nous avons les soins palliatifs, représentant une révolution médicale, sociale et humaine, et de l’autre, un texte sur l’euthanasie.
Cependant, un problème persiste : l’introduction de la notion de soins d’accompagnement, qui inclut et permet potentiellement le recours à l’euthanasie.
Ne craignez-vous pas que cette situation crée une confusion dans l’esprit des Français, entre ce qui relève des soins de la vie, et ce qui relève de la mort provoquée ou administrée ?
Mme Justine Gruet (DR). La question du délai est centrale dans l’appréhension des critères. Le président de la HAS nous a informés qu’ils ne seraient pas en mesure de définir le court terme, comme initialement demandé, ni le stade avancé ou terminal, selon la nouvelle requête.
Comment pouvons-nous légiférer sur des critères aussi imprécis ? Notre rôle de législateur est d’établir un cadre, qui garantira l’application sécurisée de la loi. Le court terme défini dans la loi Claeys-Leonetti est plutôt rassurant, car il stipule que la sédation profonde et continue est mise en place lorsque le pronostic vital est engagé à court terme.
Comment pouvons-nous évaluer les pleines capacités de la personne face aux pressions familiales et sociétales ? Les défis liés à l’accompagnement de la dépendance et de la perte d’autonomie étant insuffisamment financés dans notre pays, comment nous assurer de l’absence de pressions ?
Nous opérons un changement de paradigme en créant un nouveau référentiel avec des critères. Si nous nous plaçons dans une perspective de liberté individuelle à disposer de son corps, les critères sont-ils vraiment nécessaires ? Si une personne exprime le souhait de mourir, qui sommes-nous pour en juger ? Dans ce cas, en l’absence de critères, comment encadrer cette pratique ?
L’année dernière, il avait été décidé de ne pas utiliser les termes « suicide assisté » et « euthanasie » dans nos débats. Est-ce réellement problématique ? Vous avez évoqué l’accompagnement à mourir et les incompréhensions possibles. Ne serait-il pas préférable de nommer explicitement les choses ?
Concernant la pression potentielle sur les médecins, malgré la clause de conscience, comment gérer la situation d’un patient ayant une confiance totale en son médecin généraliste, qui souhaiterait exercer sa clause de conscience, tout en connaissant parfaitement ce patient qu’il a toujours accompagné ? Comment pourrions-nous gérer cet accompagnement des patients ?
Enfin, les maisons d’accompagnement joueraient un rôle essentiel. Ne serait-il pas judicieux d’exclure l’aide active à mourir de ces lieux pour protéger les personnes vulnérables ? Ainsi, en entrant dans ces maisons d’accompagnement, on s’assurerait qu’elles se consacrent exclusivement aux soins palliatifs. L’aide active à mourir étant un geste bref sans accompagnement, a-t-elle vraiment sa place dans un établissement dédié à l’accompagnement ?
M. Nicolas Turquois (Dem). Vous avez évoqué la rupture d’égalité, concernant la capacité à administrer le geste. J’aimerais aborder une autre rupture d’égalité qui m’a été signalée à la suite de nos travaux de l’année dernière. Il s’agit du cas d’une personne atteinte d’une maladie neurodégénérative. Cette personne peut endurer une grande souffrance et répondre à tous les critères mentionnés, sauf celui engageant le pronostic vital. Cependant, elle peut subir une intense souffrance physique ou psychologique.
Considérant que la demande peut évoluer, mais qu’il est possible d’organiser des entretiens répétés sur le sujet après l’annonce, pour suivre l’évolution de la personne et lui offrir un accompagnement, j’aimerais connaître l’avis de M. Claeys et du Cese sur cette question. Comment ce sujet a-t-il été abordé, sachant que ces personnes peuvent éprouver une grande souffrance psychologique en se projetant dans un état de forte déchéance physique et intellectuelle ?
Mme Sandrine Dogor-Such (RN). En Oregon, la situation financière des demandeurs de suicide assisté joue un rôle croissant. Estimée à 1 % en 2010, elle atteint près de 9 % aujourd’hui. 56 % des candidats au suicide assisté ne bénéficient que de l’assurance maladie de base. Il apparaît donc que les préoccupations sociales jouent un rôle considérable dans cette demande.
Ne craignez-vous pas qu’une légalisation du suicide assisté ne s’applique prioritairement aux personnes les plus vulnérables, les moins bien protégées et les plus isolées, comme l’a montré une étude en Ontario, au Canada ?
Quelles études avez-vous menées sur ces questions, notamment sur les profils sociaux des patients, puisque cela relève de vos compétences, et que cette dimension sociale ne peut être ignorée ?
Avez-vous estimé le nombre de personnes souffrant d’une affection grave et incurable en phase avancée, qui est un critère d’éligibilité au suicide assisté et à l’euthanasie.
L’avis 139 du CCNE plaide en faveur du suicide assisté et, dans certains cas, de l’euthanasie. Dans les pays où ces deux formes de mort provoquée sont légales, comme au Canada et aux Pays-Bas, on constate que le suicide assisté est marginal, ne représentant que 1 % des cas, contre 99 % pour l’euthanasie.
Lorsque vous avez plaidé en faveur du suicide assisté dans l’avis 139, aviez‑vous connaissance de cette réalité, qui montre que la légalisation du suicide assisté laisse de facto la place à l’euthanasie ?
Enfin, la proposition de loi 1100, dans son article 6, prévoit un délai de 48 heures pour valider une demande d’aide à mourir. Selon vous, est-ce suffisant au regard de la fluctuation possible de la volonté du patient ?
M. Stéphane Delautrette, rapporteur. Je souhaite revenir sur deux termes que vous avez fréquemment utilisés : « continuum » et « anticipation ».
Comment assurer ce continuum, en conciliant l’approche par deux textes séparés, l’un traitant la question des directives anticipées, l’autre non ? Comment établir des ponts dans ce contexte législatif ? Pour garantir ce continuum, faut-il passer par les directives anticipées ou nous, législateurs, devons-nous concevoir autre chose concernant l’aide à mourir ?
Vous avez souligné l’importance que les personnes connaissent leurs droits. Plus nous complexifions les choses, plus il devient difficile pour les personnes d’appréhender leurs droits, tout comme il est ardu pour ceux qui doivent les leur expliquer de le faire.
M. Alain Claeys. Concernant l’hydratation et l’alimentation artificielles, il s’agit de traitements, et non de soins. Cette distinction a été établie en commission mixte paritaire en 2016, à la suite d’un avis du Conseil d’État.
Concernant les mineurs, je n’ai pas abordé ce sujet dans l’avis 139, car il s’agit d’une question spécifique, qui mérite un traitement à part.
Pour les directives anticipées et l’autonomie de la personne, il est essentiel que la personne puisse exprimer et réitérer sa demande. L’influence extérieure est un élément à prendre en compte, mais ce débat a déjà eu lieu.
Quant au critère d’incurabilité, nous avons repris le terme utilisé dans la loi de 2016, concernant la sédation profonde et continue jusqu’au décès. La loi Kouchner autorise l’arrêt des traitements, y compris pour les personnes dont le pronostic vital est engagé à court terme.
Les deux textes ne sont pas contradictoires. Bien que j’aurais préféré un seul texte, traiter simultanément les soins palliatifs et l’aide à mourir me semble cohérent.
Pour les critères de court et moyen terme, nous avons apporté une réponse pour le court terme, mais la HAS rencontre des difficultés pour définir le moyen terme.
Je suis favorable à la notion de continuum, mais il faut reconnaître qu’il y a une rupture potentielle entre les directives anticipées et leur application. Ce sujet important devra être traité par les parlementaires.
Enfin, concernant les dérives potentielles, je crois en la force de notre démocratie. Depuis 1999, le législateur français a toujours trouvé un bon équilibre sur ces questions éthiques, quelle que soit la majorité en place.
M. Albert Ritzenthaler. Concernant les mineurs, ce sujet a été débattu lors de la Convention citoyenne et des travaux du Cese. Après avoir notamment auditionné des services de pédiatrie, les deux instances ont conclu qu’il fallait exclure les mineurs de ces dispositions. Ce choix a été fait en tenant compte des difficultés potentielles. À ce stade, nous avons considéré que nous n’étions pas en mesure de formuler des propositions sur ce point.
Pour la procédure collégiale, nous avons souligné l’importance qu’elle soit le plus large possible. Nous avons même envisagé d’inclure les personnes en contact direct avec les patients, comme les auxiliaires de soins hospitaliers, qui peuvent apporter un éclairage précieux. Nous avons également considéré qu’il serait important d’associer les aidants et les proches, tout en étant conscients des risques que cela peut comporter.
L’objectif est de s’assurer que la décision ne relève pas d’une seule personne, ni même de deux, mais d’une réflexion collective approfondie.
Par ailleurs, nous avons souligné l’importance d’une réflexion globale sur les dispositifs de mise en place, incluant les maisons d’accompagnement, les équipes mobiles de soins palliatifs et les unités de soins palliatifs. Cette stratégie doit être partagée entre tous les acteurs, en veillant à ce que la création de nouvelles structures ne déstabilise pas les dispositifs existants.
Par exemple, dans certains territoires de montagne, des équipes mobiles de soins palliatifs actives accompagnent les équipes hospitalières et assurent un travail de formation essentiel. Nous sommes attentifs à ce que cette dimension soit préservée, dans le cadre d’une réflexion collective pilotée par l’ARS. C’est pourquoi nous avons soulevé la question de la non-fongibilité des moyens, sachant que des fonds alloués aux soins palliatifs ont parfois été réaffectés pour gérer des situations d’urgence.
Mme Dominique Joseph. Concernant le chemin sécurisé et l’accessibilité de cette loi, il est effectivement nécessaire d’établir un lien entre les deux propositions de loi. C’est pourquoi nous avons besoin de mener ces deux réflexions et ces deux débats en parallèle et dans la même temporalité.
Le pont entre les deux propositions pourrait se faire, notamment à travers les directives anticipées. Bien que nous soyons conscients que cela ne résout pas tout, les directives anticipées constituent le point de départ des échanges et permettent de préciser les volontés de chacun. Elles peuvent également aider à contrer les pressions sociales et familiales, qui sont des préoccupations légitimes compte tenu de notre démographie.
Plus on aborde tôt la question de la préparation de sa fin de vie avec les personnes concernées, plus elles seront en mesure de résister aux diverses pressions. Les textes actuels, notamment l’article 4 avec ses critères, offrent des garde-fous importants face à ces craintes de pressions.
En ce qui concerne les associations, notamment celles de lutte contre le suicide, je ne pense pas qu’elles soient prévues pour intervenir dans le dispositif, tel qu’il est actuellement envisagé. Nous nous interrogeons sur le fait que le dispositif prévu dans l’article 17 de la proposition de loi sur la fin de vie ne soit pas inclus dans la proposition de loi sur les soins palliatifs et l’accompagnement, alors que la question de l’entrave peut également s’y poser.
Pour ce qui est de la collégialité, nous préconisons qu’elle soit le plus large possible, incluant non seulement des médecins mais aussi des psychologues. Nous avons même envisagé d’y intégrer la personne de confiance ou un membre de la famille. L’inclusion d’un psychologue répond au besoin d’évaluation et de questionnement continu de l’évolution de la demande des personnes.
Dr Sarah Dauchy. Je vais tenter de répondre à vos questions, notamment sur les aspects psychiques, en m’appuyant sur le positionnement du Centre national, et en partageant avec vous les ressources existantes. Notre objectif est de vous fournir des éléments pour aborder les questions complexes auxquelles vous serez confrontés.
Concernant la procédure collégiale, je suis entièrement d’accord avec ce qui a été dit précédemment. Il est fondamental d’avoir un regard croisé, intégrant non seulement les psychologues, mais aussi les aides-soignants. Les patients ne s’expriment pas de la même manière avec les différents membres de l’équipe de soins, et il est important de croiser ces différents points de vue.
Sur la question des souffrances psychiques insupportables, toutes les souffrances psychiques ne sont pas psychopathologiques. La souffrance psychique est omniprésente dans les maladies graves incurables en phase avancée, souvent indissociable de la souffrance physique. C’est pourquoi on parle de douleur totale et qu’on les évalue souvent ensemble. Certaines souffrances psychiques correspondent à des pathologies du psychisme qui peuvent être soignées. Il est important de ne pas les considérer comme une évidence à respecter d’emblée, mais de les distinguer de la souffrance existentielle ou morale.
Un désir de mort peut être lié à une souffrance psychique curable. Dans ce cas, il est fondamental que le diagnostic soit posé et que le patient en soit informé. On ne va pas lui imposer des soins, mais il est essentiel qu’il sache qu’il existe potentiellement un traitement qui pourrait faire évoluer son point de vue.
En 2022, nous avons recensé 9 158 suicides en France, ce qui en fait la dixième cause de mortalité. La difficulté réside dans la conciliation entre la lutte contre le suicide et la structuration du projet de loi que vous examinez aujourd’hui. Je pense que la réponse passe par la structuration d’un processus de réflexion. Il est capital que le patient ait accès à des soins psychiques et puisse discuter avec un psychologue ou un psychiatre. Cela permettra d’une part d’être conscient des pressions familiales et sociétales, et d’autre part de poser un diagnostic.
L’objectif n’est pas de s’abstraire totalement de ces pressions, mais d’en être conscient, surtout face à une décision aussi irrémédiable qu’une demande de mort. C’est ce qu’on entend par « favoriser l’autonomie ».
Une souffrance curable doit être diagnostiquée. La crise suicidaire se définit comme un moment où le patient, en raison de sa souffrance, n’envisage que la mort comme issue, alors que dans certains cas, des soins psychiques pourraient faire évoluer cette perception.
C’est pourquoi il est particulièrement important, à l’échelle individuelle, de proposer un accès aux soins psychiques, et à l’échelle collective, d’avoir un dispositif qui implique plusieurs personnes et qui prévoit du temps.
Enfin, pour répondre à la question du délai de 48 heures, il est clair que ce n’est pas suffisant d’un point de vue psychique. Chaque situation, où la dignité est en jeu, est singulière et peut nécessiter une action rapide.
Il existe d’autres solutions, parfois applicables dans des délais très courts. Par exemple, pour la dépression, un traitement peut commencer à faire effet en huit à quinze jours. Des recherches prometteuses sont en cours sur des psychotropes capables de traiter les désirs de mort et les idées suicidaires, avec des effets notables sur l’état psychique des patients. Il est important de s’appuyer sur des données scientifiques, car nous n’avons pas encore trouvé de solution miracle.
Concernant la question de la clause de conscience d’un médecin engagé auprès d’un patient, je pense que la réponse réside dans l’implication de plusieurs médecins dans le processus d’évaluation. Cette approche permet de préserver la subjectivité du patient, tout en neutralisant, autant que possible, la subjectivité des personnes qui l’entourent grâce à la collégialité.
Quant à la notion de continuum, je considère qu’il est tout à fait complémentaire de construire un système de soins intégrant l’anticipation comme un droit, tel que prévu dans l’article 14 de la proposition de loi de Mme Vidal. Ce processus d’anticipation est compatible avec un processus d’accès à l’aide médicale à mourir conçu comme une démarche s’inscrivant dans le temps.
Ces deux dispositifs d’adaptation nécessiteront l’intervention de plusieurs personnes à différents moments, tout en préservant au maximum la liberté et la subjectivité du patient. Il s’agit de deux approches complémentaires, et non contradictoires.
Mme Giovanna Marsico. Concernant les risques pour les personnes vulnérables, les données publiées par les structures de contrôle des pays ayant dépénalisé l’aide à mourir montrent que l’accès à cette aide reproduit les mêmes inégalités que l’accès aux soins en général. Les personnes qui y ont recours sont principalement issues de milieux favorisés, d’origine américano-européenne aux États-Unis, et sont souvent en couple.
Ces tendances reflètent les inégalités d’accès aux soins existantes, avec un accès plus facile pour les personnes disposant de moyens et de réseaux. Au Canada, par exemple, la majorité des situations d’aide à mourir en établissement de santé se produit dans des cliniques privées, plutôt que dans les hôpitaux publics.
Concernant les maisons d’accompagnement, la proposition initiale prévoyait un ratio de 0,2 personnel par lit. Ces structures seraient adossées à d’autres établissements médico-sociaux et accessibles aux médecins de ville et aux libéraux. Ce modèle n’est pas une invention française, mais existe déjà dans de nombreux pays sous le nom d’« hospice ». Ces structures ont fait l’objet d’évaluations positives.
Quant à l’obstination déraisonnable vis-à-vis des mineurs, elle fait l’objet d’une obligation légale depuis la loi Leonetti. Le patient conscient peut refuser ou arrêter tout traitement. Si le professionnel de santé estime que les actes sont inutiles ou uniquement destinés à préserver la vie, il peut, après une procédure collégiale, décider d’arrêter les traitements. Les parents peuvent intervenir, la personne de confiance doit être entendue et les directives anticipées prises en compte, mais la décision finale revient au professionnel de santé.
M. Alain Claeys. Concernant les maisons d’accompagnement, qui seront une mesure importante de votre texte sur la stratégie décennale, une phase d’expérimentation est nécessaire. Ces structures impliquent un continuum entre l’équipe médicale, le médico-social, les aidants et la famille.
La question du financement sera complexe, en raison des différents canaux existants. Ce sujet a été particulièrement discuté lors de la réunion d’évaluation du plan décennal organisée par les deux ministres. Le législateur devra être vigilant, peut-être pas directement lors du débat parlementaire, mais lors de l’examen des décrets d’application.
M. François Gernigon, rapporteur. Dans le cas que j’évoquais précédemment, il s’agissait d’un enfant inconscient, maintenu en vie par intubation. Les parents n’ont pas eu le choix concernant l’accompagnement de la fin de vie. Les médecins ont procédé à l’arrêt des soins, alors que les parents auraient préféré une sédation permettant une mort plus progressive. Je souhaiterais avoir des éclaircissements sur ce qui est prévu dans de telles situations.
Dr Sarah Dauchy. Cette question est extrêmement complexe. Le principe fondamental est qu’il est interdit aux médecins de pratiquer des actes qu’ils considèrent, de manière collégiale, comme relevant de l’obstination déraisonnable. La demande du patient ou de ses représentants intervient sur les actes proposés, mais dans la limite de ce qui n’est pas considéré comme de l’obstination déraisonnable.
Il arrive que les proches, qu’il s’agisse des parents ou d’une personne de confiance, ne comprennent pas cette limite et souhaitent aller « jusqu’au bout ». Cependant, ce « jusqu’au bout » doit s’entendre dans les limites de ce qui n’est pas de l’obstination déraisonnable.
Un groupe de travail a mis en lumière le fait que, dans certains cas, l’obstination déraisonnable peut naître des demandes des patients eux-mêmes. C’est pourquoi il est important d’avoir des dispositifs de dialogue. Il serait anormal que la décision soit prise de manière unilatérale. Au contraire, l’objectif est d’impliquer les proches le plus tôt possible, afin que ces limites thérapeutiques soient comprises et ne soient pas vécues comme un simple arrêt des soins.
M. le président Frédéric Valletoux. Je vous remercie pour ces échanges.
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2. Table ronde réunissant des représentants du mouvement « Être-là », de l’association « Jusqu’à la mort accompagner la vie » (Jalmalv), de France Assos Santé, de l’Association pour la recherche sur la sclérose latérale amyotrophique et du Collectif Handicaps (réunion du mercredi 26 mars 2025 à 17 heures)
La commission auditionne, dans le cadre d’une table ronde sur les propositions de loi relative aux soins palliatifs et d’accompagnement (n° 1102) et relative à la fin de vie (n° 1100) : pour le mouvement « Être-là », M. Jacques Clarion de Beauval, président, et M. Matthieu Lantier, délégué général ; pour l’association « Jusqu’à la mort accompagner la vie » (Jalmalv), M. Olivier de Margerie, président ; pour France Assos Santé, M. Gérard Raymond, président, et Mme Stéphanie Pierre, chargée de mission Santé publique et fin de vie ; pour l’Association pour la recherche sur la sclérose latérale amyotrophique, Mme Valérie Goutines, présidente ; pour le Collectif Handicaps, Mme Marie-Christine Tézenas, présidente du Groupe polyhandicap France, et Mme Axelle Rousseau, coordinatrice ([2]).
M. Jacques Clarion de Beauval, président du mouvement « Être‑là ». La situation actuelle rappelle celle des débuts des soins palliatifs dans les années 1980, lorsque la discipline a émergé grâce à l’engagement conjoint de médecins et de bénévoles. Aujourd’hui, la stratégie décennale en la matière témoigne d’une volonté affirmée d’améliorer l’accompagnement, tant du point de vue des soignants que des bénévoles. Ces derniers, formés conformément au code de la santé publique, jouent un rôle essentiel face aux difficultés persistantes de recrutement des soignants et de déploiement des structures dédiées. Leur contribution est significative puisque les 5 000 bénévoles recensés en France représenteraient, en équivalents temps plein, une valeur estimée à près de 30 millions d’euros.
M. Matthieu Lantier, délégué général du mouvement « Être‑là ». Nous défendons un rôle central pour les associations et les bénévoles dans l’accompagnement de la fin de vie. La proposition de loi actuelle est une opportunité concrète pour renforcer leur place, en lien direct avec l’effectivité des droits et la mise en œuvre des politiques publiques. L’objectif de doubler le nombre de bénévoles nous semble essentiel et mérite d’être accéléré.
Face à une demande croissante, notamment à domicile, il est crucial de renforcer notre action et de mieux soutenir les aidants. Nos bénévoles interviennent dans un cadre strictement défini, fondé sur l’écoute et le respect de la laïcité, sans projection sur les patients. Nous restons neutres sur l’aide à mourir mais insistons sur l’exigence d’un accès équitable aux droits sur tout le territoire.
Nous saluons les avancées du texte sur les soins palliatifs, mais soulignons la nécessité d’ajustements : inclure le financement du bénévolat dans l’article 7, intégrer la formation et son financement dans l’article 8, faciliter l’intervention à domicile dans l’article 13, permettre l’information sur les soins palliatifs précoces par les bénévoles dans l’article 14 et faire une place à l’engagement bénévole dans les campagnes sur le deuil à l’article 18.
M. Olivier de Margerie, président de l’association « Jusqu’à la mort accompagner la vie » (Jalmalv). Notre fédération regroupe soixante‑douze associations engagées dans l’accompagnement des personnes en fin de vie, en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes comme à domicile. Chaque année, plus de 1 500 bénévoles réalisent environ 80 000 accompagnements, représentant plus de 130 000 heures de présence. Cet ancrage territorial fort témoigne de l’engagement structurant de notre réseau.
Dans le cadre de la proposition de loi relative aux soins palliatifs et d’accompagnement, nous insistons sur l’importance d’intégrer explicitement, à l’article 7, un financement dédié à la formation des bénévoles. Pour répondre à l’augmentation des besoins, nous visons un doublement des effectifs dans les dix prochaines années, passant de 4 500 à 9 000 bénévoles. L’accompagnement à domicile, particulièrement exigeant, rend indispensable un renforcement des moyens humains et logistiques. Ces ressources seront également cruciales pour la création de maisons d’accompagnement et la mise en œuvre effective des plans personnalisés. Le rapport Chauvin estime à 6 millions d’euros le coût de cette montée en charge, un montant mesuré au regard de la stratégie décennale.
Nous plaidons également pour un véritable changement culturel autour de la fin de vie. Jusqu’à présent, les plans nationaux n’ont pas permis une appropriation suffisante par le grand public. Il faut notamment lever les freins persistants au sein de l’éducation nationale pour permettre des initiatives comme « Osons parler de la mort avec les enfants » ou l’exposition itinérante « Naître, grandir, mourir », qui ouvrent des espaces de dialogue intergénérationnels. Il est également essentiel de rappeler que toutes nos associations sont laïques, apolitiques, aconfessionnelles et que nos bénévoles sont spécifiquement formés.
Nous soutenons par ailleurs des dispositifs concrets tels que le programme Dernier Secours, une formation d’une journée coanimée par un soignant et un bénévole, qui aide les citoyens à comprendre ce qu’implique une fin de vie à domicile. Ce type d’initiative complète utilement les campagnes institutionnelles descendantes, en favorisant une réflexion horizontale et citoyenne. Dans le même esprit, nous avons conçu le jeu À vos souhaits, qui facilite l’expression des volontés de fin de vie, et mis en place une ligne d’écoute pour les personnes confrontées à une souffrance existentielle, en complément de celle du centre national. Ce service d’intérêt général devrait, selon nous, être étendu à l’échelle nationale.
Enfin, s’agissant de l’instance de contrôle et d’évaluation prévue par le texte, nous appelons à lui garantir une réelle indépendance et des moyens suffisants pour assurer un pilotage efficace. Elle devrait rendre des comptes à la nation et non uniquement au ministère de la santé, pour garantir la crédibilité de l’action publique.
Nous préconisons que la mise en œuvre de la proposition de loi aux soins palliatifs et d’accompagnement soit pleinement engagée avant d’envisager une législation sur l’aide à mourir. Nous réaffirmons également que le suicide assisté ne doit pas être confondu avec l’euthanasie. Le premier, parce qu’il maintient la personne au centre de la décision, nous semble moins exposé à des risques de dérives. Enfin, il nous semble essentiel de clarifier, auprès du grand public, la coexistence entre une éventuelle dépénalisation de l’assistance au suicide et les politiques de prévention du suicide.
Mme Stéphanie Pierre, chargée de mission Santé publique et fin de vie, France Assos Santé. France Assos Santé, fédération d’une centaine d’associations représentant malades chroniques, personnes âgées, personnes en situation de handicap et aidants, regrette la scission du texte initial en deux propositions distinctes. Cette séparation pourrait laisser croire à tort qu’il existe deux parcours opposés, alors qu’il s’agit d’un continuum d’accompagnement pour les patients. Nous saluons toutefois l’examen conjoint des deux textes, qui abordent des dimensions complémentaires de l’accompagnement.
La proposition sur les soins palliatifs constitue une avancée en sortant d’une logique uniquement curative, en renforçant l’effectivité des politiques publiques et la reconnaissance des bénévoles. Certaines souffrances restent toutefois sans réponse dans le cadre actuel, ce à quoi entend répondre la proposition sur l’aide à mourir. Les deux approches doivent être pensées ensemble, sans opposer soin et autodétermination.
Nous déplorons l’absence de mesures concrètes en faveur des aidants dans la proposition de loi Vidal, notamment sur le congé de solidarité, encore conditionné à une fin de vie à domicile alors que les besoins sont identiques à l’hôpital. Par ailleurs, la création d’une commission de contrôle a posteriori dans l’article 19 et le durcissement des procédures collégiales de l’article 16 nous paraissent être des reculs par rapport à la loi de 2016, car ils risquent de générer confusion et insécurité pour les patients. Nous appelons à élargir la stratégie décennale aux dimensions sociales et sociétales de la fin de vie, et non à la cantonner à son versant sanitaire.
S’agissant de la proposition de loi Falorni, plusieurs points restent sensibles, notamment sur l’égalité d’accès à l’aide à mourir. Le texte limite l’assistance à l’administration de la substance létale aux personnes physiquement incapables, excluant celles qui ne peuvent agir pour des raisons psychiques ou morales. Cela crée une inégalité injustifiée. Dans les pays autorisant les deux modalités, la majorité des patients choisissent l’administration par un soignant, preuve que ce choix doit être laissé, sans hiérarchie morale entre les pratiques.
La question des demandes anticipées d’aide à mourir mérite également un débat approfondi. Trois situations en sont actuellement exclues : les patients en coma irréversible, ceux qui perdent conscience après avoir programmé leur demande et ceux atteints de maladies neurodégénératives exposés à une perte de discernement. Ces personnes, qui formulent leur volonté à l’avance, craignent de perdre leur droit faute de pouvoir la reconfirmer. La durée de validité de trois mois pour l’autorisation crée une insécurité qui pourrait les pousser à anticiper leur décès.
Enfin, nous souhaitons rouvrir la discussion sur le critère de pronostic vital engagé, trop flou, médicalement incertain et donc inadapté. Il ne devrait pas primer sur l’intensité de la souffrance. Certaines personnes vivent une situation insupportable liée à une perte d’autonomie profonde, sans pour autant que leur mort soit imminente. Ce sont ces situations que le droit doit viser. La durée de vie restante n’est pas le bon indicateur car seule la personne malade peut juger du caractère supportable ou insupportable de son existence. Appliquer un critère temporel strict, c’est risquer une profonde injustice entre malades vivant des souffrances équivalentes.
Mme Valérie Goutines, présidente de l’Association pour la recherche sur la sclérose latérale amyotrophique. Nous vous remercions de permettre à la voix des personnes atteintes de la maladie de Charcot, trop souvent marginalisée, de s’exprimer dans ce débat essentiel.
Nous saluons la reprise des travaux parlementaires dans la continuité des échanges et des amendements antérieurs, marque de respect envers le chemin déjà parcouru. Nous exprimons toutefois une vive inquiétude face à la scission du texte initial en deux propositions de loi distinctes, qui crée une séparation artificielle entre soin et autodétermination alors que, pour les patients, ces deux dimensions sont indissociables. Fragmenter ainsi l’expérience de fin de vie, c’est risquer de produire un parcours incohérent et bureaucratique, alors même qu’il s’agit d’un chemin unique, souvent douloureux, dans lequel les besoins de réconfort, de dignité et de renoncement coexistent.
La proposition de loi Vidal répond à un manque historique en matière de soins palliatifs, à travers la création de filières territoriales, un droit opposable, des maisons d’accompagnement et une stratégie décennale. Mais elle reste incomplète en éludant la question de l’aide à mourir. La proposition de loi Falorni y répond avec rigueur, en couvrant maladies incurables, souffrances réfractaires, collégialité médicale et discernement, et ouvre la possibilité d’une administration par un soignant en cas d’incapacité physique. Toutefois, la durée de validité de la demande et l’exclusion non explicite de l’intervention d’un proche demeurent des zones grises. Nous demandons une clarification ferme sur ce dernier point car l’acte final doit rester strictement médical et ne peut être délégué à un conjoint ou à un enfant.
Pour les patients atteints de sclérose latérale amyotrophique (SLA), cette dualité n’est pas une question abstraite mais une menace existentielle. Notre enquête montre que 89 % des malades veulent vivre accompagnés, mais également être respectés dans leur souhait de mettre fin à leur combat le moment venu. Nous saluons la suppression du critère de moyen terme, inadapté, mais appelons à préciser la notion de phase avancée. Il ne s’agit pas d’une durée clinique mais d’une intensité de souffrance que seul le patient peut nommer.
Sur le discernement, nous rappelons que si la SLA entraîne des troubles cognitifs dans plus de la moitié des cas, elle ne remet pas forcément en cause la volonté ou la capacité de décision. Fonder l’accès au droit sur la fragilité revient à introduire une inégalité éthique. De même, limiter la validité d’une demande à quatre‑vingt‑dix jours est une contrainte arbitraire car elle nie la complexité des trajectoires. Il faut garantir à la fois la possibilité d’anticiper et celle de différer la décision.
Nous resterons attentifs aux effets de la dissociation des textes. Il faudra impérativement articuler les dispositifs, intégrer les directives anticipées aux plans d’accompagnement et penser la douleur, la sédation et le renoncement comme un continuum. La formation des soignants et l’accès des personnes lourdement handicapées aux soins palliatifs doivent également être renforcés. L’ensemble du cadre doit être bâti autour du respect de la volonté individuelle.
Nous ne demandons pas un droit à mourir mais un droit de choisir. La mort ne doit plus être un tabou ni un impensé mais être reconnue comme la dernière étape du soin, un espace de liberté à préserver pour chacun.
Mme Marie-Christine Tézenas, membre du Collectif Handicaps, présidente du Groupe polyhandicap France. Le Collectif Handicaps rassemble cinquante‑quatre associations représentant une diversité de situations. Notre intervention se concentrera sur les enjeux spécifiques que soulèvent les deux propositions de loi pour les personnes en situation de handicap.
Je rappelle que le polyhandicap résulte d’une lésion précoce du cerveau en développement, entraînant des déficits moteurs et cognitifs majeurs, des troubles de santé complexes ainsi qu’un niveau de dépendance extrême. Notre collectif inclut également les personnes atteintes d’autisme sévère, de troubles du développement intellectuel importants et de certains handicaps psychiques. La question éthique centrale que nous soulevons est celle de la prise de décision pour autrui. Les deux propositions de loi s’appuient en effet sur la décision de la personne concernée, mais que faire lorsque celle-ci n’est pas en mesure de comprendre, de s’exprimer ou de formuler une volonté libre et éclairée ? Ces personnes, souvent privées de la possibilité de rédiger des directives anticipées ou de désigner une personne de confiance, sont pourtant pleinement concernées par les enjeux de la fin de vie.
Dans l’élaboration d’un plan personnalisé d’accompagnement, la question se pose de savoir qui participe à la décision lorsque la personne ne peut communiquer. La loi précédente prévoyait de consulter la famille avant la réunion collégiale, sans l’y associer directement, pour éviter de lui faire porter le poids d’une décision létale concernant leur enfant. Or, de nombreux parents expriment le souhait d’être présents à cette réunion, estimant être les plus à même de représenter l’intérêt de leur enfant, parfois mieux que certains médecins peu familiarisés avec la complexité du handicap.
Nous proposons d’instaurer une médiation en cas de désaccord entre la famille et la commission décisionnaire et de permettre, le cas échéant, la participation d’un professionnel de l’établissement médico-social connaissant intimement la personne concernée à la décision collégiale.
Notre principale inquiétude porte donc sur le choix de la personne chargée de la prise de décision, notamment dans les situations d’incertitude où la compréhension de la personne est fluctuante ou difficile à évaluer. Ces situations limites posent un défi éthique considérable, notamment dans le cadre d’une aide à mourir. Nous souhaitons également alerter sur la situation des personnes souffrant d’un handicap psychique mais dont la capacité de discernement reste intacte, qui pourraient elles aussi être confrontées à une pathologie létale.
En conclusion, nous appelons à une vigilance particulière sur la question de la décision pour autrui, qui représente un enjeu éthique majeur, tout en respectant pleinement la dignité, l’humanité et leur droit de la personne à être considérée à égalité avec tous.
Mme Axelle Rousseau, coordinatrice du Collectif Handicaps. Les personnes en situation de handicap présentent une grande diversité de besoins, qui ne sauraient être pris en charge par un parcours unique d’accompagnement. Cette pluralité doit impérativement être intégrée dans la conception du plan personnalisé d’accompagnement.
Nous saluons la reprise des travaux parlementaires dans la continuité des débats et nous réjouissons particulièrement de l’accent mis sur le développement territorial des soins palliatifs et sur la reconnaissance du rôle central du secteur médico-social. Les mesures visant à former les professionnels, tant du sanitaire que du médico-social, à l’approche palliative vont dans le bon sens. Nous suggérons cependant de renforcer encore la formation à l’accompagnement du deuil.
Nous saluons également les avancées en matière d’accessibilité de l’information, notamment le développement de la communication alternative et améliorée, ainsi que des formats en facile à lire et à comprendre (Falc). Ces dispositifs permettent aux personnes en situation de handicap de mieux connaître leurs droits et de s’impliquer davantage dans leur parcours.
Mme Annie Vidal, rapporteure. S’agissant tout d’abord de la séparation des deux textes, je tiens à réaffirmer que les deux approches sont conçues pour être complémentaires et que des passerelles sont bien prévues entre eux afin d’assurer une cohérence d’ensemble.
La loi prévoit que la sédation profonde et continue ne peut être mise en œuvre qu’à la demande du patient. Pour les personnes qui ne peuvent s’exprimer, une piste envisagée repose sur le développement de discussions anticipées, distinctes des directives anticipées, mobilisant des outils comme la communication alternative ou les documents en Falc. Ces échanges incluraient proches, aidants ou personne de confiance et seraient engagés dès l’annonce de la pathologie. Cela ne couvre pas tous les cas, mais permet d’anticiper certaines situations.
