FICHE QUESTION
11ème législature
Question N° : 1298  de  M.   Darsières Camille ( Socialiste - Martinique ) QOSD
Ministère interrogé :  agriculture et pêche
Ministère attributaire :  agriculture et pêche
Question publiée au JO le :  29/01/2001  page :  485
Réponse publiée au JO le :  31/01/2001  page :  883
Rubrique :  outre-mer
Tête d'analyse :  DOM : Martinique
Analyse :  aquaculture et pêche professionnelle. lambis. réglementation
Texte de la QUESTION : M. Camille Darsières expose à M. le ministre de l'agriculture et de la pêche la situation difficile d'une entreprise martiniquaise qui se livre à la pêche, notamment aux lambis, dans les eaux territoriales d'Haïti, avec l'autorisation de cet Etat, et qui entend en écouler le produit à la Martinique. Avant d'investir une huitaine de millions de francs dans l'objectif sus-évoqué, le chef d'entreprise avait fait interroger le ministère de la pêche sur la régularité de l'opération. Il n'avait donné suite qu'après réponse positive ; mais, contre toute attente, se heurte à l'hostilité des services vétérinaires de la Martinique. Ceux-ci ne procèdent, sous quelque forme que ce soit, à aucun prélèvement dans le cadre d'une procédure légale contradictoire pour vérifier la qualité sanitaire de la marchandise, mais font connaître à des commerçants détaillants qu'ils doivent se débarrasser du produit acheté à l'entreprise de pêche dont il s'agit. Certains refusent de céder à la manoeuvre, mais d'autres en sont intimidés ce qui s'explique dans un département exigu où des fonctionnaires d'autorité entretiennent des rapports conviviaux avec des marchands vivant de l'import-export. Il faut établir la plus réelle transparence et casser net l'intimidation érigée en forme parallèle de gestion de ce pays d'outre-mer. C'est pourquoi il est demandé au gouvernement français s'il entend s'opposer à ce que les pêcheurs martiniquais passent librement contrat avec un Etat ACP de la Caraïbe, approvisionnent le consommateur martiniquais aux fins d'une action de coopération économique régionale, de celles expressément recommandées par l'Union européenne et par la France, et s'il pense qu'une interdiction de l'opération de pêche énoncée va dans le sens du développement des départements français d'outre-mer par l'effort de leurs propres travailleurs de la mer.
Texte de la REPONSE : M. le président. M. Camille Darsières a présenté une question, n° 1298, ainsi rédigée:
«M. Camille Darsières expose à M. le ministre de l'agriculture et de la pêche la situation difficile d'une entreprise martiniquaise qui se livre à la pêche, notamment aux lambis, dans les eaux territoriales d'Haïti, avec l'autorisation de cet Etat, et qui entend en écouler le produit à la Martinique. Avant d'investir une huitaine de millions de francs dans l'objectif sus-évoqué, le chef d'entreprise avait fait interroger le ministère de la pêche sur la régularité de l'opération. Il n'avait donné suite qu'après réponse positive; mais, contre toute attente, se heurte à l'hostilité des services vétérinaires de la Martinique. Ceux-ci ne procèdent, sous quelque forme que ce soit, à aucun prélèvement dans le cadre d'une procédure légale contradictoire pour vérifier la qualité sanitaire de la marchandise, mais font connaître à des commerçants détaillants qu'ils doivent se débarrasser du produit acheté à l'entreprise de pêche dont il s'agit. Certains refusent de céder à la manoeuvre, mais d'autres en sont intimidés ce qui s'explique dans un département exigu où des fonctionnaires d'autorité entretiennent des rapports conviviaux avec des marchands vivant de l'import-export. Il faut établir la plus réelle transparence et casser net l'intimidation érigée en forme parallèle de gestion de ce pays d'outre-mer. C'est pourquoi il est demandé au gouvernement français s'il entend s'opposer à ce que les pêcheurs martiniquais passent librement contrat avec un Etat ACP de la Caraïbe, approvisionnent le consommateur martiniquais aux fins d'une action de coopération économique régionale, de celles expressément recommandées par l'Union européenne et par la France, et s'il pense qu'une interdiction de l'opération de pêche énoncée va dans le sens du développement des départements français d'outre-mer par l'effort de leurs propres travailleurs de la mer.»
La parole est à M. Camille Darsières, pour exposer sa question.
M. Camille Darsières. Des pêcheurs de la Martinique ont souhaité monter une entreprise de pêche, notamment aux lambis, dans les eaux territoriales d'Haïti. Ils ont pris trois précautions.
Ils ont sollicité d'Haïti l'autorisation de pêcher et l'ont obtenue.
Ils ont interrogé la direction régionale des affaires maritimes, qui approuva ce projet, d'autant qu'il devait avoir pour effet de réduire l'exploitation de la ressource à la Martinique, où le lambi n'est pas interdit mais contingenté.
