FICHE QUESTION
10ème législature
Question N° : 1135  de  M.   Braouezec Patrick ( Communiste - Seine-Saint-Denis ) QOSD
Ministère interrogé :  économie et finances
Ministère attributaire :  économie et finances
Question publiée au JO le :  19/06/1996  page :  4443
Réponse publiée au JO le :  26/06/1996  page :  4841
Rubrique :  Impot sur le revenu
Tête d'analyse :  Quotient familial
Analyse :  Concubins. couples maries. disparites
Texte de la QUESTION : M. Patrick Braouezec attire l'attention de M. le ministre de l'economie et des finances sur le probleme du statut fiscal des concubins qui est devenu inegalitaire avec l'adoption, dans la loi de finances pour 1996, d'une disposition qui n'assure qu'en apparence une plus grande neutralite fiscale. Il apparait, en effet, que la perte d'une demi-part supplementaire entraine des inegalites reelles et particulierement discriminatoires par rapport aux enfants. Il lui demande s'il entend proceder a une etude complete et rapide des consequences de cette mesure, afin que la discrimination puisse etre supprimee dans la loi de finances pour 1997.
Texte de la REPONSE : Mme le president. M. Patrick Braouezec a presente une question no 1135.
La parole est a M. Patrick Braouezec, pour exposer sa question.
M. Patrick Braouezec. Monsieur le ministre delegue au logement, l'egalite devant l'impot est l'un des principes fondamentaux de notre Republique et la justice fiscale est une notion a laquelle les Francais sont tres attaches. C'est au nom de ces valeurs qu'un amendement a la loi de finances pour 1996 a supprime un avantage dont beneficiaient les couples vivant en union libre par rapport aux couples maries. En effet, les couples non maries sont desormais prives de la demi-part supplementaire dont ils disposaient pour chaque enfant dans le calcul du quotient familial.
Pourtant, cette disposition n'a en rien permis d'etablir une egalite fiscale entre les couples maries et ceux qui ne sont pas passes devant le maire. Bien au contraire, cette modification partielle penalise les concubins et a accru le desequilibre fiscal qui existe entre les deux situations matrimoniales.
En depit de cette reforme, deux celibataires vivant ensemble n'ont toujours pas la possibilite de faire une declaration d'impots commune, contrairement aux couples maries. L'obstacle generalement invoque a la declaration commune reside dans la difficulte a etablir la preuve du concubinage.
Pourtant, le droit civil et le droit social ont deja explore differents elements permettant d'etablir la realite de la vie commune. Des organismes publics comme les offices publics d'HLM, la caisse d'allocations familiales, les mairies lorsqu'elles calculent le quotient familial pour les frais de cantine et de creche, prennent en compte l'ensemble des revenus de menages non maries. Le code general des impots lui-meme reconnait, la possibilite d'une declaration commune pour les concubins en matiere d'impot sur la fortune.
Mais, en ce qui concerne l'impot sur le revenu, si une personne vivant maritalement n'a pas de revenu, elle ne peut entrer en ligne de compte dans le calcul de l'impot de celle qui entretient le foyer. Ainsi, pour un couple avec un enfant ou l'un est sans emploi et l'autre gagne 8 700 francs par mois, les concubins paient 5 039 francs d'impot contre 114 franc s'ils avaient ete maries. De plus, les enfants ne peuvent etre pris en charge fiscalement que par un seul des concubins. La suppression de la demi-part n'a donc en rien etabli l'egalite des couples devant l'impot sur le revenu.
Quant au regime fiscal dans son ensemble, il est clairement defavorable aux concubins. Le droit des successions, en particulier, ne tient aucun compte de la realite des liens affectifs et economiques qui ont pu se developper au long de la vie de couples non maries. Les droits de 60 p. 100 appliques aux personnes ayant vecu en union libre ne peut en aucune facon etre compare avec le taux maximum de 20 p. 100 applique aux personnes qui etaient mariees.
Sur le fond, il ne semble pas forcement injuste de considerer, de fait, que l'union libre equivaut a une situation de mariage. Mais ce point de vue pose probleme s'il ne prevaut que dans un contexte fiscal penalisant pour les personnes qui ont choisi de vivre maritalement.
La suppression de la demi-part n'aurait ete acceptable que si elle s'etait aussi accompagnee d'une reforme des droits de mutation et, plus largement, d'un alignement du statut fiscal des concubins sur celui des couples maries. Or il n'en a pas ete question.
Cette demi-mesure penalisante reflete, finalement, a mes yeux, l'ordre moral que souhaite imposer une partie de notre assemblee a une societe dont les moeurs se transforment trop rapidement a son gout. L'impot a ici ete utilise pour contrer une evolution sociologique indeniable, et la reforme ne repond pas a un souci de justice fiscale. En outre, elle penalise les enfants des couples non maries, qui patissent de la baisse du revenu disponible de leur parents.
Si l'on recherche veritablement la justice fiscale, il convient de repenser la question du couple devant l'impot, sans pour autant aligner le statut juridique des concubins sur celui des couples maries, car le concubinage perdrait alors sa raison d'etre.
