FICHE QUESTION
11ème législature
Question N° : 1052  de  M.   André René ( Rassemblement pour la République - Manche ) QOSD
Ministère interrogé :  éducation nationale, recherche et technologie
Ministère attributaire :  éducation nationale, recherche et technologie
Question publiée au JO le :  13/03/2000  page :  1528
Réponse publiée au JO le :  15/03/2000  page :  1849
Rubrique :  enseignement secondaire
Tête d'analyse :  programmes
Analyse :  latin. grec
Texte de la QUESTION : M. René André appelle l'attention de M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie sur la désaffection à l'égard de l'enseignement des langues anciennes (latin et grec). Il lui demande de bien vouloir lui indiquer quelles mesures il compte prendre pour inciter les élèves à se diriger vers l'enseignement du latin et du grec.
Texte de la REPONSE : Mme la présidente. M. René André a présenté une question, n° 1052, ainsi rédigée:
«M. René André appelle l'attention de M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie sur la désaffection à l'égard de l'enseignement des langues anciennes (latin et grec). Il lui demande de bien vouloir lui indiquer quelles mesures il compte prendre pour inciter les élèves à se diriger vers l'enseignement du latin et du grec.»
La parole est à M. René André, pour exposer sa question.
M. René André. Monsieur le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie, je voudrais attirer votre attention sur l'enseignement du latin et du grec.
La situation des langues anciennes en France présente quelque similitude avec les constitutions de l'ancienne URSS. Apparemment il n'y a rien à dire, ce qui est prévu est parfait, les libertés sont non seulement proclamées mais garanties. Et tout enfant qui souhaite étudier le latin ou le grec, en option facultative ou obligatoire, le peut. Du moins en théorie, car la réalité est malheureusement tout autre.
Volonté délibérée, coïncidence malheureuse, tout semble fait au contraire pour décourager les jeunes de l'étude et de l'enseignement des langues anciennes, latin ou grec, en dépit de proclamations contraires. Nous sommes de plus en plus nombreux à le regretter.
Car, et vous le savez bien, monsieur le ministre, au sein de la crise de l'enseignement, il y a la crise de l'enseignement des langues anciennes.
Permettez-moi à cet égard de citer une très grande dame, que tout le monde respecte, Mme de Romilly: «Cette crise, sur laquelle presque tous sont d'accord, concerne les lettres ainsi que les études anciennes, qui ont toujours eu une part essentielle et dont l'utilité est si sottement méconnue.» Les classes de latin ont des effectifs de plus en plus squelettiques; les classes de grec ont parfois disparu pour des villes entières.
Je ne tiens pas à polémiquer, car ce n'est ni le lieu ni la matière, mais comment ne pas faire référence à la réforme engagée par M. Jospin lorsqu'il était ministre de l'éducation nationale - vous étiez déjà à ses côtés, monsieur le ministre -, et qui ne laissait aux élèves scientifiques, qui représentent curieusement la majorité des latinistes et des hellénistes, que la possibilité d'une seule option facultative, le latin ou le grec en compétition avec tout le reste. Heureusement, cette réforme a été corrigée par M. Lang et par M. Bayrou.
C'est une banalité que de constater que la langue française n'est plus maîtrisée et que des fautes d'orthographe ou de grammaire émaillent toutes les copies, de la sixième à l'agrégation.
Nombreux sont ceux qui pensent - et j'aimerais connaître votre opinion sur ce point, monsieur le ministre - que cette situation est également due à l'abandon des exercices et des analyses rigoureuses qu'impose l'étude des langues anciennes.
Non, ce n'est pas être conservateur, rétrograde ou je ne sais quoi que de souhaiter que l'étude des langues anciennes reprenne force et vigueur. C'est au contraire se projeter vers l'avenir et permettre à une société hypermarchande, hypertechnique et déshumanisée de conserver et de cultiver un peu d'humanisme.
Avant de conclure, je ferai deux citations. La première est de l'ancien président de l'Académie des sciences, M. Friedel: «A une époque où la notion de complexité domine bien souvent les sciences et les techniques, quelle meilleure ouverture sur cet aspect qu'une bonne culture humaniste ?» La seconde est d'un chef d'entreprise, M. Ambroise Roux: «J'ai toujours constaté que la réussite des grands chefs d'entreprise était essentiellement due à leurs qualités humaines. Les études scientifiques sont bien souvent une nécessité, mais elles ne contribuent guère au développement de ces qualités. Seule une formation humaniste peut y contribuer. C'est pourquoi il me paraît indispensable, pour ceux qui ambitionnent d'être des hommes complets, de suivre des études classiques. Français et latin sont donc, à mon avis, primordiaux.»
Bien entendu, monsieur le ministre, il s'agit, non pas de rendre obligatoire l'apprentissage du latin ou du grec, mais de permettre réellement à celles et à ceux qui veulent s'y initier ou l'étudier de pouvoir le faire facilement. Il ne suffit pas de proclamer une liberté pour qu'elle puisse s'exercer. Encore faut-il créer les conditions favorables à son exercice, ce qui n'est pas le cas actuellement.