La stratégie décennale prévoit une évaluation à mi-parcours et la création d’instances territoriales de suivi pour assurer un pilotage concret et transparent.
M. Olivier Falorni, rapporteur général. Nous tenions à entendre la parole des malades et à les replacer au centre des échanges, car c’est pour eux que nous légiférons.
Madame Goutines, je tiens à vous assurer à la fois de la grande attention que nous portons aux situations spécifiques que la SLA met en lumière et de notre souhait que ce texte s’adresse à l’ensemble des patients répondant aux critères définis par la loi. Votre association est unanimement reconnue et, à travers elle, c’est la voix des malades de Charcot que nous entendons et considérons pleinement.
Sur la distinction entre suicide assisté et euthanasie, je suis surpris que l’un puisse être jugé acceptable sans l’autre. Dans un pays fondé sur l’égalité, la liberté et la fraternité, que répondre à une personne remplissant les critères mais devenue physiquement incapable d’agir seule ? Le texte prévoit déjà la possibilité d’une auto-administration ou d’une administration par un professionnel de santé, avec son accord et sous réserve qu’il ne fasse pas valoir sa clause de conscience. La commission a écarté la possibilité d’une intervention par une personne non soignante, restreignant ainsi le champ d’application afin d’éviter toute dérive.
Madame Tézenas, vous avez posé la question sensible du discernement chez des personnes psychiquement vulnérables, mais atteintes d’une pathologie incurable. Notre rôle de législateur est de garantir une décision libre et pleinement consciente. Nous n’avons pas encore de réponse pleinement satisfaisante à cette problématique mais sommes ouverts aux propositions permettant d’assurer à la fois le respect de la volonté du patient et les garanties éthiques nécessaires.
Mme Marie-Christine Tézenas. Répondre à ces situations relève d’un exercice complexe, car le législateur peine naturellement à intégrer les cas individuels dans un cadre général.
Les discussions anticipées, bien que souhaitables, ne sont pas toujours envisageables car certains diagnostics évoluent trop rapidement. Entre la décompensation et la fin de vie, il peut s’écouler à peine dix à quinze jours, ce qui rend tout accompagnement structuré difficile à mettre en place.
Le second écueil est celui des préjugés. Même au sein du corps médical, certaines vies sont implicitement perçues comme moins dignes d’être défendues. J’ai en mémoire deux cas récents de jeunes femmes lourdement handicapées, pour lesquelles les médecins ont, sans évaluation précise de la gravité, questionné les parents sur une éventuelle réanimation. Ces réactions traduisent des décisions souvent préemptées, sans concertation ni réelle prise en compte de la volonté ou du vécu de la personne.
Face à cela, il est impératif que la décision soit collégiale et véritablement pluridisciplinaire. Les personnes lourdement handicapées peuvent avoir un profond désir de vivre et les professionnels qui les accompagnent au quotidien sont les plus à même d’éclairer les décisions dans toute leur complexité humaine. Leur participation doit être systématiquement proposée mais jamais imposée. Quant aux proches, leur parole peut apporter un éclairage précieux, en contrebalançant certaines perceptions erronées, notamment chez des médecins peu familiers du handicap.
J’ajoute que des considérations économiques peuvent également interférer dans ces décisions. J’ai été alertée sur des propos médicaux évoquant le coût des soins pour justifier un arrêt de traitement. De telles situations rappellent l’urgence d’éviter toute forme d’euthanasie involontaire, même sous couvert de bonnes intentions.
Enfin, un handicap psychique ne signifie pas une absence permanente de discernement et peut inclure des phases de lucidité. Il est essentiel de reconnaître ces moments de clarté pour permettre aux personnes concernées d’exprimer une volonté libre et éclairée.
M. Olivier Falorni, rapporteur général. Je comprends que dans des situations particulièrement douloureuses, impliquant une maladie grave et incurable en phase avancée ou terminale, vous ne manifestez pas d’opposition de principe mais considérez qu’il existe une capacité de discernement et d’expression de la volonté possible chez ces personnes atteintes de pathologies psychiques.
Mme Marie-Christine Tézenas. En effet, une personne souffrant de troubles psychiques peut parfois s’exprimer avec lucidité sur sa propre souffrance et sur une éventuelle volonté d’en finir.
Mme Valérie Goutines. Je salue les passerelles prévues entre les deux propositions de loi, qui gagneront sans doute en clarté à mesure des débats.
J’ai bien compris qu’un proche aidant ne courrait pas de risque juridique s’il venait à administrer une substance létale.
Je souhaite rappeler que les personnes atteintes de la maladie de Charcot doivent être considérées dans toute la complexité de leur parcours. Il ne suffit pas d’évoquer cette pathologie comme un exemple emblématique de maladie cruelle, il faut également tenir compte du très lourd handicap qu’elle engendre. Aujourd’hui, seuls 35 % des patients concernés ont accès aux soins palliatifs, en grande partie à cause de la sévérité de leur état. Nous demandons que leur capacité à faire un choix personnel soit pleinement reconnue, y compris à travers une révision des directives anticipées. La durée de validité actuelle, limitée à quatre‑vingt‑dix jours, est trop contraignante et ne correspond pas à la réalité de leur trajectoire de vie.
Mme Stéphanie Pierre. La distinction entre suicide assisté et euthanasie pose des difficultés concrètes d’évaluation, notamment lorsqu’il s’agit de juger l’incapacité physique d’un patient. Cette incertitude justifie de laisser une marge d’appréciation au professionnel de santé pour accompagner le patient de manière adaptée à sa situation clinique et humaine.
Les professionnels favorables à l’aide à mourir acceptent généralement d’intervenir dans les deux modalités, tandis que ceux qui s’y opposent la refusent dans son ensemble. Il est donc crucial de ne pas figer les pratiques, mais de préserver la liberté du patient et du soignant de choisir ensemble la modalité la plus juste dans le cadre de leur relation de soin.
Concernant la prévention du suicide, le rapport de février 2025 de l’Observatoire national du suicide indique qu’aucun transfert des suicides vers les dispositifs d’aide à mourir n’a été constaté dans les pays où ces pratiques sont légalisées. Au contraire, l’existence de ce droit peut parfois permettre une ouverture au dialogue et amorcer une prise en charge du mal‑être.
Enfin, l’article 16 soulève une inquiétude en alourdissant les procédures collégiales autour de la sédation profonde et continue. Ce droit du patient, prévu depuis 2016, peut être mis en œuvre par l’équipe médicale en cas d’obstination déraisonnable, même sans expression de la volonté du patient. Toutefois, l’exigence de réunir tous les professionnels mentionnés dans le texte risque de bloquer son application, surtout dans les territoires sous-dotés en ressources médicales.
M. Olivier de Margerie. Pour développer une véritable culture palliative, plusieurs mesures concrètes pourraient être mises en place, telles que le remboursement des frais kilométriques des bénévoles intervenant à domicile ou la facilitation du mécénat d’entreprise pour permettre à des salariés de s’engager dans le bénévolat d’accompagnement. L’organisation de conventions citoyennes dans chaque département pourrait également permettre d’expliquer et d’accompagner la mise en œuvre des lois. Au-delà du vote, il est crucial que la société s’approprie ces textes et les comprenne pleinement.
M. Jacques Clarion de Beauval. Je tiens d’abord à saluer le travail accompli depuis plusieurs mois sur ces questions délicates. Nous sommes des témoins de terrain et ce que nous observons est souvent difficile à entendre pour ceux qui ne sont pas confrontés au quotidien de l’accompagnement. Très peu de patients accompagnés expriment une demande d’aide à mourir, mais beaucoup n’ont pas accès aux soins palliatifs, ce qui les met en grande détresse.
Il est en outre important de ne pas faire de la maladie de Charcot un emblème exclusif de la demande d’aide à mourir car d’autres pathologies génèrent des souffrances tout aussi profondes.
Nous souhaitons simplement pouvoir contribuer aux travaux et débats à venir car l’expérience des accompagnants peut être précieuse pour enrichir la réflexion collective après les décisions prises par l’Assemblée.
M. Laurent Panifous, rapporteur. Trop de personnes n’ont toujours pas accès aux soins palliatifs tels qu’ils sont envisagés dans la proposition de loi. S’il est vrai que peu de patients demandent l’aide à mourir, ce faible nombre reste, pour moi, trop important pour être ignoré. Il est probable que, même si ce droit est reconnu, peu iront jusqu’à son terme. Pour autant, si nous acceptons qu’il existe des souffrances que ni la médecine ni la science ne peuvent soulager, que certaines personnes vivent une douleur insupportable et sont en mesure de l’exprimer clairement, alors il faut leur reconnaître la possibilité de décider d’y mettre fin. C’est pourquoi je soutiens avec détermination cette proposition de loi.
Le pas que nous nous apprêtons à franchir est immense mais, après vous avoir entendus aujourd’hui, je suis encore plus convaincu qu’il est nécessaire. Comment pourrions‑nous refuser à quelqu’un le droit de formuler sa souffrance et d’y apporter une réponse ultime, si elle en fait la demande en pleine conscience ?
M. François Gernigon, rapporteur. Monsieur de Margerie, comment envisagez-vous l’intervention des bénévoles à domicile ? Quel type de conventionnement serait nécessaire ? Serait-ce avec l’hospitalisation à domicile (HAD) ou avec les services médicaux de proximité ? Pourriez-vous également nous éclairer sur la formation des bénévoles et son déroulement ?
Mme Brigitte Liso, rapporteure. Je reste convaincue que la fin de vie aurait dû être abordée dans un seul et même texte.
Si nous observons tous que le développement des soins palliatifs en France est insuffisant et doit être renforcé, peuvent-ils réellement répondre à toutes les situations ?
Vous avez évoqué des refus d’accès aux soins palliatifs pour des personnes lourdement handicapées. J’aimerais en comprendre les raisons, car cela interroge nos pratiques.
S’agissant des conventions citoyennes, je rappelle que le coût de celle organisée récemment s’est élevé à 6 millions d’euros pour 189 participants, soit 32 000 euros par personne. Pour autant, je salue l’initiative du Gouvernement, car cette convention a permis de faire émerger une parole citoyenne claire et représentative, avec 75 % des participants favorables à l’instauration d’un droit à l’aide à mourir.
M. René Pilato (LFI-NFP). Êtes-vous favorables au droit opposable aux soins palliatifs, comme le prévoit l’article 4 du premier texte ?
Madame Tézenas, votre question sur la responsabilité de la décision lorsqu’une personne n’a plus la capacité de la prendre donne toute sa portée au second texte. Votre intervention met en lumière l’intérêt des directives anticipées opposables, qui pourraient apporter une réponse dans des situations aujourd’hui non incluses dans la loi. Le droit actuel repose sur une conscience pleine et entière au moment de la demande, mais votre remarque ouvre un précieux chemin pour penser, à l’avenir, l’évolution du cadre juridique au-delà du droit opposable aux soins palliatifs et de l’aide à mourir.
Mme Karen Erodi (LFI-NFP). La proposition de loi sur l’aide à mourir exige que la personne soit en pleine possession de son discernement, ce qui m’amène à m’interroger sur les maladies neurodégénératives telles que la maladie d’Alzheimer, qui semble aujourd’hui insuffisamment prise en compte dans le texte. Cette pathologie, qui s’étale sur de nombreuses années, entraîne une perte progressive des facultés cognitives. Comment garantir à ces personnes un accès effectif au droit à mourir ? Les directives anticipées peuvent-elles réellement jouer ce rôle, alors que l’évolution longue de la maladie peut les rendre caduques ou difficilement interprétables ?
Mme Stéphanie Pierre. Selon l’association France Alzheimer, même à un stade avancé, certaines personnes atteintes peuvent encore s’exprimer, verbalement ou par leur corps, qui manifeste la souffrance ou le bien-être. Il est également nécessaire de rappeler que tous les parcours ne sont pas tragiques et que certaines personnes continuent de trouver des sources de joie malgré la maladie.
Les questions éthiques liées aux directives anticipées existent déjà aujourd’hui. Que faire, par exemple, lorsqu’une personne a demandé l’arrêt des traitements dans un document écrit, mais qu’elle ne semble pas manifester de souffrance apparente une fois privée de ses capacités d’expression ? Faut-il respecter la volonté passée ou la réalité présente ? Ces situations montrent la complexité de l’équilibre à trouver.
Quant à l’insuffisance des soins palliatifs, le rapport de la Cour des comptes en fait état, tout en soulignant le manque de données consolidées. Ces soins ne relèvent pas uniquement des unités spécialisées et peuvent également être assurés par les soignants de premier recours. L’objectif doit donc être à la fois de renforcer les structures dédiées et de mieux former les professionnels de santé primaires pour garantir un accompagnement digne et complet jusqu’au bout.
Mme Valérie Goutines. L’instauration d’un droit opposable aux soins palliatifs est une nécessité pour les patients atteints de SLA. Leur accès est aujourd’hui entravé par la lourdeur du handicap en fin de vie qui exige des soins intensifs quotidiens difficilement réalisables à domicile. Le manque de lits en soins palliatifs, conjugué à une répartition territoriale inégale, aggrave ces difficultés. Un meilleur accès aux structures permettrait d’alléger le poids de la prise en charge pour les familles et d’assurer un accompagnement adapté à la complexité de la situation.
Mme Marie-Christine Tézenas. Je ne peux répondre que sur le sujet sur la souffrance. C’est précisément pour cela que nous insistons sur l’importance de la présence d’un proche. Le fait que certaines personnes s’expriment peu ne signifie pas qu’elles ne souffrent pas. J’ai, par exemple, été témoin d’un cas où seule la mère était capable de reconnaître une douleur intense chez son fils à travers un simple mouvement des lèvres, imperceptible pour d’autres.
Quant aux autres questions, en tant que représentante du Collectif Handicaps, je dois m’en tenir à notre mandat, qui concerne les personnes en situation de handicap qui ne peuvent ni s’exprimer ni anticiper leur volonté. Le reste dépasse le cadre des positions que nous avons collectivement arrêtées.
M. René Pilato (LFI-NFP). Si la question que vous soulevez venait à être tranchée, elle pourrait ouvrir la voie à un droit opposable aux directives anticipées, y compris dans le cadre de l’aide à mourir. À l’inverse, si nous ne parvenons pas à résoudre ce point, il s’appliquerait de manière implicite aux cas où une personne aurait formulé une demande d’aide à mourir avant de perdre sa capacité de discernement.
Mme Marie-Christine Tézenas. À mes yeux, une forme de précédent a déjà été posée avec la loi Claeys-Leonetti, notamment à travers la possibilité de mettre en œuvre une sédation profonde et continue accompagnée de l’arrêt de l’hydratation et de l’alimentation artificielles. J’estime qu’une telle pratique, bien qu’encadrée, peut être qualifiée d’abominable du fait de la souffrance infligée aux proches, aux aidants ou aux parents, dont nous avons peu parlé ici. Il est d’une violence extrême d’assister à la mort lente d’un être cher, condamné à mourir de faim et de soif sous nos yeux. Cette réalité, bien qu’encadrée par la loi, s’apparente déjà à une forme de décision collégiale impliquant la fin de vie et ouvrait déjà, selon moi, un chemin.
Mme Annie Vidal, rapporteure. Il me semble que nous abordons là deux sujets distincts. La loi Claeys-Leonetti précise très clairement que la sédation profonde et continue jusqu’au décès ne peut être mise en œuvre qu’à la demande du patient. Si elle est encadrée par une procédure collégiale, elle repose fondamentalement sur la volonté exprimée de la personne concernée. Je me suis encore entretenue hier soir avec des médecins qui la pratiquent et tous confirment que cela se passe bien ainsi.
Lorsque la personne n’est plus en mesure de s’exprimer, nous ne sommes plus dans le cadre prévu par cette loi, ni dans celui des directives anticipées pleinement applicables. L’objectif devient alors d’essayer de comprendre, autant que possible, ce que la personne aurait souhaité, à travers l’usage de documents en Falc ou de dispositifs de communication alternative. Il arrive cependant, même avec ces outils, que la volonté de la personne ne puisse être recueillie.
Tous les professionnels des soins palliatifs s’accordent à dire que la sédation profonde et continue intervient dans un contexte de mort imminente. Dans ce contexte, la personne ne ressent plus ni faim ni soif, car ses besoins physiologiques sont altérés. Il ne s’agit donc pas d’une situation brutale ou d’un abandon mais d’une démarche médicale encadrée, visant à accompagner la fin de vie avec humanité.
Mme Marie-Christine Tézenas. La brutalité que j’évoquais ne concerne pas la personne sédatée elle-même mais son entourage, qui assiste, impuissant, à la lente dégradation corporelle.
M. Matthieu Lantier. L’accompagnement bénévole à domicile, bien qu’existant depuis l’origine des soins palliatifs, reste encore marginal et représente moins de 10 % de notre activité. Il mérite donc d’être renforcé, mais cela suppose davantage de bénévoles car chaque visite à domicile est plus longue et engageante qu’en établissement. Le développement de cette présence repose sur les deux leviers que sont le développement du bénévolat et la formation.
Avec moins de dix salariés pour encadrer 4 500 à 5 000 bénévoles, nous avons également besoin d’un véritable soutien structurel, sans forcément demander davantage de financements, mais en faisant de l’engagement citoyen une priorité publique. Notre excellent maillage territorial permettrait de mobiliser efficacement les solidarités locales.
Pour accompagner à domicile, il est essentiel de pouvoir formaliser des liens conventionnels avec des professionnels de santé, notamment les HAD et les dispositifs d’appui à la coordination mais également les familles, les médecins généralistes ou les services de soins infirmiers à domicile. Les soins palliatifs ne sont pas réservés aux spécialistes et les nombreux professionnels de terrain qui y participent déjà doivent être mieux soutenus.
Nous insistons enfin sur l’importance de maintenir, pour les bénévoles, l’exigence d’une formation spécifique qui garantisse une posture éthique, respectueuse, neutre et dans l’écoute, indispensable dans ce type d’accompagnement.
Quant au droit opposable aux soins palliatifs, bien qu’il traduise une faille d’effectivité, il nous semble aller dans le bon sens.
M. Jacques Clarion de Beauval. Renforcer l’accompagnement à domicile nécessite également d’améliorer la formation des médecins de ville et des pharmaciens. En les sensibilisant davantage aux lois et au contexte des soins palliatifs, nous pourrions à la fois favoriser l’émergence d’un réseau de proximité plus compétent et réactif et mieux identifier les besoins réels.
M. Olivier de Margerie. Je partage pleinement ce qui a été dit sur l’importance des associations de bénévoles. La formation des accompagnants repose à la fois sur la compréhension des besoins des personnes en fin de vie, de la posture de l’accompagnant et du cadre légal et éthique français, et sur notre engagement à une laïcité absolue.
L’évaluation de l’aptitude du futur bénévole à assumer ce rôle est également essentielle. Cette étape, répartie sur plusieurs jours, permet d’écarter les deux risques majeurs que sont la projection émotionnelle d’une personne en deuil récent et l’impossibilité, pour un soignant retraité, de se détacher de son rôle professionnel pour adopter la posture d’écoute propre au bénévolat.
Concernant l’accompagnement à domicile, il faudra sans doute inventer de nouvelles modalités, aussi audacieuses que celles qui ont permis l’essor du bénévolat par le passé. Une difficulté majeure réside dans la confusion fréquente entre l’accompagnement en fin de vie et la lutte contre l’isolement social, qui doivent être distingués.
Pour aller plus loin, il faudra investir dans leur formation à la culture palliative, afin de développer une approche de proximité plus juste et plus ciblée.
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3. Audition de Mme Claire Thoury, présidente du comité de gouvernance de la Convention citoyenne sur la fin de vie, ainsi que de Mme Soline Castel et M. Jean-Noël Jourdan, membres de la Convention (réunion du mercredi 2 avril 2025 à 9 heures 30)
La commission procède à l’audition de Mme Claire Thoury, présidente du comité de gouvernance de la Convention citoyenne sur la fin de vie, ainsi que de Mme Soline Castel et M. Jean-Noël Jourdan, membres de la Convention ([3]).
M. le président Frédéric Valletoux. Notre commission poursuit ses auditions sur les propositions de loi relatives aux soins palliatifs et à la fin de vie, qui seront examinés en commission à partir du 9 mai, et en séance publique les semaines du 12 et du 19 mai.
Nous accueillons aujourd’hui des représentants de la Convention citoyenne sur la fin de vie, qui s’est tenue en 2023.
Mme Claire Thoury, présidente du comité de gouvernance de la Convention citoyenne sur la fin de vie. Notre mission a débuté en septembre 2022, lorsque le Conseil économique, social et environnemental (Cese) a été saisi par la première ministre, Mme Élisabeth Borne, pour organiser une convention citoyenne sur la fin de vie, conformément à la recommandation du Comité consultatif national d’éthique.
Pour répondre à la question « Le cadre d’accompagnement de la fin de vie est-il adapté aux différentes situations rencontrées ou d’éventuels changements devraient-ils être introduits ? », 185 citoyens tirés au sort ont été réunis pendant neuf week-ends, soit vingt‑sept jours. Parmi eux, 184 sont restés engagés jusqu’au terme de la Convention, démontrant ainsi l’intérêt et l’engagement des Français pour la chose publique lorsqu’on leur en donne les moyens. La Convention s’est déroulée en trois phases : une phase d’appropriation et de rencontres, une phase de délibération, et enfin une phase d’harmonisation et de restitution.
En tant que témoin privilégié, je puis attester de la qualité exceptionnelle des débats et du respect mutuel entre les participants en dépit des désaccords évidents, et de la valeur de cet exercice démocratique délibérative.
Mme Soline Castel, membre de la Convention citoyenne sur la fin de vie. Le rôle de la Convention citoyenne n’est pas de légiférer, mais d’apporter un éclairage issu de notre immersion totale dans cette thématique.
Sur une question aussi profonde et complexe que la fin de vie, il n’existe pas de vérité absolue. Toutefois, les membres de la Convention sont parvenus à forger une conviction commune, approuvée à la quasi-unanimité, indépendamment des positions individuelles sur l’aide active à mourir. Cette conviction se rapporte au constat alarmant que nous dressons sur l’état de notre système de santé : celui-ci ne répond plus adéquatement à la diversité des besoins des Français.
Après avoir auditionné une soixantaine d’experts, nous avons identifié neuf axes d’amélioration prioritaires : renforcer l’écoute du patient et le respect de sa volonté ; développer l’accompagnement à domicile ; sécuriser des budgets adéquats pour mettre en œuvre ces améliorations ; assurer l’accessibilité des soins palliatifs à chaque citoyen, qu’ils soient dispensés en unités spécialisées ou à domicile, et indépendamment de la situation géographique, de la catégorie socioprofessionnelle ou de l’âge du patient ; garantir l’égalité de l’accès aux soins palliatifs, en s’assurant que les considérations financières ne constituent jamais un obstacle ; améliorer l’information délivrée au grand public, notamment en matière de services d’aide à domicile spécialisés en soins palliatifs ; mieux former les professionnels de santé ; coordonner les instances et densifier le maillage territorial afin de structurer le parcours de soins en fin de vie nécessite ; enfin, favoriser la recherche et le développement dans le domaine des soins palliatifs.
M. Jean-Noël Jourdan, membre de la Convention citoyenne sur la fin de vie. S’il est impossible à 184 citoyens de s’accorder sur une position univoque concernant l’aide active à mourir, les membres de la Convention partagent une conviction : l’aide active à mourir ne saurait être envisagée comme une alternative aux soins palliatifs et à l’accompagnement des patients. Nous la considérons comme une réponse dans un système où le patient peut, à un moment donné, exprimer le désir de mettre fin à ses jours face à une souffrance que la médecine ne parvient pas à soulager.
Les partisans de l’aide active à mourir, représentant 76 % des membres de la Convention, ont d’abord examiné les critères d’accès potentiels à l’aide active à mourir. Bien qu’une minorité significative ait plaidé pour un accès universel, la majorité a préféré définir des critères spécifiques, notamment le stade de la maladie, l’âge et la capacité de discernement du patient. Nous n’avons pas abordé les directives anticipées, dont nous reconnaissons toutefois l’importance en tant que moyen d’expression de la volonté des patients.
Nous avons débattu de la possibilité d’ouvrir un droit au suicide assisté, à l’euthanasie, ou bien à une combinaison des deux selon les circonstances. La majorité s’est prononcée en faveur du suicide assisté, tout en reconnaissant que cette formulation n’est pas satisfaisante. Nous avons également envisagé des exceptions pour l’euthanasie dans le cas de personnes incapables d’effectuer elles-mêmes le geste, même avec assistance.
Au terme de ces débats, nous sommes parvenus à trois points de consensus. Premièrement, nous souhaitons que l’aide active à mourir soit intégrée au processus des soins palliatifs, et non dissociée des soins. Deuxièmement, nous préconisons un suivi rigoureux et constant dès la demande initiale du patient, avec la possibilité de réitérer cette demande. Troisièmement, nous insistons sur la réversibilité du processus à tout moment, selon la volonté du patient.
Les exemples à l’étranger montrent que, dans le cas du suicide assisté, seul un tiers des personnes ayant obtenu le médicament létal l’utilisent effectivement. Cela prouve qu’offrir au patient la possibilité d’être maître de son choix est essentielle, et que l’idée que la souffrance puisse être interrompue est en elle-même apaisante.
Nous proposons également d’encadrer certaines situations exceptionnelles. Enfin, nous recommandons un encadrement strict de l’aide active à mourir, qu’elle soit soumise à une procédure collégiale impliquant des personnes extérieures au domaine médical, et qu’elle fasse l’objet d’un suivi rigoureux.
Mme Soline Castel. Après l’exposé par M. Jourdan des arguments en faveur de l’aide active à mourir, permettez-moi d’énumérer cinq objections formulées au cours des débats de la Convention citoyenne.
Premièrement, la loi Claeys-Leonetti n’est pas suffisamment appliquée ni même connue, et ce problème doit être résolu avant d’envisager l’aide active à mourir.
Deuxièmement, l’aide active à mourir fait courir un risque potentiel pour les personnes vulnérables, susceptibles de faire l’objet de pressions extérieures, notamment familiales, qui pourraient influencer leur décision.
Troisièmement, nous nous interrogeons sur la nature de la souffrance que l’on cherche à soulager. S’agit-il de celle du patient ou de celle de la famille, confrontée à la situation difficile de son proche ? À cet égard, l’aide active à mourir ne saurait faire l’économie de l’accompagnement des familles dans ce processus.
Quatrièmement, la légalisation de l’aide active à mourir représenterait un bouleversement pour notre système de santé, dans lequel le médecin ne dispose pas du pouvoir de mettre fin à la vie d’une personne, ce qui constitue une limite rassurante pour de nombreux patients.
Cinquièmement, l’aide active à mourir pourrait porter atteinte à notre modèle sociétal fondé sur la solidarité et l’accompagnement.
En résumé, nous craignons que le cadre d’une éventuelle ouverture à l’aide active à mourir soit compliqué à respecter et les dérives difficiles à contenir. Ces inquiétudes sont partagées par les 25 % des membres de la convention citoyenne opposés à l’ouverture de l’aide active à mourir.
Mme Annie Vidal, rapporteure. Je tiens avant tout à féliciter les membres de la Convention citoyenne sur la fin de vie pour la grande qualité de leurs travaux.
Depuis la fin des sessions de la Convention, la stratégie décennale des soins d’accompagnement a apporté certaines réponses à vos préoccupations. Quel regard portez‑vous sur ce texte ?
M. Olivier Falorni, rapporteur général. Que retirez-vous de la comparaison entre le modèle de loi produit par les membres de la Convention favorables à l’aide active à mourir, et la proposition de loi qui est présentée aujourd’hui ?
M. Jean-Noël Jourdan. La question fondamentale des soins palliatifs est celle de l’accès à ces soins. En France, une inégalité d’accès, essentiellement territoriale, persiste, puisque les citoyens de nombreux départements sont privés d’un accès aux soins palliatifs, ce qui contrevient aux principes mêmes de notre République.
Mme Soline Castel. Nous ne pouvons que nous réjouir de l’établissement d’une stratégie décennale des soins palliatifs, qui s’inscrit dans le temps long.
À titre personnel, j’étais relativement satisfaite du premier texte de loi, parce qu’il était restrictif et insistait sur d’indispensables garde-fous. A contrario, la proposition de loi me semble par trop ouverte, au sens où elle donne davantage de libertés, ce qui m’inquiète au regard des dérives potentielles.
M. Jean-Noël Jourdan. Le projet de loi est conforme aux souhaits de la majorité des conventionnels favorables à l’ouverture de l’aide active à mourir. Cependant, les notions de court et moyen terme restent insuffisamment précises, et le texte laisse une porte ouverte au secteur privé, quand la Convention estime unanimement que l’aide active à mourir ne peut être pratiquée ailleurs que dans les structures médicales publiques.
Mme Brigitte Liso (EPR). La Convention a mis l’accent sur l’accompagnement psychologique. Doit-il porter, selon vous, sur le patient seul, ou bien sur le patient et son entourage ?
Par ailleurs, jusqu’où doit s’étendre la collégialité de la prise de décision ? Une collégialité trop large ne compliquerait-elle pas la prise de décision ?
M. Laurent Panifous, rapporteur. Ma première question prolonge celle de ma collègue, puisque j’aimerais vous demander si la collégialité telle qu’elle est envisagée dans le texte présenté aujourd’hui vous parait suffisante, et ce que vous pensez de la présence facultative d’un psychologue ou d’un psychiatre.
Ma seconde question s’adresse à madame Thoury : dans le cadre de vos travaux, avez-vous examiné le profil socio-économique des personnes accédant aux dispositifs d’aide à mourir légalisés dans d’autres pays ? Une critique récurrente porte en effet sur la variabilité de l’accès à ces procédures en fonction de la catégorie socioprofessionnelle, du niveau d’éducation ou des moyens financiers des personnes.
Mme Élise Leboucher, rapporteure. Je souhaite connaître votre point de vue sur la composition de la commission de contrôle et d’évaluation. Serait-il pertinent selon vous d’inclure dans sa composition un avocat ou un juriste, afin d’évaluer la conformité de la procédure et déterminer si une saisine de la justice est nécessaire ? Faut-il également envisager l’intégration dans cette commission de représentants des usagers, voire une représentation citoyenne en lien avec la Convention ?
Par ailleurs, et pour rebondir sur la question de M. Panifous, estimez-vous que la commission devrait produire une analyse sociologique des personnes ayant recours à l’aide active à mourir ?
M. René Pilato (LFI-NFP). Ma question s’adresse à Mme Castel, qui porte la voix des conventionnels opposés à la légalisation de l’aide active à mourir, à laquelle je suis pour ma part favorable.
Madame, vous avez évoqué à juste titre la nécessaire garantie d’une égalité de l’accès aux soins palliatifs. Actuellement, deux à trois mille personnes sont contraintes de se rendre à l’étranger pour bénéficier de l’aide active à mourir, ce qui constitue à mes yeux une rupture d’égalité. Contrairement aux idées reçues, les personnes ayant recours à l’aide active à mourir comptent parmi les 20 % des personnes les plus aisées de la population.
J’aimerais comprendre ce qui vous contrarie, de manière fondamentale, dans l’octroi d’un nouveau droit permettant de disposer de son corps jusqu’aux derniers instants, face à des souffrances réfractaires. Ne devons-nous pas assurer une égalité de droit pour mettre fin à ces souffrances ?
M. Thibault Bazin (DR). La Convention citoyenne a-t-elle, au cours de ses travaux, abordé la problématique des personnes en situation de handicap, et la difficulté à appréhender leurs besoins, notamment par rapport à la douleur ? Quelles pistes envisagez‑vous pour améliorer la prise en charge de la douleur chez les personnes en situation de handicap ?
Par ailleurs, nous savons que dans le cas de la sédation profonde et continue, la question de l’intention revêt une importance capitale pour les soignants, en termes d’impact psychologique. Avez-vous pris en compte cette dimension dans vos travaux ?
Enfin, vous avez mentionné le choix entre le domicile et l’établissement. Avez‑vous abordé cette question sous l’angle de la solitude ?
M. Philippe Vigier (Dem). Madame Castel, je suis surpris par votre affirmation selon laquelle le texte qui nous est soumis serait moins sécurisant et moins précis que les précédents, dans la mesure où la notion de pronostic vital à court et moyen terme y fait l’objet d’une attention particulière. De plus, le collège des professionnels de santé et la présence d’une tierce personne pour veiller au respect des directives anticipées et des souhaits du patient me semblent apporter des garanties solides et rassurer le corps médical. Enfin, l’intervention d’une personne extérieure, initialement envisagée, a été retirée du texte actuel.
Le texte me semble donc apporter davantage de garanties et de sécurité pour les patients, les professionnels de santé et l’entourage. Pourriez-vous clarifier votre position ?
M. Olivier Fayssat (UDR). J’ai noté que 76 % des conventionnels se sont exprimés en faveur de l’aide active à mourir. Mais je me demande si ces personnes se sont projetées dans la situation où elles devraient elles-mêmes décider entre prolonger la souffrance et donner la mort. Si elles devaient assumer personnellement cette responsabilité, pensez-vous que ces personnes maintiendraient leur avis sur l’aide active à mourir ?
M. Christophe Blanchet (Dem). J’aimerais demander à Mme Castel de développer son opposition au texte, en particulier sur la question de l’incertitude relative au pronostic vital.
Mme Marine Hamelet (RN). Je dois vous dire que la tenue d’une Convention citoyenne sur la fin de vie m’interpelle. D’abord sur le plan de la crédibilité : la Convention a été organisée par le Cese, dont le président, M. Thierry Beaudet, est un fervent militant de l’euthanasie qui, de plus, a fait carrière dans le secteur des mutuelles de santé. N’y a-t-il pas là un conflit d’intérêts ? De plus, je reste perplexe devant le coût de cette Convention, qui s’élève à 4,3 millions d’euros, soit 863 euros par personne et par jour. Cela me paraît disproportionné. Dans le même ordre d’idées, j’aimerais savoir si Mme Castel estime que le point de vue des personnes opposées au texte a bien été respecté.
M. Arnaud Simion (SOC). Permettez-moi avant tout d’exprimer ma totale opposition aux propos tenus par Mme Hamelet.
Ma question porte sur les biographes hospitaliers, dont la formation est validée depuis 2019 par un diplôme universitaire. Avez-vous évoqué cette démarche au cours de vos travaux ?
Mme Claire Thoury. Je précise d’emblée que M. Beaudet s’est déporté de la présidence du comité de gouvernance de la Convention citoyenne sur la fin de vie précisément parce qu’il avait pris position, à titre personnel, sur ce sujet. Il s’est par la suite tenu à distance de nos débats, du début à la fin, et d’ailleurs je souligne qu’aucun parti politique ne s’est ingéré dans nos travaux. Quant à moi, je suis une personne indépendante.
Je vous laisse libre de vos propos, madame Hamelet, concernant le coût de la Convention, mais il me semble que la démocratie mérite quand même qu’on y investisse quelques euros. Durant quatre mois, 184 personnes se sont engagées pour la République. Elles ont donné de leur temps, malgré leurs contraintes familiales et professionnels, et malgré les longs trajets, parce qu’on leur a demandé de construire un chemin qui soit accepté par le plus grand nombre. Elles ont débattu sans s’invectiver. Il y a eu des tensions, certes, mais la démocratie est une matière vivante, et humaine. De nombreux conventionnels ont changé d’avis en cours de route, souvent deux fois. Ils ont trouvé des points de convergence, buté sur des divergences, identifié celles qui pouvaient être dépassées et celles qui persistaient. Et cela en toute transparence, avec le souci de n’humilier personne, de ne rabaisser aucun point de vue. Une soixantaine de personnes ont été auditionnées. De nombreux soignants sont venus nous expliquer leur travail et, contrairement à ce que l’on a pu entendre, une majorité s’est prononcée contre l’aide active à mourir.
