Texte de la QUESTION :
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M. Pierre Lellouche attire l'attention de M. le ministre des affaires etrangeres sur le fait qu'a ce jour le genocide dont le peuple armenien a ete victime en 1915, n'a fait l'objet d'aucune reconnaissance officielle de la part de la France. Les democraties ont, en effet, un imperieux devoir de memoire par rapport a l'Histoire. Memoire de chaque nation d'abord, vis-a-vis de sa propre histoire, avec ce que celle-ci comporte de grandes realisations et parfois d'erreurs ou de tragedies. Memoire aussi, a l'egard de la communaute internationale dans laquelle s'inscrivent la prosperite et la paix de chaque nation. La reconnaissance de faits aussi graves que l'elimination physique d'un peuple est en effet la condition de la construction de la democratie, comme de la consolidation de la paix. Il ne peut exister de reelle democratie sans l'inlassable volonte de reconnaitre les moments de joie ou de souffrance qui constituent les elements memes de l'existence d'un peuple. Il ne peut pas d'avantage exister de paix durable qui ne soit batie sur la reconnaissance des liens, meme douloureux, entre les nations. Toutes les formes de genocide sont condamnables, quelles qu'en soient les moyens, les methodes ou les motivations ideologiques, religieuses ou autres. Le resultat est toujours le meme : la destruction d'etres humains, sur l'unique base de leurs differences ethniques, religieuses ou culturelles. Le premier genocide du XXe siecle a eu lieu en 1915, a l'encontre du peuple Armenien. Cette tragedie est historiquement incontestable, nonobstant les recentes declarations de certains negationnistes, qui volontairement ou non, deforment la realite. La tendance recente a la negation du genocide armenien par certains historiens rend aujourd'hui urgente plus que jamais la reconnaissance indiscutable de ce moment tragique de l'histoire de notre continent, de la part des grandes nations democratiques - a commencer par la Republique francaise. Faut-il rappeler que les Nations unies ont reconnu la realite du genocide armenien en 1985. Et qu'en 1987, le Parlement de Strasbourg suivait la meme demarche. Dans ces conditions, il apparait essentiel pour le rang comme pour la credibilite de la France, garant des droits de l'homme aux yeux de millions d'etres humains de par le monde, que notre pays sorte de son silence et reconnaisse a son tour le genocide armenien. Cette reconnaissance n'impliquerait certainement pas la condamnation de l'actuelle Turquie mais, tout au contraire, demontrerait notre volonte de contribuer a l'etablissement d'une paix durable entre Turcs et Armeniens. A l'instar de la reconciliation franco-allemande, la reconciliation entre les nations turque et armenienne, longtemps dechirees par la guerre, passe en effet par la reconnaissance des heures sombres de l'Histoire. C'est parce qu'elle a su, en son temps, reconnaitre les crimes du regime nazi, que la Republique federale d'Allemagne a pu construire en son sein une democratie vigoureuse, et trouver sa place dans la famille europeenne au lendemain de la Seconde guerre mondiale. Et c'est cette reconnaissance qui a egalement constitue le socle sur lequel a pu etre batie la reconciliation franco-allemande, laquelle s'imposa a son tour avec de Gaulle et Adenauer comme la condition de la paix sur notre continent, en meme temps que comme le moteur de la construction europeenne. Ainsi la reconnaissance par la France du genocide armenien peut-elle non seulement entrainer d'autres nations sur la voie de la memoire et de la maturite democratique, mais peut aussi contribuer puissamment au retour de la paix dans cette region dechiree par la guerre. Dans cet esprit de paix et d'apaisement, la France peut egalement montrer le chemin de la reconciliation a l'actuelle Turquie qui, si elle n'est pas responsable des actes perpetres en 1915 contre le peuple armenien, pourrait en s'inspirant de la reconnaissance du genocide, ainsi consolider sa propre democratie, et demontrer qu'elle partage les valeurs de l'Union europeenne en matiere de droits de l'homme. Notre pays a toujours ete en premiere ligne du combat pour les droits de l'homme. Sur ce sujet d'une tres forte sensibilite pour tous les Francais qu'ils soient ou non d'origine armenienne, il appartient a notre Gouvernement de donner l'exemple, et par un acte humaniste de rehabilitation morale envers les Armeniens, d'etablir de facon claire, et a la face du monde, la realite du genocide armenien. Il lui demande quelles sont les intentions du Gouvernement en ce qui concerne la reconnaissance du genocide armenien de 1915.
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Texte de la REPONSE :
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L'honorable parlementaire appelle l'attention du Gouvernement sur une page particulierement douloureuse de l'histoire ; le massacre au debut de notre siecle de la majeure partie de la communaute armenienne se trouvant en Asie mineure, sous la juridiction de l'empire ottoman. Notre pays a accueilli les survivants, arraches a leurs racines, durablement frappes par un malheur sans exemple quant a la soudainete et a l'etendue, malgre une longue histoire deja fertile en tragedies. La France s'honore d'avoir pu integrer cette nouvelle communaute, a la fois fidele a sa memoire ancienne et a sa patrie d'adoption, a laquelle elle a apporte ardeur, energie et foi dans l'avenir et jusqu'au sacrifice de son sang dans les deux guerres mondiales, a nos cotes. Dans tant de domaines, les Armeniens de France ont exerce leurs talents, qu'ils ont reussi a conquerir une place de choix dans la communaute nationale, symbolisant la reussite de leur integration. Les plus hautes autorites de l'Etat, en leur temps, ont deja rendu hommage aux victimes dont les descendants denoncent le genocide. La ou elle est representee la communaute armenienne de France a su marquer physiquement mais aussi spirituellement ce souvenir indelebile par des steles, des noms de rues, des lieux qui rappellent a tous l'horreur de ce 24 avril qui apparait, retrospectivement, comme un prelude aux autres genocides du siecle. La France n'oublie pas les liens exceptionnels qui sont les siens avec le peuple armenien. Des l'heureuse restauration d'une republique d'Armenie independante en 1991, elle a developpe une importante cooperation dans tous les domaines, visant en premier lieu a faciliter le retour de l'Armenie sur la scene internationale, afin qu'elle puisse jouer le role que son histoire et sa haute contribution a la civilisation lui destinent. Nous avons a coeur d'oeuvrer tout particulierement a la resolution de la crise du Haut-Karabakh, mais aussi d'appeler tous les voisins de l'Armenie, et au premier rang la Turquie, a etablir des relations de bon voisinage avec ce pays. La France s'est elevee contre les blocus infliges a l'Armenie. Elle a obtenu sur ce point quelques succes, en mobilisant a cet effet l'Union europeenne, malheureusement remis en cause par l'escalade des combats dans le Haut-Karabakh. Notre aide humanitaire a l'Armenie ne s'est jamais dementie, de meme que notre souci d'assurer un traitement impartial a l'Armenie dans les instances internationales qui auraient pu etre tentees de sous-estimer la complexite de cette crise. La France est en tout cas bien decidee, sans renier ses principes ni ses amities seculaires, a oeuvrer concretement et pas a pas au renouveau de cette region du monde, ou elle dispose d'un capital de confiance qu'elle met au service de la paix et du developpement, afin que la tragedie de 1915 plus jamais ne puisse se reproduire.
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