Ma question est simple, monsieur le ministre: que compte faire votre ministère pour rendre plus accessible aux élèves qui le souhaitent l'étude du latin ou/et du grec ? En avez-vous réellement la volonté ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Monsieur le député, je pourrais me contenter de vous répondre en vous citant des statistiques et vous dire que depuis que je suis arrivé à la tête du ministère de l'éducation nationale, l'étude du latin, qui concernait 21,6 % des élèves, en touche désormais 23,4 %, et que, pour le grec, les chiffres sont passés de 1,74 % à 1,88 %. Par conséquent, les dispositions que nous avons prises ont favorisé l'étude des langues anciennes. Mais j'irai plus loin.
M. René André. Je vous en remercie !
M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Savez-vous combien il y a d'étudiants en grec à Dijon, à Rennes, à Caen ou à Bordeaux ? Moins d'une dizaine ! Et le ministre de l'éducation nationale n'est pour rien dans cette situation. Dans certaines facultés de province, le grec n'est même plus enseigné. Mais il n'appartient pas au ministre de l'éducation nationale d'imposer l'étude du grec.
Je vais vous dire quelle est l'origine de cette situation et ce que j'ai fait en la matière.
Récemment, j'ai lu dans les journaux une pétition absurde à propos de la dissertation - pétition dont certains signataires n'avaient d'ailleurs même pas donné leur accord car on leur avait en fait demandé s'ils voulaient soutenir l'enseignement du grec et du latin. Or il faut savoir que, à l'heure actuelle, seuls 7,3 % des élèves choisissent la dissertation au baccalauréat. Au reste, la dissertation ne figurait même pas dans les programmes précédents, alors que c'était pourtant un professeur de lettres qui était ministre de l'éducation nationale. Nous avons donc rajouté cette matière au programme.
Pour lutter contre cette désaffectation de la filière lettres, nous entendons lui redonner de la vigueur. Les lettres se sont vassalisées vis-à-vis des sciences et des mathématiques. Aujourd'hui, un élève qui est mauvais en mathématiques ne peut pas espérer obtenir une mention élevée au bac et être admis en première supérieure. Songez que, dans certaines premières supérieures, on refuse les élèves de la filière lettres pour ne retenir que ceux de la filière scientique. Voilà ce qui est à l'origine du problème.
M. Bayrou avait essayé de rétablir une filière lettres, mais il a finalement cédé à la pression de ceux qui souhaitaient l'instauration d'une filière d'élite. Or, moi, je ne crois pas qu'il puisse exister une filière d'élite. C'est bien d'être bon en mathématiques, mais c'est également bien bon d'être bon en lettres. Les deux sont honorables.
C'est pourquoi nous reconstituons une vraie filière lettres dans laquelle les élèves peuvent choisir, non en option mais en discipline obligatoire, le latin, le grec et deux langues étrangères. Ainsi, on pourra faire du latin, du grec et du français jusqu'en terminale, ce qui n'est pas possible aujourd'hui. Nous augmentons donc les possibilités.
Par ailleurs, ce n'est pas moi qui ai supprimé le latin et le grec au brevet, mais mon prédécesseur. En ce qui nous concerne, nous rétablissons la possibilité, pour ceux qui passent une épreuve de latin au brevet, d'obtenir des points supplémentaires.
Notre effort en ce domaine est considérable, mais moi je ne peux pas choisir à la place des élèves. Je n'ai pas la volonté d'imposer quoi que ce soit.
C'est un sujet extrêmement important. D'ailleurs, voilà quelques années, j'ai demandé un rapport à Jean-Pierre Vernant sur l'étude du grec dans l'enseignement supérieur, dans le but de garder des pôles d'excellence en la matière. Certaines personnes que vous avez citées, monsieur le député, réclament dans une lettre que l'enseignement du grec soit dispensé partout. Mais ce ne peut être le cas, puisqu'il s'agit d'une matière que les élèves ne choisissent pas. Pour ma part, je souhaiterais que, dans l'enseignement supérieur, le grec puisse être choisi comme option par les étudiants en philosophie, comme c'est le cas d'autres pays, et non que ce soit uniquement le fait des futurs professeurs de latin-grec.
Je suis le premier à me désespérer que ce pays abandonne un certain nombre d'enseignements de cultures anciennes. Je dois dire que nous avons beaucoup mieux réussi en égyptologie, grâce, d'ailleurs, à la clairvoyance de M. Leclant qui a admis que l'on crée en France des centres d'égyptologie - du coup, l'égyptologie se porte bien.
Si l'on se réfère au nombre actuel des étudiants en grec dans quelques années, il n'y aura plus personne pour enseigner cette discipline.