Je vous dis cela, madame, non pas pour revendiquer une perfection dans la conduite des débats, car j’ai bien conscience des limites de l’exercice. Je le dis pour souligner que la réponse à la question posée à la Convention est une réponse non pas médicale, mais citoyenne. L’aide active à mourir ne relève pas d’un choix médical, il s’agit d’un choix de société, et de tous ces débats je retiens qu’à la fin des fins nous devons faire un choix qui, comme tous les choix, est porteur de conséquences. Que le Parlement vote ou non en faveur de cette loi, nous devons nous rappeler que ce débat porte aussi sur notre capacité à vivre mieux, collectivement.
M. Jean-Noël Jourdan. Dès le début de la Convention, nous nous sommes opposés à toute évaluation, tout sondage, tout vote. Ce n’est qu’à la fin du processus, une fois consolidées nos positions, que nous étions prêts à nous soumettre à un vote. Nous avions à cœur de forger notre opinion de manière indépendante et éclairée, en rejetant toute forme de pression extérieure, et j’estime que nous y sommes parvenus.
La collégialité dans le processus d’aide active à mourir est une question complexe. Certains conventionnels préconisaient une approche allégée pour répondre rapidement aux demandes, considérant l’urgence inhérente à ces situations. Mais il me semble crucial de trouver un équilibre : une collégialité trop lourde risquerait de rendre ce droit inopérant, tandis qu’une procédure trop légère pourrait compromettre la qualité de l’évaluation. En outre, il convient de prendre en compte la souffrance du demandeur, qui exige une réponse dans des délais raisonnables.
Mme Soline Castel. Je tiens à préciser que, lors de la Convention citoyenne, les représentants de la minorité opposée à l’ouverture de l’aide active à mourir ont bénéficié d’au moins 50 % du temps de parole pour exposer leurs arguments. À titre personnel, la Convention m’a fourni les outils nécessaires pour développer mon argumentation.
L’accompagnement psychologique doit porter selon moi sur les trois parties prenantes : le patient, son entourage et les soignants impliqués dans l’acte d’aide active à mourir. Si cet accompagnement ne peut être rendu obligatoire, je préconise la programmation systématique d’un rendez-vous, laissant ensuite le choix à chacun de s’y rendre ou non.
Concernant l’évaluation de la douleur chez les personnes en situation de handicap, je sais, pour travailler moi-même dans ce secteur, combien il est difficile, parfois, de comprendre les besoins de ces personnes, surtout quand la communication est défaillante. On y parvient seulement, je le crois, à force de temps, par une connaissance approfondie de la personne.
Je déplore vivement que la commission de contrôle et d’évaluation n’intervienne qu’a posteriori à propos d’un acte par nature irréversible. Le caractère non obligatoire de cette commission soulève également des interrogations.
Ma préoccupation majeure concerne l’ouverture de ce nouveau droit sans que toutes les alternatives aient été pleinement explorées et mises en œuvre. Je considère qu’il est impératif d’appliquer intégralement la loi Claeys-Leonetti et d’assurer un maillage territorial complet des soins palliatifs avant d’envisager l’aide active à mourir.
Enfin, mes réserves sur la proposition de loi portent sur son caractère à mon sens plus permissif que la proposition initiale. Je m’inquiète notamment de la possibilité pour les infirmières de réaliser l’acte et des implications potentielles du délit d’entrave, qui pourrait compromettre l’accompagnement et la prévention du suicide.
M. le président Frédéric Valletoux. Je vous remercie, mesdames et monsieur, pour avoir participé à cet échange.
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4. Audition de représentants de l’Académie nationale de médecine, du Conseil national de l’Ordre des médecins et du Conseil national de l’Ordre des infirmiers (réunion du mercredi 2 avril 2025 à 10 heures 30)
La commission auditionne, dans le cadre d’une table ronde sur les propositions de loi relative aux soins palliatifs et d’accompagnement (n° 1102) et relative à la fin de vie (n° 1100) : pour l’Académie nationale de médecine, le Pr Jacques Bringer, président du comité d’éthique, et Mme Claudine Esper, membre du comité d’éthique ; pour le Conseil national de l’Ordre des médecins, le Dr François Arnault, président, et Mme Julie Laubard, directrice adjointe des services juridiques ; pour le Conseil national de l’Ordre des infirmiers, Mme Sylvaine Mazière-Tauran, présidente ([4]).
Pr Jacques Bringer, président du comité d’éthique de l’Académie nationale de médecine. L’Académie nationale de médecine a exprimé, par une majorité de deux tiers des voix, sa volonté d’apporter une réponse pragmatique face à des situations particulièrement difficiles pour lesquelles une évolution de la loi est nécessaire, à condition de l’encadrer par des garde-fous.
L’Académie a mené une réflexion approfondie sur la question des maladies psychiatriques. La proposition de loi exclut les personnes atteintes de maladies psychiatriques, une décision salutaire qui permet d’éviter les dérives observées dans certains pays où des jeunes de 20 ans, atteints d’anorexie mentale, ont reçu une aide à mourir.
De nombreuses personnes atteintes d’une maladie chronique en phase terminale souffrent d’un état dépressif masqué, et sont susceptibles de formuler des demandes influencées par cette dépression non diagnostiquée. Il s’agit d’une problématique majeure. De plus, les progrès de la médecine, en prolongeant la vie, contribuent paradoxalement à engendrer une vulnérabilité dite iatrogène, génératrice de souffrances réfractaires ou insoutenables.
Le titre choisi par l’Académie pour son avis reflète notre position équilibrée : « Favoriser une fin de vie digne et apaisée : répondre à la souffrance inhumaine et protéger les personnes les plus vulnérables ». Le terme « apaisée » est fondamental, car l’Académie reste prudente quant à la définition de la dignité ou de l’indignité.
Concernant les conditions d’accès, nous avions initialement inclus la notion de « pronostic vital engagé à moyen terme ». La définition du moyen terme est difficile à établir, et pourtant certains pays l’ont fait, le situant entre quelques mois et un an. De manière générale, les lois comportent quantité de termes aux contours flous et sujets à interprétation. Pensons à l’« obstination déraisonnable » de la loi Kouchner, par exemple, ou même la sédation profonde et continue. Un flou en particulier nous semble problématique, c’est l’expression « affection grave et incurable en phase avancée ou terminale », parce que des affections en phase avancée, il en existe beaucoup.
Concernant la procédure, nous estimons qu’il est crucial que le médecin propose systématiquement à la personne une orientation vers un psychologue clinicien ou un psychiatre, étant donné la prévalence des dépressions masquées dans les maladies incurables.
Enfin, l’ambiguïté sur le caractère obligatoire de la procédure collégiale doit impérativement être levée. La décision finale revient au médecin, mais il est inacceptable qu’un praticien décide seul. La collégialité doit inclure les aides-soignants, qui connaissent souvent mieux les patients et leurs familles qu’un médecin coordonnateur. Je rappelle que l’éthique se définit par le questionnement collégial, et non par une conviction intime, aussi sincère soit-elle. J’ajoute qu’il est regrettable que les psychiatres ne soient pas explicitement mentionnés au même titre que les psychologues dans la procédure collégiale, tant il convient de reconnaître leur expertise au même titre que celle des psychologues et des infirmiers.
Mme Claudine Esper, membre du comité d’éthique de l’Académie nationale de médecine. J’aimerais souligner les liens qui existent entre les deux propositions de loi. La proposition de loi sur les soins palliatifs et l’accompagnement comporte des dispositions intéressantes sur la formation des professionnels, et il est évident que si l’autre texte est adopté, alors cette formation doit porter également sur l’aide à mourir. Il en va de même pour les projets d’établissements et le plan personnalisé d’accompagnement. C’est pourquoi il importe d’envisager ces deux propositions de loi comme un tout.
Dr François Arnault, président du Conseil national de l’Ordre des médecins. Je m’associe aux propos de l’Académie de médecine sur la nécessité de concevoir une procédure apaisée, par égard pour les patients.
L’Ordre des médecins a lancé une réflexion sur la question de l’aide à mourir en 2022, parce qu’il lui appartient de penser l’articulation entre les exigences éthiques et déontologiques de la médecine et les demandes de la société. Notre enquête auprès de 3 500 médecins a révélé qu’un tiers d’entre eux étaient disposés à aider les patients au moment de l’acte final. Ce chiffre traduit une forte évolution du corps médical, car cette proportion était sensiblement moindre par le passé. Il oblige par conséquent l’Ordre à étudier le rôle du médecin dans ce dispositif d’aide à mourir. Cette prise de position forte, qui respecte l’éthique de chacun, n’a pas suscité, je le souligne, de protestations au niveau du corps médical.
L’Ordre des médecins rappelle, au nom de ses principes, que l’euthanasie ne relève pas du soin, et que les médecins disposés à aider une personne à mourir doivent être protégés sur le plan pénal et disciplinaire. Il souhaite également que le texte mentionne la création d’une clause de conscience spécifique que le médecin peut faire valoir à tout moment. Il appartient alors au médecin qui ferait valoir sa clause de conscience d’aider son patient à trouver un confrère qui accepte de l’accompagner. Cela implique qu’il puisse trouver, auprès des services de l’État et de l’agence régionale de santé, la référence d’un médecin disposé à le faire. En revanche, l’Ordre est fermement opposé à la constitution d’une liste publique ou même professionnelle de volontaires.
Nous sommes par ailleurs attachés au principe de collégialité de la décision. Il est en effet impensable de laisser un médecin seul face à cette responsabilité et aux potentiels désaccords familiaux. La collégialité doit impliquer non seulement d’autres médecins spécialistes, mais aussi le personnel soignant en contact direct avec le patient, comme les aides-soignants et les infirmiers. Cependant, nous ne préconisons pas la constitution d’un groupe décisionnel reconnu par la loi qui procéderait à un vote. L’objectif est plutôt d’atteindre une intime conviction partagée sur le bien-fondé de la décision d’accéder à la demande du patient.
Nous estimons que l’acte lui-même doit être assumé par le patient, qu’il convient d’encadrer et d’accompagner. Le médecin a l’obligation déontologique d’être présent aux côtés de son patient tout au long du processus, de la maladie jusqu’à la phase finale. Néanmoins, nous ne sommes pas favorables à ce que la loi impose au médecin de pratiquer l’acte final. Sa participation doit rester volontaire.
Nous souscrivons aux critères d’éligibilité mentionnés dans la proposition de loi, et sommes favorables à l’exclusion des mineurs et de toute personne hors d’état de manifester sa volonté. En revanche, nous estimons que la notion de moyen terme n’est pas pertinente, faute de définition précise et compréhensible par tous. Nous préconisons de se concentrer uniquement sur l’état clinique du patient. La durée ne devrait pas constituer un facteur déterminant, étant donné que les progrès médicaux permettent de prolonger la vie dans des conditions parfois insoutenables pour le patient.
Enfin, nous proposons une modification importante dans le texte : au lieu de « en phase avancée ou terminale », nous demandons qu’il soit écrit « en phase avancée et terminale ». Ceci est un point capital pour nous, parce qu’il importe de mettre l’accent sur l’état clinique du patient et sa capacité à accepter sa situation.
En conclusion, nous, médecins, souhaitons être des acteurs responsables et éthiques dans ce débat sociétal, protéger les malades et assumer pleinement notre rôle.
Mme Sylvaine Mazière-Tauran, présidente du Conseil national de l’Ordre des infirmiers. Le Conseil national de l’Ordre des infirmiers (CNOI) soutient que les soins palliatifs et d’accompagnement doivent demeurer une priorité de santé publique, et qu’il convient de garantir un accès équitable à ces soins dans l’ensemble du territoire, en milieu hospitalier, en établissement médico-social ou à domicile.
Pour répondre à cet enjeu, nous préconisons de renforcer les équipes soignantes et d’assurer leur disponibilité 24 heures sur 24, particulièrement dans les établissements médico‑sociaux, de former en continu les infirmiers aux soins palliatifs et à l’accompagnement de fin de vie, et de promouvoir une meilleure compréhension de ces soins auprès des soignants et du grand public. Nous insistons également sur l’importance d’associer systématiquement les infirmiers aux décisions collégiales, en reconnaissance de leurs compétences et de leur rôle de proximité auprès des patients.
Favorable à la liberté de chacun de se soigner en établissement ou à domicile, le CNOI estime que la création d’organisations territoriales dédiées avec des gestionnaires de parcours clairement identifiés est une mesure pertinente pour garantir un suivi de proximité adapté à chaque patient. Cependant, nous regrettons que les infirmiers ne soient pas explicitement cités dans le texte, malgré leur rôle central dans ces soins.
Le CNOI constate certaines insuffisances dans la proposition de loi relative à la fin de vie, qui ne prévoit pas de dispositions permettant d’adapter le code de déontologie des infirmiers, lequel stipule qu’un infirmier ne doit pas provoquer délibérément la mort, même à la demande du patient. Le texte indique qu’il appartient aux infirmiers disposés à participer au processus d’aide à mourir de s’enregistrer auprès de la commission de contrôle et d’évaluation, mais les modalités concrètes de cet enregistrement ne sont pas précisées. De même, l’exercice de la clause de conscience pour les infirmiers, qui est un enjeu central, n’est pas suffisamment encadré.
Concernant le transport de la substance létale, nous recommandons vivement la mise en place d’un circuit de médicaments rigoureusement encadré, incluant un conditionnement scellé de la seringue et un protocole de traçabilité conforme aux exigences de sécurité et de responsabilité professionnelles. Un amendement sera proposé en ce sens.
Nous estimons indispensable que l’avis d’un infirmier soit obligatoirement recueilli au cours de la procédure collégiale d’examen des demandes d’aide à mourir. La collégialité doit intégrer les infirmiers dans une logique de partage des responsabilités.
Nous insistons sur la nécessité d’une formation spécifique, initiale et continue, portant autant sur les aspects techniques que sur l’accompagnement éthique et émotionnel des patients et de leur entourage.
Il est également indispensable que les infirmiers impliqués dans l’aide à mourir bénéficient d’un accompagnement dans le cadre d’une équipe pluridisciplinaire, ce qui doit être explicitement mentionné dans le texte.
Enfin, nous demandons l’intégration de deux représentants des infirmiers, désignés par le CNOI, à la commission de contrôle et d’évaluation, afin de garantir une représentation équilibrée des professions concernées.
En conclusion, le CNOI réaffirme son attachement à un cadre législatif clair, protecteur pour les patients comme pour les soignants, et respectueux des principes déontologiques. Nous restons attentifs à la suite des débats et maintenons nos positions exprimées lors de l’audition d’avril, notamment concernant la protection des patients les plus vulnérables.
Mme Annie Vidal, rapporteure. Mme Esper a souligné la complémentarité entre les deux propositions de loi. Comment envisagez-vous les passerelles à construire entre ces deux textes ?
M. Olivier Falorni, rapporteur général. J’aimerais insister, en préambule, sur le caractère majeur de cette audition. C’est en effet la première fois que vos trois institutions sont ainsi réunies pour réfléchir sur les soins palliatifs et la fin de vie, et aucune n’a exprimé d’opposition frontale à ce que nous considérons comme un nouveau droit.
Nous avons effectivement supprimé la notion de moyen terme, parce que les médecins nous ont fait part de leur difficulté à prédire précisément le temps restant à vivre. C’est pourquoi nous nous sommes fondés sur la loi Leonetti de 2005 pour définir l’état clinique, et avons recouru aux notions de phases avancée et terminale.
J’aimerais connaître votre avis sur le principe d’une clause de conscience d’établissement, qui m’a toujours paru contradictoire, dans la mesure où une clause de conscience me semble être par nature individuelle.
Pr Jacques Bringer. Le président du Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom) a mis en évidence l’ambiguïté de la conjonction « ou » dans la formule « affection grave et incurable en phase avancée ou terminale », qui ouvre la porte à la prise en compte des maladies chroniques avancées. De manière plus préoccupante, cette formulation risque d’estomper davantage la frontière entre l’envie suicidaire et l’aide à mourir. Comment, en effet, appréhender la situation d’une personne atteinte d’une maladie à un stade avancé, mais non terminal, qui exprimerait des idées suicidaires ?
Une clause de conscience applicable à l’échelle d’un établissement me parait également inconcevable et potentiellement problématique, dans la mesure où elle pourrait empêcher la tenue d’une procédure collégiale, processus essentiel et enrichissant pour la protection des personnes.
Mme Claudine Esper. Dès lors que nous acceptons et mettons en place une aide active à mourir, il est impératif que cette mesure bénéficie des dispositions prévues dans le texte sur les soins palliatifs et les soins d’accompagnement. Je pense à la formation, mais aussi à la campagne annuelle d’information sur le deuil mentionnée dans le texte, qui doit contribuer à l’approfondissement de la culture palliative dans notre société.
Si j’insiste sur les passerelles entre les deux propositions de loi, j’estime que la rédaction des textes doit refléter leur complémentarité, et pour cela gommer certains manques en matière de terminologie. Ainsi, le texte sur les soins palliatifs ne saurait faire l’économie de la notion d’aide active à mourir, comme il le fait dans son état actuel.
Dr François Arnault. Je souscris au point de vue du Pr Bringer relatif à une clause de conscience d’établissement, qui me paraît effectivement inconcevable. J’ajouterai toutefois qu’il est impératif d’éviter la création d’établissements spécialisés dans l’aide à mourir.
Au cours des discussions sur la loi Claeys-Leonetti en 2016, le Cnom s’était engagé à mettre en œuvre la loi sans réclamer l’instauration d’une clause de conscience. Il la réclame cette fois. Dans le cadre de la loi Claeys-Leonetti, le patient demande à ne plus souffrir, et la sédation qui est pratiquée n’équivaut pas à une programmation de la mort. En revanche, la proposition de loi actuelle prévoit que le patient puisse explicitement demander que l’on mette fin à sa vie. Cette différence fondamentale justifie l’inscription dans la loi d’une clause de conscience.
Mme Sylvaine Mazière-Tauran. Je considère que les deux textes sont, de fait, coordonnés. Il serait inconcevable que la prise en charge d’un patient par une équipe de soins palliatifs change de nature au moment où il décide de formuler une demande d’aide à mourir. La continuité des soins au sein de la même équipe me semble essentielle.
Je rejoins ce qui a été dit sur la clause de conscience et son caractère individuel, mais je ferais observer que la question d’une clause de conscience d’établissement a émergé dans le cadre de l’élaboration des projets d’établissement, qui réclament des valeurs communes et un travail collectif. L’ouverture d’un droit à l’aide à mourir requiert une organisation et une anticipation à l’échelle d’un établissement.
M. Thibault Bazin (DR). Contrairement à vous, monsieur le rapporteur, je perçois davantage de réserves que d’enthousiasme de la part des intervenants, qui semblent considérer que la rédaction du texte n’est pas satisfaisante. En outre, le président du Cnom a souligné que deux tiers des médecins ne sont pas disposés à pratiquer l’aide active à mourir, ce qui constitue un élément significatif à prendre en compte.
Professeur Bringer, pourriez-vous développer votre point de vue relatif à l’inclusion des souffrances psychologiques comme critère d’accès au suicide assisté ou à l’euthanasie, même en l’absence d’un stade avancé de la maladie ? Notre devoir d’assistance n’impose-t-il pas vérifier si le patient a des idées suicidaires et, le cas échéant, d’y remédier ? Si l’intervention d’un psychiatre n’est pas obligatoire, comment notre système de santé pourra-t-il assumer sa responsabilité dans ces situations ?
Ma seconde question porte sur la sédation profonde et continue. Si nous adoptons la proposition de loi actuelle, la loi Claeys-Leonetti deviendra-t-elle obsolète ? Si elle ne le devient pas, les dispositions prévues dans la proposition de loi ne risquent-elles pas de prendre le pas sur celles de la loi Claeys-Leonetti ? La coexistence de deux lois ne va-t-elle pas modifier la relation entre soignants et patients, notamment dans les établissements spécialisés en soins palliatifs ?
Mme Justine Gruet (DR). J’aimerais savoir si le Cnom considère que le critère de volonté libre et éclairée doit faire l’objet d’une évaluation par le corps médical ou par un juge, comme c’est le cas pour les mises sous tutelle ou curatelle.
Comment redéfinir la notion de moyen terme pour lever toute ambiguïté, sachant que certaines maladies chroniques comme le diabète de type 2 pourraient potentiellement entrer dans les critères ouvrant le droit à l’aide active à mourir ?
Comment l’Académie de médecine envisage-t-elle d’intégrer une culture palliative plus approfondie dans l’ensemble du cursus de formation médicale ?
Que pense le CNOI de la distinction, dans le texte, entre « soins palliatifs » et « accompagnement », terme devant lequel on a supprimé le mot « soins » ?
Enfin, ne serait-il pas judicieux d’exclure la possibilité de pratiquer l’aide active à mourir dans les maisons d’accompagnement ?
M. René Pilato (LFI-NFP). Les opposants à l’aide active à mourir utilisent souvent le terme « euthanasie ». Bien que l’étymologie de ce mot renvoie à l’idée d’une mort douce, son usage évoque plutôt l’idée de donner volontairement la mort. Les médecins désormais disposés à accompagner les personnes dans une démarche d’aide à mourir ont-ils déconstruit cette notion d’euthanasie ? Ont-ils saisi la nuance entre répondre à une demande légitime, considérée comme un droit, et l’acte de donner volontairement la mort ?
Mme Sandrine Dogor-Such (RN). L’article 14 de la proposition de loi stipule qu’un soignant doit consigner dans le dossier médical ses observations relatives au patient. Cependant, tant qu’il n’est pas sollicité par le médecin dans le cadre d’une procédure d’euthanasie, il n’est pas protégé par la clause de conscience. Dès lors, un soignant qui entend une demande d’euthanasie doit-il la signaler dans le dossier, alors même qu’il n’est pas encore en mesure d’exercer sa clause de conscience ?
Par ailleurs, sachant que treize millions de personnes en France souffrent d’affections de longue durée, pensez-vous que les critères énoncés dans l’article 4 soient suffisamment restrictifs ?
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Je sollicite votre avis sur l’hypothèse d’une administration du produit létal par un tiers, proche désigné comme personne de confiance ou professionnel de santé, agissant nécessairement sous supervision médicale. Quels seraient selon vous les critères pertinents pour encadrer cette supervision ?
L’aide à mourir est déjà pratiquée dans certains établissements de santé, au risque de poursuites judiciaires. Avez-vous connaissance de condamnations de soignants pour des actes correspondant à ce que nous envisageons aujourd’hui ? Cette question soulève la possibilité d’une amnistie pour les cas qui seraient couverts par le texte en discussion.
Enfin, puisque la loi accorde aux mineurs certains droits relatifs à la maîtrise de leur corps, tels que la contraception, l’opposition au prélèvement d’organes dès 13 ans ou l’ouverture d’un dossier médical personnel, quels arguments justifient un seuil d’âge différent pour le droit à mourir ? Je précise que je suis personnellement favorable à son ouverture dès 16 ans.
Pr Jacques Bringer. La loi Claeys-Leonetti a introduit le terme de souffrance, qui englobe la douleur physique et la souffrance psychologique, deux aspects difficilement dissociables. La formulation « souffrance physique et psychique » semble pléonastique, mais elle est essentielle pour établir le lien avec l’affection en phase avancée ou terminale, excluant ainsi la « souffrance de vie » ou la dépression.
La culture palliative est manifestement insuffisante dans les facultés de médecine. Or elle est au cœur de la médecine de la personne. Elle englobe l’écoute, le soin attentif, la présence et l’accompagnement jusqu’au bout. La culture palliative, c’est l’écoute de l’hésitation : elle constitue l’essence même de l’humanité du soin.
Dr François Arnault. À M. Bazin qui évoque la proportion de médecins non disposés à aider à mourir, je répondrais que l’attitude de tout médecin est susceptible d’évoluer en fonction des circonstances, de ses patients et de divers facteurs. L’opinion des médecins à ce sujet a fortement évolué ces dernières années, et il est probable qu’elle évolue encore.
Si des pratiques d’aide à mourir existent hors de toute légalité, cela démontre la nécessité d’une législation protégeant les médecins qui agissent pour aider leurs patients, la question de la rétroactivité relevant de la compétence du législateur.
Le critère de la volonté libre et éclairée évoqué par Mme Gruet suppose un échange profond et une convergence entre le patient en demande et le médecin qui reçoit cette demande. Le rôle de celui-ci est justement d’éclairer cette volonté.
Je suis réticent à l’imposition de délais fermes, parce qu’il arrive fréquemment qu’un patient qui demande à mourir change d’avis après avoir été pris en charge par une équipe de soins palliatifs. Lorsqu’un patient n’accepte pas cette prise en charge palliative, et cela arrive parfois, alors il revient à la loi de lui apporter une réponse. Mais rien n’est possible sans que le patient ait lui-même, de son propre chef, pris l’initiative d’exprimer une demande et décidé de sortir du cadre de la loi Claeys-Leonetti.
Je ne suis pas favorable à l’administration par un tiers, qui vivrait le reste de ses jours avec cette idée. Le Cnom estime que l’administration doit être pratiquée par le patient, et que ce geste doit être impérativement encadré par le corps médical.
Enfin, j’observe que les pays ayant ouvert le droit à l’aide active à mourir aux mineurs demandent aujourd’hui à revenir en arrière.
J’achève mon propos en insistant sur un point crucial : la loi doit impérativement protéger les soignants par rapport au code de déontologie et au code pénal.
Mme Sylvaine Mazière-Tauran. Je regrette la disparition du terme « soins » devant le mot « accompagnement », car si des bénévoles sont à l’évidence capables d’accompagner les personnes, les soignants, notamment les infirmières, prodiguent bien des soins, ce qui est différent.
La situation décrite par Mme Dogor-Such à propos de la clause de conscience ne me semble pas problématique du point de vue juridique. Dans nos relèves d’équipe et dans le suivi du patient, nous notons régulièrement les propos du patient qui dénotent une profonde interrogation sur son devenir, voire des envies suicidaires. Ces propos sont des informations partagées entre professionnels, et les consigner dans un dossier constitue une procédure normale.
Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). J’aimerais comprendre pourquoi le Cnom, par la voix de son président, réclame une clause de conscience spécifique. Cette clause de conscience existe déjà et peut être invoquée.
Je souhaite que la formation à la culture palliative soit dispensée de manière continue au personnel médical, parce qu’on ne meurt pas seulement dans les unités de soins palliatifs, mais aussi dans les unités de soins traditionnelles et, de plus en plus, à domicile.
Ayant travaillé moi-même en service de réanimation, je peux témoigner de la collégialité des décisions, qui implique toutes les catégories de soignants, et qui fournit un exemple de bonne pratique en matière de prise de décision.
Enfin, si les maisons d’accompagnement constituent un intermédiaire entre les soins palliatifs et le domicile, comment les mettre en place, et avec quels professionnels de santé, dans un contexte de pénurie de personnel ?
Mme Fanny Dombre Coste (SOC). Il a été fait mention à plusieurs reprises des liens entre les deux propositions de loi, et l’idée d’une consubstantialité entre les deux textes a été suggérée. Je pense que ce point mérite d’être approfondi.
Le Pr Bringer a souligné que la culture palliative repose sur l’écoute de l’hésitation. Ne pensez-vous pas, professeur, que la médecine de la personne devrait faire partie du socle commun de la formation médicale ? J’aimerais aussi connaître votre avis sur la possibilité de créer un diplôme d’études supérieures spécifique aux soins palliatifs, et de regrouper les formations à la médecine de la douleur et aux soins palliatifs.
Enfin, je souhaite connaître la position du Cnom sur les maisons d’accompagnement et de soins palliatifs.
Mme Sandrine Rousseau (EcoS). Je note une évolution dans les positions exprimées, notamment concernant la qualification de l’aide active à mourir comme acte médical.
Ma question porte sur la dépression, manifeste ou latente, et sur son impact sur la capacité de discernement. Il me semble naturel qu’une personne en fin de vie puisse traverser des épisodes dépressifs. Cependant, cela empêche-t-il réellement d’avoir le discernement requis pour prendre la décision de cesser de vivre ? Les épisodes dépressifs devraient‑ils systématiquement interdire l’accès à l’aide active à mourir ?
Mme Josiane Corneloup (DR). Bien que l’accès aux soins palliatifs se soit amélioré depuis 2020, vingt-et-un départements sont toujours dépourvus d’unités de soins palliatifs, et 20 à 40 % des personnes décédant chaque année n’ont pas accès à ces soins. Il me semble impossible de légiférer sur l’aide active à mourir si l’accès aux soins palliatifs et aux soins d’accompagnement n’est pas garanti à tous. Sans accès à ces soins, le choix de mourir pourrait n’être qu’un choix par défaut. Quelles sont vos préconisations les plus urgentes pour un plan national ambitieux visant à améliorer l’accès aux soins palliatifs ?
M. Philippe Vigier (Dem). Je voudrais d’abord saluer la meilleure attention portée par le Cnom aux évolutions sociétales.
De nombreux opposants à l’aide active à mourir redoutent des dérives. Estimez‑vous que la proposition de loi comporte des garde-fous suffisants ? Que prévoyez‑vous pour pallier la méconnaissance persistante de la loi par certains professionnels, qui se sentent souvent abandonnés ? Pensez-vous que la proposition de loi soit de nature à les rassurer ? Enfin, pouvez-vous confirmer qu’un médecin a le droit de ne pas pratiquer un acte qu’il ne souhaite pas effectuer ?
Pr Jacques Bringer. Il est peu probable que tous les territoires disposent d’unités de soins palliatifs suffisamment dotées en personnel dans un avenir proche, mais cela n’empêche pas de développer de réelles compétences en soins palliatifs et d’élever rapidement le niveau de formation des internes, avec l’appui de la conférence des doyens.
Détecter et traiter la dépression masquée est déterminant, car cette affection peut transformer radicalement la perspective du patient. Les psychiatres sont particulièrement sensibles à cette question ; c’est pourquoi il importe que la loi rende obligatoire leur implication dans le processus.
Mme Claudine Esper. Au-delà de la clause de conscience générale inscrite dans le code de déontologie, la clause de conscience spécifique pour l’aide active à mourir est à la fois symbolique et nécessaire puisque cette pratique implique un acte médical, à savoir la prescription d’un produit létal par un médecin.
Dr François Arnault. Je partage entièrement l’avis de Mme Esper concernant la clause de conscience spécifique, qui est absolument incontournable.
Il est impératif d’intégrer la formation à la culture palliative au sein du cursus universitaire, non pas comme une spécialité à part entière, mais comme un élément fondamental de l’apprentissage médical. La culture palliative s’acquiert avec l’expérience et le vécu du métier de médecin au contact des patients.
Pour pallier le manque de moyens dans les soins palliatifs, nous proposons la mise en place d’une validation des acquis de l’expérience (VAE) pour la culture palliative. Cette VAE, validée par des commissions ordinales et évaluée par l’université, pourrait être complétée par une formation spécialisée transversale au niveau universitaire. Cette approche répondrait à la rigidité actuelle des filières médicales qui nuit parfois à l’offre de soins.
L’objectif des services de soins palliatifs consiste à transformer la demande d’aide à mourir en une prise en charge qui redonne sens à la vie des patients dans leur dernière phase d’existence. La demande d’aide à mourir peut être considérée comme un échec du palliatif, mais cet échec est principalement dû au manque d’accès généralisé à ces soins. Il est donc primordial de concentrer nos efforts nationaux sur le développement de ces services.
Je peine à différencier les maisons d’accompagnement des services de soins palliatifs sur le plan de leur mission, au-delà des différences administratives. La raison d’être de ces deux structures est identique, et se rapporte à l’accompagnement des personnes confrontées à des souffrances physiques et psychologiques en fin de vie.
Je reconnais que l’Ordre des médecins n’a pas suffisamment œuvré pour la sensibilisation aux soins palliatifs. Nous nous engageons désormais à lancer une campagne d’information et de formation des médecins sur ce sujet.
Mme Sylvaine Mazière-Tauran. Le raisonnement clinique des unités de soins palliatifs est fondé sur l’attention portée à la personne. La formation initiale des professionnels de santé inclut un volet consacré aux soins palliatifs. De nombreux infirmiers exerçant dans des services spécialisés ou orientés vers les soins palliatifs ressentent le besoin de compléter leur formation par des diplômes universitaires ou des masters en soins palliatifs, enrichissant ainsi leur expérience et leurs connaissances. Ces efforts de formation complémentaire ne sont pas reconnus sur le plan statutaire, ce qui est regrettable. Une valorisation de cet investissement en formation pourrait encourager davantage de professionnels à s’orienter vers ce type d’exercice.
Pour améliorer immédiatement la prise en charge palliative sur l’ensemble du territoire, la priorité devrait être donnée à la création d’équipes mobiles de soins palliatifs, notamment gériatriques, dans toutes les régions. Étant donné que la majorité des patients en fin de vie décèdent à domicile ou en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes plutôt qu’en milieu hospitalier, il est crucial de délocaliser la culture palliative.
Enfin, pour répondre à la question de M. Vigier, je réaffirme que, tout comme les médecins, les infirmiers disposent d’un droit légitime à ne pas effectuer un acte qu’ils considèrent comme contraire à leur déontologie.
Mme Annie Vidal, rapporteure. Les maisons d’accompagnement, telles qu’elles sont envisagées dans la proposition de loi, ne sont pas conçues comme des unités intermédiaires, des établissements sanitaires, ni des unités de soins palliatifs à moindre coût. Elles représentent plutôt une alternative d’hébergement destinée à deux catégories de patients : ceux qui n’ont plus besoin d’une prise en charge intensive en soins palliatifs mais ne peuvent pas rentrer chez eux pour diverses raisons, et ceux qui sont à domicile et dont les aidants ou la famille nécessitent un répit temporaire. Ces patients, théoriquement pris en charge par une hospitalisation à domicile, pourraient séjourner dans ces établissements tout en continuant à bénéficier de ce type de suivi. Les maisons d’accompagnement offrent ainsi une forme d’hébergement avec des accueillants, mais ne constituent pas une structure de soins à proprement parler.
M. le président Frédéric Valletoux. Je remercie l’ensemble des participants pour leur présence, leurs contributions et la qualité de nos échanges.
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5. Table ronde réunissant des représentants de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap), de la Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD) et de la Société française de soins palliatifs pédiatriques (SFSPP) ainsi que le Dr Cédric Chaissac (réunion du mercredi 2 avril 2025 à 15 heures)
La commission auditionne, dans le cadre d’une table ronde sur les propositions de loi relative aux soins palliatifs et d’accompagnement (n° 1102) et relative à la fin de vie (n° 1100) : pour la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap), le Dr Claire Fourcade, présidente ; pour la Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD), le Pr Éric Serra, président ; pour la Société française de soins palliatifs pédiatriques (SFSPP), le Dr Matthias Schell, président ; le Dr Cédric Chaissac, chef de l’unité de soins palliatifs et président du comité d’éthique de l’hôpital Jean Jaurès (Paris) ([5]).
Dr Claire Fourcade, présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap). Je m’exprime devant vous en tant que présidente de la Sfap, et la position que je vais exposer est le fruit d’une consultation menée auprès de l’ensemble des acteurs de soins palliatifs en France.
La proposition de loi sur les soins palliatifs appelle plusieurs remarques sur la dénomination. Nous préconisons l’utilisation de la formule « accompagnement et soins palliatifs », afin d’articuler les dimensions sociale et médicale des soins palliatifs. De même, nous privilégions l’appellation « maisons de répit et de soins palliatifs » pour désigner des structures considérées non comme des alternatives à l’hospitalisation, mais des alternatives au domicile, destinées aux patients qui ne peuvent rester chez eux pour diverses raisons.
Les discussions anticipées et le plan personnalisé d’accompagnement constituent pour la Sfap un autre aspect capital. Il est en effet indispensable de mettre en place un accompagnement des patients, et cela requiert un renforcement de la formation initiale et continue des soignants. Une récente étude a montré que les étudiants en médecine générale de dernière année n’avaient reçu en moyenne que sept heures de formation sur la douleur et les soins palliatifs, en neuf ans d’études. 85 % d’entre eux ne se sentent pas aptes à accompagner des patients en fin de vie.
