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N° 3811
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 27 janvier 2021.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA MISSION D’INFORMATION COMMUNE ([1])
sur la revalorisation des friches industrielles, commerciales et administratives
ET PRÉSENTÉ PAR
M. Damien ADAM et Mme StÉphanie KERBARH,
Députés
La mission d’information commune sur la revalorisation des friches industrielles, commerciales et administratives est composée de : Mme Marie-Noëlle Battistel, présidente, M. Damien Adam et Mme Stéphanie Kerbarh, rapporteurs ; M. Thierry Benoit, Mme Danielle Brulebois, MM. Jacques Cattin, Yannick Haury, Guillaume Kasbarian, Jean-Luc Lagleize, Emmanuel Maquet, Mmes Sandra Marsaud, Marjolaine Meynier-Millefert, M. Bruno Millienne, Mme Sylvia Pinel, M. Jean‑Marie Sermier, Mme Bénédicte Taurine, MM. Hubert Wulfranc et Jean‑Marc Zulesi, membres.
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SOMMAIRE
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Pages
Avant-propos de la présidente (Mme Marie-Noëlle Battistel)
A. Une absence de dÉfinition juridique harmonisÉe des friches
B. Les difficultÉs liÉes au recensement et À l’identification des friches
C. Les acteurs impliquÉs dans la rÉnovation des friches
II. la rÉsoRPtion des friches exerce une action positive sur l’économie locaLE ET L’ENVIRONNEMENT
A. imaginer de nouvelles formes de coexistence entre la ville et l’environnement
1. La reconversion des friches constitue un levier de lutte contre l’artificialisation des sols
a. L’irréversibilité de l’artificialisation impose de consommer les sols avec prudence
3. La gestion des terres excavées est un enjeu majeur de l’économie circulaire
B. La rÉhabilitation des friches contribue puissamment au dÉveloppement Économique local
1. La suppression d’une friche participe à la revalorisation économique d’un territoire
a. Éliminer les impacts négatifs nés de la présence d’une friche
b. Contribuer à la revalorisation foncière d’un territoire
2. Un gisement de foncier pour le développement des énergies renouvelables
3. La réhabilitation des friches permet de revaloriser le patrimoine industriel de certaines régions
DEUXIÈME PARTIE : des difficultÉs entravent la rÉnovation des friches
A. Le problème de la propriété et le droit de préemption et d’expropriation des personnes publiques
B. La mÉthodologie de gestion des sites polluÉs : des progrÈs notables À confirmer
C. Le dispositif du tiers demandeur : un outil utile à faire évoluer
II. l’Équilibre Économique des projets, un objectif difficile À atteindre
A. Le bouclage financier d’une opÉration de rÉnovation est soumis À des alÉas majeurs
1. Les coûts de la réhabilitation sont très élevés
2. Les bilans sont grevés par les incertitudes et les risques
b. La valeur foncière des terrains constitue un obstacle important en zone non tendue
B. Les ressources financiÈres disponibles sont incertaines et insuffisantes
2. Les financements publics demeurent incertains et insuffisants
a. Les acteurs locaux n’ont pas toujours les moyens
b. Les financements nationaux, distribués notamment par le biais de l’ADEME, sont réduits
c. Les financements européens sont sous-mobilisés
troisiÈme partie : Renforcer l’action publique en faveur de la rÉnovation des friches
I. S’engager dans une politique rÉsolue de prÉvention de la formation de friches
B. Limiter les friches induites par la réglementation
C. Favoriser la réversibilité par l’anticipation
II. Une nÉcessaire simplification des procÉdures de rÉhabilitation ou de reconversion
A. Simplifier et ACCÉLÉRER les procÉdures de reconversion
1. Décloisonner les procédures administratives
2. Faciliter les changements de zonage et d’usage et l’obtention des documents administratifs
B. CrÉer de nouveaux outils pour dÉvelopper l’action des collectivitÉs
1. Instaurer la région comme collectivité chef de file sur les projets de réhabilitation des friches
2. Étendre la couverture des EPF et EPA à l’ensemble du territoire
3. Encourager les collectivités à acquérir le foncier des friches en vue de leur reconversion
A. La fiscalitÉ immobiliÈre peut inciter À la rÉtention fonciÈre
2. La fiscalité sur les mutations renchérit le coût d’achat
3. La fiscalité dégressive sur les revenus de cession encourage la rétention foncière
3. La taxation des plus-values des terrains nus devenus constructibles
EXAMEN DU RAPPORT PAR LA MISSION D’INFORMATION
EXAMEN DU RAPPORT PAR LES COMMISSIONS
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Avant-propos de la présidente
(Mme Marie-Noëlle Battistel)
Le sujet de la rénovation des friches est plus prégnant que jamais. Celles-ci sont effectivement source d’opportunités et d’intérêts divers, qu’ils soient économiques, sociaux ou encore environnementaux. Il rejoint en outre les problématiques qui sont au cœur de l’actualité et font partie intégrante des préoccupations des acteurs économiques et de la société.