Ce combat est général. Mais à toujours s'adresser au ministre dans ce domaine, ça me fait penser à ce qui se passe quand l'équipe de France d'un sport quelconque perd cinq à zéro: on accuse le président de la fédération d'avoir changé la tondeuse à gazon, par exemple.
Le problème doit être pris à la base et chacun doit s'interroger. Ainsi, il faut que les professeurs de latin-grec s'interrogent pour savoir ce qu'ils doivent faire pour attirer davantage d'élèves. A cet égard, je tiens à saluer les efforts accomplis par certains pour développer des CDroms, des logiciels destinés à ceux qui veulent apprendre la latin et le grec; nous faisons en sorte qu'ils soient diffusés le plus largement possible.
Ne voyez pas en ma personne quelqu'un d'hostile à ce type d'enseignement. Je ne fais que vous relater la réalité telle qu'elle est. Ce serait une catastrophe si les études du grec dans le supérieur étaient réellement menacées - ce qui n'est pas le cas pour les études latines. Mon principal souci est de faire en sorte que cela ne puisse pas se produire. Mais il faut savoir que, rapporté au nombre d'habitants, il y a en France moins d'étudiants qui étudient le grec dans l'enseignement supérieur qu'aux Etats-Unis d'Amérique.
Mme la présidente. La parole est à M. René André.
M. René André. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre. Je suis sensible au fait que vous ne vous soyez pas réfugié derrière les statistiques, mais, en bon scientifique que vous êtes, vous savez bien qu'elles ne sont pas toujours rigoureuses. Je suis surtout sensible au fait que vous ayez clairement indiqué que vous entendiez défendre le maintien de l'étude des langues anciennes, et c'est un message qu'il faut faire passer.
Bien sûr, ceux d'entre nous qui, sur ces bancs, sont jacobins - nous sommes encore un certain nombre à l'être - ont tendance à se tourner vers le ministère lorsque les choses vont mal. Ils considèrent que votre ministère doit inciter les jeunes, peut-être plus qu'il ne l'a fait, à se tourner vers l'étude des langues anciennes, leur faire comprendre qu'il ne s'agit pas pour eux d'une impasse, mais au contraire d'un enrichissement personnel et que, dans cette société déshumanisante - et qui risque de le devenir encore plus -, des études de ce type peuvent leur apporter un «plus» considérable.
Un de mes amis professeur me disait - mais je ne sais pas si c'est exact - que, dans l'enseignement en technologie, on est en train de diminuer, voire de supprimer la place de la philosophie. Si c'est exact, c'est une erreur, au même titre que le recul de l'étude du latin ou du grec. Tout ce qui peut contribuer au développement de l'esprit d'analyse, de l'esprit critique, de l'enrichissement personnel de l'homme en dehors des sciences doit être développé dans notre société. Vous avez dit clairement que vous en étiez partisan. J'en prends acte, et j'espère que vos services relaieront vos propos, monsieur le ministre.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Je voudrais apporter une correction à ce que vous venez de dire, monsieur le député: non, la place de la philosophie ne diminue pas; nous procédons même à des expérimentations d'enseignement de la philosophie dans les lycées professionnels. De plus, nous allons rendre obligatoire l'étude de la philosophie des sciences dans tous les cursus scientifiques, médicaux et d'ingénieurs.
Quant au problème des langues, il est plus général: il y a une chute de la demande en russe, en allemand et en italien, et une stabilisation en espagnol; en revanche, il y a une croissance en anglais, mais aussi en arabe et en chinois - mais, dans le cas de ces deux langues, on partait de relativement bas. Il ne faut donc pas s'en tenir au seul problème des langues anciennes.
Toutefois, derrière l'enseignement des langues anciennes, il y a pour moi quelque chose de plus important: l'enseignement de civilisations anciennes et la délivrance des messages qui leur sont propres. C'est un sujet auquel je suis très attentif, puisque j'ai fait en sorte que, pour les chaires de civilisations anciennes, les critères quantitatifs ne soient plus pris en compte en matière de dotations universitaires. Cela nous permet de maintenir une chaire d'assyrien à l'université de Lille et à l'université de Toulouse. Je considère que de telles chaires doivent être maintenues quoi qu'il arrive et quoi qu'il en coûte. Le nombre des étudiants ne doit pas être pris en compte. Je suis absolument déterminé dans ce domaine. En revanche, je le répète, je ne veux pas rendre obligatoire l'enseignement de telle ou telle matière.
Si les hellénistes décidaient, au lieu d'adresser des pétitions au ministre, de se prendre en main et de faire une campagne de propagande pour que l'étude du grec soit généralisée, ils auraient le soutien du ministre de l'éducation nationale.
M. René André. Puis-je ajouter un mot en latin, madame la présidente ?
Mme la présidente. Monsieur André, puisque c'est en latin, vous avez droit à toute mon indulgence.
M. René André. Macte animo, generose puer. Sed cave ne cadas.
RPR 11 REP_PUB Basse-Normandie O