N° 1337

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 octobre 2018

RAPPORT D’INFORMATION

FAIT

 

AU NOM DE LA DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L’ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES (1),

sur les femmes et les forces armées,

PAR

Mme Bérangère Couillard et Mme Bénédicte Taurine,

Députées.

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(1) La composition de la Délégation figure au verso de la présente page.

 


La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes est composée de : Mme Marie-Pierre Rixain, présidente ; Mme Marie‑Noëlle Battistel, Mme Valérie Boyer, M. Pierre Cabaré, Mme Fiona Lazaar, vice-présidents ; Mme Isabelle Florennes, Mme Sophie Panonacle, secrétaires ; Mme Emmanuelle Anthoine ; Mme Sophie Auconie ; M. Erwan Balanant ; Mme Valérie Beauvais ; Mme Huguette Bello ; Mme Céline Calvez ; M. Luc Carvounas ; Mme Annie Chapelier ; M. Guillaume Chiche ; Mme Bérangère Couillard ; Mme Virginie Duby-Muller ; Mme Pascale Fontenel-Personne ; Mme Laurence Gayte ; Mme Annie Genevard ; M. Guillaume Gouffier-Cha ; Mme Nadia Hai ; Mme Sonia Krimi ; M. Mustapha Laabid ; Mme Nicole Le Peih ; Mme Jacqueline Maquet ; Mme Cécile Muschotti ; M. Mickaël Nogal ; Mme Josy Poueyto ; Mme Isabelle Rauch ; Mme Laëtitia Romeiro Dias ; Mme Bénédicte Taurine ; Mme Laurence Trastour‑Isnart ; M. Stéphane Viry.

 

 

 

 


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SOMMAIRE

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Pages

Synthèse des propositions

Axe 1 : renforcer les outils de lutte contre les violences, harcèlements et discriminations à caractère sexiste et sexuel au sein des forces armées

Axe 2 : accentuer l’effort en matière de recrutement, de formation initiale et de formation continue

Axe 3 : mieux accompagner les militaires tout au long de leur carrière

Axe 4 : Améliorer la communication en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes dans les forces armées et dans la société

introduction

I. Les femmes restent minoritaires dans les forces armées françaises malgré des efforts récents

A. Un taux global de féminisation encore faible et très variable

1. Des situations différentes dans chaque force armée

2. Une situation variable selon les corps et les spécialités

3. Un taux de féminisation plus élevé que dans la plupart des armées

B. Une féminisation tardive et persistance de certains retards

1. Une ouverture tardive des armées aux femmes

2. Une féminisation progressivement étendue à tous les secteurs d’activité

3. La persistance de freins opérationnels

C. le déploiement d’une politique d’égalité entre les femmes et les hommes

1. Les politiques ministérielles volontaristes depuis 2012

2. Un réseau de référents égalité femmes/hommes dans les armées

D. Un effort dans la lutte et la prévention contre les discriminations et le harcèlement

1. La plateforme « Stop Discri » au sein de la gendarmerie et les actions de prévention

2. La cellule Thémis

II. Poursuivre les efforts et engager une politique volontariste d’égalité

A. Des formations initiales et continues encore trop peu ouvertes aux femmes

1. Le recrutement et les écoles de formation initiale

2. Un accompagnement insuffisant durant le déroulement de carrière

a. Un moindre accès à la formation continue pour les femmes militaires

b. Une promotion interne encore insuffisante malgré des efforts

c. Le cas particulier de l’école de guerre

B. L’accompagnement de carrière

1. Équilibre vie professionnelle/vie privée

2. Une meilleure prise en compte de la parentalité

3. Être attentif au respect et à l’égalité dans tous les temps de la vie militaire

C. prendre part à une dynamique générale en faveur de l’égalité femmes/hommes

1. Un réseau égalité à renforcer

2. Un effort global de communication et d’image des métiers militaires

3. Un effort interministériel à faire en amont

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION

annexe 1 : Liste des personnes auditionnÉes par lA dÉlÉgation et par les RAPPORTEUREs

I. Audition de LA MINISTRE DES ARMÉES du 19 septembre 2018

II. Personnes entendues par la Délégation

III. Personnes entendues par les rapporteures

ANNEXE 2 : DÉplacements effectuÉs par les rapporteures


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   Synthèse des propositions

Axe 1 : renforcer les outils de lutte contre les violences, harcèlements et discriminations à caractère sexiste et sexuel au sein des forces armées

Recommandation n° 1 : intégrer dans le bilan annuel de la cellule Thémis un suivi statistique des cas faisant l’objet d’un signalement au procureur de la République.