Notre dernière remarque concerne les pratiques sédatives. Depuis janvier, elles sont codées dans le programme de médicalisation des systèmes d’information, permettant de distinguer les sédations proportionnées des sédations profondes et continues. Ce point, déjà mis en œuvre, pourrait être maintenu dans la loi.
La proposition de loi sur la fin de vie soulève davantage de questions. Sur le plan lexical, le titre même mérite réflexion : que signifie en effet « légaliser la fin de vie » ? En outre, si dans l’exposé des motifs est mentionnée la notion « d’ultime recours », le texte lui-même semble orienté vers l’idée de la création d’un nouveau droit. Il est impératif de lever cette ambiguïté : s’agit-il de formaliser un ultime recours pour des situations exceptionnelles, avec des critères très stricts, ou bien de créer un nouveau droit largement accessible ?
Ce texte accorde selon nous une confiance excessive à la médecine, notamment sur le pronostic et l’évaluation du discernement, sans tenir compte de ses limites. De même, il confère un pouvoir décisionnel considérable aux médecins, au détriment de l’équilibre de la relation soignant-soigné et des efforts visant à déconstruire ce pouvoir, ce qui soulève de graves questions éthiques.
Nous attirons également votre attention sur la protection des personnes vulnérables, qui semble compromise par les dispositions actuelles du texte. Celui-ci prévoit en effet une demande orale sans témoin, et qui n’a pas à être réitérée. Cette approche est potentiellement dangereuse. Dans tous les autres pays ayant légiféré sur ce sujet, la procédure est beaucoup plus encadrée, avec des demandes écrites, des témoins, ou l’intervention d’un notaire. En outre, le processus d’évaluation médicale est appauvri : un seul avis médical est requis, puisque le second est consultatif, la procédure collégiale a disparu, et les délais sont extrêmement courts.
La communauté palliative préconise la décodification de ces pratiques, qui ne relèvent pas du soin et ne doivent donc pas figurer dans le code de la santé publique. Nous suggérons l’intervention d’un juge pour valider les demandes et le discernement du patient, comme c’est le cas dans d’autres pays. Nous recommandons également l’instauration d’une clause de volontariat pour les médecins, assortie d’une formation et d’un accompagnement spécifiques.
Enfin, nous demandons instamment la suppression du délit d’entrave. Si cette notion est écrite dans la loi, comment dissuader les personnes de vouloir mourir ? Comment prévenir le suicide, ce qui est le travail d’un psychiatre ? Je citerai pour conclure Elena Chamorro, avocate et militante antivalidiste handicapée : « On crée des lois qui mettent en place deux catégories de personnes : des personnes valides qui bénéficient de la prévention du suicide et des personnes malades et/ou handicapées à qui l’on propose le suicide assisté. »
Pr Éric Serra, président de la Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD). La douleur est un enjeu majeur de santé publique, touchant jusqu’à 30 % de nos concitoyens, et constituant le premier motif de consultation médicale et d’appel aux urgences. En dépit des progrès, et des 274 structures spécialisées en France, sa prise en charge demeure insuffisante. Dans ce contexte, les propositions de loi que vous examinerez offrent l’opportunité de réaffirmer l’engagement de la France pour une prise en charge innovante et ambitieuse de la douleur tout au long de la vie.
La SFETD formule six propositions majeures : reconnaître la douleur chronique comme une maladie à part entière, conformément à la position de l’Organisation mondiale de la santé, et non uniquement comme un symptôme ; développer la formation des professionnels de santé et des acteurs médico-sociaux à la gestion de la douleur, en l’intégrant dans la maquette de formation des spécialités ; intégrer le dépistage et la prévention de la douleur chronique dans les objectifs des rendez-vous de prévention ; renforcer la recherche clinique sur la douleur pour maintenir la position de pointe de la France dans ce domaine ; assurer l’intégration de la douleur chronique dans le plan personnalisé d’accompagnement ; mobiliser toutes les ressources thérapeutiques disponibles contre la douleur, élément clef dans la prévention des situations extrêmes de douleurs insupportables, qui sont l’un des principaux motifs de demande d’aide à mourir.
En synthèse, il nous importe avant tout d’envisager la prise en charge de la douleur tout au long de la vie, et non pas uniquement en fin de vie. La gestion de la douleur doit être intégrée dans l’accompagnement des maladies chroniques, y compris les plus graves. Rappelons que l’on peut mourir de douleur même si l’on est atteint d’une pathologie qui n’est pas mortelle, et que les patients souffrant de douleur chronique sont davantage susceptibles de recourir au suicide.
Dr Matthias Schell, président de la Société française de soins palliatifs pédiatriques (SFSPP). Les soins palliatifs pédiatriques sont souvent négligés dans le débat ; or cette prise en charge concerne des enfants extrêmement vulnérables. Nous prenons en charge majoritairement des enfants en situation de polyhandicap, souffrant de malformations, de problèmes génétiques ou métaboliques, ainsi que des nouveau-nés extrêmement fragiles.
L’incertitude évolutive des cas nous confronte à des enjeux éthiques complexes, et seules des équipes ressources régionales de soins palliatifs pédiatriques sont susceptibles d’apporter une expertise. Or les équipes ressources sont nettement insuffisantes : à titre d’exemple, nous disposons de deux médecins pédiatres, deux infirmières et une psychologue pour la région Rhône-Alpes, qui représente 10 % de la population française. Aussi, renforcer les équipes ressources et structurer la formation des futurs professionnels constituent des priorités absolues, la seconde requérant une véritable universitarisation de cette spécialité.
Il est indispensable d’investir dans les soins palliatifs pédiatriques, afin de clarifier les parcours de soins, de réduire potentiellement les hospitalisations, et d’anticiper la souffrance des enfants et des parents. Ces investissements se traduiront par un bénéfice global pour la santé publique.
Par ailleurs, nous devons dépasser l’opposition traditionnelle entre soins curatifs et soins palliatifs, les seconds étant censés succéder aux premiers. Un modèle intégré et une collaboration étroite entre les sur-spécialités pédiatriques et les médecins de soins palliatifs éviteraient des retards préjudiciables dans la prise en charge des enfants.
Nous préconisons également la création d’unités spécialisées de soins palliatifs pédiatriques. Ces unités favoriseraient paradoxalement plus de décès à domicile, puisqu’il ne s’agit pas d’accompagner la fin de vie, mais de conduire un accompagnement chronique et de permettre aux patients de retourner chez eux et aux familles de gagner en autonomie. De telles unités existent à l’étranger et, sur 128 familles accueillies, seuls huit enfants y sont décédés, les autres ayant pu vivre plus longtemps grâce à l’éducation thérapeutique, aux adaptations et aux prescriptions anticipées. Ces unités spécialisées, en outre, favoriseraient l’accompagnement des familles et contribueraient à la diminution des coûts indirects liés à la dépression, à l’absentéisme et aux arrêts de travail. Aussi, bien qu’elles requièrent un investissement initial important, elles s’avéreront économiquement bénéfiques à long terme.
Le suivi post-décès d’un enfant est également primordial. Actuellement, les familles sont démunies face à cette épreuve traumatisante qu’est la mort d’un enfant. Elles ont besoin d’un accompagnement professionnel pour éviter des situations dramatiques, voire des passages à l’acte.
Du point de vue pédiatrique, les lois Leonetti et Claeys-Leonetti offrent un cadre adapté dans la très grande majorité des cas. Cependant, une évolution législative incluant les mineurs compliquerait l’accompagnement des adolescents, en particulier sur la désignation d’une personne de confiance et la rédaction de directives anticipées.
Enfin, il faut bien mesurer l’impact sur les générations futures d’une telle évolution législative. Les enfants qui grandiraient dans une société où donner la mort ou se donner la mort serait autorisé, pourraient développer une vision radicalement différente de la vulnérabilité, du soutien et de la solidarité.
Dr Cédric Chaissac, chef de l’unité de soins palliatifs et président du comité d’éthique de l’hôpital Jean Jaurès (Paris). Je salue l’élaboration d’une loi portant sur les soins palliatifs, une discipline médicale porteuse d’un immense potentiel d’innovation et de bienfaits, et qui devraient être accessible à tous, puisque chacun est concerné. Nous savons en effet que les soins palliatifs ajoutent de la vie aux jours, ce qui, souvent, ajoute des jours à la vie, l’espérance de vie dépendant aussi de la qualité de vie.
Notre perception de ce qui est acceptable, tolérable et digne pour nous-mêmes évolue tout au long de notre vie, et je me garde bien de présumer des désirs d’autrui lorsqu’ils sont condamnés par la maladie. À un patient qui m’interrogeait sur l’utilité du délai entre l’endormissement et le décès, j’ai répondu que cela protégeait l’équipe soignante et la société. En effet, ce délai aléatoire préserve l’intentionnalité des soignants et permet au patient de respecter ses éventuelles croyances religieuses en ne choisissant pas l’heure précise de sa mort. Cependant, j’estime que ce temps d’attente, s’il n’est pas souhaité par le patient, n’est pas indispensable à une fin de vie sereine.
L’évolution de la loi comporte des écueils potentiels. Pour y remédier, le texte peut être amélioré concernant le parcours du patient, de la demande à la réponse. Cette demande devrait être adressée à un médecin habilité, responsable du parcours, et enregistrée dans un registre national afin de déclencher la procédure et la rendre opposable. Le recours à deux évaluations par une équipe pluridisciplinaire de soins palliatifs me semble également indispensable, afin d’attester que la souffrance du patient reste réfractaire alors que toutes les ressources disponibles ont été épuisées.
Je me suis rendu dans une unité de soins palliatifs au Luxembourg, où une loi comparable à celle que vous étudiez est en vigueur depuis 2009. J’y ai rencontré des équipes sereines, malgré leurs réticences initiales similaires à celles exprimées en France. L’aide active à mourir y est intégrée à l’offre palliative, elle est rarement pratiquée et n’est plus remise en question.
Mme Annie Vidal, rapporteure. Au fil de nos auditions, nous voyons bien la nécessité d’une complémentarité entre les deux propositions de loi, si elles sont votées, au regard de l’intégration de l’aide active à mourir dans les soins palliatifs. J’aimerais connaître votre sentiment à ce sujet.
Aujourd’hui, lorsqu’un patient émet une demande de mort, on suppose qu’il réclame la sédation profonde et continue jusqu’au décès qu’autorise la loi. Mais demain, si la loi est votée, comment les médecins distingueront-ils une demande de sédation profonde et continue jusqu’au décès, d’une demande de produit létal à ingérer ou à injecter ?
Professeur Serra, quelles sont les limites médicales de la prise en charge de la douleur ? Comment évaluez-vous et traitez-vous les douleurs psychologiques ?
Enfin, je tiens à remercier le Dr Schell pour sa description de l’approche palliative en pédiatrie, un sujet peu évoqué et délicat.
M. Olivier Falorni, rapporteur général. Bien que la question des soins palliatifs ne soit pas inscrite dans le texte dont je suis le rapporteur, et que ce texte écarte les mineurs de l’aide active à mourir, nous tenions à aborder le traitement de la douleur et à faire connaître les soins palliatifs pédiatriques.
Je souhaite vous interroger sur la notion de clause de conscience d’établissement. Lors de leur audition, les représentants des ordres et de l’Académie nationale de médecine ont souligné le caractère personnel de la clause de conscience. Quel est votre point de vue à ce sujet ?
Enfin, je tiens à préciser, docteur Fourcade, que l’aide active à mourir n’a absolument pas vocation, en aucun cas, à être proposée par le corps médical. De plus, les médecins ne décident pas mais valident le processus s’il entre dans le cadre défini par le législateur, ce qui est fondamentalement différent. Pourriez-vous clarifier votre position sur ces points ?
Dr Claire Fourcade. Le débat ne porte pas sur l’existence des demandes de mort : ces demandes sont une réalité, indépendamment de l’évolution législative. Elles exigent une écoute attentive et un respect absolu, sans jugement. Dans notre pratique, nous les considérons toujours comme une urgence, un signe de grande souffrance. Ces demandes sont souvent ambivalentes, fluctuantes, elles peuvent apparaître puis disparaître. Dès lors, il nous appartient de prendre le temps d’explorer le pourquoi avant de nous précipiter sur le quand ou le comment.
La diversité des points de vue est non seulement souhaitable mais nécessaire. Elle réclame de dissocier l’opinion personnelle des médecins de leur disposition à mettre en pratique l’aide active à mourir. L’expérience canadienne est éclairante à cet égard : 70 % des médecins étaient favorables à la loi, mais actuellement seuls 1,9 % acceptent de la mettre en pratique. En France, une enquête menée auprès des acteurs de soins palliatifs révèle que seulement 4 % des non-adhérents à la Sfap et 2 % des adhérents se disent prêts à pratiquer un geste d’aide active à mourir.
Monsieur Falorni, j’ai évoqué la proposition de suicide assisté dans le cadre d’une citation. Mais celle-ci met l’accent sur la manière dont la loi, en tant que message collectif, est reçue par les patients. La question adressée à la société ne porte pas sur la demande de mort elle‑même, qui doit être écoutée, mais sur la réponse que l’on choisit collectivement d’y apporter. Nous vivons aujourd’hui dans une société qui dit : la vie de chacun compte. Demain, certains pourraient éprouver le sentiment que la société leur dit : vous faites partie d’une catégorie de personnes dont nous pensons qu’il pourrait être préférable qu’elles soient mortes plutôt que vivantes. Il faut bien mesurer les conséquences psychologiques de ce message sur des personnes vulnérables, qui pourraient l’interpréter comme une incitation à mourir.
Pr Éric Serra. Il est évident que ni la médecine, ni la société ne pourront jamais totalement éliminer la souffrance ou la douleur. La qualification de douleur réfractaire résulte parfois d’une compréhension incomplète de l’origine de la douleur ou d’une utilisation inadéquate des traitements disponibles. Les innovations thérapeutiques les plus significatives ne sont pas toujours les plus spectaculaires et résident dans l’amélioration et l’optimisation des structures et des pratiques existantes. Les ressources thérapeutiques sont disponibles, et l’enjeu principal réside dans leur utilisation optimale et leur accessibilité. La stratégie décennale prévoit notamment la mise en place de plateformes interventionnelles d’analgésie, qui permettront à de nombreux patients d’accéder à des ressources thérapeutiques avancées.
Par ailleurs, les approches non médicamenteuses, telles que l’hypnose ou la relaxation, sont susceptibles de produire des effets remarquables, et je suis convaincu que les soignants devraient être formés à ces pratiques. De même, les patients en fin de vie, même sur leur lit de mort, peuvent bénéficier de techniques d’activité physique adaptée. Enfin, l’accompagnement psychologique est naturellement déterminant.
La douleur est une expérience à la fois sensorielle et émotionnelle, et la souffrance psychique est très fréquemment à l’origine de la demande d’euthanasie. Or cette souffrance psychique peut parfois faire l’objet d’un traitement médical.
Dr Cédric Chaissac. Je voudrais insister sur le caractère individuel de la clause de conscience. Le seul intérêt, selon moi, d’une clause de conscience d’établissement serait de permettre aux patients d’identifier et d’éviter les établissements qui ne seraient pas en mesure de répondre à leurs demandes.
M. Thibault Bazin (DR). Docteur Fourcade, vous avez rappelé que le discernement était susceptible, certains jours, d’être altéré. Le texte prend-il suffisamment en compte cette notion de variabilité selon vous ? Ne faudrait-il pas prévoir des évaluations répétées ?
Professeur Serra, la proposition de loi diffère du projet initial en mentionnant une « souffrance physique ou psychologique », plutôt que « et psychologique » dans le cadre d’une maladie grave et incurable. Quelles sont, selon vous, les implications de ce changement ?
Docteur Schell, vous avez évoqué l’impact potentiel sur les enfants, possiblement sur plusieurs générations. En tant que législateurs, quelle responsabilité prenons-nous si un tel impact transgénérationnel se confirme ? Si l’on supprime l’incitation au suicide tout en légalisant une forme d’aide active à mourir, quel impact sur la perception du suicide, notamment chez les jeunes adultes, pourrait-on redouter ? Par ailleurs, ne devrions-nous pas prévoir une spécificité de soins palliatifs pédiatriques pour les enfants en situation de handicap ?
Enfin, j’aimerais recueillir l’avis des intervenants sur l’alinéa 12 de l’article 6, qui prévoit que le délai peut être abrégé à la demande de la personne pour préserver sa dignité « telle qu’elle se la conçoit ». Cette formulation ne remet-elle pas en question le principe d’une dignité inaliénable, indépendante de la vulnérabilité de la personne ? Comment interpréter et appliquer ce critère ?
Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). Docteur Fourcade, vous avez parlé de « déconstruire le pouvoir du médecin ». Pourriez-vous développer ce point ? Vous avez conclu votre propos en vous interrogeant sur les moyens de dissuader les personnes qui souhaitent mourir. Il me semble que l’objectif n’est pas de dissuader, mais plutôt d’écouter et de comprendre la demande du patient.
Professeur Serra, comment accélérer les progrès dans le traitement de la douleur, afin d’éviter que des patients ne décèdent dans des conditions inacceptables de souffrance non soulagée ?
Concernant la formation, j’aimerais savoir si les intervenants sont favorables à une formation spécifique. Compte tenu de la difficulté d’intégrer tous les aspects dans la formation initiale, ne serait-il pas plus pertinent de mettre l’accent sur la formation continue, notamment lorsque les professionnels s’orientent vers les soins palliatifs ? Ne devrions-nous pas valoriser davantage les diplômes universitaires suivis par les infirmières qui choisissent cette spécialité ?
Mme Hanane Mansouri (UDR). Ma première question porte sur l’exposé des motifs, qui mentionne une « horreur de la mort naturelle ». Comment, sur la base de votre expérience, définiriez-vous l’agonie ? Existe-t-il des innovations thérapeutiques permettant d’atténuer la douleur supposément atroce de l’agonie ?
L’euthanasie repose principalement sur une relation bilatérale entre le médecin et le patient, bien que celui-ci puisse consulter d’autres soignants. Quel est l’impact psychologique de cette relation sur les familles non consultées, et potentiellement passibles de sanctions pénales si elles tentaient de dissuader leur proche d’y recourir ?
Enfin, alors que la santé mentale des jeunes est érigée en grande cause nationale, êtes‑vous inquiets d’un possible élargissement futur de l’euthanasie aux mineurs ?
M. Laurent Panifous, rapporteur. Docteur Fourcade, vous redoutez que le texte sur l’aide active à mourir véhicule un message collectif négatif. Ce message ne peut-il pas être perçu, au contraire, comme un message d’autonomie et de liberté de choix ? Par ailleurs, pourriez-vous citer des exemples concrets de ces critères que vous jugez imprécis ?
Docteur Chaissac, quel impact l’introduction du droit à l’aide active à mourir aurait‑elle sur l’activité d’une unité de soins palliatifs ?
Nos auditions préparatoires ont mis en évidence le déficit de formation en matière d’accompagnement de fin de vie et de soins palliatifs pour l’ensemble des professionnels de santé. À ce propos, je tiens à mentionner que mon groupe avait déposé un amendement, adopté en commission, visant à créer un diplôme d’études spécialisées en soins palliatifs. Bien qu’il ait été rejeté en séance, nous le redéposerons, parce que nous considérons les soins palliatifs comme une spécialité à part entière.
M. Christophe Bentz (RN). J’ignore si les partisans de l’euthanasie se rendent compte à quel point les soins palliatifs constituent une révolution médicale, sociale, et profondément humaine. Les propositions de loi que nous examinons interrogent fondamentalement la nature du soin et de l’accompagnement. Le soin implique le secours à la personne, l’attention portée au corps et la protection de la vie. Or ces principes semblent en contradiction avec l’idée d’une mort provoquée ou administrée par une dose létale. Dès lors, en quoi les soins palliatifs ne peuvent-ils pas répondre à l’ensemble des pathologies incurables et des situations de fin de vie ?
Mme Sandrine Dogor-Such (RN). Dans un arrêt du 29 avril 2002, la Cour européenne des droits de l’homme souligne combien la frontière entre les personnes capables de se suicider sans assistance et celles qui en sont incapables est susceptible d’être ténue. Aussi, inscrire dans la loi une exception légale pour les personnes incapables de se suicider pourrait fragiliser la protection de la vie et accroître significativement les risques d’abus.
Que vous inspire cette jurisprudence européenne au regard de la lutte contre le suicide ? Comment envisager l’articulation entre une politique de prévention du suicide et une légalisation du suicide assisté ?
Concernant la sédation profonde et continue, des médecins m’ont expliqué que le décès résulte de l’évolution naturelle de la maladie, la sédation visant à éviter la souffrance à court terme. Ils ont précisé que le patient serait déjà en phase de perte d’appétit et de sensation de soif. Par ailleurs, l’apparence du malade à l’agonie ne serait pas nécessairement liée à une souffrance. Pouvez-vous apporter des précisions à ces sujets ?
M. Philippe Juvin (DR). J’aimerais revenir sur le défaut de la collégialité qu’a souligné le Dr Fourcade. Quelles dispositions permettraient selon vous, docteur, de s’assurer d’une réelle collégialité dans la prise de décision ?
L’aspect parfois fluctuant des demandes de mort a également été relevé. À cet égard, les délais requis pour l’accord du médecin et l’ultime réflexion du patient sont-ils compatibles avec cette fluctuation ?
Enfin, le débat sur l’accès aux soins palliatifs n’occulte-t-il pas la question économique et sociale, au sens où la situation des personnes en difficulté sur le plan socio-économique, et notamment les personnes isolées, n’est pas envisagée ? J’aimerais connaître le sentiment des intervenants sur l’importance du facteur de l’isolement social et de la pauvreté dans les demandes de morts.
Mme Élise Leboucher, rapporteure. Nous parvenons à la fin de nos auditions, et il me semble que certains propos entendus ici ont été oubliés. Ainsi M. Claeys a reconnu lui‑même que la loi qui porte son nom ne répond pas à toutes les situations.
Nous avons également entendu des intervenants établir un lien entre le délit d’entrave et la prévention du suicide. Selon moi, il s’agit de deux choses totalement différentes, sans relation de cause à effet. J’en veux pour preuve que dans les pays où l’aide à mourir a été légalisée, aucune évolution flagrante du taux de suicide n’a été constatée.
Dr Cédric Chaissac. L’accès universel aux soins palliatifs doit primer sur toute décision d’aide active à mourir, parce que les soins palliatifs peuvent résoudre une demande d’aide à mourir en soulageant le symptôme qui rendait la vie insupportable. C’est pourquoi il est impératif qu’une équipe pluridisciplinaire s’assure que toutes les options de soins ont été proposées et rendues accessibles au patient, afin de prévenir toute disparité due à l’inégalité de l’accès aux soins palliatifs, et à garantir que le patient ne soit pas privé de la possibilité d’en bénéficier.
L’introduction d’une loi sur l’aide active à mourir aurait certainement des répercussions significatives dans une unité de soins palliatifs, particulièrement au moment de son entrée en vigueur. Au Luxembourg, les équipes soignantes ont d’abord exprimé des réticences, certains refusant d’être présents lors d’une euthanasie. Puis ces appréhensions se sont rapidement atténuées, et les soignants que j’ai rencontrés par la suite semblaient avoir trouvé une certaine sérénité face à cette pratique. En outre, et paradoxalement, l’introduction de la possibilité du recours à l’aide active à mourir pourrait stimuler davantage les équipes de soins palliatifs à redoubler d’efforts pour répondre aux besoins des patients.
Prétendre que les soins palliatifs sont en mesure de soulager toutes les souffrances serait accorder à la médecine une forme de toute-puissance qu’elle n’a pas. Il est illusoire de penser que toute demande d’aide à mourir s’éteindrait systématiquement après le passage en soins palliatifs. Certaines douleurs, notamment psychologiques, liées à la confrontation avec la maladie, la fin de vie et la séparation des proches, demeurent inévitables. Ouvrir un droit à l’aide active à mourir n’effacerait pas ces souffrances, mais offrirait un choix sur la manière de vivre ses derniers moments.
Enfin, l’absence de sensation de soif et de faim ne constitue pas un critère pour accéder à une sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès. Cette procédure consiste à plonger le patient dans un sommeil profond, équivalent à un coma artificiel, et veiller à ce qu’il bénéficie du plus grand confort possible. Nous ne sommes pas en mesure de connaitre avec certitude l’expérience vécue par le patient à ce moment-là, puisque la procédure n’est pas réversible.
Dr Matthias Schell. Je m’efforcerai de répondre à la question portant sur les délais en partant de mon expérience de pédiatre. Il est difficile d’évaluer avec certitude la nature des demandes d’adolescents en cancérologie. Je suis convaincu que lorsqu’ils sollicitent une sédation profonde, ils ne demandent pas nécessairement une euthanasie ou une aide active à mourir. Si ce droit existait, ces jeunes patients, dont les facultés cognitives ne sont généralement pas altérées et qui font souvent preuve d’une maturité accélérée, seraient probablement capables de faire la distinction entre ces différentes options.
Certains jeunes patients expriment même des idées suicidaires, affirmant vouloir choisir leur « sortie » plutôt que succomber à la maladie. D’autres s’enquièrent de la possibilité d’obtenir des médicaments létaux. Mais ces jeunes peuvent changer d’avis si on leur accorde le temps nécessaire. Il importe de comprendre que le refus de vivre dans certaines conditions ne signifie pas nécessairement un désir de mourir. Si nous parvenons à modifier leurs conditions de vie ou à leur donner le temps de parvenir à une forme de résilience, ils peuvent trouver un nouveau sens à leur existence.
C’est précisément pour cette raison que le délai et l’approche pluridisciplinaire sont cruciaux, car il faut se garder d’apporter une réponse trop rapide et par nature irréversible à une demande d’aide à mourir. Aussi, les délais actuellement envisagés me semblent beaucoup trop courts pour les jeunes patients, étant donné la fluctuation non pas de leur discernement, mais de leur volonté face à des conditions de vie initialement jugées inacceptables.
Dans un état de sommeil profond, la sensation de soif, par exemple, n’est pas perçue consciemment. Des études montrent qu’en phase agonique le cortex, siège de la conscience, n’est plus alimenté. On pourrait donc supposer qu’une personne dans cet état n’est pas en conflit avec son propre cerveau et ne perçoit pas de souffrance. Le décès survient alors des suites de la pathologie sous-jacente, et non de la privation de nutrition.
En pédiatrie, nous constatons souvent que les parents semblent souffrir davantage de voir leur enfant mourir, que l’enfant lui-même. Je crains que cette souffrance des proches ne conduise à des demandes, non pas d’euthanasie, mais d’accélération de la fin de vie par un tiers. Autrement dit, une demande qui n’émane pas de la volonté de l’enfant, mais de celle de proches souffrant de voir leur enfant entré dans un processus de mort. C’est pourquoi il importe, en pédiatrie, de distinguer la souffrance de l’enfant de celle de ses parents.
Pr Éric Serra. En médecine, nous considérons la souffrance psychologique comme un symptôme susceptible d’être médicalisé et traité. La dépression chronique est-elle une maladie incurable justifiant une aide active à mourir ? Je crois qu’il convient de tenir compte des fluctuations de la souffrance, des avis des patients et de leur autonomie. J’ai personnellement rencontré des patients exprimant un désir de mourir tout en manifestant une forme d’attachement, très fort, à la vie.
La loi Claeys-Leonetti ne répond pas à toutes les situations, comme l’ont reconnu eux‑mêmes ses auteurs. Cependant, elle constitue un cadre précieux, bien que parfois méconnu.
À propos de la formation, les progrès réalisés sur la formation initiale restent insuffisants. La formation continue offre des perspectives intéressantes, notamment à travers des méthodes interactives permettant de confronter les professionnels de santé à des situations complexes. La spécialisation pourrait être envisagée à l’avenir mais, en attendant, il est essentiel de renforcer l’universitarisation de ces domaines, en formant des universitaires spécialisés dans l’accompagnement de fin de vie, la gestion de la douleur et une approche globale de la médecine.
Dr Claire Fourcade. L’agonie est un sujet rarement abordé avec attention. Les représentations de ce moment ultime sont souvent empreintes de violence et d’appréhension. Pourtant, notre expérience clinique nous enseigne qu’il s’agit généralement d’une période plutôt paisible. On observe le plus souvent une fragilisation et un affaiblissement progressifs, accompagnés d’une somnolence croissante, jusqu’à un sommeil continu et un coma plus profond. La vie s’éteint souvent doucement, sans violence. Faire connaitre cette réalité permettrait sans doute d’atténuer les angoisses et d’éviter le recours précipité à des solutions radicales.
La loi actuelle nous impose déjà de prendre tous les risques nécessaires pour soulager, y compris si cela peut raccourcir la vie. Il est important de le rappeler.
En matière de formation, un équilibre doit être maintenu entre l’expertise universitaire et l’expérience des médecins qui s’orientent vers les soins palliatifs, une discipline qui, en France, est née en réaction au pouvoir médical et à son approche technique qui parfois appréhendait les patients comme un ensemble d’organes plutôt que comme des patients. La pratique de la médecine palliative est consubstantielle à une position d’humilité et à l’engagement d’assurer une présence constante jusqu’au terme. Cette posture engendre une relation soignant-soigné unique, potentiellement bénéfique pour l’ensemble de la pratique médicale.
À M. Juvin qui me demande des exemples de critères imprécis, je citerai la formulation « maladie en phase avancée ou terminale avec un pronostic vital engagé », une définition extrêmement vaste. Littéralement, les affections de longue durée, qui concernent treize millions de Français, pourraient toutes satisfaire ce critère si aucun horizon temporel n’est spécifié. On pourrait même arguer que la vie elle-même engage le pronostic vital.
Il est illusoire de prétendre répondre à des situations exceptionnelles avec des critères aussi larges que ceux actuellement proposés. En réalité, nous ouvrons un nouveau droit et nous levons les obstacles à son exercice. Il est important de poser le débat en ces termes.
Le message collectif véhiculé par la loi a un impact considérable sur la façon dont chacun se perçoit et sur la place que chacun occupe dans la société. De nombreux patients demandant à mourir expriment la crainte de devenir un fardeau pour leurs proches ou se sentent isolés. À cet égard, l’expérience canadienne est particulièrement instructive. Lors de l’adoption de la loi en 2016, les Canadiens anticipaient moins de deux cents cas par an. Aujourd’hui, on en dénombre dix mille, soit 4,7 % des décès, et jusqu’à 7,3 % au Québec. Et dans ces cas, on constate une surreprésentation des personnes en situation de précarité ou de handicap.
30 % des Canadiens considèrent que le fait d’être sans domicile fixe constitue une raison suffisante pour demander l’aide médicale à mourir. Ce chiffre alarmant illustre mieux qu’un autre l’impact profond de la loi sur les mentalités et la perception sociétale de la mort. Il nous oblige à réfléchir profondément à la société dans laquelle nous souhaitons vivre et au message que nous voulons transmettre aux patients.
M. le président Frédéric Valletoux. Je vous remercie, madame et messieurs, d’avoir répondu à nos questions.
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6. Audition de Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles, et de M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l’accès aux soins, et discussion générale (réunion du mercredi 9 avril 2025 à 9 heures 30)
La commission auditionne Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles, et M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l’accès aux soins, sur les propositions de loi relative aux soins palliatifs et d’accompagnement (n° 1102) et relative à la fin de vie (n° 1100) ([6]).
M. le président Frédéric Valletoux. Nous commençons l’examen des deux propositions de loi respectivement relatives aux soins palliatifs et d’accompagnement et à la fin de vie, particulièrement importantes et attendues. La conférence des présidents a pris acte de la décision du gouvernement d’inscrire ces deux textes à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale pour les semaines des 12 et 19 mai. Ils seront appelés conjointement dans l’hémicycle dès le lundi 12 mai. Par conséquent, le délai de dépôt des amendements en séance publique expirera le mercredi 7 mai.
Par ailleurs, la conférence des présidents n’a pas encore arrêté les modalités de discussion et de vote en séance publique. L’examen en commission a fait l’objet d’une décision de notre bureau. Il se déroulera en deux temps. Nous travaillerons jusqu’à vendredi 11 avril au soir, date de la suspension des travaux de l’Assemblée nationale. Nous reprendrons nos débats le lundi 28 pour les achever mercredi 30 avril. Dans l’hypothèse où nous n’aurions pas terminé à cette date, nous nous retrouverions le vendredi 2 mai pour conclure. Le vote en commission de chacune des propositions de loi interviendra immédiatement après l’examen de l’ensemble des amendements.
Les propositions de loi ont été respectivement déposées par Annie Vidal et Olivier Falorni. Les sujets relatifs à la fin de la vie ont fait l’objet de nombreux travaux préparatoires au cours des dernières années. Des comités, des sociétés savantes, des institutions consultatives ont produit une réflexion riche. Une Convention citoyenne a été réunie à l’initiative du Président de la République de décembre 2022 à avril 2023.
Le Parlement n’a pas été en reste. Ainsi, notre commission a mené sous la présidence d’Olivier Falorni, en mars 2023, une mission d’évaluation de la loi n° 2016‑87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, dite « Claeys-Leonetti », pour en déterminer les succès et en identifier les manques. Le gouvernement a ensuite élaboré un projet de loi dont l’Assemblée nationale a été saisie au printemps dernier : l’examen avait été confié à une commission spéciale présidée par Agnès Firmin Le Bodo, Olivier Falorni en étant le rapporteur général ; il était déjà porté par la ministre Catherine Vautrin. De l’avis de tous, les travaux ont été alors d’une qualité remarquable et d’une grande dignité, en commission spéciale comme en séance publique. Ils étaient sur le point d’arriver à leur terme quand est intervenue la dissolution, qui les a interrompus du point de vue politique et anéantis du point de vue juridique.
La discussion de ces dispositions est demeurée un objectif auquel il n’était pas question de renoncer malgré la configuration atypique de la présente législature. Je salue à cet égard la résolution de tous les acteurs concernés : la constance de la présidente de l’Assemblée nationale et des présidents de groupe au sein de la conférence des présidents ; le soutien du gouvernement, qui s’était engagé à programmer l’examen des textes une fois passée la période budgétaire. Promesse tenue : les deux semaines dont nous disposerons en séance publique seront prises sur l’ordre du jour gouvernemental.
Afin de respecter le travail accompli l’année dernière, Annie Vidal et Olivier Falorni ont déposé des propositions de loi, reprenant le projet de loi enrichi des discussions en commission spéciale et en séance publique. La méthode retenue – deux textes distincts discutés ensemble – donne satisfaction à tous et permettra à chacun de défendre au mieux ses convictions.
Nos débats seront éclairés par les auditions très utiles auxquelles la commission et les rapporteurs ont procédé depuis deux semaines. Ils doivent l’être aussi par l’action déjà accomplie depuis le printemps dernier. Les engagements du gouvernement en matière de soins palliatifs ont trouvé leur première traduction dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 grâce à une enveloppe de 100 millions d’euros, première étape de la stratégie décennale des soins d’accompagnement.
Sur la proposition de loi relative aux soins palliatifs et d’accompagnement, la commission a été saisie de 626 amendements. Le président de la commission des finances a estimé que 32 d’entre eux tombaient sous le coup de l’article 40 de la Constitution, 12 autres ayant été jugés irrecevables pour diverses raisons. Nous avons donc un peu moins de 600 amendements à examiner. Sur la proposition de loi relative à la fin de vie, la commission a été saisie de 1 163 amendements. Le contrôle de leur recevabilité n’est pas achevé, notamment en matière financière.
Lors de cette audition, qui tiendra lieu de discussion générale conjointe, le bureau de la commission, ayant pris en compte le fait que différents points de vue sont susceptibles de s’exprimer au sein d’un même groupe, a décidé que chaque groupe pourrait exceptionnellement désigner deux orateurs.
Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles. Il était essentiel pour les patients que ce débat puisse reprendre. Nous devons leur garantir, partout sur le territoire, des soins palliatifs renforcés – c’est le sens de la première proposition de loi. Elle vient appuyer la stratégie décennale, dont j’avais eu l’initiative, sur la fin de vie, dont nous souhaitons qu’elle soit un moment d’apaisement dans le cadre d’une prise en charge de la situation médicale spécifique du patient. C’était essentiel aussi pour ceux dont la souffrance ne peut être soulagée malgré l’accompagnement et qui, en conscience, demandent une aide à mourir médicalement encadrée et respectueuse de leur volonté, de leur autonomie. C’est ce que permet la seconde proposition de loi.
Ces deux textes sont issus de longs travaux : ceux des sociétés savantes ; le rapport Chauvin sur les soins palliatifs ; la Convention citoyenne ; nos échanges pendant trois semaines l’année dernière. Ils reprennent le projet de loi que j’avais eu l’honneur de défendre et ils seront examinés de manière conjointe.
Ces deux textes ne s’opposent pas. Ils se complètent. Ils constituent les deux piliers d’un seul et même socle éthique : assurer une prise en charge continue de la douleur dans le respect de la dignité de chacun. Depuis des mois, voire des années, cette question traverse notre société. Elle fait l’objet de convictions profondes, intimes, parfois douloureuses. Elle nous confronte à l’indicible : comment accompagner ceux qui approchent l’inéluctable ? Comment leur offrir la fin de vie la plus digne, la plus apaisée, la plus humaine possible ?
Interrompu par la dissolution, le projet de loi avait suscité des débats riches, exigeants et empreints de dignité. Je remercie l’Assemblée nationale pour la qualité de ses travaux. Ce sujet dépasse les clivages partisans et les appartenances politiques. Malgré les transitions et les remaniements, une chose demeure : l’attente de la société. Nous avons donc besoin de reprendre ce débat de la manière la plus éclairée et la plus apaisée possible, en donnant la priorité à l’accompagnement des malades et de leurs proches, pour soulager leurs souffrances. Je suis convaincue que ces deux textes peuvent rassembler car ce débat est juste et touche à ce que nous avons de plus humain. En 2003, Jacques Chirac affirmait : « mal prises en charge, la douleur et l’angoisse portent atteinte à la dignité humaine ».
Ce débat est aussi un enjeu démocratique : les Français se sont saisis du sujet de la fin de vie, qui les touche directement. Tous se savent susceptibles d’y être confrontés un jour. Le texte que j’ai eu l’honneur de défendre nourrissait la grande ambition, qui demeure, d’offrir à chacun la garantie d’une fin de vie digne dans le respect de son autonomie.
La proposition de loi relative aux soins palliatifs et d’accompagnement a pour objectif d’accompagner les Français dans les épreuves les plus difficiles de leur existence. Ce n’est pas un droit que nous donnons ; c’est un devoir que nous avons. Développer les soins palliatifs revient à affirmer que la République ne détourne jamais le regard de la souffrance. Toutefois, aujourd’hui, on ne peut pas recevoir partout sur notre territoire les soins palliatifs auxquels on a droit. Nous avons donc commencé à agir. Nous avons lancé une stratégie décennale des soins d’accompagnement. J’avais pris l’engagement d’un financement à hauteur de 1 milliard d’euros sur dix ans. C’est ainsi que la dernière loi de financement de la sécurité sociale inclut une enveloppe de 100 millions d’euros. L’ambition est claire : permettre à chaque Français, quel que soit son âge ou son lieu de vie, l’accès aux soins palliatifs.
La stratégie décennale a porté ses premiers fruits en matière d’offre de soins, notamment à domicile car beaucoup de nos concitoyens aspirent à être accompagnés aussi longtemps que possible dans leur cadre de vie familier. Les médecins de ville ont effectué en moyenne chaque trimestre plus de 17 000 visites longues, qui permettent une présence prolongée et un accompagnement renforcé à domicile. L’hospitalisation à domicile a enregistré une hausse de 22 % du nombre de patients pris en charge. Des équipes d’intervention rapide en soins palliatifs ont été créées, mobilisables en quelques heures. Le déploiement des équipes mobiles de soins palliatifs s’est poursuivi avec 420 équipes actives partout sur le territoire et couvrant l’ensemble des régions, pour soutenir soignants et patients.
Pour certains patients, ou lorsque les situations deviennent trop complexes, le recours au milieu hospitalier demeure essentiel. Les unités de soins palliatifs ont vu leur capacité augmenter : alors que vingt-deux départements n’en disposaient pas fin 2023, treize nouvelles unités ont été créées ou vont l’être dans les prochains mois dans le Cher, les Ardennes, les Vosges, l’Orne, la Corrèze, le Lot, les Hautes-Pyrénées, la Lozère, la Guyane, la Sarthe, l’Eure-et-Loir, les Pyrénées-Orientales et la Meuse. Le nombre de lits en soins palliatifs a progressé dans les services hospitaliers, notamment dans les départements dépourvus d’unité de soins palliatifs. Deux premières unités pédiatriques de soins palliatifs ouvriront cette année, en Auvergne-Rhône-Alpes et en Guyane.
En parallèle, l’accent est mis sur la formation, condition de la montée en compétences de la filière. Plus de 100 postes ont été ouverts pour la rentrée 2024‑2025 : une filière universitaire commence à prendre corps.
Enfin, nous devons mieux faire connaître les droits des patients. Dès cette année, une campagne nationale d’information portera sur la désignation de la personne de confiance et la rédaction des directives anticipées. Un plan personnel d’accompagnement sera proposé à chaque patient dès l’annonce d’une affection grave. Ses contours seront débattus avec vous. Loin d’être un document administratif de plus, ce plan sera le reflet d’un véritable échange entre le patient et ses soignants : un temps d’écoute, de dialogue, de confiance pour anticiper les soins d’accompagnement et définir les souhaits d’accompagnement de la personne jusqu’au terme de son parcours. Il ne contiendra aucune mention de l’aide à mourir : ce n’est pas son objet et ce n’est pas le bon moment pour engager cette discussion avec le patient. Du reste, si le plan contenait des indications à ce sujet, elles ne suffiraient pas à rendre recevable une éventuelle demande.
Nous devons aller plus loin dans l’organisation des soins et l’accompagnement des patients. Tel était l’objet du titre Ier du texte gouvernemental, repris dans la proposition de loi de la députée Annie Vidal. Ses trois priorités sont la création d’organisations territoriales dédiées aux soins palliatifs et d’accompagnement pour structurer et garantir un accès effectif et équitable sur l’ensemble du territoire ; une formation spécifique pour les professionnels de santé du secteur médico-social pour que la culture palliative irrigue tous les lieux de soins et devienne un réflexe ; la généralisation du plan personnalisé d’accompagnement pour répondre aux besoins spécifiques de chaque patient dès l’annonce de l’affection grave et dans le respect de ses souhaits.
Les échanges avec les députés, l’année dernière, ont donné à voir combien ces textes étaient perfectibles. S’agissant des maisons d’accompagnement, j’ai souhaité proposer une nouvelle formulation, probablement plus consensuelle : « maison de répit et de soins palliatifs ». Ces structures offrent une alternative au domicile tout en proposant une prise en charge qui respecte l’esprit de l’hospitalisation à domicile – un accompagnement chaleureux, dans un lieu à taille humaine, où les patients peuvent être accueillis pour un temps de répit ou pour des séjours de durée plus longue. Je le rappelle, le personnel de ces maisons n’a pas vocation à pratiquer l’aide à mourir. Si les patients accueillis dans ces maisons en font la demande, ils pourront bien sûr y accéder dans les mêmes conditions qu’à leur domicile.
Force est de constater que la loi dite « Claeys-Leonetti », qui a instauré la sédation profonde et continue, ne permet pas de traiter la totalité des situations. Certains patients, malgré une prise en charge exemplaire, restent confrontés à des souffrances que la médecine ne parvient plus à soulager : des douleurs physiques réfractaires, des détresses psychologiques profondes, des pertes d’autonomie vécues comme des atteintes insupportables à la dignité. Le cadre actuel montre ses limites quant à ces situations extrêmes. D’où une attente à laquelle la seconde proposition de loi, relative à la fin de vie, répond. Il est des souffrances qu’aucun traitement ne peut apaiser et des parcours de fin de vie où les soins d’accompagnement ne suffisent plus, où l’enjeu est pour la personne de choisir sa propre issue dans un cadre strictement et profondément respectueux de sa dignité. C’est un devoir de la société que d’accompagner ceux qui, après un chemin médical éprouvant et une dégradation irréversible de leur état, formulent, en pleine conscience et liberté, une demande d’aide à mourir, en s’assurant à chaque instant de leur total discernement. Les Français nous demandent d’assumer cette responsabilité. Ils ne le font pas à la légère, mais en conscience.
Le texte que le gouvernement avait proposé l’année dernière ne surgissait pas du néant. Il s’inscrivait dans un continuum législatif et médical qui avait commencé avec la loi n° 99‑477 du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs, suivie de la loi n° 2002‑303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé dite « Kouchner », de la loi n° 2005‑370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie dite « Leonetti », de la loi « Claeys-Leonetti » du 2 février 2016 déjà citée, jusqu’aux avis du Comité consultatif national d’éthique et aux travaux de la Convention citoyenne.
Il reste un pas à franchir. Dans quelques situations, probablement rares mais bien réelles, la loi ne permet pas une réponse humaine à un malade qui, au stade ultime de sa vie, malgré des soins d’accompagnement palliatif de qualité, exprime avec clarté et de façon répétée sa volonté d’abréger sa douleur et son désespoir. Que pouvons-nous dire si ce n’est qu’il peut partir, s’il en a les moyens, en Suisse ou en Belgique, faute de quoi il mourra ici lentement, douloureusement, parfois dans la solitude ? Nous ne pouvons l’accepter. C’est pourquoi nous devons mettre en place un cadre strict, ancré dans l’éthique médicale, fondé sur deux piliers indissociables : la liberté du patient et celle du soignant.
Loin de constituer une rupture anthropologique, cette proposition de loi s’inscrit dans la continuité d’un socle juridique bâti depuis vingt ans selon trois principes fondamentaux : le droit de refuser un traitement ; l’interdiction de l’acharnement thérapeutique ; le recours possible à une sédation profonde et continue jusqu’au décès. Cette évolution reste fidèle aux fondements des textes précédents, centrés sur la personne malade : soulager les souffrances, protéger la dignité – principe à valeur constitutionnelle –, respecter une volonté exprimée de façon libre, éclairée et persistante.
Le gouvernement est profondément attaché aux cinq critères cumulatifs, garants d’un cadre éthique et responsable, qui encadrent l’aide à mourir. Celle-ci ne peut s’adresser qu’à des patients majeurs, de nationalité française ou résidant de façon stable et régulière en France, atteints d’affections graves et incurables, avec un pronostic vital engagé, souffrant de douleurs devenues insupportables et réfractaires aux traitements, exprimant leur demande de manière libre et éclairée. Chacune de ces conditions est une protection essentielle pour les patients : modifier l’une revient à compromettre un équilibre fragile et exigeant.
L’autonomie du patient est au cœur de nos réflexions. La demande d’aide à mourir ne peut venir que de lui, lorsqu’il est confronté à des souffrances insupportables malgré les soins d’accompagnement ou palliatifs, dans les derniers mois ou semaines de sa vie. Sa volonté doit être exprimée en pleine conscience et réitérée jusqu’au geste lui-même. À la suite des interrogations formulées lors du débat parlementaire l’an dernier, j’ai saisi le président du Comité consultatif national d’éthique. Sa réponse a été sans équivoque : la volonté du patient doit être écoutée et analysée dans le temps afin de s’assurer de son caractère libre, éclairé et persistant.
Concernant la condition d’un pronostic vital engagé, fondement du modèle français de la fin de vie, il est essentiel d’aboutir à une rédaction claire, éthique et conforme aux réalités médicales. Lors de vos travaux, vous aviez estimé que la notion de moyen terme était trop imprécise, lui préférant celle de phase avancée ou terminale. J’ai saisi à cet égard la Haute Autorité de santé. Elle rendra ses conclusions dans quelques jours, avant le début de l’examen des propositions de loi. Je ne peux préjuger de sa position, mais je m’engage à ce que le gouvernement propose la meilleure formulation pour créer le cadre le plus clair possible pour les patients et les soignants.
J’entends les inquiétudes d’une partie du corps médical. En aucun cas, nous ne renonçons à soigner. Nous répondons à des patients qui ne trouvent pas de solution. Nous prolongeons la main tendue de la médecine jusqu’à ce que la personne puisse, si elle le souhaite et avec discernement, la lâcher en paix. Le respect de la clause de conscience de chacun est impératif. Dans ce modèle de la fin de vie, la liberté du médecin est garantie. Aucun soignant ne sera jamais contraint à un acte contraire à sa conscience. C’est une ligne rouge et je souhaite vivement qu’elle le reste.
Mesdames et messieurs les députés, dans les jours à venir, vous serez appelés à débattre de l’un des sujets les plus sensibles, profonds et attendus de notre société, un sujet éthique, médical et juridique qui exige rigueur, humilité et humanité. Je veux saluer le travail remarquable conduit par la commission spéciale il y a un an, sous l’égide de la présidente Agnès Firmin Le Bodo et du rapporteur général Olivier Falorni. J’ai une pensée pour l’ensemble des rapporteurs de l’époque. Les auditions ont nourri un débat d’une rare densité. Ce travail parlementaire a posé les bases d’une discussion à la hauteur de l’enjeu. Il permet d’aborder le débat avec profondeur et exigence.
Je suis consciente du fait que certains points appellent encore des clarifications. Le gouvernement a pris acte des amendements déposés. Il restera attentif aux débats en commission et prendra toute sa part à la discussion en séance publique pour que ces textes soient équilibrés, soutenus par la plus grande majorité possible. Cet équilibre est essentiel : il ne s’agit de rien de moins que de vie, parfois de mort. La réponse que nous proposons repose sur deux piliers : un accès effectif aux soins palliatifs pour tous sur l’ensemble du territoire ; une réponse encadrée à ceux pour qui la médecine, malgré tout son engagement, ne suffit plus à soulager la douleur.
Ces textes n’instaurent pas un modèle euthanasique : l’intervention d’un tiers n’est envisagée que si le patient, physiquement empêché, ne peut s’administrer lui-même la substance létale. Ils ne banalisent pas le suicide mais reposent sur des critères stricts, une évaluation médicale rigoureuse et l’expression d’une volonté libre et éclairée – un cadre d’exception pour des situations exceptionnelles.
Je veux dire aux soignants : « Vous n’êtes pas seuls ; nous serons à vos côtés pour accompagner, former, sécuriser vos pratiques. » Je veux dire aux patients et à leurs familles : « Vous êtes entendus ; votre souffrance, votre parole, votre dignité sont au cœur de ces textes. » Enfin, je veux dire aux Français : « Le Parlement est au rendez-vous de ses responsabilités ; il vous écoute, il vous comprend et il agit avec gravité, mais aussi avec courage. »
M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l’accès aux soins. Je rappelle tout d’abord l’importance du travail parlementaire passé sur les sujets des soins palliatifs et de l’accompagnement, ainsi que de la fin de vie, en rendant hommage à l’engagement d’Agnès Firmin Le Bodo. Les débats parlementaires de mai 2024 constituent la base de ces deux textes, qui intègrent l’ensemble des amendements adoptés avant la dissolution. Je salue également le travail des rapporteurs : Annie Vidal et François Gernigon pour la proposition de loi relative aux soins palliatifs et à l’accompagnement, Olivier Falorni – dont nous connaissons l’engagement dans ce domaine depuis des années – ainsi que Brigitte Liso, Stéphane Delautrette, Laurent Panifous et Élise Leboucher pour la proposition de loi relative à la fin de vie.
Je compte maintenir tout au long du débat parlementaire l’esprit de dialogue exigeant et constructif qui a prévalu jusqu’ici. Nous avons fêté cette année les vingt ans de la loi « Leonetti ». Je me suis replongé dans les débats parlementaires de 2005 : à l’Assemblée nationale, ils avaient été marqués par une grande sérénité et par la volonté de dépasser les oppositions partisanes. Cet état d’esprit avait permis de voter, unanimement, un texte équilibré, pertinent et fondateur de notre modèle français de soins palliatifs.
J’en viens à mon état d’esprit pour que le texte relatif aux soins palliatifs et à l’accompagnement honore la promesse faite en 2005 et réaffirmée en 2016 d’un accès universel aux soins palliatifs.
Notre modèle français est un socle solide. Il a renforcé considérablement les droits des malades et de leurs familles. Malheureusement, seuls 50 % des patients qui ont besoin de soins palliatifs en bénéficient. Nous devons donc agir, et vite : compte tenu du vieillissement de la population, d’ici à 2034, 440 000 personnes auront besoin de soins palliatifs, soit 15 % de plus qu’aujourd’hui.
Tel est le sens de la mobilisation générale en faveur de l’accompagnement et des soins palliatifs, adossée à des moyens importants et concrets. Les objectifs de la proposition de loi rejoignent et traduisent la stratégie nationale en faveur des soins palliatifs, pour laquelle un comité de pilotage a été installé le mois dernier et un financement à hauteur de 100 millions d’euros figure dans la dernière loi de financement de la sécurité sociale.
Le premier objectif est de renforcer et garantir l’accès aux soins palliatifs pour tous dans tous les territoires.
Il s’agit d’abord de créer de nouvelles unités de soins palliatifs et des unités de soins palliatifs pédiatriques, en particulier dans les départements à l’offre déficitaire ou qui en sont totalement dépourvus. Mais les soins palliatifs en hospitalisation à domicile, notamment dans les maisons de répit, ont également vocation à être développés. Ce dispositif diversifie l’offre en fonction des besoins en proposant une alternative au domicile dans toutes les situations où il n’est pas possible de rester chez soi. Les cellules territoriales que prévoit la stratégie décennale renforceront la coordination entre les établissements, l’hospitalisation à domicile et les soignants de ville. Je pense aussi à l’action d’associations telles que Voisins & Soins ou à la maison médicale Jeanne-Garnier, dont les bénévoles interviennent directement au domicile. La proposition de loi tient compte du développement de ces nouveaux modes de prise en charge, qui correspondent aux aspirations de la majorité de Français souhaitant finir leur vie à domicile, en proposant un mécanisme de conventionnement avec des associations.
Améliorer l’accès aux soins palliatifs et à l’accompagnement, c’est aussi renforcer les connaissances et l’utilisation des directives anticipées, outil précieux pour que chacun prenne en main sa fin de vie et en soit acteur. Après un diagnostic grave, le plan personnalisé d’accompagnement laissera chacun indiquer précisément ses volontés afin de bénéficier du parcours le plus adapté à ses besoins comme à ses choix personnels.
Le deuxième objectif est de former plus et mieux pour développer une véritable culture palliative.
Il existe deux formations spécialisées transversales d’une durée d’un an, instaurées lors de la réforme du troisième cycle des études médicales et soutenues par les ministères de la santé et de l’enseignement supérieur et de la recherche, portant respectivement sur la médecine palliative et la prise en charge de la douleur. Si elles affichent une capacité de 112 places, seules 57 places sont actuellement pourvues.
Nous voulons tout faire pour améliorer la reconnaissance et l’attractivité de la médecine palliative. Grâce à la stratégie décennale, je veux poursuivre cet effort de création de postes dans le domaine de la médecine palliative et de l’accompagnement. À terme, 100 postes d’hospitalo-universitaires titulaires, 100 postes de chef de clinique et 100 postes d’assistants spécialistes, soit 300 postes, seront créés. Nous avons besoin d’une offre de filière universitaire. Notre pays souffre d’un certain retard alors qu’il est pionnier dans bien d’autres disciplines scientifiques. Je souhaite donc que nous disposions dans le domaine des soins palliatifs de professeurs des universités-praticiens hospitaliers, de publications, de chercheurs. Il faut que ce domaine devienne une discipline médicale et d’excellence à part entière.
De manière complémentaire, je veux que soit développée, pour tous les soignants et tous les étudiants en santé, une culture palliative. Que l’on soit infirmier, médecin ou aide-soignant, le domaine du soin est sans doute celui qui confronte le plus directement à la mort, à la perte d’un patient : il faut y être préparé. Pourtant, cet aspect n’est pas suffisamment évoqué durant les études. Je veux qu’il soit pris en compte dans tous les cursus dès le début de la formation.
Il faut enfin insister sur l’importance de la formation continue. Plus encore que dans d’autres secteurs, elle est un enjeu crucial de l’accompagnement de la fin de vie et des soins palliatifs. Elle correspond souvent à un deuxième parcours de vie professionnelle après une vie de soignant ou de médecin dans d’autres disciplines. Il n’est pas facile de se spécialiser dans ce domaine, dont je conçois parfaitement qu’il puisse ne pas convenir à un début de carrière. Cette vocation advient souvent au fil des années, parfois guidée ou provoquée par une expérience marquante. Je tiens à renforcer la formation continue et les passerelles pour que tous ceux qui voudraient ouvrir un nouveau chapitre de leur carrière puissent s’engager dans cette voie avec les moyens et les soutiens adéquats.
La proposition de loi et les amendements déposés à l’article 8 prennent en considération ces différents enjeux. Il faudra débattre des modalités pratiques. J’y travaille, en collaboration étroite avec mon collègue ministre chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche Philippe Baptiste. Ce chantier est prioritaire et je tiens à le mener à bien avec le Parlement.
Si j’ai tenu à consacrer le début de mon propos au renforcement de l’aide territoriale et de l’accès aux soins palliatifs, c’est parce qu’il s’agit d’un objectif en soi. C’est aussi un préalable incontournable à tout débat apaisé, serein et éthique sur la possibilité d’une aide à mourir.
Nous nous interrogeons sur certains cas complexes qui ne seraient pas couverts par la sédation profonde et continue que prévoit la loi « Claeys-Leonetti ». Le sens du texte que vous proposez, monsieur Falorni, est de traiter ces cas. Toutefois, il s’agit d’un sujet distinct de celui des soins palliatifs. Nous avons suivi un ordre logique en commençant par le développement massif de l’offre territoriale de soins palliatifs et d’accompagnement. En effet, il a été empiriquement démontré que les patients souhaitant mourir se détournent de cette demande lorsque leur douleur et leur isolement sont traités efficacement. Il ne faut pas non plus perdre de vue la dimension sociale du problème : les personnes qui réclament cette aide sont souvent en précarité économique.
Dans le cadre du débat démocratique et parlementaire sur l’aide à mourir, je serai attentif à ce que les limites et les garanties éthiques soient clairement posées : je pense à la collégialité, à l’indispensable clause de conscience pour les soignants et à la protection des personnes sous tutelle et curatelle, autant d’angles morts de la première version du texte. Je souhaite que nous suivions une voie équilibrée qui prenne en compte autant les aspects sociaux que les enjeux médicaux, juridiques et éthiques très lourds de la question.
En ma qualité de ministre mais aussi de médecin, mon unique boussole sera toujours le respect de la vie ainsi que des droits et des choix de chaque patient. Je sais pouvoir compter sur votre commission, comme sur l’ensemble des députés de tous bords qui se sont investis dans ces débats importants, pour que nous maintenions la hauteur de vue et d’esprit qui a prévalu jusqu’ici. Nous la devons à nos concitoyens et à tous les patients qui comptent sur nous.
Mme Annie Vidal, rapporteure de la proposition de loi relative aux soins palliatifs et d’accompagnement. À la suite des nombreuses consultations menées en 2024 et de la Convention citoyenne sur la fin de vie, il est plus que nécessaire de relancer les travaux sur les soins palliatifs et la fin de vie suspendus l’été dernier en raison de la dissolution de l’Assemblée nationale. Le projet de loi initial ayant été scindé en deux propositions de loi conformément à la volonté du premier ministre, celle que j’ai déposée complète le texte originel par les amendements votés en commission spéciale et en séance publique, ce qui marque notre respect pour le travail parlementaire accompli sous la précédente législature.
Cette scission me semble tout à fait opportune pour traiter ces deux sujets liés à la fin de vie. Si le développement des soins palliatifs et l’ouverture d’un nouveau droit, à savoir l’accès à une aide à mourir, ne s’opposent pas, la réflexion du législateur ne relève pas tout à fait de la même logique selon qu’elle s’applique au premier ou au second cas. La première question correspond à un engagement sociétal, à une organisation territoriale et à une volonté de renforcement de l’accompagnement et des soins palliatifs. La seconde exige une réflexion éthique et philosophique sur l’ouverture d’un nouveau droit. Deux votes non dépendants l’un de l’autre me paraissent garantir la liberté du législateur et une parfaite lisibilité des décisions prises sur l’un et l’autre sujets.
En reprenant intégralement et scrupuleusement les dispositions du titre Ier du projet de loi telles qu’elles avaient été modifiées, j’ai accepté d’être rapporteure d’articles ou d’alinéas dont je ne partage pas nécessairement l’orientation ou que je juge parfois peu opérants. Aussi ai-je déposé des amendements avant tout pour améliorer la rédaction et la cohérence du texte, tout en préservant l’équilibre qui a émergé lors des débats précédents.
Plus globalement, je partage avec François Gernigon l’objectif d’un consensus, voire d’un accord unanime, afin d’adresser un message politique fort aux malades en fin de vie, à leur famille, aux soignants et aux bénévoles qui les accompagnent avec humanité. À cette fin, je proposerai, dès l’article 1er, de substituer aux termes « soins palliatifs et d’accompagnement » les termes « accompagnement et soins palliatifs ». Cette proposition me semble de nature à satisfaire ceux, dont je suis, qui sont attachés à la notion d’accompagnement, laquelle renvoie à une prise en charge globale, aussi bien que ceux, dont je fais également partie, qui veulent préserver la spécificité des soins palliatifs et qui soulignent que l’accompagnement n’est pas un soin. Madame et monsieur les ministres, j’aimerais votre avis sur ce point.
Chers collègues, vous savez combien notre calendrier est serré. J’espère pouvoir compter sur chacun d’entre vous pour un débat certes nourri, mais respectant un certain rythme, afin de préserver la séparation entre les deux propositions de loi. Je pense que nous pouvons raisonnablement nous fixer pour objectif de terminer vendredi au plus tard l’examen de ce premier texte afin de disposer du temps de discussion nécessaire à la seconde proposition de loi.
Les dispositions dont j’ai la charge ont pour objet, notamment, de redéfinir les soins palliatifs pour les intégrer dans une démarche globale comprenant l’accompagnement ; de créer des organisations territoriales destinées à déployer l’accompagnement et les soins palliatifs ; de coordonner la référence aux soins palliatifs par une disposition relative au droit de visite dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes de la loi n° 2024‑317 du 8 avril 2024 portant mesures pour bâtir la société du bien vieillir et de l’autonomie ; de rendre effectif le droit aux soins palliatifs et de donner une traduction législative à la stratégie décennale du gouvernement ; de définir la politique de soins palliatifs et de prévoir des lois de programmation quinquennale ; de renforcer la formation des professionnels. À ce sujet, monsieur le ministre, vous avez répondu à la question que je voulais poser sur ce que nous pouvions attendre. Je me permets d’insister sur le fait que toutes les personnes auditionnées ont alerté sur l’insuffisance de la formation, qu’elle soit initiale ou continue.
Le texte prévoit également que, lors de l’annonce d’une affection grave, un plan personnalisé d’accompagnement soit proposé à chaque malade et qu’un cycle de discussions anticipées soit lancé.
Je voudrais saluer l’ensemble des professionnels et des bénévoles qui s’engagent pour aider les malades à vivre, jusqu’à leur dernier souffle, et dire aux familles que nous sommes à leur écoute.
M. François Gernigon, rapporteur de la proposition de loi relative aux soins palliatifs et d’accompagnement. Les articles dont je suis rapporteur comprennent une mesure nouvelle et ils consolident l’édifice juridique issu des précédentes lois de bioéthique.
L’article 10 crée les maisons d’accompagnement, qui constituent une alternative au domicile et se présentent sous la forme de petites unités de vie se distinguant à la fois des Ehpad et des hôpitaux. Sans empiéter sur les débats relatifs à leur intitulé, je souhaite vous interroger sur leur statut juridique. L’alinéa 5 de l’article 10, issu d’un amendement adopté en 2024, prévoit qu’elles « sont gérées par des établissements de droit public ou de droit privé à but non lucratif » et « peuvent être rattachées à un établissement public de santé ou à un établissement de santé privé à but non lucratif ». Il y a quelques mois, le rapporteur comme le gouvernement s’étaient montrés hostiles à cette restriction. Le gouvernement souhaite-t-il toujours que ces nouveaux établissements sociaux et médico-sociaux puissent être créés et gérés aussi bien sous un régime de droit public que de droit privé à but non lucratif ou de droit privé à but lucratif et qu’ils puissent être rattachés à des hôpitaux publics ou privés, à but lucratif ou non ?
Nous avons plus d’une fois discuté de la question de savoir si ces maisons – auxquelles je crois beaucoup personnellement – sont des structures intermédiaires entre le domicile et l’hôpital, ou si elles constituent une alternative à ceux-ci. Le rapport du Pr Chauvin, l’étude d’impact de l’ancien projet de loi, de même que la presse, la plupart du temps, utilisent le premier qualificatif. Avec Annie Vidal, nous n’avons pas d’objection à ce qu’il soit conservé à partir du moment où chacun garde à l’esprit le sens que l’on entend lui donner : les maisons de répit ne se situent pas entre l’hôpital et le domicile classique ; elles ne sont pas moins bien que le premier et mieux que le second ; elles ne fournissent pas des soins palliatifs au rabais par rapport à ceux d’une unité spécialisée ; elles seront de fait le domicile des patients qui ne peuvent rentrer chez eux. Elles correspondent aux volontés de la Convention citoyenne. Des cahiers des charges, qui semblent pertinents, serviront à identifier les projets d’installation – les maisons de Gardanne et Jeanne-Garnier représentent de formidables modèles. Nous attendons des agences régionales de santé qu’elles jouent pleinement leur rôle.
Les articles suivants renforcent l’accompagnement bénévole, le recours aux directives anticipées ou encore la procédure relative à la sédation profonde et continue jusqu’au décès, ainsi que sa traçabilité. Un point important, à mes yeux, est la création à l’article 16 d’une voie de recours précontentieuse : en effet, une médiation pourra être lancée en cas de contestation de la décision motivée prise à l’issue de la procédure collégiale. L’intervention d’un tiers autre que le juge, dans le cas où le patient est inapte à exprimer sa volonté, doit permettre la discussion la plus posée possible et rendre compréhensible la poursuite ou la limitation des traitements. Rappelons que le refus de l’obstination déraisonnable est un droit des malades comme un devoir légal et déontologique des membres de l’équipe soignante !
Je veillerai, au long de nos discussions, à ce que nous trouvions le meilleur équilibre entre la préservation de la grande sagesse dont le législateur, grâce à nos prédécesseurs, a fait montre en 2005, en 2009 et en 2016 et les modifications adoptées il y a un an.
Il me semble important que les conventions des associations, la procédure collégiale à l’issue de laquelle des traitements peuvent être interrompus ou l’utilisation par un tiers du dossier médical partagé soient sécurisées juridiquement et informatiquement contre les abus.
Comme Annie Vidal, je souhaite que nous puissions examiner chaque amendement sur les deux textes dans les délais qui nous sont impartis.
M. Olivier Falorni, rapporteur général de la proposition de loi relative à la fin de vie. Il y a quatre ans jour pour jour, je défendais dans l’hémicycle une proposition de loi sur la fin de vie dont l’article 1er, qui autorisait et encadrait l’aide médicale à mourir, avait été adopté par 83 % des députés avant que l’obstruction d’une poignée de collègues n’interrompe nos débats. Il y a dix mois jour pour jour, le projet de loi sur la fin de vie, défendu avec conviction par Catherine Vautrin, était, lui aussi, brutalement interrompu, cette fois par la dissolution.
Nous reprenons nos travaux en examinant deux propositions de loi, l’une sur les soins palliatifs et l’accompagnement, l’autre sur la fin de vie qui autorise une aide à mourir et dont j’ai l’honneur d’être le rapporteur général. Le second texte est le fruit d’une riche histoire parlementaire ; il est le produit de centaines d’heures d’auditions et de délibérations. Jamais une loi sociétale n’aura autant donné lieu à concertation, n’aura été à ce point débattue. Cette maturation explique sans doute en partie l’adhésion massive à ce texte – toutes les enquêtes d’opinion, à l’instar de la Convention citoyenne, indiquent que plus des trois quarts des Français le soutiennent.
Cette proposition de loi reprend scrupuleusement le résultat des délibérations de la commission spéciale et de l’Assemblée nationale l’an dernier. Ce texte est équilibré et solide, solide car équilibré. D’une part, il répond aux aspirations de la société, exprimées notamment par l’intermédiaire de la Convention citoyenne dont les travaux ont été salués et qui a demandé, à 76 %, que la loi autorise l’aide à mourir. La proposition de loi est, d’autre part, conforme aux recommandations de nombreuses institutions, parmi lesquelles le Comité consultatif national d’éthique. Celui-ci a institué un groupe de travail dont les rapporteurs étaient Alain Claeys, coauteur de la loi actuelle, et Régis Aubry, médecin spécialiste des soins palliatifs. L’avis 139 du Comité consultatif, issu de ce groupe de travail, considère qu’il faut faire évoluer la loi, qu’il existe « une voie pour une application éthique d’une aide active à mourir, à certaines conditions strictes ». L’accès à ce nouveau droit exige en effet des précautions cumulatives, comme le prévoit la proposition de loi.
Légiférer sur la fin de vie exige de l’humilité : écouter avant de décider, ne pas prétendre détenir la vérité, avoir des convictions mais pas de certitudes. Cela implique aussi la volonté de faire plus et mieux pour les malades et leurs proches. Au fil des ans et des lois, entre 1999 et 2016, deux droits essentiels ont été obtenus : celui de ne pas souffrir car la souffrance n’est pas inévitable et encore moins nécessaire ; celui de ne pas subir, c’est-à-dire de s’opposer à l’acharnement thérapeutique. Ils semblent aujourd’hui des évidences, mais ils ne l’étaient pas naguère. Notre devoir est de faire de ces droits une réalité partout et pour tous. Cela passe par le renforcement et le développement massif des soins palliatifs, qui sont la réponse primordiale. Toutefois, la médecine a ses limites : malgré leur professionnalisme et leur dévouement, les soignants sont dans certaines circonstances démunis face à des souffrances réfractaires ou insupportables. C’est pourquoi la proposition de loi que je défends propose un ultime recours : une aide à mourir pour des personnes condamnées par la maladie, mais qui ne veulent pas être condamnées à l’agonie. Elle permet, au moment choisi par le malade, de mettre fin à une souffrance insupportable qu’aucun autre moyen n’a apaisée. Une réponse primordiale et un ultime recours : ces deux piliers, loin de s’opposer, se complètent et s’équilibrent.
Je voudrais évoquer plus particulièrement, concernant l’aide à mourir, les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité dont ce texte est porteur. La proposition de loi est respectueuse de la volonté de chacun et de la conscience de tous. Elle protège l’autonomie des personnes, leur droit de décider de ce qui est supportable et de ce qui ne l’est pas, tout en imposant de strictes conditions à la mise en œuvre de l’aide à mourir. La fin de vie d’une personne est toujours unique, comme l’existence de chacun de nous dans son infinie richesse et sa vulnérabilité. C’est pourquoi nous devons, en qualité de législateurs, demeurer à l’écoute de la diversité des expériences, en reconnaissant à chacun le droit de décider de ce qui est pour lui une fin de vie digne. Le texte respecte aussi la conscience de l’ensemble des parties prenantes en permettant aux professionnels directement impliqués dans la mise en œuvre de l’aide à mourir de ne pas y concourir. Dans le prolongement des lois « Leonetti » et « Claeys‑Leonetti », il confère de nouveaux droits aux malades sans attenter à la liberté de quiconque.