Je pense notamment à la lutte contre l’artificialisation des sols, à la réindustrialisation du pays ou encore au développement de l’économie circulaire. Je pense également à la mutation digitale de l’économie, aux restructurations de services publics ainsi qu’aux crises économiques qui ne font qu’accroître le nombre de friches. La crise sanitaire, économique et sociale que nous subissons aujourd’hui ne manquera pas, malheureusement, de contribuer à une nouvelle vague de friches. C’est pourquoi, nous devons dès à présent nous saisir de ce sujet.
Les enjeux étant multiples, les travaux qui ont été menés ont eu un objet le plus large possible, en s’intéressant non seulement aux friches industrielles et commerciales mais également aux friches administratives et militaires. Un tel choix permet d’éviter toute myopie et de manquer de répondre à une partie du sujet et des enjeux y attenant.
Sujet prégnant, porteuse d’enjeux multiples et actuels, la revalorisation des friches industrielles est également indispensable afin de répondre à un phénomène d’ampleur. Nous connaissons encore mal le nombre de friches que compte notre pays et l’espace qu’elles occupent sur le territoire national. Le ministère de la transition écologique estime à 2 400 le nombre de friches industrielles, quand d’autres acteurs avancent des chiffres bien plus élevés (de 4 000 à 10 000 sites pourraient alors être concernés, pour une surface totale comprise entre 90 000 et 150 000 hectares). Quoi qu’il en soit, le nombre demeure conséquent.
S’agissant des friches commerciales ou administratives, le recensement est quasi inexistant et il apparaît difficile de dire quelle est la surface occupée par celles‑ci, faute de base de données suffisante et fiable, malgré le déploiement progressif de nouveaux outils co-construits avec les territoires. Il apparaît indispensable d’associer pleinement ces derniers à la revalorisation des friches afin de bénéficier de leur entière connaissance du terrain et des acteurs concernés.
Toutefois, si le recensement des friches est un frein conséquent à leur revalorisation, d’autres difficultés subsistent. Il convient effectivement de relever que le fait que le traitement des friches relève de plusieurs ministères et agences ajoute de l’illisibilité, et qu’il est ainsi parfois difficile de s’y retrouver pour les acteurs qui cherchent à se faire accompagner dans un projet de réhabilitation.
La question du financement est également essentielle. Le soutien financier public est primordial, plus particulièrement pour ce qui concerne les friches industrielles, notamment en raison du coût de dépollution (évalué à hauteur d’au moins un million d’euros de l’hectare). Cela explique que les propriétaires sont aujourd’hui incités à se décharger des coûts afférents à la réhabilitation en les reportant sur des porteurs à projets.
Toutefois, ces dispositifs – comme celui du tiers demandeur créé en 2014 avec la loi ALUR – sont trop peu utilisés. Quant aux financements publics directs, ils demeurent largement insuffisants et ne sont donc pas à la hauteur des enjeux.