Recommandation n° 2 : décliner les actions de communication Thémis dans l’ensemble des forces armées en prenant en compte les spécificités de chaque structure.

Recommandation n° 3 : accentuer la stratégie de prévention des comportements inappropriés des militaires de sexe masculin à l’égard de leurs collègues de sexe féminin.

Axe 2 : accentuer l’effort en matière de recrutement, de formation initiale et de formation continue

Recommandation n° 4 : favoriser l’accès des femmes militaires à la formation continue.

Recommandation n° 5 : encourager et favoriser la promotion interne des femmes militaires en leur permettant notamment de mieux accéder à des postes d’encadrement.

Recommandation n° 6 : revoir les modalités d’accès à l’école de guerre et neutraliser systématiquement les périodes de congé maternité, de congé paternité et de congé parental dans les conditions d’inscription.

Axe 3 : mieux accompagner les militaires tout au long de leur carrière

Recommandation n° 7 : mener une réflexion sur les possibilités d’assouplissement organisationnel permettant de faciliter la vie des personnels tout en respectant les principes du statut militaire français.

Recommandation n° 8 : envisager que des réservistes remplacent les personnes en position de congé parental.

Recommandation n° 9 : développer les partenariats avec des crèches avec une large amplitude horaire d’ouverture et compatible avec les horaires atypiques des militaires.

Recommandation n° 10 : permettre à tous les personnels faisant usage de l’article 12 de la LPM de présenter toute épreuve interne aux forces armées visant à l’obtention d’une qualification professionnelle.

Axe 4 : Améliorer la communication en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes dans les forces armées et dans la société

Recommandation n° 11 : prévoir l’évaluation du déploiement du réseau de référents égalité femmes-hommes dans les armées, directions et services, les bases de défense et les centres ministériels de gestion.

Recommandation n° 12 : s’assurer de la présence de référents égalité/mixité dans l’ensemble des forces armées et structures composant le ministère des Armées et garantir la bonne coordination entre ces référents.

Recommandation n°13 : intégrer la promotion de l’égalité dans les chartes utilisées par chaque force armée.

Recommandation n° 14 : garantir la coordination la plus efficace possible entre le réseau de référents égalité et le travail de la cellule Thémis.

Recommandation n° 15: lancer une campagne montrant l’engagement des armées contre les discriminations.

Recommandation n° 16 : améliorer la communication du ministère des Armées pour garantir la mixité sur l’ensemble des supports visuels et pour renverser les stéréotypes sexistes associés à certains métiers militaires.

Recommandation n° 17 : garantir un accueil similaire et des informations non stéréotypées aux femmes et aux hommes dans les centres de recrutement des forces armées françaises et veiller à la présence de femmes militaires dans ces entités.

Recommandation n° 18 : développer les figures féminines pouvant servir de rôles modèles et permettre ainsi, par une féminisation de l’image de l’armée, aux jeunes femmes de se projeter dans des fonctions militaires, y compris au plus haut niveau de commandement.

 


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   introduction

 

Comme le relevait la ministre des Armées, « pour affronter des menaces plus nombreuses et plus variées, les armées ne peuvent aujourd’hui se permettre de se passer de la moitié des talents de l’humanité ». « Univers masculin par excellence » ([1]), le monde militaire s’est tardivement ouvert aux femmes avec une accélération nette à la fin des années 1990. Si des progrès ont été accomplis, beaucoup reste à faire pour dépasser des clichés historiquement ancrés.

La Délégation a souhaité disposer d’un état des lieux approfondi de la situation des femmes dans les différentes forces armées et a confié la présente mission d’information à vos Rapporteures en mai 2018.

Vos Rapporteures ont souhaité élargir le champ de leurs travaux à l’ensemble des personnels sous statut militaire. Il convient en effet de distinguer les forces armées, qui englobent toutes les unités comprenant des personnels militaires – et notamment la gendarmerie –, des armées au sens strict (terre, air, marine nationale). Par ailleurs, existent de nombreuses autres entités militaires, qu’il s’agisse par exemple de la direction générale à l’armement, du service de santé des armées ou du service du commissariat central des armées.