Ils ont aussi interrogé le ministère de l'agriculture et de la pêche qui, sous la signature du ministre, a donné le feu vert le 27 juillet 2000, en recommandant de faire vérifier la qualité sanitaire du produit par les services vétérinaires de la Martinique.
Nos pêcheurs ont alors recueilli huit millions de francs et commencé à opérer. Mais ils ont dû subir les tracasseries de l'administration.
Celles des services vétérinaires, sur lesquelles je ne reviendrai pas, car jamais ces services n'ont procédé à des prélèvements pour vérification sanitaire contradictoire du produit.
Celles des services des douanes, qui dressèrent un procès-verbal sur la base de la décision 97/20 de la Commission européenne du 25 avril 2000, laquelle se borne à donner la liste des pays à partir desquels l'importation de produits est autorisée. Haïti n'y figure pas.
Mais de quelle importation s'agit-il ? Ce n'est pas la décision 97/20 de la Commission visée au PV qui traite de la question; mais la directive 91/492 du Conseil du 15 juillet 1991, à laquelle la décision 97/20 renvoie exclusivement. L'intitulé de la directive est très claire: elle fixe «les règles sanitaires régissant [...] la mise sur le marché de mollusques bivalves vivants». Et, dès son article 2, elle définit ces «mollusques bivalves». Ce sont des «mollusques filtreurs». Plus de vingt fois, la directive renvoie aux mollusques bivalves, donc filtreurs, et son article 4 énonce que «les Etats membres veillent à ce que les personnes qui manipulent des mollusques bivalves vivants pendant leur production et leur mise sur le marché prennent toutes les mesures nécessaires pour se conformer aux prescriptions de la présente directive».
Or le lambi n'est pas un «mollusque filtreur». C'est un «brouteur» mollusque. Une correspondance de la direction générale de l'alimentation du ministère de l'agriculture et de la pêche du 12 janvier 2001, qui fait état de la directive 91/492, reconnaît que la production dont il s'agit concerne des «organismes brouteurs». Un professeur de l'université des Antilles et de la Guyane confirme que le lambi est un brouteur et invite au distinguo: «En ce qui concerne les problèmes sanitaires, il est important de distinguer les problèmes concernant les mollusques filtreurs planctonophages, qui concentrent très fortement les polluants, des mollusques gastéropodes brouteurs, herbivores ou carnivores qui n'ont pas le même effet de concentration.
«Si les directives européennes, qui ont comme souci la protection des consommateurs, doivent sans conteste s'appliquer à toute la Communauté, elles devraient clairement différencier et ne pas faire l'amalgame entre les mollusques bivalves filtreurs planctonophages et les gastéropodes brouteurs ou carnivores.»
Il y a cependant là une erreur du professeur. En effet, la directive 91/492, la seule qui puisse fonder une sanction pénale, ne fait pas d'amalgame. Elle définit clairement la nature de l'espèce à soumettre à une réglementation sanitaire: celle des filtreurs et non celle des brouteurs. Et elle pose des conditions à l'importation des filtreurs, non des brouteurs. Le lambi, de l'espèce des brouteurs, n'est visé par aucune réglementation sanitaire européenne particulière pour sa livraison à la consommation. Le ministre de l'agriculture et de la pêche avait donc eu absolument raison de donner le feu vert aux pêcheurs martiniquais.
Huit millions de francs ont été rassemblés par de petites gens, à qui d'autres ont fait confiance. Confiance parce qu'ils veulent conjurer cette fatalité d'une Martinique incapable de se développer par elle-même: 30 % seulement de la consommation de poissons est produite par le travail des Martiniquais. Il faut que cesse la tricentenaire habitude de décourager le travailleur martiniquais au profit des lobbys économiques.
Ne pensez-vous pas que le moment est venu de mettre fermement un terme aux interprétations erronées qui sèment la confusion et qu'il est grand temps d'imposer le feu vert que le ministre de l'agriculture a donné, en parfaite conformité avec le droit, dans sa lettre du 27 juillet 2000, décision que gouaillent inconsidérément ses propres services ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer.
M. Christian Paul, secrétaire d'Etat à l'outre-mer. Monsieur le député, le ministre de l'agriculture, Jean Glavany, retenu aujourd'hui au Conseil agricole européen, m'a prié de vous communiquer les éléments de réponse dont il aurait aimé vous faire part lui-même. Comme il s'agit de l'activité de la Martinique, je suis moi aussi particulièrement attentif à ce dossier.
Du point de vue sanitaire, la mise sur le marché de lambis est réglementée par la directive 91/493/CEE. Ce texte précise que, s'agissant de gastéropodes marins, les dispositions de la directive 91/492/CEE qui fixent les règles sanitaires régissant la production et la mise sur le marché de mollusques bivalves vivants doivent également être respectées. C'est en tout cas l'interprétation qu'en font à ce jour les services du ministère de l'agriculture.
