FICHE QUESTION
11ème législature
Question N° : 1163  de  M.   Hage Georges ( Communiste - Nord ) QOSD
Ministère interrogé :  santé et handicapés
Ministère attributaire :  santé et handicapés
Question publiée au JO le :  19/06/2000  page :  3605
Réponse publiée au JO le :  21/06/2000  page :  5559
Rubrique :  déchéances et incapacités
Tête d'analyse :  hospitalisation d'office
Analyse :  réglementation
Texte de la QUESTION : M. Georges Hage attire l'attention de Mme la secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés sur la question des internements sous contrainte en hôpital psychiatrique et sur la loi Evin du 27 juin 1990 qui en prévoit les modalités. Les statistiques montrent clairement que le nombre d'internements, en particulier à la demande d'un tiers, a fortement augmenté ces dernières années. Un rapport de synthèse, établi par les commissions départementales des hospitalisations psychiatriques datant de 1997, indique que l'augmentation entre 1992 et 1997 est supérieure à 60 %, ce que ne peuvent expliquer ni l'allongement de la durée de la vie ni une détérioration patente de l'état de santé mentale de la population. Si les internements sont de plus courte durée, se multipliant toutefois pour une même personne, que dans les années 70, voire 80, il n'en demeure pas moins que cette augmentation suscite à juste titre l'étonnement et l'inquiétude. Etant donné, en outre, que les modes de traitement psychiatrique ont très peu évolué ces dernières années et que les changements apportés dans le calcul du nombre d'internements ne suffisent pas à expliquer cette hausse, il lui demande si le Gouvernement entend modifier la loi de 1990 sur les internements et se conformer à la recommandation 1235 de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, afin de rompre définitivement avec le système administratif d'internement et de s'orienter vers un système, dit de judiciarisation, plus à même de limiter les abus dans ce domaine.
Texte de la REPONSE : Mme la présidente. M. Georges Hage a présenté une question, n° 1163, ainsi rédigée:
«M. Georges Hage attire l'attention de Mme la secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés sur la question des internements sous contrainte en hôpital psychiatrique et sur la loi Evin du 27 juin 1990 qui en prévoit les modalités. Les statistiques montrent clairement que le nombre d'internements, en particulier à la demande d'un tiers, a fortement augmenté ces dernières années. Un rapport de synthèse, établi par les commissions départementales des hospitalisations psychiatriques datant de 1997, indique que l'augmentation entre 1992 et 1997 est supérieure à 60 %, ce que ne peuvent expliquer ni l'allongement de la durée de la vie ni une détérioration patente de l'état de santé mentale de la population. Si les internements sont de plus courte durée, se multipliant toutefois pour une même personne, que dans les années 70, voire 80, il n'en demeure pas moins que cette augmentation suscite à juste titre l'étonnement et l'inquiétude. Etant donné, en outre, que les modes de traitement psychiatrique ont très peu évolué ces dernières années et que les changements apportés dans le calcul du nombre d'internements ne suffisent pas à expliquer cette hausse, il lui demande si le Gouvernement entend modifier la loi de 1990 sur les internements et se conformer à la recommandation 1235 de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, afin de rompre définitivement avec le système administratif d'internement et de s'orienter vers un système, dit de judiciarisation, plus à même de limiter les abus dans ce domaine.»
La parole est à M. Georges Hage, pour exposer sa question.
M. Georges Hage. Madame la secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle, comme vous le savez, le groupe communiste a déposé une proposition de loi relative à la prise en charge médicale et aux droits des personnes atteintes de troubles mentaux. Elle a pour objet de rompre définitivement avec le système administratif d'internement sous contrainte en hôpital psychiatrique dont la loi Evin du 27 juin 1990 précise les modalités. Jugeant insuffisante l'évolution apportée par cette loi, cette rupture se veut définitive et en faveur d'un système dit de judiciarisation propre à contenir et à limiter des abus patents en ce domaine.
Premier signataire de cette proposition, je souhaite, par cette question orale, attirer l'attention de Mme la secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés sur l'opportunité et la pertinence de ladite proposition de loi: j'attends en effet de celle-ci qu'elle contribue à l'élaboration d'une législation nouvelle.