Aucun texte n’est parfait. Il est certain que, malgré les évolutions intervenues l’année dernière, nombre d’entre nous voudront apporter de nouvelles modifications, certains pour en amoindrir la portée et d’autres pour l’étendre. Il me semble néanmoins que notre première responsabilité est de permettre l’adoption de ce texte attendu par nos compatriotes, ce qui implique de respecter les équilibres atteints l’année dernière.
À l’orée de ces nouveaux débats, je forme le vœu que nous sachions nous montrer à la hauteur de l’exigence de respect et de dignité qui s’impose à nous tous, et que la représentation nationale soit à l’unisson d’une immense majorité de Français qui aspirent à pouvoir mourir comme ils ont voulu vivre : librement et sereinement.
Mme Brigitte Liso, rapporteure de la proposition de loi relative à la fin de vie. Les articles que j’ai l’honneur de rapporter définissent l’aide à mourir et prévoient les conditions de son accès. Ces dispositions reconnaissent un nouveau droit aux malades : mettre un terme à une souffrance insupportable qu’aucun soin ne peut apaiser. En effet, s’il est urgent de développer massivement les soins palliatifs et, plus généralement, les dispositifs consacrés à l’accompagnement des personnes à la fin de leur vie, nous savons que, malgré les progrès de la médecine et le dévouement des professionnels de santé, certaines souffrances résistent aux traitements et aux soins. La mission d’évaluation de la loi « Claeys-Leonetti » avait souligné que le cadre législatif actuel n’apporte pas de réponses à toutes les situations de fin de vie, en particulier lorsque le pronostic vital n’est pas engagé à court terme.
C’est pourquoi, dans le prolongement des lois fondatrices dans la lutte contre l’acharnement thérapeutique et la prise en considération de la volonté des malades, cette proposition de loi autorise une aide à mourir dont elle définit strictement les conditions et les modalités. Suivant la définition issue des travaux de la commission spéciale et de l’Assemblée nationale en séance publique, figurant à l’article 2, l’aide à mourir consiste à autoriser et à accompagner une personne qui en a exprimé la demande à recourir à une substance létale, dans les conditions et selon les modalités prévues aux articles L. 1111‑12‑2 à L. 1111‑12‑7 du code de la santé publique, afin qu’elle se l’administre ou, lorsqu’elle n’est physiquement pas en mesure d’y procéder, se la fasse administrer par un médecin ou un infirmier. Je voudrais insister sur l’originalité de cette définition, qui ne correspond ni à celle du suicide assisté car le malade doit satisfaire à des conditions strictes et être accompagné jusqu’au dernier moment, ni à celle de l’euthanasie dans la mesure où il reviendra au malade de s’administrer la substance létale s’il en est physiquement capable. Cette dernière possibilité constitue une garantie d’égalité entre les malades. Dans les deux hypothèses, la volonté libre, éclairée et répétée du patient sera indispensable à ce dernier geste. Ce même article établit un cadre juridique clair pour les soignants en excluant pour eux toute responsabilité pénale.
L’article 3 consacre le droit d’accéder à l’aide à mourir dans les conditions fixées par la présente loi. Enfin, l’article 4 définit les conditions d’accès à l’aide à mourir. Y seront éligibles les personnes âgées d’au moins 18 ans, de nationalité française ou résidant de façon stable et régulière en France, atteintes d’une affection grave et incurable engageant le pronostic vital en phase avancée ou terminale, qui présentent une souffrance physique ou psychologique réfractaire ou insupportable liée à cette affection et qui sont aptes à manifester leur volonté de façon libre et éclairée. Ces cinq conditions sont cumulatives.
Au cours de l’examen du projet de loi, l’année dernière, ces dispositions ont connu d’importantes évolutions qui semblent bienvenues. La notion d’affection engageant le pronostic vital à moyen terme, qui figurait dans le texte initial, présentait l’inconvénient de ne pouvoir être définie de manière rigoureuse tant l’horizon temporel auquel ce terme fait référence est étendu. À l’inverse, les termes « phase avancée ou terminale » revêtent une signification médicale rigoureuse. À cet égard, j’espère que l’avis de la Haute Autorité de santé permettra d’éclairer nos travaux et que nous pourrons en tirer les conséquences lors de l’examen en séance publique. Je ne doute pas que cette partie du texte fera l’objet de débats très nourris, certains souhaitant étendre l’application de l’aide à mourir à un plus grand nombre de situations quand d’autres voudraient au contraire en restreindre la portée. Au moment où nous nous apprêtons à commencer nos travaux, je forme le vœu que nos discussions soient à la hauteur de l’exigence de dignité que, j’en suis sûre, nous partageons quelles que soient nos convictions.
M. Laurent Panifous, rapporteur de la proposition de loi relative à la fin de vie. Après plusieurs années de travail, d’auditions, de déplacements, d’évaluations, de débats en commission et en séance publique, nous voilà à nouveau réunis, après l’interruption de nos travaux par la dissolution, pour, je l’espère, renforcer l’accompagnement des personnes en fin de vie, les soins palliatifs et ouvrir un nouveau droit : l’aide à mourir. La proposition de loi dont j’ai l’honneur d’avoir été désigné rapporteur se traduira, je crois, par une avancée sociale majeure pour les Français, bien au-delà de cette législature. La responsabilité qui m’a été confiée concerne spécifiquement la procédure de la demande d’aide à mourir, objet des articles 5 et 6 sur lesquels vous avez déposé plus de 360 amendements.
L’article 5 définit les modalités de présentation de la demande d’aide à mourir par le patient et l’obligation d’information incombant au médecin. C’est à cet article, plus précisément à son alinéa 10, que s’est achevé l’examen du projet de loi en séance publique le vendredi 7 juin 2024, avant la dissolution. Les modalités de présentation de la demande, tout comme l’obligation d’information, ont été sensiblement améliorées ; je pense notamment à la proposition d’orientation vers un psychologue ou un psychiatre, à l’interdiction de présenter une demande en téléconsultation et au fait de vérifier si la personne fait l’objet d’une mesure de protection juridique. À ce sujet, la proposition de loi ouvre au médecin l’accès au registre prévu à l’article 427‑1 du code civil, qui recense les mesures de sauvegarde de justice, de curatelle ou de tutelle. Comment le ministère envisage-t-il cet accès ?
L’article 6 traite de la procédure d’examen de la demande d’aide à mourir jusqu’à la prescription de la substance létale. L’évaluation du médecin est rendue dans un délai maximal de quinze jours, au terme d’une procédure consultative impliquant au moins deux autres professionnels de santé, dont un médecin spécialiste qui n’intervient pas auprès de la personne. Lorsque les conditions sont remplies, que la personne réitère sa demande et qu’a été déterminé le professionnel de santé chargé d’accompagner l’administration de la substance létale, le médecin adresse sa prescription à l’une des pharmacies à usage intérieur d’un établissement de santé, désignées par arrêté. Cet arrêté fera l’objet de ma seconde question : quel maillage territorial envisagez-vous à ce jour pour ces pharmacies ? Au sein de quels établissements seront-elles localisées ?
M. Stéphane Delautrette, rapporteur de la proposition de loi relative à la fin de vie. J’ai l’honneur de prendre la suite de Laurent Panifous pour l’examen du chapitre III de la proposition de loi relative à la fin de vie, qui a trait à la procédure. Je suis également rapporteur du chapitre IV, relatif à la clause de conscience.
L’article 7 traite de la détermination de la date d’administration de la substance létale et de divers droits de la personne, notamment l’administration hors du domicile. S’il semble primordial de garantir ce droit, qui était contenu dans le projet de loi initial et qui peut être exercé par choix ou par nécessité, ce point peut toutefois susciter certaines inquiétudes. Pouvez-vous faire part de la position du gouvernement sur cette question ? A-t-elle évolué depuis l’examen du projet de loi en 2024 ?
L’article 8 détermine le circuit de préparation et de délivrance de la substance létale. Les modalités de préparation, de transport et de destruction des préparations magistrales létales suscitent des interrogations dont les représentants des pharmaciens entendus lors des auditions se sont fait l’écho. Le gouvernement a-t-il défini les modalités concrètes du circuit prévu ?
L’article 9 traite, quant à lui, de l’accompagnement de la personne pendant l’administration de la substance létale. Vous semblerait-il nécessaire de préciser que le certificat de décès établi, comme le prévoit l’alinéa 8, par le médecin ou l’infirmier chargé d’accompagner la personne, atteste d’une mort naturelle lorsque le décès intervient à la suite d’une aide à mourir ?
L’article 12 définit les recours ouverts contre la décision du médecin consécutive à la demande d’accéder à l’aide à mourir. Dans un souci d’efficacité et de bonne administration de la justice, il réserve ce contentieux aux juridictions de l’ordre administratif. Pourriez-vous confirmer que l’ensemble des voies de recours existantes devant le juge administratif seront accessibles, en particulier les procédures de référé ?
L’article 13 renvoie à un décret en Conseil d’État la définition des modalités d’application de la procédure d’aide à mourir. Les travaux préparatoires à la publication de ce décret ont-ils déjà débuté, ce qui garantirait une application rapide de la loi ?
Je forme à mon tour le vœu que nous nous montrions à la hauteur des attentes que nos compatriotes placent dans nos débats. Je sais pouvoir compter sur vous, madame la ministre, à cet égard.
Mme Élise Leboucher, rapporteure de la proposition relative à la fin de vie. C’est avec solennité que nous entamons nos travaux, conscients des attentes, mais aussi des responsabilités qui nous échoient. Comme souvent, la représentation nationale est amenée à répondre à un appel vibrant de la société. Nos travaux s’ancrent dans une réflexion de long cours. Déjà, dans les années 1970, le sénateur Henri Caillavet déposait une proposition de loi relative au droit de vivre sa mort. Le cadre légal de la fin de vie a évolué dans le sens d’une meilleure reconnaissance du droit de connaître sa mort, de la préparer et de l’organiser, notamment par l’adoption des lois « Kouchner », « Leonetti » et « Claeys-Leonetti ».
Pourtant, la moitié des besoins en soins palliatifs ne sont pas pourvus en raison des carences dans l’offre de soins, situation que le premier texte devrait nettement améliorer. Pour ceux que ni les soins, ni l’aide, ni les connaissances médicales, ni les traitements existants ne peuvent soulager et qui demandent à partir plus tôt, la seule option reste l’étranger. De multiples rapports, notamment celui de la Convention citoyenne, appellent à une évolution du cadre légal de l’accompagnement de la fin de vie.
L’année dernière, la dissolution a interrompu l’examen du texte sur l’accompagnement des malades et de la fin de vie, douchant les espoirs suscités par un nouveau droit : choisir les conditions de sa mort et disposer de son corps. Je salue l’engagement d’Olivier Falorni, qui n’a cessé de promouvoir ce sujet dans une démarche transpartisane, ce qui a permis au Parlement de s’en emparer à nouveau. Je veux aussi saluer la mobilisation des associations et des citoyens qui nous interpellent régulièrement et dont l’engagement, quel que soit leur positionnement, est essentiel pour éclairer les travaux de notre assemblée.
J’ai l’honneur d’être la rapporteure de la seconde proposition de loi pour ce qui concerne les articles 15 à 20, qui ont trait au contrôle de la procédure de la nouvelle aide à mourir et contiennent des dispositions pénales, budgétaires et assurantielles. Je voudrais rappeler le travail engagé par Caroline Fiat, qui m’a précédée dans cette fonction et qui a défendu de nombreuses mesures de garantie des droits que nous allons créer. Il s’agit de poursuivre sa démarche.
L’article 15 crée une commission chargée du contrôle a posteriori et de l’évaluation de la mise en œuvre de l’aide à mourir. Lors de l’examen du projet de loi, il avait été prévu que cette commission comprenne au moins deux médecins. Il semble nécessaire d’y assurer également la représentation de professionnels du droit, compte tenu de la nécessité d’une expertise pour contrôler le respect des conditions légales et signaler d’éventuels manquements. Je serai favorable à ce qu’on leur adjoigne des représentants des usagers du système de santé ainsi que des chercheurs en sciences sociales, qui pourraient se fonder sur des données agrégées et anonymisées. Madame et monsieur les ministres, que pensez-vous de ces propositions et comment envisagez-vous la composition de la commission ?
L’article 16 prévoit notamment d’insérer la préparation magistrale létale au sein d’un circuit sécurisé de préparation et de transmission. Pourriez-vous préciser les conditions de mise en œuvre de cette disposition ? Est-il prévu un protocole spécifique pour assurer la délivrance et, le cas échéant, la destruction de la substance létale ?
Sur le modèle de la disposition concernant l’interruption volontaire de grossesse, l’article 17 crée un délit d’entrave à l’aide à mourir. C’est une mesure de justice : on n’a ni le devoir de tout accepter, ni le droit d’imposer sa vérité aux autres en les empêchant d’être libres. Ainsi, sans exercer aucune contrainte sur ceux dont l’opinion, je dirais même la conviction intime, s’oppose à l’aide à mourir, le texte sanctionne pénalement le fait d’empêcher nos concitoyens d’user du droit nouveau qui leur est ouvert, de priver leurs proches de la possibilité de suivre les étapes de la procédure dans la dignité et de perturber l’exercice serein de leur métier par les professionnels concernés.
Bien que ce ne soit pas l’aspect prioritaire du texte, l’aide à mourir emporte des conséquences financières pour la puissance publique comme pour les assurances privées. En vertu de l’article 18, aucune avance de frais ni aucun reste à charge ne pourront être exigés des assurés. En outre, l’article 19 prévoit que le recours à l’aide à mourir ne pourra valoir exclusion de garantie dans les contrats de prévoyance en matière de décès. Ce sont, là encore, des dispositions inspirées par l’exigence d’égalité, qui visent à ce que le choix d’une aide à mourir soit fait librement, sans considération du coût individuel ni des conséquences pour les ayants droit.
Je ne l’aurais pas cru nécessaire, mais je dois aborder la question puisque des amendements ont été déposés : non, l’alinéa 8 de l’article 18 n’ouvre pas l’aide à mourir aux mineurs. Il réécrit l’article du code de la sécurité sociale relatif à la suppression de la participation de l’assuré de manière générale, car l’ajout de la mention de l’aide à mourir pour le public éligible, c’est-à-dire pour les majeurs, implique une énumération. Il s’agit de simples exigences légistiques.
L’article 18 renvoie à un arrêté la définition des prix de cession des préparations magistrales létales et des tarifs des honoraires ou des rémunérations forfaitaires des professionnels de santé pour les missions accomplies dans l’aide à mourir. Les travaux préparatoires à la prise de cet arrêté ont-ils débuté ? Pouvez-vous assurer que sa publication interviendra dans un délai compatible avec une application rapide de la loi ?
Cette proposition de loi offre la possibilité de faire évoluer la législation pour coller à la devise de la République et permettre à chacun de déterminer sa fin lorsque le pronostic vital est engagé. Il s’agit de la dernière des dignités. Il n’est pas de plus grande liberté que celle d’être maître de soi tout au long de sa vie, jusqu’au moment d’éteindre la lumière.
Mme Catherine Vautrin, ministre. Madame Vidal, vous proposez de substituer aux termes « soins palliatifs et d’accompagnement » l’expression « l’accompagnement et les soins palliatifs ». Nous pourrons sans doute converger. Je suis en tout cas attachée à la double qualification des maisons. Elles seront « de répit et de soins palliatifs » car ce sont deux notions complémentaires.
Monsieur Gernigon, tous les statuts doivent être possibles pour les gestionnaires de ces maisons. En effet, elles se substitueront au domicile ; les soins y correspondront à ceux d’une hospitalisation à domicile.
Oui, monsieur Falorni, ce texte est équilibré et solide, solide parce qu’équilibré. Il est respectueux de la volonté de chacun et de la conscience de tous.
Madame Liso, je suis également attachée aux cinq conditions d’accès à l’aide à mourir prévues dans le texte. C’est pour garantir leur clarté que j’ai interrogé la Haute Autorité de santé.
Monsieur Panifous, le circuit de la substance létale sera le plus opérationnel possible. Nous travaillerons avec les pharmacies à usage intérieur dans chaque territoire. Les officines transmettront ensuite le produit aux professionnels de santé concernés. Pour certains, cela justifierait d’instituer une clause de conscience pour les pharmaciens ; pas selon le gouvernement car, lors de ces prestations, le pharmacien n’aura pas de lien avec le patient, seulement avec le professionnel de santé à qui il remet la substance létale et qui lui en rapporte le reliquat après utilisation. Évidemment, ce reliquat ne sera pas abandonné dans la nature.
La création d’un registre recensant les mesures de sauvegarde de justice, de curatelle ou de tutelle, qui relève du ministère de la justice, est prévue dans la loi du 8 avril 2024. Il faudra peut-être en étendre l’accès à l’ensemble des professions de santé. Le gouvernement pourrait déposer un amendement en ce sens.
Selon nous, monsieur Delautrette, l’administration de la substance létale, évidemment possible au domicile, doit l’être ailleurs si la personne le demande et si le lieu choisi respecte des conditions de sécurité. Par définition, la substance létale ne pourra être administrée dans des lieux ouverts au public. De toute façon, il faut se replacer dans le contexte d’un état de santé très grave. Mais, pour clarifier mon propos par un exemple, cela ne pourra pas avoir lieu sur une plage.
L’article 19 de la proposition de loi relative à la fin de vie prévoit déjà que le recours à l’aide à mourir ne fait pas obstacle au bénéfice des contrats d’assurance.
Le circuit de la préparation magistrale sera fortement sécurisé pour une traçabilité maximale tout au long de la chaîne. La préparation sera réalisée dans un établissement hospitalier après autorisation de la pharmacie. Elle sera transmise à une pharmacie d’officine, qui la délivrera uniquement à la personne chargée de l’acte, juste avant la date d’administration prévue.
Des voies de recours seront ouvertes à la personne dont la demande d’aide à mourir a été refusée : référé, recours en annulation, recours indemnitaire. L’article 12 de la proposition de loi relative à la fin de vie renvoie à l’application des dispositions de droit commun du code de justice administrative.
Je ne peux répondre aux questions sur l’article 13, ni à certaines de celles d’Élise Leboucher sur les articles suivants, car nous n’avons pas commencé à travailler sur les décrets d’application, faute de stabilité suffisante du texte. Même si nous avons l’impression d’avoir déjà beaucoup avancé, nous n’en sommes qu’à la première lecture d’un texte qui sera probablement examiné quatre fois. Les débats parlementaires définiront les sujets sur lesquels des dispositions réglementaires auront à préciser les modalités d’application de la loi, dans le respect des domaines de la loi et du règlement.
Madame Leboucher m’interroge sur l’état d’avancement de l’arrêté définissant le prix de cession des préparations magistrales. Ceux qui seront au gouvernement lors de la deuxième lecture du texte devront accorder deux mois à la Haute Autorité de santé pour établir les recommandations concernant la prescription des prestations, leur composition et les conditions de sécurité. Sur la base de ces travaux, l’arrêté de prix de cession sera présenté sans autre délai que celui nécessaire à la saisine des caisses de sécurité sociale, d’une durée d’un mois. Le délai total sera donc de trois mois.
Pour que la commission de contrôle et d’évaluation exerce efficacement ses missions, sa composition devra respecter des critères liés à ses tâches. Elle devra comprendre des médecins, des juristes, des éthiciens et, pourquoi pas, des usagers, autrement dit des proches de bénéficiaires de l’aide à mourir.
M. Yannick Neuder, ministre. Madame Vidal, la stratégie décennale du gouvernement prévoit l’ouverture de formations universitaires et le recrutement des assistants spécialistes, des chefs de clinique et des professeurs des universités-praticiens hospitaliers nécessaires à la création d’une filière. Ce ne sera probablement pas suffisant. Je pense qu’énormément d’infirmiers et de médecins, forts de leur expérience dans les soins curatifs des services d’oncologie, d’hématologie, de réanimation ou aux urgences, connaîtront une vocation pour les soins palliatifs dans un second temps de leur vie professionnelle. Outre les diplômes universitaires de médecine palliative, la formation spécialisée d’un an sera ouverte aux spécialistes d’autres disciplines qui ne souhaitent pas changer d’orientation mais compléter leur approche.
Monsieur Gernigon, les établissements gestionnaires des maisons d’accompagnement et de soins palliatifs doivent pouvoir adopter tout type de statut. Ils seront de toute manière rattachés à des établissements de santé soit publics, soit privés à but non lucratif. Le cahier des charges est en cours d’élaboration. Ces maisons seront financées grâce au sous-objectif national de dépenses d’assurance maladie consacré aux établissements sociaux et médico-sociaux, et non grâce aux sous-objectifs dédiés aux établissements hospitaliers ou aux soins de ville. Ces maisons ne nécessiteront pas de moyens sanitaires spécifiques puisque c’est l’équipe de professionnels de ville du patient qui y interviendra. Elles ne seront qu’un substitut au domicile du patient dans les cas où il ne pourrait plus y résider.
Je voudrais appeler l’attention de Brigitte Liso sur les limites de la saisine de la Haute Autorité de santé. Les pronostics de court terme, et plus encore ceux de moyen terme, sont extrêmement difficiles. En tant que spécialiste de l’insuffisance cardiaque chronique, je n’étais pas en mesure d’en poser pour mes patients. L’avis de cette autorité indépendante nous permettra de forger notre intime conviction, mais la décision doit rester politique à la fin.
Monsieur Delautrette, le texte prévoit simplement que, dans les moments précédant et suivant l’administration de la substance, le professionnel de santé devra se trouver à une proximité suffisante du bénéficiaire. Cela signifie-t-il dans son logement, dans la rue, dans son cabinet ? Une précision sera nécessaire. Ce débat sera important.
Madame Leboucher, la commission de contrôle et d’évaluation comprendra les personnes que vous avez évoquées. Les associations représenteront les usagers. À l’heure où ils sont associés à la gouvernance concernant toutes les décisions médicales, il ne serait pas incroyable de créer un comité des usagers.
Une fois la navette parlementaire achevée, nous établirons un conventionnement avec la Caisse nationale de l’assurance maladie sur le prix de cession de la substance létale et le tarif des actes.
Le circuit de la substance létale sera spécifique. Le patient n’aura aucun contact avec la substance ; la pharmacie à usage intérieur la livrera à la pharmacie d’officine dans un cadre sécurisé. Le restant de la substance létale devra être restitué par le professionnel de santé, par mesure de sécurité.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
Mme Sandrine Dogor-Such (RN). Dans notre pays, 500 personnes meurent chaque jour sans pouvoir bénéficier de soins palliatifs. Vingt départements étaient encore dépourvus d’unité de soins palliatifs il y a quelques mois. Même si l’ouverture de neuf unités est programmée dans les mois qui viennent, les inégalités subsistent. Certaines unités doivent même fermer, faute de moyens et de soignants.
La proposition de loi d’Annie Vidal vise à favoriser les soins palliatifs. Toutefois, l’arsenal législatif dont nous disposons grâce aux lois du 9 juin 1999, du 22 avril 2005 et du 2 février 2016 est amplement suffisant pour leur développement tant attendu. On continue à mal mourir en France. Depuis des années, la priorité des Français est l’accès aux soins, mais les restrictions budgétaires font craindre que celui-ci se dégrade. L’urgence est d’ouvrir l’accès aux soins palliatifs partout et pour tous. Dans la stratégie décennale, vous avez annoncé 100 millions d’euros d’investissements par an. Pour rattraper les retards, il faudrait doubler cette somme et sanctuariser l’enveloppe consacrée au développement des soins palliatifs dans le budget de la sécurité sociale.
Vous mentionnez des « soins d’accompagnement ». Mais l’accompagnement n’est pas un soin. Cette nouvelle expression occulte la complexité de l’expertise et de la coordination pluridisciplinaires nécessaires aux soins requis et risque d’entraver de nouvelles approches. Elle est illisible et incompréhensible à l’étranger. Or, en s’écartant des standards internationaux, la recherche française s’isolera. Je crains que cette expression n’ait été choisie que pour introduire l’aide à mourir dans les soins proposés aux malades en fin de vie. Maintenons donc l’expression « soins palliatifs », reconnue par l’Organisation mondiale de la santé !
Lors de l’examen du projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie en commission spéciale, l’année dernière, la ministre avait reconnu que l’aide à mourir pourrait être dispensée dans les maisons d’accompagnement. Nous serons donc vigilants concernant ces établissements. Rappelons que l’administration d’une substance létale n’est pas une question de souhait ou de bien-être ! Je défendrai des amendements pour l’interdire dans ces maisons.
La dépénalisation de l’euthanasie bouleverserait tant la philosophie que l’organisation des soins palliatifs. En Belgique et au Québec, des services de soins palliatifs ont été contraints de s’y plier. La clause de conscience se révèle préjudiciable à la filière palliative. Alors que la situation est déjà dégradée, le recours croissant à l’euthanasie, en vidant les lits d’hôpitaux, dissuaderait les pouvoirs publics d’y investir.
Enfin, en utilisant comme véhicule législatif une proposition de loi plutôt qu’un projet de loi, vous empêchez le dépôt d’une motion référendaire qui aurait eu toute sa place dans le débat. Notre groupe le déplore.
M. Christophe Bentz (RN). La scission de l’ancien projet de loi en deux propositions de loi est bienvenue, si tant est qu’il y ait bien deux votes distincts. Je remercie la rapporteure Annie Vidal et, bien que nos positions soient diamétralement opposées, le rapporteur général Olivier Falorni pour son travail. Il a organisé de nombreux débats de qualité, tenus dans le respect.
Le sujet qui nous occupe est grave, lourd, sensible, intime. Nous souhaitons que les débats se tiennent dans le respect des convictions de chacun, dans une atmosphère digne et apaisée. La diversité d’opinions sur ces questions vaut dans tous les groupes politiques. Les sensibilités différentes du groupe Rassemblement national pourront s’exprimer. Pour ma part, je considère que la France doit rester la nation du soin et que l’aide à mourir est une forme de démission.
La proposition de loi relative à la fin de vie risque notamment de conduire à un remplacement progressif des soins palliatifs par l’euthanasie et le suicide assisté, comme c’est le cas chez nos voisins belges et hollandais. Ce texte ne mentionne pas les mots « euthanasie » et « suicide assisté » alors qu’il s’agit bien de cela. Cela crée de l’incompréhension et de la confusion dans l’esprit des Français, comme l’a montré un sondage la semaine dernière. Pour une telle question qui concerne toute la société, il aurait fallu un débat de fond impliquant tout le monde. Il aurait fallu passer par un référendum plutôt que par le Parlement, car nous ne pouvons faire reposer sur la seule responsabilité des parlementaires une loi qui aura des conséquences irréversibles sur la vie humaine.
M. Vincent Ledoux (EPR). Ces propositions de loi s’inscrivent dans une approche médicale et sociétale forgée et affirmée au cours des dernières décennies, selon laquelle la médecine doit naturellement tout faire pour guérir, ce qui est sa mission première, mais, quand elle ne peut plus guérir et pour reprendre une formule de Jean Leonetti, doit tout faire pour soulager, écouter, accompagner. Vingt ans après la loi « Leonetti », à la suite d’une participation nationale qui a pris de multiples formes, de nombreux travaux parlementaires et d’un engagement important du gouvernement, la proposition de loi d’Annie Vidal donnera une nouvelle impulsion aux soins palliatifs. C’est la société entière qui ambitionne d’accompagner, de soutenir et de prendre soin des souffrants jusqu’au bout, en construisant un modèle français. Il repose déjà sur des bases juridiques solides grâce aux textes adoptés en 1999, 2005 et 2016, et sur des principes clairs : refus de l’obstination déraisonnable, droit à la sédation profonde et développement des soins palliatifs.
Ceux-ci incarnent une éthique du soin et de la relation. Ils sont centrés sur la dignité, le soulagement et la présence. Ils ne se résument pas à la gestion de la douleur. Ils impliquent une prise en charge globale : médicale, psychologique, sociale, spirituelle. Cet accompagnement suppose de reconnaître que la fin de vie n’est pas une période d’abandon ou de relégation, mais un temps d’humanité partagée. Ce modèle se heurte à des limites. La Cour des comptes pointe que 60 % des patients qui devraient bénéficier des soins palliatifs n’y ont pas accès. Il y a des disparités territoriales majeures. Le manque de professionnels formés est criant et la culture palliative insuffisamment partagée, y compris dans les structures médico-sociales. Bref, il y a du travail.
Cette proposition de loi s’inscrit dans la stratégie décennale. Elle structure l’offre ; elle garantit un droit effectif à l’accompagnement de la fin de vie ; elle renforce la formation en intégrant des modules spécifiques concernant les soins palliatifs dans les cursus médicaux et paramédicaux ; elle développe la culture palliative ; elle soutient les aidants en créant des dispositifs d’accompagnement pour les proches des patients en fin de vie et en reconnaissant leur rôle dans le parcours de soins ; elle coordonne l’hôpital, le domicile, les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes et les équipes mobiles ; enfin, elle crée les maisons d’accompagnement, structures médico-sociales destinées à accueillir des personnes gravement malades n’ayant pas à être hospitalisées mais ne pouvant rester à domicile.
Cette réforme ne s’oppose en rien à la future loi sur la fin de vie. Au contraire, elle en est le socle indispensable car il ne peut pas y avoir de liberté de choix en fin de vie sans un accès universel à des soins d’accompagnement dignes, accessibles, adaptés. L’une ne va pas sans l’autre.
Accompagner, ce n’est pas seulement soigner. C’est aussi écouter, entourer, respecter. C’est une responsabilité collective, une exigence éthique. Par cette proposition de loi, nous donnerons corps à cette exigence et nous ferons un pas concret vers une société plus juste, plus solidaire et plus humaine. Comme l’écrivait Albert Schweitzer, le seul vrai progrès, c’est celui qui rend la vie plus humaine. L’esprit de cette proposition de loi est assurément de rendre la vie plus humaine jusqu’au bout. Le groupe Ensemble pour la République la soutient pleinement.
Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). Il y a près d’un an, nous débutions l’examen du projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie. Nous n’avions pas pu aller au terme de son examen en raison de la dissolution de l’Assemblée nationale. On ne peut que se féliciter que le débat reprenne sur ce sujet fondamental, d’ailleurs plébiscité par les Français qui sont 80 à 90 % à souhaiter une évolution législative concernant l’aide à mourir, d’après les dernières enquêtes d’opinion.
La proposition de loi relative à la fin de vie est dans la continuité de celle relative aux soins palliatifs et d’accompagnement. Ce texte, présenté par notre collègue Olivier Falorni, dont je salue l’engagement depuis des années, traduit les travaux menés depuis longtemps. Les travaux de la Convention citoyenne sur la fin de vie, du groupe d’études fin de vie et de la commission spéciale l’année dernière à l’Assemblée nationale, ou encore l’avis 139 du Comité consultatif national d’éthique ont permis d’aboutir à un texte équilibré. Il institue une aide à mourir, un nouveau droit, une réponse à la demande du patient. Le choix appartiendra au patient et nous n’aurons pas à le juger.
L’aide à mourir repose sur un cadre juridique précis. L’article 4 fixe des conditions rigoureuses et les articles 5 à 13 encadrent fortement la procédure. Le patient qui demandera l’aide à mourir devra par exemple manifester sa volonté de façon libre et éclairée. Le texte exclut l’éligibilité des mineurs et des personnes atteintes d’une maladie psychiatrique, mais également des malades dans l’incapacité d’exprimer leur consentement. Nous examinerons des amendements permettant l’anticipation de l’aide à mourir. C’est un vrai débat.
Le droit à l’aide à mourir repose sur un double choix : donné aux malades, dans le respect de leur dignité, et donné aux soignants, par la clause de conscience prévue à l’article 14.
Après une si longue attente, il est temps pour le Parlement de se prononcer sur cette évolution importante. Le groupe Ensemble pour la République laissera à ses membres la liberté de vote, au nom du respect des valeurs de chacun.
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Enfin ! Vous entendrez sans doute un peu d’exaspération dans ma voix, mais cela fait 738 jours que la Convention citoyenne sur la fin de vie a remis son rapport et qu’elle s’est prononcée, à l’image du pays, en faveur du droit à mourir dans la dignité et de l’accès universel aux soins palliatifs. Depuis, les manœuvres dilatoires se succèdent. La loi dédiée, prévue pour 2023 d’après Emmanuel Macron le 2 septembre 2022, a été repoussée une première fois car le Président de la République voulait faire des risettes au pape en septembre 2023 – choix qui procède de son intime conviction, mais pas de son mandat. L’examen du projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie, qui a commencé en février 2024 et devait s’achever avant les élections européennes, selon une promesse d’Emmanuel Macron, a été torpillé par sa décision de dissoudre l’Assemblée nationale le 9 juin. Ce temps perdu a servi la propagation de balivernes inacceptables à propos des dispositifs étrangers, comme les exemples fallacieux cités par le premier ministre concernant la Belgique ou encore l’intervention du Rassemblement national il y a quelques minutes.
Dernière opération de sabordage parlementaire : le texte a été scindé avec, d’un côté, les dispositions relatives aux soins palliatifs, de l’autre, celles concernant le droit à mourir dans la dignité. J’alerte sur cette opération, qui vise à permettre à certains conservateurs de saboter le texte relatif aux soins palliatifs. En supprimant par exemple le droit opposable en la matière, ils disposeraient ainsi d’un prétexte pour s’opposer au texte relatif à la fin de vie. La scission est d’autant plus inepte que beaucoup ont conscience du fait que ces deux propositions de loi vont ensemble, y compris les ministres, d’après ce que je comprends de leurs interventions. Toutefois, monsieur le ministre, vous exagérez encore le cloisonnement entre les deux questions. D’après le Comité consultatif national d’éthique, jusqu’à 9 % des personnes prises en charge en soins palliatifs expriment tout de même une demande d’accompagnement et d’aide à mourir.
Madame et monsieur les ministres, je vous demande de soutenir le maintien du droit opposable aux soins palliatifs, c’est-à-dire le droit de saisir un juge administratif en cas de défaut d’admission, qui est la clef de voûte du texte.
Ces propositions de loi ne sont pas sociétales, mais sociales. Elles nous confrontent à l’ultime inégalité, entre ceux qui finissent leur vie dans la solitude absolue et ceux qui disposent des moyens d’accéder à la substance létale, d’aller à l’étranger, d’être accompagnés jusqu’au dernier moment par des proches et des gens qui les aiment. Il faut ouvrir le droit à l’accompagnement aux personnes tierces, c’est-à-dire étendre le droit au congé proche aidant aux parents des malades hébergés dans une maison d’accompagnement, et ouvrir le droit au congé de décès à la personne de confiance désignée pour soutenir le malade durant ses dernières minutes. Il serait cruel de soumettre l’adieu final à l’arbitraire d’un employeur. Notre rôle est de remplacer la cruauté par l’affection. C’est le but de notre action politique.
Mme Karen Erodi (LFI-NFP). Les occasions d’octroyer de nouveaux droits fondamentaux sont rares. Au même titre que le droit à l’interruption volontaire de grossesse, le droit à disposer de soi jusqu’au bout constituera une avancée majeure pour la société.
Nous regrettons que le texte, malgré la richesse et la solennité des débats de l’an dernier, ait été scindé après que le premier ministre a invoqué des considérations religieuses. La foi, si respectable soit-elle, ne saurait fonder la loi dans la République laïque. Quoi qu’il en soit, nous refusons la division artificielle de mesures qui forment un tout cohérent.
Plus que jamais, il faut renforcer le droit aux soins palliatifs et à un accompagnement humain, grâce à une stratégie décennale territorialisée. Hélas, les fonds spéciaux dédiés aux soins palliatifs sont inéquitablement répartis entre les départements. Nous demanderons une augmentation globale des moyens. Il faut en outre garantir le droit à la sédation profonde et continue. Conformément aux préconisations du rapport Chauvin, il faut des indicateurs fiables pour anticiper les besoins et des chiffres précis pour les sédations effectuées. Enfin, il faut garantir un reste à charge nul.