Pourtant, des acteurs s’engagent, proposent, afin d’apporter des solutions en faveur de la réhabilitation des friches partout sur le territoire. Les idées, les projets, les innovations sont sur la table et n’attendent que la volonté politique et un signal positif donné par l’État.
Il convient encore de lever l’ensemble des freins qui concernent les collectivités territoriales. Toutes ne peuvent en effet bénéficier d’une véritable expertise en matière d’ingénierie. Instruire un dossier demande, pour les grands projets, des compétences particulières et toutes les collectivités n’en disposent malheureusement pas. Il convient donc d’imaginer les dispositifs adéquats afin de leur apporter l’expertise nécessaire alors qu’elles sont les premières concernées sur leur territoire. Elles doivent être davantage accompagnées et soutenues.
Par ailleurs, la question fiscale apparaît également au cœur du sujet. En effet, les taxes foncières peuvent être très faibles, en particulier en ce qui concerne les propriétés non bâties, notamment au regard de la valeur des terrains constructibles. Les politiques de soutien au secteur immobilier et à l’accession à la propriété ont eu tendance à renforcer les incitations à bâtir plutôt qu’à réhabiliter. Les dispositifs existants jouent en défaveur de la réhabilitation des friches, car ils incitent plutôt à développer du logement en extension urbaine. C’est le cas par exemple du prêt à taux zéro (PTZ).
Ainsi, le présent rapport a pour ligne directrice d’identifier les freins, de lever toutes les difficultés s’agissant des friches, qu’elles soient administratives, commerciales, administratives ou militaires afin d’être en mesure d’apporter les solutions appropriées. Cela est d’autant plus important que, outre les nombreux enjeux que la réhabilitation des friches sous-tend, les territoires et nos concitoyens ont tout à y gagner.
La rénovation des friches est en effet une source importante d’externalités positives comme par exemple l’augmentation du foncier disponible sans engendrer d’artificialisation des sols, la redynamisation d’un territoire en accueillant des entreprises donc en réduisant les risques sanitaires que les friches font peser sur les populations, ou encore en termes de valorisation d’un patrimoine.
Pour toutes ces raisons, les deux rapporteurs, Mme Stéphanie Kerbarh, députée de la 9e circonscription de Seine-Maritime, et M. Damien Adam, député de la 1ère circonscription de Seine-Maritime, ont été force de proposition afin de suggérer des pistes visant à dépasser les freins et difficultés rencontrées par les différents acteurs concernés et les collectivités territoriales. Ce rapport constitue donc un travail indispensable afin de pouvoir apporter une réponse adéquate aux enjeux d’aujourd’hui et de demain, au cœur desquels la revalorisation des friches occupe une place particulière.
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Face aux problèmes conjugués de l’artificialisation des sols et de la raréfaction du foncier disponible, la réhabilitation et le réemploi des friches d’activités présentent pour les territoires un intérêt majeur, à la fois en termes économiques, sociaux et environnementaux. C’est cette intuition qui a guidé la mise en place de la présente mission d’information et qui constitue le fil rouge de la réflexion de vos rapporteurs.
La superficie occupée par les friches sur le territoire national, qui pourrait atteindre 150 000 hectares pour les seules friches industrielles, est très conséquente. Sur l’ensemble du territoire, les traces du passé subsistent et posent des contraintes à la planification municipale. Les friches représentent un fardeau pour les collectivités qui n’arrivent pas à les valoriser ou un potentiel pour celles qui entrevoient les possibilités de réutilisation.
Mais la question des friches ne peut se poser que par rapport au passé industriel de notre pays : la mutation digitale de l’économie, les restructurations de service public, les crises économiques engendrent en permanence leur lot d’emprises abandonnées. Les friches sont ainsi un héritage collectif systématiquement renouvelé.
Or la crise économique et sociale majeure que nous traversons du fait de la pandémie de la covid‑19 fait craindre une nouvelle vague de formation de friches : friches commerciales avec les fermetures de commerces occasionnées par les confinements, friches de loisirs telles que des stations de ski, nouvelles friches industrielles, etc. C’est en ce sens que la question de la prévention est aussi importante que celle du traitement.