Si cette rupture d'avec le système administratif d'internement sous contrainte implique une relecture critique de la loi Evin, j'observe en outre qu'elle permettrait à notre législation de se conformer à la recommandation 1235 du Conseil de l'Europe, en date du 12 avril 1994.
Si le groupe communiste n'a pas voté la loi Evin, c'est qu'il l'a jugée insuffisante au regard de ce qu'il considère comme impératif, à savoir la protection des libertés individuelles et le respect de la dignité du patient. C'est un vote d'opposition dont le groupe communiste a tout lieu de se féliciter.
Le nombre d'internements psychiatriques sous contrainte a considérablement augmenté depuis l'application de la loi Evin, ainsi que le démontre le très officiel bilan des rapports d'activité des commissions départementales des hospitalisations psychiatriques chargées de l'évaluation de cette loi. De 1992 à 1997, les seules hospitalisations sur demande d'un tiers ont augmenté de 65 %. Le groupe d'évaluation de la loi du 27 juin 1990 était sans doute bien inspiré en proposant la suppression pure et simple de l'hospitalisation à la demande d'un tiers. Cela dit, le nombre d'hospitalisations d'office a augmenté plus encore en pourcentage. On observe qu'il y a en France près de trois fois plus d'internements sous contrainte qu'en Italie ou au Royaume-Uni dont les populations sont comparables.
Ces chiffres sont contestés, ainsi que leur signification. La multiplication des internements de durée réduite vécue par une seule personne gonflerait les statistiques ! Mais le recours aux neuroleptiques «retard» en vue de réduire la durée des internements date des années 70. On ne peut donc invoquer l'argument des internements répétitifs pour expliquer l'augmentation des internements entre 1992 et 1997.
Mme la secrétaire d'Etat à la santé n'aura pas manqué de consulter les graphiques figurant dans le document que j'ai cité qui établissent les taux de progression dans certaines régions.
Citerai-je la Corse, où les internements d'office à la demande du préfet ont augmenté de 120 % et les internements sur demande d'un tiers de plus de 80 % ? Les chiffres correspondants pour une région comme la Bourgogne atteignent 60 % et 45 % !
La raison d'une telle progression est que la loi Evin permet d'interner plus facilement sur demande d'un tiers, en recourant à une procédure d'urgence au vu d'un seul certificat médical. Encore ce dernier peut-il être délivré par le médecin de l'hôpital psychiatrique et non plus par un médecin extérieur, ce qui, soulignons-le, déresponsabilise de fait l'administration.
Je note dans le rapport de synthèse de la commission des hospitalisations psychiatriques de 1994 que le groupe d'évaluation de la loi Evin, réuni en 1995, a malencontreusement ignoré que cette procédure d'urgence permet aux psychiatres de procéder à des internements qu'on peut qualifier «de commodité». Sans doute touchons-nous là au problème de l'inexistence d'établissements non psychiatriques pour personnes dépendantes. La famille qui consent - qui a les moyens de consentir -, par affection pour la personne dépendante, au coût exorbitant de son maintien à domicile sait ce que cela représente et peut comprendre la solution auxquels certains se résolvent. Elle est consciente en tout cas de la facilité offerte par l'hospitalisation psychiatrique. C'est là un véritable sujet d'interrogation.
J'ai lu avec intérêt le rapport intitulé «Pour une prise en charge plus juste et solidaire des personnes âgées en perte d'autonomie» remis en septembre 1999 au Premier ministre, ainsi que ses quarante-trois propositions. Notre collègue Paulette Guinchard-Kunstler en est l'auteur. Elle y évoque «la question centrale de la prise en charge des démences séniles, considérée comme un enjeu central de la politique de la vieillesse». Sans procéder à l'analyse critique de ce rapport, je me félicite de l'intention qui l'inspire.