Concernant l’aide active à mourir, nos échanges doivent retrouver de la mesure et de la sincérité. La double page consacrée à la question lundi par Le Figaro est symptomatique d’une volonté extérieure de troubler les débats en agitant des peurs irrationnelles. Non, ce texte ne témoigne pas d’une volonté de susciter une culture de la mort. Non, nos concitoyens ne pourront pas mettre fin à leurs jours à cause d’un épisode dépressif ou comme bon leur semble. Non, il ne sera pas plus simple de recourir à l’aide active à mourir qu’aux soins palliatifs. Nous partageons la volonté de prendre soin, d’apaiser, d’accompagner. Mais notre société mesure les limites des unités de soins palliatifs, aussi extraordinaires soient-elles.
L’aide active à mourir, encadrée et stricte, ne doit jamais être un automatisme. Mais pour nombre de personnes atteintes de maladies incurables et irréversibles, qui subissent des souffrances terribles, elle est une issue, un soulagement et un acte de soin. Elle est aussi parfois l’anticipation d’une perte irréversible de soi, que l’on choisit d’affronter dans la dignité et la responsabilité, en parfaite conscience. Comme vous peut-être, j’ai été témoin des souffrances et de la prolongation acharnée de la vie, sans conscience et vide de sens, d’une patiente qui réclamait l’euthanasie devant l’équipe de médecins. J’ai une pensée pour ceux qui sont atteints de maladies neurodégénératives graves et qui doivent s’exiler pour recourir à une aide active à mourir.
Nous nous battrons en particulier, lors de l’examen de l’article 4 de la proposition de loi relative à la fin de vie, pour renforcer les directives anticipées et faire respecter la volonté ultime du patient. Je souhaite pour ma part que, en cas de perte de conscience, la mise en œuvre des directives soit confiée à une personne de confiance désignée.
Nous défendrons un droit inviolable et opposable à une fin de vie digne, par essence public et sorti de toute logique marchande. Nous, insoumis, sommes convaincus que le choix de sa fin de vie est la forme la plus aboutie de l’humanisme. Pour conclure, je me réfèrerai Jean-Luc Mélenchon, pour qui décider de notre propre fin de vie, c’est commencer à entrer dans une humanité radicale ; ne plus avoir peur de la mort, c’est commencer à être radicalement et intimement libres ; dès lors que nous sommes institués comme personnes par cette liberté-là, alors nous ne parlons plus d’une loi, nous parlons d’un droit fondamental de la personne humaine.
Mme Fanny Dombre Coste (SOC). Je veux d’abord penser à ceux qui sont au cœur de ce débat : les patients confrontés à des souffrances insupportables dans leur parcours de soins, souvent jusqu’à la fin de vie, qui demandent à être entendus, soulagés et accompagnés ; les familles épuisées, parfois perdues, qui cherchent du soutien ; les soignants dévoués mais souvent seuls, dépourvus de moyens voire de formation, auxquels il manque du temps pour accompagner avec humanité. Je pense aux bénévoles qui accomplissent un travail remarquable aux côtés des patients, faisant preuve d’un souci poussé de l’éthique.
Le texte relatif aux soins palliatifs est important, bien sûr. Mais nous regrettons la méthode choisie par le premier ministre. En séparant cette proposition de loi de celle sur la fin de vie, le gouvernement a introduit une fracture où il fallait de la cohérence. Il a cloisonné un sujet qui exige une vision d’ensemble. Soins palliatifs et aide à mourir ne sont pas opposés, mais profondément liés. Ils répondent à une même exigence de dignité et, complémentaires, ils doivent être pensés ensemble dans un esprit de confiance. Il convient de conjuguer continuum et anticipation dans le parcours de soins et d’accompagnement de la fin de vie.
L’inégalité dans l’accès aux soins palliatifs est un autre sujet majeur. C’est une réalité brutale : vingt-deux départements n’ont aucun service de soins palliatifs et les équipes mobilisées sont souvent insuffisantes. En métropole comme outre-mer, des patients en fin de vie n’y ont accès ni à domicile, ni à l’hôpital, ni en établissement. Cette injustice est indéfendable. Nous devons garantir l’accès effectif aux soins palliatifs partout en France, quel que soit le lieu de vie, l’âge ou la pathologie. Cela suppose un vrai changement d’échelle, des moyens pérennes, des professionnels formés, des équipes mobiles sur l’ensemble du territoire, une offre organisée, coordonnée et lisible, mais aussi une meilleure information des patients. On estime que 440 000 personnes auront besoin de soins palliatifs d’ici à 2034. Soyons clairs : sans moyens humains et financiers, ce texte restera un vœu pieux.
Au-delà des moyens financiers, un plan national ambitieux de formation initiale et continue sur les soins palliatifs et la fin de vie devra être appliqué pour tous les personnels de santé dès le socle commun. Il permettra de relever les défis du déploiement des soins palliatifs, de la fin de vie, du vieillissement de la population et de la prévalence accrue des affections de longue durée. Il est indispensable de former, de recruter, de coordonner et de renforcer la recherche pour que les droits reconnus par la loi deviennent une réalité vécue.
Le groupe Socialistes soutiendra ce texte et défendra quelques points essentiels concernant notamment l’engagement budgétaire qui doit être pérenne, les modalités de financement des soins palliatifs, le contenu des directives anticipées ou encore les conditions de recours. Madame la ministre, vous proposez que les maisons d’accompagnement soient renommées. Pouvez-vous confirmer que les professionnels pourront y dispenser l’aide à mourir ?
Une majorité de Français attendent avec une grande impatience nos travaux. Soyons à la hauteur de leur attente !
Mme Océane Godard (SOC). C’est avec humilité que je m’exprime. Parce que la mort fait partie de la vie, parce que nous sommes tous concernés par la fin de vie, une large majorité des députés de notre groupe soutient l’avancée sociétale que constitue l’ouverture d’un nouveau droit : la liberté de mourir dans la dignité. Les Français sont prêts ; en témoignent les travaux de la Convention citoyenne, dont trois quarts des membres se sont prononcés, après vingt-sept jours de débat, pour le développement des soins palliatifs et l’ouverture sous conditions de l’aide active à mourir. La proposition de loi relative à la fin de vie permettra de traiter des questions absolues et primordiales, essentielles pour nos vies individuelles comme pour notre vie commune.
Notre groupe regrette la scission du texte. Mais il sera pleinement investi dans le travail qui s’ouvre. Vous déclariez en février dernier, madame la ministre, qu’un seul texte serait nécessaire pour traiter ce sujet dans sa globalité. Cette scission risque de rendre floue la distinction entre soulagement des symptômes et décision pour la fin de vie. Elle pourrait aussi perturber l’accompagnement des patients et de leurs familles car elle sépare artificiellement deux aspects souvent indissociables du processus de mourir. Le développement des soins palliatifs en France ne nécessite pas tant de légiférer que d’allouer des moyens, en matière notamment de formation et de recrutement.
Notre vigilance sera totale pour que la discussion aille jusqu’au bout. Notre repère reste la souffrance multiforme et insupportable de la personne. Voici quelques-unes des questions primordiales que nous aurons à traiter. Êtes-vous prêts à modifier la proposition de loi relative à l’aide à mourir pour inclure dans son champ les personnes accidentées souffrant de séquelles graves mais non terminales ? Y êtes-vous prêts pour les personnes atteintes de maladies neurodégénératives, dont la souffrance peut être prolongée sans fin ? Pour les mineurs, qui peuvent être confrontés à des souffrances chroniques insupportables ? Quelle réponse sera apportée aux patients qui ne souhaitent pas bénéficier de l’aide active à mourir, mais réclament un accès aux soins palliatifs adapté à leurs besoins ?
Notre groupe est majoritairement favorable à cette grande avancée sociétale. Sur un sujet aussi complexe, qui résonne avec notre sensibilité, notre vécu et notre cheminement intime et personnel avec la mort, certaines voix s’exprimeront librement.
M. Patrick Hetzel (DR). Notre groupe accueille la scission en deux textes comme une bonne nouvelle. Nous veillerons à ce que l’on n’instaure pas un continuum entre euthanasie et soins palliatifs. Le suicide assisté, de nature différente de l’univers du soin, doit en être distingué clairement. Nous rejetons l’idée qu’il serait un soin ultime. Cette euphémisation serait même de nature à créer un doute sur la finalité des soins palliatifs, fondés sur la confiance que les soignants bâtissent avec les patients. Un tel doute serait dommageable pour les premiers comme pour les seconds.
Nous sommes évidemment favorables à une stratégie décennale pour le renforcement des soins palliatifs. Au cours de la précédente législature, notre groupe a défendu une proposition de loi en ce sens, adoptée à l’unanimité dans l’hémicycle. Les soins palliatifs doivent être prodigués dans un délai compatible avec l’état de santé des patients. Le droit d’accès doit être réel. Notre crainte est que certains de nos concitoyens réclament finalement l’euthanasie parce qu’ils n’auraient pas accès aux soins palliatifs. Ce serait un échec majeur de nos politiques publiques. C’est pourquoi il est essentiel que la stratégie décennale soit dotée de moyens suffisants, non seulement financiers mais aussi humains. C’est là que réside la difficulté. Comme l’ont montré l’Académie nationale de médecine et la Cour des comptes, l’offre de soins palliatifs demeure à la fois hétérogène sur le territoire et très insuffisante. Dix-neuf départements n’ont toujours pas d’unité de soins palliatifs, ce qui est préoccupant.
Le groupe Droite républicaine sera attentif à ce que le texte garantisse à l’ensemble des Français un accès effectif aux soins palliatifs. Comment le gouvernement va-t-il s’en assurer et quels moyens humains et financiers va-t-il allouer ? Est-il favorable à un amendement qui sépare clairement la notion d’accompagnement de celle de soins palliatifs ? Enfin, est-il disposé à soutenir l’inscription dans la loi de la définition des soins palliatifs publiée par l’Organisation mondiale de la santé ?
M. Philippe Juvin (DR). Au nom des Républicains, qui voteront chacun librement, je veux rappeler que nous n’allons pas débattre d’un acte technique, mais de vie et de mort, de fraternité et de vulnérabilité.
Les rares garde-fous ont été supprimés du texte. N’ayons pas peur des mots : la procédure est devenue expéditive puisqu’elle prévoit un délai de zéro à dix-sept jours, alors qu’en Belgique il est au minimum d’un mois. La collégialité n’existe pas : le patient pourra ne rencontrer qu’un médecin, lequel prendra seul la décision. Enfin, le suicide assisté pourra concerner des patients ayant devant eux plusieurs années à vivre sans perte d’autonomie : ceux qui sont en phase avancée d’un cancer métastasé ou en phase terminale d’une insuffisance rénale et dialysés. On est loin du soin ultime.
La proposition de loi érige la liberté absolue de choix en valeur suprême. Est-on libre quand on décide de se suicider ? Est-on libre lorsque l’on souffre de dépression ? Les psychiatres savent que ce n’est pas le cas. Est-on libre de son choix lorsque l’on est seul, que l’on ne peut pas s’offrir ce qui rend la maladie moins pénible ? L’aide pour se faire conduire tous les jours dans la douche, le fauteuil roulant à 2 000 euros, l’ordinateur pour s’exprimer… Quand on est pauvre, la fin de vie est plus difficile que quand on est riche. Pourquoi, dans l’Oregon, les suicidés se trouvent-ils en majorité parmi les plus pauvres ? La liberté de choix n’est pas identique selon que l’on est riche ou pauvre, entouré ou isolé.
On dit que ce sera une loi de fraternité. Pourtant, face à une demande de mort, il y a deux réponses possibles. La première est celle que propose le texte : une réponse unique et automatique si l’on coche les cases. Mais la fraternité ne serait-elle pas plutôt dans la seconde réponse, qui consiste à essayer de comprendre ce qu’il y a derrière cette demande ? Lorsqu’ils arrivent en soins palliatifs, 3 % des patients souhaitent mourir. Une semaine plus tard, ils ne sont plus que 0,3 %. Dans l’intervalle, on a pris le temps de répondre à leurs besoins, à ceux de leurs proches fatigués. Et la demande de mort s’est envolée. La majorité des demandes d’euthanasie s’éteignent lorsqu’on apporte des réponses.
L’exaltation de la liberté individuelle ne peut pas être un projet de société. Nous ne sommes pas seuls. La proposition de loi relative à la fin de vie exprime en creux une fascination pour la performance, une dépréciation de la vieillesse et de la dépendance. Elle sous-entend que toutes les vies ne vaudraient pas d’être vécues. Nous ne parvenons pas à nous y résoudre et nous pensons qu’une autre voie est possible. Au Canada, on estime que la loi sur l’euthanasie a fait économiser 80 millions de dollars. C’est une vérité économique : la fin de vie coûte très cher. Madame la ministre, disposez-vous d’une évaluation de l’économie qui serait réalisée en France ?
Parmi les 1,5 million de personnes souffrant d’une insuffisance cardiaque dans notre pays, 200 000 sont en phase avancée et pourraient donc relever de l’aide à mourir. En tant que cardiologue, monsieur le ministre, à combien d’années évaluez-vous leur espérance de vie ?
Mme Catherine Vautrin, ministre. Plusieurs d’entre vous ont évoqué l’urgence de développer les soins palliatifs. Sur ce sujet, l’enjeu n’est pas uniquement financier. La preuve en est que, dans le contexte budgétaire que nous connaissons, le gouvernement a tenu les engagements pris dans la stratégie décennale pour allouer les 100 millions d’euros prévus. En tant que commissaires aux affaires sociales, vous connaissez la situation de notre pays : concrètement, nous sommes confrontés à un manque de professionnels. Tous partis politiques confondus, qu’avons-nous manqué de faire ? Pourquoi les soins palliatifs sont-ils aussi peu développés ? On peut faire des effets de manche en affirmant que l’on va ouvrir des services partout mais, lorsque ce n’est pas possible, c’est faute de professionnels, pas de place. Le sujet est avant tout la formation. Nous y travaillons.
J’en viens aux maisons dont je souhaiterais qu’on puisse les qualifier de maisons de répit et de soins palliatifs. Ces lieux d’hébergement accueilleront les patients ne pouvant retourner chez eux parce qu’ils sont seuls ou que la configuration de leur domicile ne le permet pas. Ce sont donc des intervenants de l’hospitalisation à domicile qui y exerceront. Je le redis : les patients satisfaisant aux conditions prévues par le texte pourront y bénéficier de l’aide à mourir.
Vous avez été nombreux à aborder les conditions d’accès à l’aide à mourir. L’une des clefs, selon moi, est la notion de discernement du patient. Si le texte paraît équilibré, c’est parce qu’elle y figure. En la requérant à tous les stades de la procédure, on exclut de fait les pathologies neurodégénératives dès lors que le patient n’a plus sa conscience. L’avis du gouvernement à ce sujet restera conforme à cet esprit. Madame Erodi, les directives anticipées sont rédigées à un stade bien antérieur à cette situation ; or la volonté du patient sera recueillie tout au long de la procédure d’aide à mourir et jusqu’au dernier moment. C’est un élément essentiel.
Monsieur Juvin, le fauteuil roulant sera pris en charge à partir de décembre prochain. C’est un progrès important pour les personnes qui en ont besoin.
S’agissant de la collégialité, la proposition a été amendée et pourra de nouveau être débattue. Avant de prendre sa décision, le médecin recueillera sur l’éligibilité du patient à l’aide à mourir l’avis d’un médecin spécialiste et d’un autre personnel – un infirmier en contact quotidien avec le patient par exemple. Il ne sera donc pas seul, mais interviendra dans le cadre d’une procédure collégiale dont la traçabilité sera absolue.
Je ne peux vous suivre, monsieur Juvin, sur la question financière. Il n’existe aucune évaluation de cet ordre. Notre démarche consiste à répondre à la demande d’un certain nombre de patients, dans un contexte précis, à condition que les cinq critères déjà mentionnés soient réunis. Le texte n’a absolument pas pour objet la recherche d’économies.
Enfin, monsieur Clouet, le patient pourra saisir le juge administratif et un référé sera possible. S’il existait un droit opposable, que pourrait faire le juge pour un patient ayant demandé en vain une prise en charge de soins palliatifs ? Il pourrait enjoindre qu’elle lui soit accordée mais, à défaut de place, cette injonction resterait lettre morte. Les recours en justice n’apporteraient pas nécessairement la solution attendue. Ce qu’il faut, c’est que nous nous structurions pour répondre correctement aux attentes des patients.
M. Yannick Neuder, ministre. Il faut distinguer, madame Dogor-Such, les soins d’accompagnement des soins palliatifs. Ils peuvent être complémentaires et faire partie d’un continuum. Mais ils ne recouvrent pas la même chose.
Les maisons de répit seront des substituts du domicile, où des soins palliatifs pourront être dispensés. Elles n’auront pas pour objet spécifique l’aide active à mourir, mais celle-ci pourra y être apportée aux patients tout comme elle pourra l’être à leur domicile.
La scission du texte, monsieur Bentz, correspond à une volonté du premier ministre.
Vous avez réaffirmé, madame Dubré-Chirat, monsieur Ledoux, la liberté de vote qui prévaut sur ces sujets. Les positionnements personnels transcendent les limites entre groupes.
D’après le Comité consultatif national d’éthique, monsieur Clouet, ce sont 9 % des personnes prises en charge en soins palliatifs qui expriment une demande d’aide active à mourir. Je ne saurais dire si ce chiffre est élevé ou non : il signifie que la prise en charge en soins palliatifs a satisfait la demande de plus de 90 % des patients. Cela nous oblige d’autant plus que, dans plus de 50 % des cas, ceux-ci n’y ont malheureusement pas accès : raison de plus pour les rendre possibles partout et pour tous.
Vous évoquez, madame Godard, une possible extension des indications de l’aide à mourir aux personnes accidentées, à celles souffrant de maladies neurodégénératives et aux mineurs. Le Parlement aura l’occasion de se prononcer. Comme je l’avais dit à propos des amendements d’extension aux mineurs à partir de l’âge de 13 ans, sans nier la complexité des situations ni la douleur des patients, je considère que l’on n’a pas la maturité nécessaire pour décider de sa mort à cet âge-là. Ce n’est pas l’esprit des textes qui vous sont soumis. Il faut en revanche développer des maisons de soins palliatifs à visée pédiatrique, avec un objectif régional dans un premier temps même si, compte tenu des distances, cela ne règle pas toujours les problèmes des familles.
Vous avez raison, monsieur Hetzel : les besoins ne sont pas tant financiers qu’humains. Il ne faut pas être dogmatique dans la répartition des financements. Dès lors qu’il y a les locaux et les professionnels, et qu’une volonté est exprimée dans le projet de l’établissement ou de la structure d’hospitalisation à domicile, il faut valider la démarche et délivrer l’ensemble des moyens d’accompagnement nécessaires. Ce qui conditionnera l’existence de soins palliatifs sur le territoire, c’est la présence de professionnels. En leur absence, les financements ne seront pas utilisés. Il n’y a pas lieu, ensuite, de distinguer deux types de maisons. Les mêmes lieux proposeront à la fois l’accompagnement et les soins palliatifs, assurés par les acteurs du domicile, parmi lesquels les équipes d’hospitalisation à domicile.
Dans la définition qu’en donne l’Organisation mondiale de la santé, les soins palliatifs ne hâtent ni ne retardent le décès. Je veux bien réfléchir à l’intégration de cette définition dans le texte, mais je voudrais que l’on interroge la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs pour s’assurer que cette précision n’entravera pas la pratique professionnelle en empêchant l’usage d’antalgiques puissants qui sont dépresseurs respiratoires à certaines doses. Développer les soins palliatifs implique d’utiliser les bonnes molécules aux bonnes doses.
S’agissant de l’insuffisance cardiaque, monsieur Juvin, la classification de la New York Heart Association définit quatre stades en fonction de la gravité de la maladie. Au premier stade, les symptômes sont très peu nombreux ; au quatrième, le patient ne peut accomplir aucun des actes courants de la vie. Le taux de mortalité de l’insuffisance cardiaque est globalement de 50 % à un horizon de quatre à cinq ans. Il est beaucoup plus élevé au quatrième stade où il s’établit à 20 % environ à un an. Toutefois, il ne s’agit que de pourcentage. Une mortalité de 20 % à un an, ce sont 80 % de patients qui ne meurent pas à cet horizon. Voilà pourquoi, comme je l’ai dit à Mme Liso, c’est une décision politique que nous prendrons. Si l’avis de la Haute Autorité de santé l’éclairera dans le cadre d’une médecine fondée sur les preuves, il ne devra pas servir à parer cette décision des atours d’un critère scientifique.
Mme Catherine Vautrin, ministre. J’ajoute que chaque cas étant singulier, il doit faire l’objet d’un examen et d’un avis particuliers.
M. le président Frédéric Valletoux. Je cède la parole aux représentants des groupes qui ne se sont pas encore exprimés.
Mme Danielle Simonnet (EcoS). Comment garantir le droit à une fin de vie digne et la liberté de choisir sa fin de vie ? Nous reprenons enfin nos travaux sur ces questions essentielles. Les membres du groupe Écologiste et social déplorent que le premier ministre ait choisi de scinder en deux textes distincts le projet de loi que nous examinions au moment de la dissolution. Les deux sujets sont étroitement liés. Nous devons impérativement assurer l’accès aux soins palliatifs afin de réduire au maximum les souffrances, et garantir, en ultime recours, la liberté de choisir librement l’aide à mourir lorsque, malgré tout, les tourments demeurent insupportables.
Il est urgent de rendre effectif le droit des patients de bénéficier de soins palliatifs dans tous les départements urbains, ruraux, ultramarins, en créant un droit opposable. Nous devons avoir conscience du retard qu’ont causé les politiques de casse de l’hôpital public, l’absence de volonté politique et l’insuffisante valorisation des professionnels. On estimait en 2023 que plus de 60 % des Franciliens décédés avaient eu besoin de soins palliatifs ; parmi eux, 43 % seulement en avaient bénéficié, et la part de ceux qui étaient à domicile est plus faible encore que celle des personnes hospitalisées. Il faut développer la formation à la fin de vie et créer un diplôme d’études spécialisées. Pourquoi, madame la ministre, n’avez-vous pas entendu les quatre seuls maîtres de conférences en médecine palliative, dont l’apport aurait été crucial ?
Une loi autorisant l’aide à mourir serait une grande loi de liberté, comme l’a été la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse. Elle donnerait le droit de choisir d’éteindre la lumière quand la souffrance réfractaire à tout traitement est insupportable. Nous espérons que peu voudront y recourir, mais chacun doit pouvoir en décider librement. Cette loi garantirait l’égalité. Aujourd’hui, ceux qui en ont les moyens partent en Suisse ou en Belgique. Laïque, elle respecterait la conscience de chacun, libre d’y recourir ou non.
Plusieurs questions restent posées. Faut-il étendre le dispositif à diverses causes d’affection, accidentelles notamment ? Faut-il prendre en considération les directives anticipées, afin de décider pour l’avenir quand on est pleinement conscient ? Faut-il réduire les délais pour garantir l’effectivité du droit ? Faut-il donner à la personne concernée le droit de choisir qui administrera le produit létal ? Faut-il instaurer un délit d’entrave, sur le modèle de celui existant en matière d’interruption volontaire de grossesse ? Toutes ces questions divisent à l’intérieur même des groupes politiques. J’espère que les conditions d’examen permettront l’expression de tous les points de vue, comme l’an dernier.
Nous nous interrogeons sur les intentions du gouvernement. Pourquoi avoir scindé le texte qu’il soutenait l’an dernier, si ce n’est pour satisfaire les opposants à ce nouveau droit ? Le grand nombre d’amendements que nous aurons à examiner en peu de temps laisse craindre que nous ne puissions aller au bout de la discussion.
Après tant de difficultés et de reports, il est grand temps d’inscrire dans la loi cette ultime liberté, afin que chacun et chacune puisse vivre sa fin de vie dans les meilleures conditions et en choisir l’issue. Ma vie, mon corps m’appartiennent ; ma vie, ma mort m’appartiennent si je le décide. Je remercie Olivier Falorni pour sa détermination, tous les professionnels en soins palliatifs rencontrés et les membres des associations qui militent pour le droit à mourir, comme l’Association pour le droit de mourir dans la dignité.
Mme Julie Laernoes (EcoS). La fin de vie est pour nos concitoyens une préoccupation majeure. Leur position est claire : ils veulent que la loi évolue pour garantir à chacun la liberté de choisir les conditions de sa propre fin de vie, en conscience, dans la dignité et selon ses convictions. Selon un sondage Ifop de mai 2024, 89 % des Français approuvent l’autorisation d’une aide active à mourir. Massive, l’adhésion dépasse les clivages politiques, religieux et générationnels. Notre débat n’est pas de circonstance. Il répond à une attente profonde. L’Association pour le droit de mourir dans la dignité et notre collègue Olivier Falorni, dont je salue la détermination, défendent de longue date cette revendication, fondée sur le principe essentiel du respect de la liberté. L’aide à mourir ne s’impose à personne ; le droit d’en disposer ne contraint personne. Elle ne remplace pas les soins palliatifs ; elle les complète en offrant un choix. C’est un droit. Rien de plus, rien de moins.
Pourtant, et malgré l’aspiration démocratique, le premier ministre a choisi de scinder la question en deux propositions de loi, rompant avec l’approche unifiée issue des travaux de la Convention citoyenne sur la fin de vie qui guidait le projet de loi examiné en 2024. Ce texte équilibré avait été longuement débattu dans notre assemblée, qui l’avait enrichi, avant que la dissolution ne le balaie quasiment au terme de son examen. Cette séparation vise prétendument à clarifier. Il est difficile de ne pas y voir une manœuvre politique, une tentative de recul. Personne n’est dupe. Cette stratégie consiste à faire disparaître l’aide à mourir dans les limbes parlementaires pendant que les soins palliatifs sont brandis comme une caution. C’est une faute politique et humaine. L’aide à mourir n’est pas un affront aux soins palliatifs. Elle est leur prolongement éthique et médical. Les deux sont indissociables : sans vision d’ensemble de la fin de vie, il ne peut y avoir de soins palliatifs ambitieux ; sans liberté, il n’y a pas de dignité possible.
Les membres du groupe Écologiste et social participeront aux travaux aussi assidûment qu’en 2024 pour améliorer le texte et, surtout, aller au bout de son examen. Son parcours rend visible la mise à mal de la démocratie, qu’il s’agisse de la fin brutale du texte précédent, provoquée par la dissolution, ou du décalage qu’il révèle entre l’opinion publique et les députés censés représenter la nation. Madame et monsieur les ministres, serez-vous les garants de cette ambition ? Défendrez-vous l’unité politique et éthique ? Pouvez-vous assurer que nous irons au bout de l’examen des deux textes, sans délai ni renoncement ? Les Français attendent que nous fassions ce pas juste et humain. Il est temps.
M. Philippe Vigier (Dem). Nous vivons un moment important, qui honore le Parlement. Ces textes en appellent à la conscience de chacun, parce que nous sommes les représentants du peuple réunis pour légiférer. Il n’est pas besoin de motion référendaire, le peuple ayant d’ailleurs déjà été consulté à travers une Convention citoyenne d’une grande qualité. Le groupe Démocrates respectera les convictions de ceux de ses membres favorables à ces textes, comme moi, qui ai cheminé au fil du temps, et les convictions des autres, qui s’y opposeront librement.
Il s’agit non d’enlever un droit, notamment aux personnes de l’entourage du malade, mais au contraire d’en donner un nouveau à ceux qui, un jour, seront exposés à cette décision. Ce sera peut-être notre cas. Nous ne devons penser qu’au malade. Loin d’opposer la fin de vie aux soins palliatifs, le choix d’examiner deux propositions de loi distinctes assure des avancées. Tous, nous avons dénoncé le trop faible développement des soins palliatifs. Quand la médecine palliative fera-t-elle l’objet d’une discipline universitaire spécifique ? Quand aurons-nous des moyens à déployer ? Quand disposerons-nous d’une validation des acquis de l’expérience ? Il faut que, demain, un médecin généraliste désireux de changer de voie puisse embrasser le métier formidable consistant à aider ceux qui sont en proie à la souffrance.
Vous avez évoqué les maisons d’accompagnement : combien, quand, comment ? Au-delà des mots, il y a des attentes.
Lors des nombreuses auditions, la question de la sédation profonde et continue est revenue. Quand aurons-nous une vision précise de ce qui est fait et proposé, ainsi que l’assurance d’une parfaite traçabilité ? Depuis le 1er janvier, un suivi est assuré. Les professionnels eux-mêmes regrettent que nous ne disposions pas de ces données.
S’agissant des modalités, nous sommes parvenus à un équilibre. En supprimant toute intervention d’une tierce personne dans le mode de décision comme dans le mode d’exécution, le texte protège les soignants. C’est un soignant qui vous le dit. Le président du Conseil national de l’Ordre des médecins dément l’opposition de 800 000 soignants. En effet, les médecins ont bien compris que leur sécurité serait assurée. Êtes-vous d’accord avec son estimation ?
M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Je remercie le gouvernement d’avoir proposé l’examen de deux textes, avec une discussion commune mais des votes distincts. Tous, nous affirmons nécessaire d’améliorer l’offre de soins palliatifs. Madame et monsieur les ministres, vous avez renouvelé l’engagement du précédent gouvernement en ce sens dans la stratégie décennale. Nous sommes attachés à son ambition : l’accès de tous, quel que soit leur lieu de résidence, à un accompagnement de qualité durant les derniers instants.
La question de l’aide à mourir interpelle nos concitoyens, qu’ils soient favorables à son instauration ou s’interrogent sur ses possibles conséquences. Je ferai entendre la parole nuancée de ceux qui se questionnent et qui doutent. La grandeur d’une société s’évalue à sa capacité à protéger les plus vulnérables. Mais qui sont-ils ? Les débats permettront de préciser la visée du texte : s’agit-il d’instaurer un nouveau droit ou de traiter des situations exceptionnelles, dans lesquelles la compassion impose d’ouvrir une possibilité encadrée et réfléchie ? Je crois profondément à l’attitude compassionnelle. Nous savons tous combien la perspective de la fin de vie peut générer de l’angoisse. Personne ne peut prédire son état physique et psychologique des derniers instants. La fin de vie s’accompagne aussi parfois de douleurs réfractaires contre lesquelles la médecine est impuissante. Nous les redoutons tous. L’instinct de survie se révèle quelquefois le plus fort, laissant les personnes en souffrance. Il faut les écouter. S’agissant des derniers instants, beaucoup de Français expriment une inquiétude légitime. Nous devons y répondre. Nous devons fournir une garantie, de celles dont on espère ne jamais avoir besoin. Il faut éviter d’en faire un droit opposable à se donner la mort, comme une incitation à renoncer à vivre.
Pour moi, les maisons de répit sont conçues pour les aidants. Le terme, qui suppose qu’il y aura un retour à l’équilibre, suscite la confusion.
Nous examinons un texte d’initiative parlementaire qui ne respecte plus l’équilibre défendu par le gouvernement en exercice en juin 2024. Madame et monsieur les ministres, quelle est votre position sur cette nouvelle version qui instaure un droit opposable mais ne contient plus la notion de court et moyen terme ? Cette extension rendrait possibles des évolutions que nous redoutons.
Mme Agnès Firmin Le Bodo (HOR). Il y a deux ans, devant les membres de la Convention citoyenne réunis à l’Élysée pour la remise de leurs travaux, le Président de la République demandait au gouvernement de construire le modèle français d’accompagnement de la fin de vie. Je remercie les conventionnels et tous ceux qui ont participé à l’élaboration du projet de loi subséquent, que le Président de la République a endossé en décembre 2023 et que vous avez défendu devant notre assemblée, madame la ministre, en 2024.
Ce modèle français de la fin de vie reposait sur trois piliers : les soins palliatifs ; l’accompagnement du malade et de son entourage ; l’aide à mourir sous certaines conditions. Ne pensez-vous pas, madame et monsieur les ministres, que la scission du projet de loi risque de provoquer une rupture dans l’accompagnement des personnes en fin de vie, comme l’ont craint les représentants des associations lors des auditions ?
Nous sommes tous d’accord sur la nécessité d’accélérer le déploiement des soins palliatifs. Le diagnostic est clair : nous avons raté le développement de la formation et, peut-être, celui de la filière en nous concentrant trop sur les unités de soins palliatifs, qui ne sont pas la seule modalité de prise en charge. Nous devons faire un effort de pédagogie, étendre la culture du soin palliatif et de l’anticipation. Il faut sans doute en priorité renforcer la filière et prévoir une gradation de la prise en charge, pour l’étendre hors des unités de soins palliatifs. Il faut également élaborer de nouveaux indicateurs.
S’agissant des maisons de répit, je m’interroge sur le choix du terme. Les maisons de répit sont conçues pour soutenir les aidants, en particulier ceux des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. Il faudrait éviter de créer une confusion.
La proposition de loi relative à la fin de vie résulte des travaux menés ici avant le 7 juin 2024. Mais elle déstabilise l’équilibre alors trouvé. Que compte faire le gouvernement pour le rétablir ? Continuerez-vous à défendre à la fois la liberté du patient et celle du soignant ?
Mme Nathalie Colin-Oesterlé (HOR). Les deux propositions de loi vont susciter des débats nourris car elles soulèvent des questions intimes et complexes.
Les soins palliatifs demeurent le parent pauvre de la médecine. En juillet 2023, un rapport de la Cour des comptes précisait que seuls 48 % des besoins en soins palliatifs étaient satisfaits. Il relevait de grandes inégalités territoriales en la matière. Vingt départements ne disposaient alors d’aucun service de soins palliatifs. Les perspectives démographiques laissent présager une augmentation significative des besoins dans les prochaines décennies. On estime qu’il y aura 440 000 patients potentiels d’ici à 2035. Il est donc urgent de renforcer les infrastructures hospitalières et de développer les soins à domicile et dans les établissements médico-sociaux.
Je salue la stratégie décennale qui prévoit de mobiliser 1 milliard d’euros supplémentaires, soit 100 millions d’euros par an. Il faut développer les équipes mobiles de soins palliatifs, qui interviennent à l’hôpital et à domicile, en collaboration avec les services de soins infirmiers à domicile et d’hospitalisation à domicile. Ces dispositifs évitent les ruptures de prise en charge de patients souvent contraints d’effectuer des allers-retours entre l’hôpital et leur domicile. Leur développement apporterait une réponse adaptée aux besoins tout en garantissant un accès homogène et de qualité sur tout le territoire. Cela implique d’améliorer la formation initiale et continue de tous les soignants.
L’examen de la proposition de loi relative à la fin de vie impose de répondre à une question fondamentale : l’aide active à mourir est-elle un nouveau droit ou un ultime recours ? Dans le second cas, il faut s’assurer que la demande du patient n’est pas, comme cela arrive souvent, l’expression de sa douleur, de sa peur, de sa solitude, lorsque la prise en charge n’a pas été suffisante. Pour y parvenir, il faudrait peut-être renforcer la collégialité et formaliser davantage la décision médicale, comme c’est le cas pour les soins palliatifs.
Nous allons débattre de sujets sensibles, qui touchent à l’intime. Ils nous amèneront à réfléchir à nos convictions personnelles et au modèle de société que nous voulons. Chacun a ses propres lignes rouges. Madame la ministre, monsieur le ministre, quelles sont les vôtres ?
M. Paul-André Colombani (LIOT). Un an après la dissolution qui a brutalement arrêté l’examen du projet de loi relatif à la fin de vie, je me félicite que nous reprenions nos travaux. Le premier ministre a fait le choix de scinder le texte ; chacun jugera de l’opportunité du procédé. Il est certain que l’aide à mourir ne doit jamais constituer une solution à des soins palliatifs insuffisants. Elle ne peut être qu’une voie possible, jamais un choix par défaut.