Le présent rapport se concentre néanmoins davantage sur la question du traitement, car la prévention de la formation de friches inclut des enjeux larges de politique économique qu’il serait difficile d’aborder de manière exhaustive.
Le sujet des friches se situe également au cœur des politiques territoriales de développement durable. Reconstruire la ville sur la ville, c’est aussi l’une des priorités de la « Feuille de route pour une Europe efficace dans l’utilisation des ressources », élaborée par la Commission européenne, et de l’objectif de « zéro artificialisation nette » (ZAN) adopté en France dans le cadre du plan Biodiversité. Cet objectif comprend la division par deux des terres artificialisées dans les dix années à venir par rapport aux dix précédentes années, objectif qui tient tout particulièrement à cœur vos rapporteurs. Car, depuis les années 1980, la surface occupée par les activités secondaires et tertiaires a doublé, de même que les fonctions résidentielles.
Le foncier économique non agricole (établissements, emprises des zones commerciales et entrepôts) couvre désormais 30 % des surfaces artificialisées, selon les estimations produites sur la base de l’enquête Teruti-Lucas de 2014 sur l’occupation et l’utilisation du territoire. Il progresse bien plus vite que le foncier résidentiel.
Prévenir la formation de friches et lutter pour leur réhabilitation répond ainsi à des enjeux environnementaux, économiques, sociaux et culturels. C’est un objet de reconquête industrielle et territoriale dans lequel les collectivités sont amenées à jouer un rôle de premier plan. La reconquête industrielle constitue en effet depuis 2017 une priorité de cette majorité, et la remise en état des friches afin de recevoir de nouvelles activités industrielles en est un levier essentiel. Dans ce but, les collectivités doivent adopter une gestion active et stratégique du foncier et appliquer la séquence « éviter, réduire et compenser » (ERC) inscrite dans le code de l’environnement.
Mais leur action se heurte à de nombreuses difficultés. La première d’entre elles est de définir et identifier les friches présentes sur le territoire, ce qui conduit à constater le morcellement de l’action publique en cette matière. Il n’existe pas de définition juridique d’une friche, ni d’inventaire local ou national exhaustif, y compris pour les friches industrielles qui sont a priori les plus faciles à recenser.
Ensuite, même lorsqu’une friche est identifiée, sa reconversion fait intervenir une pluralité d’acteurs aux intérêts parfois divergents : propriétaire foncier, exploitant, services de l’État et des collectivités, porteurs du projet (établissements publics fonciers ou administratifs, promoteurs, entreprises). La reconversion se fait le plus souvent selon des logiques de marché propres à chaque situation, avec ou sans intervention publique.
Du côté des acteurs publics, plusieurs ministères et agences interviennent, quoique leurs actions pourraient faire l’objet d’une meilleure coordination. Sur ce point, la désignation d’un chef de projet pour coordonner les services de l’État et des collectivités est une attente forte des acteurs, exprimée à de nombreuses reprises pendant les travaux de la mission.
Les acteurs publics et le législateur doivent aussi s’attacher à examiner la pertinence et l’efficacité des procédures administratives mises en œuvre. De nombreuses avancées ont eu lieu depuis une dizaine d’années, comme en témoigne par exemple la procédure du tiers demandeur, qui demeure cependant trop peu utilisée et peut faire l’objet d’approfondissements. De manière générale, des progrès demeurent possibles afin d’accélérer et de regrouper les procédures, et d’accompagner les porteurs de projet et les collectivités.
Le principal point de blocage demeure cependant l’équilibre économique des projets. Les projets d’aménagement sont, de manière générale, sujets à une accumulation de surcoûts et d’aléas qui ne sont que partiellement le fait des délais et des procédures d’ordre administratif. C’est d’autant plus vrai en ce qui concerne les projets de réhabilitation des friches, qui sont concernés par des difficultés supplémentaire