Je souhaite donc, madame la secrétaire d'Etat, que le Parlement légifère de nouveau sur ce problème de société dont j'espère avoir souligné la gravité. Actuellement, c'est l'administration, sur avis des psychiatres, qui décide de l'internement. Notre proposition confie à un juge, et après un débat contradictoire, le droit d'interner. Celui-ci relève du domaine des droits de l'homme, car il s'agit d'une mesure privative de liberté. Cette judiciarisation des mesures d'internement s'impose, qu'il s'agisse d'hospitalisation d'office ou d'hospitalisation à la demande d'un tiers. Rappellerai-je la recommandation européenne qui préconise en particulier de confier à un juge le droit d'interner ?
Il ne veut pas tirer une flèche du Parthe, mais il serait déplorable que, comme pour les prisons, dont la situation est pourtant connue depuis des décennies, ce soit un scandale qui déclenche une prise de conscience en ce qui concerne les internements pyschiatriques. Pour bon nombre de nos concitoyens le scandale est déjà constitué !
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle.
Mme Nicole Pery, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle. Monsieur le député, les hospitalisations sous contrainte constituent, dans un certain nombre de cas, la seule façon de pouvoir soigner une personne en danger qui n'est pas en état d'adhérer à une démarche thérapeutique. Il s'agit bien là d'hospitalisation, et non pas d'internement, qui renvoie à la notion historique d'enfermement, ce «tandem séculaire» entre psychiatrie et ordre public à la disparition duquel nous devons travailler.
La loi de 1990, en rénovant la loi de 1838, fut, à cet égard, un acte fort.
Si l'évaluation conduite en 1997 a montré les avancées qui ont été permises, elle a aussi suggéré que des évolutions étaient nécessaires, notamment concernant les modalités des hospitalisations sous contrainte.
Le projet de loi de modernisation du système de santé actuellement en préparation contiendra plusieurs dispositions modifiant la loi de 1990. Mais celle que vous suggérez, dite de judiciarisation, soulève de nombreuses difficultés pratiques - il faut l'avouer - et n'emporte pas l'adhésion de l'ensemble des personnes concernées, qu'il s'agisse des acteurs du champ de la santé mentale ou des usagers.
Le Conseil de l'Europe, dans son livre blanc publié en janvier 2000, a d'ailleurs bien insisté sur ce point: ce qui importe le plus, c'est que l'autorité compétente en matière d'hospitalisation sous contrainte soit indépendante et contrôlée. Or, qu'il s'agisse d'hospitalisation d'office ou d'hospitalisation à la demande d'un tiers, dans les deux cas, les décisions prises font l'objet d'un contrôle a posteriori par les commissions départementales des hospitalisations psychiatriques dans lesquelles siègent actuellement des magistrats, des professionnels et des représentants des familles de malades. Nous prévoyons d'élargir la composition de ces commissions aux usagers eux-mêmes, dans le cadre de la loi de modernisation du système de santé.
Parallèlement, les procédures thérapeutiques évoluent, conduisant à maintenir au maximum l'intégration des patients dans la société. Le recours à l'hospitalisation complète devient l'exception, en particulier en cas de crises aiguës, ces dernières étant malheureusement susceptibles de se reproduire au cours du temps.
L'augmentation des hospitalisations sans consentement, que vous avez rappelée, nécessite donc un suivi attentif dans la mesure où celles-ci représentent 13 % des hospitalisations en psychiatrie contre 11 % en 1987. Mais on ne peut pas en déduire qu'elles ne répondent pas à une nécessité médicale, et ce d'autant que, pendant la même période, le nombre total d'hospitalisations en psychiatrie a progressé de 31 %, avec des séjours beaucoup plus courts.
Telle est, monsieur le député, la réponse que Mme la secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés m'a demandé de vous transmettre.
Mme la présidente. La parole est à M. Georges Hage.
M. Georges Hage. Madame la secrétaire d'Etat, sans rien abandonner de mon analyse critique, je vais étudier avec attention votre propre analyse et les mesures que vous annoncez quitte à interpeller une nouvelle fois le Gouvernement dans une lettre ou une question écrite.
COM 11 REP_PUB Nord-Pas-de-Calais O