En termes de méthode, elles ont procédé à des auditions et les entités interrogées ont toutes transmis des éléments de réponse écrits, données précieuses pour l’élaboration du rapport. Elles se sont également rendues sur le terrain, au plus près des forces, auprès d’unités opérationnelles, d’unités spécialisées, d’unités de soutien ou dans des structures de formation initiale et continue. Il leur apparaissait en effet indispensable de donner à une approche générale objective une résonnance concrète, nourrie d’expériences personnelles.

Au‑delà d’un bilan statistique et d’une analyse des mesures engagées essentiellement au cours des dernières années, vos Rapporteures ont cherché à identifier les obstacles juridiques, opérationnels mais aussi culturels qui expliquent que les forces armées ne comprennent, en moyenne, que 15,5 % de femmes en 2017.

De façon générale, vos Rapporteures veulent saluer la détermination et le sens du devoir dont ont fait preuve tous les personnels qu’elles ont rencontré. Elles tiennent aussi à relever que les enjeux d’égalité et de mixité sont aujourd’hui bien identifiés à tous les niveaux de la hiérarchie militaire. S’il convient de poursuivre les efforts engagés et de leur donner une nouvelle ampleur, elles sont convaincues que la volonté politique et l’implication sans faille du commandement permettront d’agir rapidement et efficacement en la matière.

Elles formulent pour cela 18 recommandations qui s’articulent autour de quatre axes d’amélioration :

       renforcer les outils de lutte contre les violences, harcèlements et discriminations à caractère sexiste et sexuel au sein des forces armées, avec une attention forte aux dispositifs de prévention ;

       accentuer l’effort en matière de recrutement, de formation initiale et de formation continue, trois étapes de carrière qui restent encore trop souvent défavorables aux femmes ;

       mieux accompagner les militaires tout au long de leur carrière en prenant notamment mieux en compte les impératifs de la parentalité ;

       intégrer les actions des forces armées dans une politique plus générale pour favoriser l’égalité entre les femmes et les hommes. Il faut agir au sein du monde militaire mais ces avancées ne seront pleinement efficaces que si, en parallèle, nous parvenons à faire progresser notre société sur ces questions.

 


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I.   Les femmes restent minoritaires dans les forces armées françaises malgré des efforts récents

Le taux de féminisation des forces armées françaises apparaît encore globalement peu élevé même si cette situation varie fortement selon les entités et les postes. Cette faiblesse s’explique par une ouverture tardive des forces aux femmes et une levée progressive de tous les obstacles réglementaires mais qui n’empêchent pas la persistance de certains freins. Face à ce constat, les forces armées ont commencé à déployer une politique d’égalité entre les femmes et les hommes.

A.   Un taux global de féminisation encore faible et très variable

Au 30 septembre 2017, les armées françaises comptaient 31 412 femmes militaires, soit 15,5 % de leurs effectifs. Ce chiffre est en légère augmentation, puisqu’en 2007 les femmes représentaient 14,3 % des militaires. En revanche, le personnel civil des armées est plus féminisé : en 2017, les femmes représentaient environ 38,11 % des effectifs civils du ministère des Armées. La tendance est cependant inverse à celle constatée pour les militaires puisque les femmes civiles représentaient 39,5 % de ces effectifs civils en 2007. La situation apparaît cependant très différente selon la force armée, le corps ou les fonctions considérés.

1.   Des situations différentes dans chaque force armée

Comme le présente le graphique ci‑après, le taux de féminisation varie fortement selon l’entité considérée.

Taux de féminisation par force armée

(en % de l’effectif total)

Source : direction des ressources humaines du ministère des Armées.

Ces écarts sont conformes à ceux qui peuvent être constatés dans des domaines civils correspondants : le service de santé est féminisé à hauteur de 59,7 %, légèrement plus que dans l’ensemble des métiers médicaux et paramédicaux en France ([2]). À l’inverse, pour les métiers à dominante scientifique et technique, les taux sont proches de ceux constatés dans les principales écoles d’ingénieurs et dans le monde scientifique ([3]).

La dynamique est également très différente selon la force considérée, comme le détaille le graphique suivant.

Évolution du taux de féminisation par force armée

(en % de l’effectif total)