Compte tenu de l'evolution des modes de vie, l'egalite devant l'impot conduirait a reconnaitre un etat de fait - la vie commune et la mise en commun d'interets materiels - et a en tirer les consequences fiscales.
Si l'on pousse cette logique jusqu'au bout, si la communaute d'interets economiques devient l'element determinant du traitement fiscal, cela revient a accorder les memes charges et avantages aux couples maries ou non, aux couples heterosexuels comme homosexuels.
Cette approche de la situation des personnes au regard du droit fiscal rejoint la problematique developpee par les partisans du contrat d'union sociale. Considerer tous les couples, des lors qu'ils vivent ensemble et mettent en commun leurs revenus, comme egaux devant la loi, revient a confirmer que tous les individus sont des citoyens a part entiere, dotes en consequence de droits et devoirs.
Certes le contrat d'union sociale deborde du cadre du sujet aborde mais on voit bien ici que la question de la demi-part supplementaire des concubins renvoie a un profond debat de societe.
La suppression de cette demi-part n'aurait pas du intervenir de maniere incidente, au detour d'un article de la loi de finances. La reforme fiscale tant annoncee, et tant redoutee au vu des mesures presentees en avant-premiere, sera, je l'espere, l'occasion de revenir sur ce point dans le cadre d'une discussion d'ensemble. Il faudra, en particulier, bien soulever le probleme de la declaration commune, car il s'agit la de l'obstacle majeur a l'egalite des couples devant l'IRPP.
La suppression de la demi-part pour les couples non maries ne doit pas uniquement rester un moyen d'augmenter les rentrees fiscales de l'Etat. De meme l'impot n'est pas un instrument de promotion du mariage, n'est pas seulement un moyen de financer l'Etat, mais doit rester un facteur de justice sociale en permettant la redistribution des richesses des uns au profit des autres.
C'est pourquoi je vous demande, monsieur le ministre, si le Gouvernement entend, a l'occasion de la loi de finances pour 1997, revenir sur la suppression de la demi-part supplementaire dont beneficiaient les concubins dans le calcul du quotient familial, et s'il a l'intention de poser le probleme du statut fiscal des couples non maries dans le cadre de la prochaine reforme de l'impot.
M. Jean-Claude Lefort. Tres bien !
Mme le president. La parole est a M. le ministre delegue au logement.
M. Pierre-Andre Perissol, ministre delegue au logement. Monsieur le depute, permettez-moi de vous repondre a la place de M. Jean Arthuis et de M. Lamassoure, qui sont retenus par une reunion tres importante.
M. Jean-Claude Lefort. Ils sont irremplacables !
M. le ministre delegue au logement. J'essaierai de faire de mon mieux, monsieur le depute !
Le dispositif auquel vous faites allusion, monsieur Braouezec, et qui resulte d'ailleurs d'une initiative parlementaire, ne constitue pas, comme vous l'affirmez, une mesure discriminatoire a l'egard des couples de fait, mais represente au contraire un progres significatif sur la voie de l'egalite dans la prise en compte des enfants a charge.
Ce dispositif pose en effet comme principe que, a compter de l'imposition des revenus de 1995, l'avantage de quotient familial accorde au titre des enfants a charge sera strictement identique pour tous les contribuables qui vivent en couple, qu'ils soient maries ou qu'ils vivent en union libre, c'est-a-dire qu'ils beneficieront tous d'une demi-part supplementaire de quotient familial pour leurs enfants a charge de rang un et deux, et d'une part entiere de quotient familial pour ceux de rang trois et au-dela.
Par exception a ce principe, la part entiere de quotient familial pour le premier enfant a charge est toutefois maintenue en faveur des personnes qui vivent et elevent effectivement seules leurs enfants, afin de tenir compte des sujetions particulieres auxquelles ces contribuables sont confrontes du fait de leur isolement.
Cela dit, cet amenagement des regles du quotient familial ne change en rien le statut fiscal des couples de fait qui demeurent imposes comme des celibataires.
Il apparait en effet qu'une modification de ce statut consistant, comme le suggerent certains, a permettre aux couples de fait d'opter pour une imposition commune souleverait de redoutables difficultes.
Contrairement au mariage, l'union libre est en effet un etat juridiquement inorganise difficile a apprehender par l'administration. En outre, les epoux sont assujettis, en vertu des dispositions de l'article 212 du code civil, a une obligation de secours et d'assistance qui ne pese pas sur ceux qui vivent maritalement. Par ailleurs, la vie maritale n'entraine pas les memes consequences que le mariage, notamment en matiere de solidarite devant les dettes. Enfin, l'imposition commune des concubins se heurterait aux difficultes liees a la remise en cause de celle-ci lors de la dissolution du couple de fait, puisque cet etat n'est materialise par aucun acte tel que le divorce ou la separation de corps.
Les difficultes d'un controle d'une imposition commune des personnes qui ont choisi de vivre en concubinage et ces importantes differences entre les effets juridiques du mariage et du concubinage sont autant d'obstacles a l'assimilation des deux situations au planfiscal.
COM 10 REP_PUB Ile-de-France O