Le premier texte soumis à notre examen est donc essentiel. En dépit des efforts législatifs et budgétaires, nous ne parvenons pas à garantir à tous les malades une fin de vie apaisée et sans souffrance. Malgré le dévouement des professionnels de santé, des bénévoles et des aidants, le système palliatif est défaillant. Le nombre de professionnels est insuffisant alors que les besoins augmentent. Les inégalités territoriales sont fortes. L’organisation territoriale est inadaptée. Le financement est illisible et insuffisant. Le bilan de la loi « Claeys-Leonetti » est mitigé, en particulier concernant le recours aux directives anticipées et à la personne de confiance. Les membres de notre groupe défendront des amendements améliorant l’information dans ce domaine et l’organisation territoriale. Par ailleurs, nous réitérerons notre demande de création d’un diplôme d’études spécialisées en médecine palliative, disposition malheureusement supprimée lors de l’examen en séance publique du précédent projet de loi.
Afin d’enrichir un texte encore trop timide, notre assemblée avait adopté de nombreuses mesures comme la création d’un droit opposable, des dispositions relatives à la formation des professionnels et à la stratégie décennale. Elles devront également figurer dans les présentes propositions de loi. Par ailleurs, nous devons étendre la réflexion au rôle des aidants, dont on parle peu, alors que, face à la maladie de leur proche, ils sont en première ligne. Enfin, la question subsiste de l’application aux territoires ultramarins : aucune disposition qui les concerne n’est prévue.
Sur les deux textes, la liberté de vote dans mon groupe sera totale. Chacun se prononcera selon sa conscience, ses certitudes ou ses doutes. Dans tous les cas, notre objectif sera de garantir le respect de la volonté et la dignité des malades et de toujours favoriser le dialogue avec l’équipe médicale et les proches.
M. Yannick Monnet (GDR). Nous avons examiné entièrement en 2024 la première des deux propositions de loi. Quant à l’autre, sa discussion en séance publique a été soudainement interrompue par la dissolution. Nous n’avions toutefois pas épuisé toutes les questions qu’elles soulèvent. Il est donc juste de reprendre leur examen à nouveaux frais, en partant des modifications alors adoptées, et de profiter de la scission du projet de loi initial pour débattre avec sincérité et mesure de deux objets distincts.
Le premier texte doit poursuivre le chemin emprunté depuis la loi du 9 juin 1999, qui prévoit que toute personne a le droit d’avoir une fin de vie digne et de bénéficier du meilleur apaisement possible de sa souffrance. Personne ne contestera l’urgente nécessité de rendre les soins palliatifs pleinement efficaces et accessibles sur tout le territoire. Les débats de 2024 ont abouti à une définition des soins palliatifs et d’accompagnement, mais la question des moyens humains et financiers reste cruciale. Pour les développer, il faut accorder en priorité des moyens suffisants à l’hôpital. Je m’inquiète d’entendre la porte-parole du gouvernement annoncer que le prochain budget sera « un cauchemar ».
Comment légiférer sur la fin de vie en contournant une fois de plus la promesse d’une loi relative au grand âge ? Si l’on ne définit pas préalablement les conditions favorables pour vieillir chez soi, comment réussir le virage domiciliaire et favoriser les soins palliatifs à domicile ? Comment prévoir une aide à mourir respectueuse des malades et des soignants sachant que, dans la proposition de loi, le domicile apparaît comme son lieu par défaut ?
Le Comité consultatif national d’éthique a bien défini l’enjeu de la proposition de loi relative à la fin de vie. Il existe des tourments auxquelles ni les soins curatifs ni les soins palliatifs ne peuvent remédier. Ils peuvent rendre inopérant le droit à une fin de vie digne, pourtant consacré par la loi. L’option retenue est l’aide à mourir, c’est-à-dire le suicide assisté et l’euthanasie. À titre personnel, comme d’autres membres de mon groupe, je n’y suis pas opposé. Toutefois, j’entends les doutes et les réticences. Il faut mesurer le poids de cette évolution législative compte tenu de l’état de notre système de soins et de notre société, en particulier de nos valeurs de solidarité, afin que ce droit nouveau constitue une réponse exceptionnelle et encadrée à un besoin identifié. La condition d’être atteint d’une affection grave et incurable, qui engage le pronostic vital, en phase avancée ou terminale peut sembler encore trop vague. La collégialité fait cruellement défaut : le médecin décidera seul d’accorder l’aide à mourir après avoir recueilli quelques avis. La question demeure également du lieu ; le texte reste sur ce point peu précis ; or, il ne faudrait pas ouvrir la voie à une activité lucrative. Ainsi, des ajustements demeurent nécessaires.
Mme Catherine Vautrin, ministre. Mesdames Simonnet et Laernoes, je m’engage à aller au bout de l’examen des deux textes. Je ne maîtrise pas le temps parlementaire mais, si besoin, je prendrai moins la parole pour gagner du temps. Je souhaite que les votes aient lieu.
Madame Laernoes, les soins palliatifs ne servent aucunement de caution. Nous aurons deux débats distincts. Le premier renvoie beaucoup au domaine réglementaire, mais il permet de rendre visible l’engagement du gouvernement de travailler au progrès des soins palliatifs. Vous avez tous souligné la nécessité d’organiser une filière pour qu’ils soient dispensés partout en France.
Monsieur Monnet, à l’exception de la condition de majorité, l’âge ne doit aucunement entrer en considération : seul l’état de santé du patient peut le rendre éligible. Il est primordial de ne pas lier le droit à mourir et le grand âge. J’insiste : seule la pathologie rend admissible le patient doué de discernement. C’est une ligne rouge fermement tracée.
Monsieur Vigier, la clause de conscience garantit aux soignants une protection concrète, dont l’inscription dans la loi est essentielle. Personne n’est obligé de dispenser l’aide à mourir. Nous demandons seulement que le professionnel qui décline puisse fournir une liste de soignants qui acceptent de faire. De plus, nous voulons qu’un médecin qui ne figure pas sur la liste puisse néanmoins agir pour un patient en particulier, s’il le souhaite.
Monsieur Isaac-Sibille, je confirme que la discussion sur les propositions de loi sera commune et les votes distincts. Comme votre collègue Philippe Vigier, vous m’avez interrogée sur l’appellation « maisons de répit et de soins palliatifs ». L’idée serait d’en ouvrir à terme une centaine, dans tout le territoire, afin d’accueillir des patients en fin de vie qui ne peuvent rentrer chez eux après une hospitalisation, notamment parce que leur logement n’est pas adapté, ou des personnes qui vivent seules et ne peuvent être autonomes chez elles. Il peut aussi s’agir de malades dont les accompagnants ont besoin de répit : ils seraient accueillis quelques jours en hospitalisation à domicile dans cet établissement. C’est, madame Firmin Le Bodo, ce qui justifie l’emploi du terme « répit ». Ces maisons pourraient également recevoir des patients en établissement médico-social, s’ils le souhaitent.
Le projet de loi initial n’a pas connu de profond bouleversement. Certes, la mention de l’engagement du pronostic vital à moyen terme n’a pas été conservée. Nous disposerons sous peu de l’avis de la Haute Autorité de santé. La possibilité qu’un tiers procède à l’injection a également été supprimée. L’aide à mourir reste fermement encadrée. Les cinq conditions demeurent et leur respect est essentiel. C’est pour moi une autre ligne rouge.
Madame Colin-Oesterlé, nous discuterons de l’opportunité de renforcer la collégialité. Vous demandez si l’aide à mourir constitue un droit. Nous réfléchissons à instituer non un droit à mourir, mais le droit pour chaque personne de décider à quel moment sa vie doit prendre fin lorsque son état de santé soulève cette question, dès lors que son discernement n’est pas altéré. La Cour européenne des droits de l’homme considère qu’il s’agit d’un aspect du droit au respect de la vie privée au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Il est vrai, monsieur Monnet, que nous réexaminons les questions : même si nous avons tous tendance à faire référence à nos précédentes réflexions, nous allons, avec vingt-quatre mois de recul, rediscuter tous les éléments en respectant les convictions de chacun.
M. Yannick Neuder, ministre. Ce n’est pas à nous de dire si la discussion pourra aller à son terme : cet aspect relève du Parlement. Par-delà le recours à l’obstruction, certains sujets déjà abordés lors de l’examen du projet de loi ne sont pas propices à l’accélération des débats. Je pense notamment aux amendements évoqués par Mme Laernoes qui proposaient d’ouvrir l’aide à mourir aux mineurs. Il appartient à chaque parlementaire, fort des discussions menées, de se montrer responsable. Ce sujet est complexe et il touche aux convictions intimes. Pour ma part, je ne suis pas du tout favorable à l’aide à mourir aux mineurs, ce qui ne veut pas dire que l’on puisse négliger le développement des soins palliatifs pour les enfants.
Je remercie Philippe Vigier d’avoir évoqué le sujet fondamental de la formation. Cette dernière peut être qualifiante ou diplômante. La validation des acquis de l’expérience est au cœur des discussions avec les personnels paramédicaux. Tous les diplômes universitaires sont maintenus. Il est prévu que la formation spécialisée transversale permette soit d’acquérir une compétence dans le cadre d’une formation d’un an, soit d’obtenir une qualification reconnue par le Conseil de l’Ordre grâce à un cursus de deux ans. Vous avez été nombreux à souhaiter, comme nous, que des modules concernant les soins palliatifs soient intégrés aux études médicales et paramédicales, et que certains personnels paramédicaux puissent accomplir des stages dans des unités de soins palliatifs. Dans la réforme du second cycle des études de médecine, il est prévu d’intégrer différents items portant sur la prise en charge des douleurs aiguës et chroniques, sur les soins palliatifs et la fin de vie, ainsi que sur l’accompagnement du patient et de ses proches.
On estime que 2 000 à 3 000 patients font l’objet d’une sédation profonde chaque année, ce qui représente entre 1 et 2 % des décès. Il n’est pour l’instant pas possible d’avoir des données plus fines, car les certificats de décès ne sont pas assez précis.
Monsieur Isaac-Sibille, je suis rassuré quand les gens doutent et au contraire plutôt inquiet quand ils ont des certitudes sur ces sujets. Chaque cas est différent. Je suis d’accord avec vous sur le fait qu’il faudra trouver un autre nom pour les structures où l’on fournit des soins palliatifs lorsque ce n’est pas possible à domicile, car la notion de maisons de répit désigne déjà des structures notamment destinées à accueillir les aidants. Peut-être faudra-t-il tout bonnement en venir à « maisons de soins palliatifs ».
Madame Firmin Le Bodo, la notion de filière est en effet importante. En médecine, il est rare de ne pas être confronté au décès. Il faut donc une prise en charge globale, qui va du diagnostic à l’évolution terminale. Je ne veux pas ouvrir de nouveau le débat pour savoir si l’acte de donner la mort constitue un soin, mais la prise en charge allant jusqu’à l’accompagnement du patient vers sa fin en est très certainement un.
Je peux comprendre que vous estimiez l’équilibre entre les soins palliatifs, l’accompagnement des soignants et des patients et la fin de vie rompu avec deux textes. Mais, d’un autre côté, la scission permet de ne pas complètement lier le sort des deux propositions, en particulier lorsque l’on connaît les difficultés d’accès aux soins palliatifs. Hadrien Clouet a bien rappelé qu’ils n’apportent pas une solution satisfaisante dans 9 % des cas, même si on peut symétriquement faire valoir qu’ils résolvent 91 % des situations.
Mme Colin-Oesterlé a évoqué le secteur médico-social. Le déploiement du dispositif au sein de structures médico-sociales ne pourra se faire que dans un cadre d’hospitalisation à domicile. Il faut donc être vigilant quant aux moyens requis. Pour y assurer une prise en charge en soins palliatifs et la possibilité, si le Parlement en décide, de recourir à l’aide active à mourir, une présence paramédicale permanente sera nécessaire alors qu’elle n’existe actuellement pas dans 80 % des établissements médico-sociaux. Il faudra donc recourir à des astreintes ou à des unités mobiles.
S’agissant d’une décision aussi importante que la mort, je suis partisan de la collégialité. On y a recours dans beaucoup d’autres cas et la décision prise collectivement figure dans le dossier du patient, ce qui prévient les recours contre tel médecin ou tel soignant. On fait peser une lourde responsabilité sur le médecin sollicité pour accorder l’aide active à mourir. Il faut être prudent car les conséquences d’une telle décision sont irrévocables.
Voici quelles sont mes lignes rouges. La décision d’accorder l’aide à mourir doit être collégiale ; elle ne peut concerner un patient sous tutelle ou curatelle, ou plus généralement dont le discernement est altéré ; enfin, son pronostic vital doit être engagé à court terme. Ce n’est pas ce qui est prévu par le texte, qui fait référence à une affection grave et incurable qui engage le pronostic vital, en phase avancée ou terminale. Nous aurons l’occasion d’en débattre.
M. Colombani a demandé à juste titre que l’on accorde une attention particulière aux problèmes rencontrés outre-mer.
Monsieur Monnet, malgré l’état des finances publiques, la stratégie décennale des soins d’accompagnement sera confortée par l’adoption du texte sur les soins palliatifs.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux questions des autres députés.
Mme Justine Gruet (DR). L’attente de nos concitoyens est considérable. Mais on ne doit pas y répondre à n’importe quel prix. Nous devons être vigilants car nos choix engageront la société. Les rapporteurs des deux textes mettent sur le même plan les soins palliatifs et l’aide active à mourir. Mais le sujet nécessite de repenser l’ensemble du financement de la sécurité sociale. En effet, comment osons-nous ouvrir le débat sur l’aide à mourir alors même que l’accès aux soins palliatifs n’est pas garanti partout de manière égale ? Comment ouvrir immédiatement un nouveau droit effectif alors que les restes à charge lorsque l’on souhaite être accompagné à domicile ou ailleurs sont très différents selon les territoires ?
Vous me répondrez que des critères sont prévus. Mais des partisans du droit à mourir rétorquent qu’il s’agit de la liberté de chacun de disposer de son corps et de choisir sa fin de vie. Quels sont les garde-fous face à une volonté d’autodétermination qui pourrait aboutir à un droit opposable à mourir, ce qui réduirait à néant les différents critères ? La facilité consisterait à répondre à la forte attente sociétale. Mais, en tant que législateur, il nous revient de déterminer un cadre qui protège l’ensemble de nos concitoyens.
Pourrions-nous prévoir clairement que l’aide active à mourir ne sera pas pratiquée dans les maisons d’accompagnement, rebaptisées de répit et de soins palliatifs, afin d’y privilégier l’accueil et le suivi des personnes, et de leur famille, qui souhaitent bénéficier de soins palliatifs ? En effet, l’acte létal ne requiert pas longtemps et il serait dommage qu’il conduise à occuper la place de personnes voulant un accompagnement palliatif de qualité.
Que pensez-vous de l’idée consistant à faire vérifier le consentement libre et éclairé par le président du tribunal judiciaire, professionnel habitué à le faire, plutôt que par un médecin ?
Enfin, quel est l’avis des doyens des facultés de médecine s’agissant de la manière de mieux former à la culture palliative partout, par tous et pour tous ?
M. Thibault Bazin (DR). Moi aussi, je doute. J’ai de nombreuses questions à vous poser. Les thérapies contre la douleur ont-elles évolué depuis la loi « Claeys-Leonetti » ? Y a-t-il eu des innovations pour soulager les souffrances ? Des programmes de recherche en cours, par exemple au sein de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, sont-ils susceptibles de modifier notre regard ? Contrairement à ce qui était promis, l’accès universel aux soins palliatifs n’a pas été mis en place. La proposition de loi et la stratégie décennale sont-elles suffisantes pour remédier à cette situation ? N’y a-t-il pas d’autres freins ? Dans quelle mesure envisager une réforme du financement des unités de soins palliatifs et des équipes mobiles de soins ?
Alors que la moitié de ceux qui sont susceptibles de bénéficier des soins palliatifs en sont actuellement privés, n’y a-t-il pas un risque que ces personnes vulnérables se sentent contraintes d’abréger leur vie, faute de soins ? Dans son avis 139, le Comité consultatif national d’éthique estimait l’accès effectif aux soins palliatifs dans l’ensemble du territoire un préalable éthique à toute évolution législative. Tant qu’il ne sera pas assuré – et cela prendra du temps ! –, les personnes précaires ne risquent-elles pas de ressentir la nouvelle loi comme une remise en cause de leur dignité ? Quel en serait l’effet sur les personnes qui ne sont plus autonomes ou qui sont en situation de handicap ?
La Haute Autorité de santé doit se prononcer sur le critère de phase avancée d’une maladie grave sans que le pronostic vital soit engagé à court terme. Elle aurait dû publier ses conclusions en juin si elle avait suivi la procédure habituelle destinée à rendre un avis sérieux. Vous lui avez demandé de le faire de manière anticipée. Les experts disposeront-ils du temps nécessaire ? N’aurait-il pas fallu attendre cet avis pour commencer l’examen en commission ? Cette saisine porte-t-elle également sur le mode d’administration de la substance létale et sur les problèmes concrets qui peuvent se poser à cette occasion ? Ils ne sont pas sans incidence pour les personnes impliquées.
La proposition diffère du projet de loi initial, notamment en ce qui concerne les critères d’accès au suicide assisté et à l’euthanasie. Pourquoi ne pas avoir sollicité au préalable un avis du Conseil d’État sur la nouvelle rédaction ? L’une des évolutions touche à l’éligibilité de personnes atteintes d’une maladie grave et incurable et dont les souffrances seraient psychologiques, mais pas forcément physiques. Ne créerait-elle pas un risque pour les personnes souffrant de dépression ? Comment le dispositif s’articule-t-il avec les actions menées pour aider les personnes qui ne sont pas en fin de vie mais qui souffrent de mal-être ?
Une étude d’impact des évolutions envisagées a-t-elle été réalisée sur les conséquences pour les soignants et les proches ? Enfin, la liberté des personnels de santé est essentielle et ne concerne pas que les médecins. Les infirmiers pourraient-ils bénéficier de la même protection que ces derniers ?
M. René Pilato (LFI-NFP). Dans un monde qui change, le statu quo est une régression. Refuser d’accorder un droit opposable aux soins palliatifs, de même que refuser qu’ils s’inscrivent dans un accompagnement compatible avec la dignité humaine, signifierait que tout le travail fait serait inutile et que les choses resteraient en l’état s’agissant de la fin de vie. Je ne peux pas imaginer que nous l’acceptions. Il n’est donc pas question de supprimer ce droit opposable, déjà voté par le Parlement et qui garantit l’égalité de traitement face à l’inéluctable.
Actuellement, entre 2 000 et 3 000 personnes recourent à une aide active à mourir à l’étranger. Elles déboursent environ 15 000 euros pour cela. Au nom de l’égalité devant la souffrance réfractaire, nous ne pouvons accepter que les pauvres souffrent atrocement parce qu’ils manquent de moyens. Contrairement aux propos tenus par certains au sein de cette commission, dont monsieur le ministre, ce sont bien les plus fortunés qui sont en mesure d’exercer leur droit à l’aide active à mourir, non les plus pauvres. L’argument selon lequel les plus modestes sont surreprésentés parmi les morts par suicide assisté ou par euthanasie est balayé par diverses études internationales. France Info a publié un graphique montrant que, dans l’Ontario, ce sont les personnes qui font partie des 20 % les plus fortunés qui ont le plus recours à l’aide à mourir. Vous affirmez le contraire, monsieur le ministre. Quelles sont vos sources ?
M. Serge Muller (RN). Nous discutons d’une proposition qui organise le recours à l’euthanasie ou au suicide assisté. C’est un texte grave qui, à ce stade, évacue totalement la question du discernement et n’exclut pas clairement du dispositif les personnes souffrant de troubles psychiatriques sévères. Il n’est pas non plus prévu de recourir obligatoirement à une évaluation psychiatrique, ni même de former les médecins à ce type d’analyse. C’est une faille majeure. Dans quel pays vivons-nous pour ouvrir une porte aussi dangereuse ?
Je connais les malades. J’ai été aide-soignant en psychiatrie pendant une dizaine d’années. Je suis profondément choqué par ce texte. Plus de 12 millions de nos concitoyens souffriront de troubles psychiatriques au cours de leur vie ; pour 3 millions d’entre eux, il s’agit de troubles sévères, chroniques et invalidants. Schizophrénie, dépression résistante, mélancolie, bipolarité, anorexie : autant de pathologies qui altèrent le jugement et modifient le rapport à la mort. Or, rien dans ce texte ne protège ces personnes. Rien n’est prévu pour empêcher qu’un état de souffrance mentale temporaire débouche sur une décision irréversible. Allons-nous réellement légaliser l’euthanasie et le suicide assisté pour ceux dont il est possible que la volonté soit altérée sans même une évaluation de leur état psychiatrique ? C’est une forme de non-assistance à personne en détresse. C’est une démission collective de notre responsabilité de législateur.
Ce texte aura plus de sens s’il protège les plus vulnérables et ceux qui souffrent en silence du fait de leur état psychiatrique. La douleur n’est pas éternelle. Les effets d’une décision impulsive peuvent l’être.
M. Gaëtan Dussausaye (RN). Je remercie notre collègue Pilato d’avoir adopté un ton plus modéré que son camarade de groupe Clouet. Nous avons impérativement besoin de discuter en respectant les convictions de chacun. Le sujet est difficile et les conditions d’un débat qui va durer quinze jours pourront jouer sur nos nerfs.
Je suis d’autant plus favorable à la dissociation en deux textes que je suis pour l’amélioration des soins palliatifs, mais aussi pour l’ouverture d’un nouveau droit à l’aide active à mourir. Le débat sera beaucoup plus clair ; à chaque parlementaire de se déterminer en fonction de sa sensibilité et de ses convictions.
L’évocation par Christophe Bentz du recours au référendum a suscité quelques contestations au sein de cette commission. J’ai l’intime conviction que tout sujet de société doit être tranché par la société. En découle mon attachement particulier au référendum. Le peuple a le droit inaliénable de s’asseoir à la table des débats. Et, lorsqu’il s’exprime, il a toujours raison. Pourquoi le gouvernement, au sein duquel différentes sensibilités s’expriment, n’a-t-il pas choisi de déposer un projet de loi, ce qui aurait permis une motion référendaire ? En se repliant derrière une proposition de loi, il nous prive de cette possibilité.
M. Eddy Casterman (RN). Monsieur le ministre, dans un entretien paru dans Le Journal du dimanche, vous avez rappelé une évidence : plus on soulage les souffrances, moins il y a de demandes de mort. Il aurait donc fallu laisser au législateur un temps suffisant pour mesurer l’effet de la loi améliorant les soins palliatifs avant de légiférer sur l’euthanasie.
Je considère que c’est précisément sa légalisation qui va entraver l’accès aux soins palliatifs pour les patients en fin de vie, plus particulièrement l’article 17 de la proposition de loi relative à la fin de vie. Il punit d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende le fait d’exercer des pressions psychologiques à l’encontre des patients souhaitant recourir à l’aide à mourir ou de l’entourage de ces derniers. L’interprétation jurisprudentielle d’un tel dispositif placera une cible dans le dos de tous les soignants. Elle les dissuadera de convaincre un patient ou son entourage d’avoir recours aux soins palliatifs, voire de les informer de leur existence, plutôt que de demander une euthanasie. Monsieur le ministre, je souhaiterais connaître votre position personnelle sur cet article. S’il vous revient d’exprimer la position du gouvernement lors des débats, quel avis donnerez-vous ?
M. Jérôme Guedj (SOC). Nous devons aborder le débat avec gravité, en espérant qu’il soit de qualité comme au printemps dernier. Nonobstant la scission en deux textes, qui n’était pas notre choix, je suis convaincu que nous aboutirons à un résultat intelligent, notamment grâce au travail du rapporteur général. Mais les discussions que nous venons d’avoir illustrent la part d’incertitude qui subsiste dans l’interprétation du texte ; je pense notamment aux propos du ministre Yannick Neuder. Comme Thibault Bazin, je souhaite vraiment que l’avis de la Haute Autorité de santé soit disponible pour éclairer nos débats, au moins en séance publique, donc à partir du 12 mai.
Nous avons les mêmes lignes rouges que vous, madame la ministre : ne sauraient être éligibles à l’aide à mourir à raison seulement de leur âge, de leur situation ou de leur maladie ni les vieux, ni les handicapés, ni les fous – qu’on me pardonne ce dernier terme ; disons ceux touchés par la maladie mentale. Mais ils peuvent aussi être concernés par le dispositif s’ils souffrent de manière insupportable et sont atteints d’une affection grave et incurable, qui engage le pronostic vital, en phase avancée ou terminale. Nous devrons faire preuve d’une très grande intelligence pour concilier ces deux exigences.
M. Nicolas Ray (DR). La sédation profonde et continue permet-elle de traiter toutes les situations ? Je pense notamment à des pathologies neurodégénératives comme la maladie de Charcot. Ne faudrait-il pas restreindre l’accès au suicide assisté à ces seuls cas non couverts par la loi « Claeys-Leonetti » ?
Le monde médical est très majoritairement opposé à la proposition de loi sur l’aide à mourir. C’est notamment le cas des professionnels qui pratiquent les soins palliatifs. Ils considèrent que ce texte entraînera une profonde rupture philosophique et médicale. Avez-vous anticipé l’effet de son adoption sur le milieu médical ?
Mme Josiane Corneloup (DR). Je partage les doutes que beaucoup parmi nous ont exprimés au sujet de la proposition de loi relative à la fin de vie. Ce texte soulève d’importantes questions éthiques, juridiques et médicales. S’il entend poser les bases d’un nouveau droit à l’aide à mourir, je souhaite appeler votre attention sur une disposition qui suscite de profondes inquiétudes, tant chez les professionnels de santé que chez les juristes. Il s’agit de la création d’un délit d’entrave. Il serait constitué par le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher par tout moyen de recourir à l’aide à mourir ou de s’informer sur elle. Il serait puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Une telle mesure pourrait sembler protectrice au premier abord. Elle pose en réalité des problèmes majeurs.
Quels sont précisément les comportements que cette infraction entend sanctionner ? Le texte est particulièrement large et flou. Un médecin ou un soignant qui proposerait des alternatives, notamment des soins palliatifs ou un accompagnement psychologique, pourrait-il être accusé d’entrave ? L’expression d’un doute, l’ouverture d’un dialogue ou la volonté de retarder une décision jugée prématurée pourrait-elle tomber sous le coup de cette nouvelle disposition pénale ?
Les psychiatres, régulièrement confrontés à des patients exprimant un désir de mort, rappellent que ce type de demande peut être le symptôme d’une pathologie dépressive, délirante ou liée à une détresse existentielle. Dans un tel contexte, pourrait-on considérer qu’écouter, interroger, accompagner ou proposer d’autres perspectives constitue une entrave ? Je pense pour ma part qu’il s’agit au contraire d’un soin.
Cette disposition semble incompatible avec l’obligation de porter assistance à une personne en danger, principe qui fonde une part essentielle de la responsabilité médicale et humaine. En l’état, le texte pourrait conduire à dissuader ou à sanctionner des professionnels qui, estimant qu’un acte d’aide à mourir ne s’inscrit pas dans un cadre médicalement ou éthiquement acceptable, choisiraient de ne pas y participer ou proposeraient d’autres voies. Enfin, cette disposition est sans équivalent dans les législations étrangères. Un tel délit n’existe ni en Belgique, ni aux Pays-Bas, ni au Canada, pourtant cités comme source d’inspiration pour le modèle français.
Dès lors, pourquoi introduire dans notre droit une infraction pénale qui pourrait fragiliser la liberté d’expression et bouleverser en profondeur la relation de soin ? Ne craignez-vous pas que cette disposition, loin de protéger les personnes vulnérables, réduise l’aide à mourir à une simple prestation technique au détriment d’une approche globale, humaine et éthique de l’accompagnement en famille ?
Mme Catherine Vautrin, ministre. Vous avez raison de m’interroger sur notre modèle social, madame Gruet. Nous aurons à en débattre car, avec un budget de la sécurité sociale de 650 milliards d’euros et un déficit de 22 milliards d’euros, dont respectivement 280 milliards d’euros et 15 milliards d’euros pour la seule assurance maladie, la question de sa pérennité est posée. Nous devons en discuter avec l’ensemble de la société.
S’agissant de l’avis du président du tribunal judiciaire, il est important de rappeler que le texte traite d’une procédure médicale. Il en résulte le choix de confier au corps médical la décision d’autoriser l’accès à l’aide à mourir.
Monsieur Bazin, je souligne l’action menée pour garantir un accès universel aux soins palliatifs. L’hospitalisation à domicile a ainsi bénéficié d’une revalorisation de 1,5 % dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2025, ce qui a été salué par la présidente de la Fédération nationale des établissements d’hospitalisation à domicile.
Eu égard à l’importance de ses avis, vous imaginez bien que la Haute Autorité de santé respecte parfaitement les délais d’examen. Je l’ai sollicitée en avril 2024 et elle devait initialement rendre son avis en juin. Son président, qui engage non seulement sa responsabilité mais aussi celle de l’institution, m’a assurée que nous pourrions bénéficier du fruit de ses travaux pour la discussion en séance publique, qui commence le 12 mai. Il n’est bien entendu pas question de brusquer la Haute Autorité. Nous aurons connaissance de sa position au moment où nous discuterons du texte.
Comme je l’ai dit à plusieurs reprises, la clause de conscience protège l’ensemble des professionnels de santé, donc aussi bien les infirmiers que les médecins.
Monsieur Muller, les personnes atteintes de maladies psychiatriques ne se sont pas exclues de manière générale. Le texte prévoit que la maladie psychiatrique, dans la mesure où elle n’engage pas directement le pronostic vital, ne peut justifier à elle seule l’aide à mourir. Par ailleurs, je rappelle que cette aide est ouverte en fonction de la situation individuelle des personnes et non de pathologies. Chaque cas est unique et il fera l’objet d’une évaluation par les professionnels de santé. C’est cette dernière qui permettra de décider si l’aide à mourir peut être accordée. Les critères sont cumulatifs. Si le discernement est altéré par une crise liée à une maladie psychiatrique, la demande ne pourra pas être validée. C’est un élément important qu’il faut garder à l’esprit.
Monsieur Dussausaye, je suis entièrement d’accord sur la nécessité de débats sereins et d’un respect mutuel, comme nous y étions parvenus l’année dernière.
Il faudrait une révision de la Constitution pour soumettre à référendum ce sujet dit de société. Il n’entre pas actuellement dans le champ des questions qui peuvent être tranchées de la sorte.
Les dispositions législatives relatives à la sédation profonde et continue sont reconnues adaptées aux patients dont le pronostic vital est engagé à court terme, monsieur Ray. En revanche, la loi n’offre pas un cadre juridique satisfaisant pour les personnes dont le pronostic vital est engagé à moyen terme. C’est ce constat, formulé aussi bien par le Comité consultatif national d’éthique que par l’Académie de médecine, qui a conduit le gouvernement à travailler sur une meilleure réponse.
Madame Corneloup, selon la proposition de loi, le délit d’entrave à l’aide à mourir est constitué par le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher de pratiquer ou de s’informer sur l’aide à mourir par tout moyen, notamment par la diffusion ou la transmission d’allégations ou d’indications de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales de l’aide à mourir, soit en perturbant l’accès aux établissements soit en exerçant des pressions morales et psychologiques, des menaces ou tout acte d’intimidation. L’action des associations œuvrant dans le domaine de la prévention du suicide n’entre donc pas dans son champ d’application, qu’il s’agisse de l’élément moral ou de l’élément matériel. Le Conseil constitutionnel a estimé, s’agissant du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse dont s’inspire cette disposition, qu’une telle incrimination permet seulement la répression d’actes ayant pour but d’empêcher ou de tenter d’empêcher une ou plusieurs personnes déterminées de s’informer sur ce droit ou d’y recourir. Il faut également que soit sollicitée une information, non une opinion, et que cette information soit donnée par une personne détenant ou prétendant détenir une compétence en la matière. Le délit d’entrave à l’aide à mourir ne fait donc pas obstacle à la lutte contre le suicide et au travail de prévention et d’accompagnement mené par des associations. La création d’un tel délit se justifie pour sanctionner, par exemple, les actes ou tentatives de perturbation ou d’intimidation.
Monsieur Guedj, les trois points que vous avez soulignés feront de nouveau l’objet de discussions. Il est extrêmement important de conserver l’ossature du texte, qui en garantit l’équilibre et la force.
M. Yannick Neuder, ministre. Le député René Pilato a posé une question précise ; ma réponse le sera également. De manière générale, j’ai acquis l’habitude au cours de ma vie professionnelle de citer la source des éléments que j’avance. Les résultats des études sur le recours à l’aide à mourir selon le niveau de richesse sont divergents. Je ne conteste nullement celles qui ont été citées concernant le Canada. D’autres montrent que, dans ce même pays, les demandes d’aide à mourir sont plus nombreuses parmi les personnes issues de milieux socio-économiques défavorisés, car ces dernières peuvent être plus vulnérables à la souffrance et avoir moins accès aux soins palliatifs. Aux Pays-Bas, les patients qui demandent l’aide active à mourir sont le plus souvent des hommes âgés aux niveaux d’éducation et de revenu moins élevés. On peut se référer sur ce point à une étude rétrospective de 2018 sur la sédation profonde en fin de vie ainsi qu’à un travail réalisé par la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs. Je peux aussi citer des études de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale. Enfin, je pourrais montrer un graphique qui indique que, dans l’Ontario, le niveau socio-économique peut avoir un impact sur les demandes d’aide à mourir. Cela étant, je ne crois pas qu’il soit utile de s’envoyer des études à la figure.
Selon ce que le Parlement décidera, il pourrait être plus rapide pour certaines personnes d’obtenir une décision d’aide à mourir que de trouver un logement ou d’être accueillies dans un centre antidouleur. Il faut donc organiser une prise en charge très globale.
Je partage l’inquiétude de M. Muller s’agissant des personnes atteintes de troubles psychiatriques. Mais le texte n’interdit pas de recueillir l’avis d’un psychiatre dans le cadre d’une prise en charge médicale globale.
Je confirme ce que j’ai dit dans l’entretien que cite le député Casterman : on sait que le développement et l’accessibilité des soins palliatifs changent la perception du patient. Dans 9 % des cas, ces soins ne soulagent pas, ce qui peut inciter à demander l’aide active à mourir. Mais dans 91 % des cas, le patient est satisfait de la manière dont il est pris en charge. Je préférerais donc que l’accès à ces soins soit étendu à tous ceux qui en ont besoin, avant que l’on analyse si certains cas justifient d’aller plus loin. C’est la raison pour laquelle je suis favorable à la scission en deux textes, même s’ils auraient pu ne pas être examinés dans le même temps. En effet, je ne souhaite pas que l’on fasse un saut sociétal alors que l’on ne s’est pas donné les moyens de l’éviter en développant les soins palliatifs pour tous et partout.
Monsieur Guedj, le fait que nous ayons des incertitudes est plutôt rassurant.
On ne peut pas légiférer pour un type de pathologie, monsieur Ray, même si la maladie de Charcot est terrible. Elle peut aussi toucher des patients d’une trentaine d’années, qui savent très bien quels sont son évolution et son pronostic.
Les conséquences sur les personnels soignants des dispositions qu’adoptera le Parlement sont difficiles à mesurer. Si certains d’entre eux ne voudront probablement pas administrer une substance létale à un patient, il faudra en tout cas soutenir ceux qui accepteront de le faire, car un tel geste aura certainement des conséquences psychologiques.
Le sujet évoqué par Josiane Corneloup est intéressant et des réponses juridiques précises peuvent être apportées à ses questions. Mais il faudra aussi l’aborder concrètement avec les soignants, afin d’éviter qu’ils aient peur de commettre un délit d’entrave dans le cadre de leur pratique professionnelle.
M. le président Frédéric Valletoux. Merci, madame la ministre, monsieur le ministre.