Ainsi, ces mollusques doivent provenir de zones de production autorisées. Leur introduction sur le territoire communautaire, lorsque les zones de production sont situées dans les eaux territoriales de pays tiers à l'Union européenne, est soumise aux mesures réglementaires relatives aux importations.
Ces dispositions, qui s'appliquent quelle que soit le pavillon des navires procédant à la récolte, reposent sur la nécessité de disposer de garanties sur la qualité sanitaire des eaux de production. Toute contamination microbiologique ou chimique des zones de récolte, de même que la présence de biotoxines marines, pourraient en effet constituer un danger pour le consommateur et pour la santé publique.
Conformément aux dispositions de la directive 91/492/CEE, seuls peuvent être mis sur le marché de l'Union européenne les mollusques récoltés ou produits dans des pays tiers autorisés Haïti ne figure pas sur la liste de ces pays. C'est la raison pour laquelle l'introduction sur le territoire français des lambis récoltés par une société de pêche antillaise dans les eaux haïtiennes n'a pu être acceptée.
La réponse de M. Glavany à laquelle vous faisiez allusion mentionnait expressément que le débarquement sur le territoire français de tels produits devait répondre à certaines exigences en matière sanitaire. Par ailleurs, il était conseillé à l'entreprise qui souhaitait introduire des lambis récoltés dans les eaux de Haïti de prendre l'attache des services vétérinaires de la Martinique, ce qu'elle a sans doute fait depuis.
Si un pays tiers souhaite entreprendre les démarches lui permettant d'exporter des gastéropodes marins sur le territoire de l'Union européenne, l'autorité compétente doit fournir à la Commission européenne un dossier présentant notamment la législation du pays tiers concerné, l'organisation et les pouvoirs de l'autorité compétente, ainsi que des assurances sur l'absence de contaminants biologiques ou de substances toxiques dans les zones de récolte.
Néanmoins, monsieur le député, dans le souci d'apporter une réponse plus précise à cette entreprise, et au vu des informations à caractère scientifique que vous avez bien voulu communiquer ce matin au Gouvernement, il sera procédé très rapidement à une nouvelle étude approfondie de ce dossier par les services de l'Etat en Martinique. Soyez assuré que je veillerai à ce que cette réponse soit donnée rapidement, dans le cadre des règles communautaires et du droit français, mais avec le souci de servir les intérêts du développement économique de la Martinique.
M. le président. La parole est à M. Camille Darsières.
M. Camille Darsières. Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous remercie de nous annoncer un examen plus approfondi de ce dossier, mais je vous rappelle que cette production de lambis a été saisie. Or les pêcheurs ne sont pas des gens fortunés. Ils ont rassemblé un petit capital en sollicitant leurs proches. Ce sont de modestes artisans, eux-mêmes fils, petits-fils et arrière-petits-fils de pêcheurs. Et il serait très préjudiciable pour cette activité traditionnelle que le Gouvernement ne règle pas cette question en leur faveur.
Je trouve très regrettable que les services du ministère de l'agriculture se permettent de gouailler leur ministre. Dans un document que je pourrais citer, ils n'hésitent pas à écrire qu'il faudrait que, dans les meilleurs délais, la lettre de M. Glavany soit contredite. Il y a une faille profonde dans l'analyse de la direction générale de l'alimentation. Visiblement, elle ignore que le lambi, le strombus gigas, n'est pas un mollusque filtreur. Lorsque l'Europe a pris des précautions particulières pour l'importation de certaines espèces, elle a bien précisé, dans le texte de la directive, que seuls étaient visés les mollusques bivalves, qui sont des mollusques filtreurs. Par conséquent, les gastéropodes brouteurs, comme le lambi, ne sont pas concernés par cette directive.
Or nous sommes en matière pénale. La production a été saisie, le bateau de pêche peut l'être également, de même que les livraisons effectuées chez les détaillants.
L'enjeu est grave. J'ai souvent mentionné les lobbys économiques. Il serait insupportable que, dans quelques semaines, les importateurs fassent venir du lambi à la Martinique.
Un mot encore à ce sujet avant de conclure. Vous voudrez bien me pardonner, monsieur le président, d'être aussi long, mais je suis vraiment outré de la situation qui est faite à ces pêcheurs. Je me rappelle avoir plaidé devant la Cour de sûreté de l'Etat pour de jeunes Martiniquais à qui l'on reprochait de vouloir développer leur pays. Le collectif d'avocats s'était beaucoup appuyé sur le rapport de M. de Rocca Serra, alors rapporteur du budget de l'outre-mer, qui disait en substance: «si vous continuez ainsi, vous finirez par les enrager !»
Mais je sais, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous ferez ce que vous avez annoncé et que, très rapidement, on essaiera de porter remède à cette situation.
SOC 11 REP_PUB Martinique O