FICHE QUESTION
11ème législature
Question N° : 1365  de  M.   Luca Lionnel ( Rassemblement pour la République - Alpes-Maritimes ) QOSD
Ministère interrogé :  intérieur
Ministère attributaire :  intérieur
Question publiée au JO le :  16/04/2001  page :  2173
Réponse publiée au JO le :  18/04/2001  page :  1884
Rubrique :  jeunes
Tête d'analyse :  délinquance
Analyse :  lutte et prévention
Texte de la QUESTION : M. Lionnel Luca appelle l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur la recrudescence de la délinquence des mineurs dans les Alpes-Maritimes. Il lui demande quelles mesures il a prises pour y remédier.
Texte de la REPONSE : M. le président. Lionnel Luca a présenté une question, n° 1365, ainsi rédigée:
«M. Lionnel Luca appelle l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur la recrudescence de la délinquance des mineurs dans les Alpes-Maritimes. Il lui demande quelles mesures il a prises pour y remédier.»
La parole est à M. Lionnel Luca, pour exposer sa question.
M. Lionnel Luca. Je voudrais interroger le Gouvernement sur le problème de la délinquance des mineurs qui se pose, bien sûr, dans tout le pays, mais plus particulièrement dans le département des Alpes-Maritimes dont je suis l'élu. Nul ne contestera que, parmi les formes actuelles de délinquance, celle des mineurs est la plus préoccupante. C'est en tout cas celle qui connaît la plus forte progression, même si l'évolution peut sembler favorable à certains endroits.
La délinquance des mineurs représente déjà aujourd'hui près de 25 % de la délinquance totale contre seulement 13 % en 1974, et 36 % des délits. Et les faits commis sur la voie publique. Elle a augmenté de près de 6 % au niveau national et de pratiquement 7 % dans le département dont je suis l'élu, ce qui ne manque pas de créer un sentiment d'insécurité justifié. Récemment encore, il y a quelques jours, des bandes organisées ont détruit le chantier de la future caserne de CRS et du commissariat du quartier de l'Ariane à Nice. A Cagnes-sur-Mer, que je connais plus particulièrement puisque cette ville est dans ma circonscription, l'un des mineurs interpellés en est à sa vingt-cinquième arrestation et à sa vingt-cinquième relaxation, ce qui laisse les maires singulièrement démunis.
L'ordonnance de 1945 est aujourd'hui de plus en plus contestée. En fait, à bien la lire, il semblerait qu'il faille simplement l'appliquer et y consacrer les moyens nécessaires. Ma première question est donc la suivante: quels moyens comptez-vous mettre en oeuvre pour permettre l'application effective de cette ordonnance de 1945 ? Je pense en particulier à l'accueil de délinquants mineurs trop jeunes pour être envoyés en prison. Dans les Alpes-Maritimes, il n'existe pas de maisons d'accueil pour eux et ils sont le plus souvent placés dans des foyers de l'enfance de la DDASS, au contact d'enfants beaucoup plus jeunes retirés de leur famille pour maltraitance ou manque de suivi, ce qui ne manque pas de créer des situations très particulières.
J'en viens à ma seconde question. Indépendamment de l'application de cette ordonnance, cette jeunesse connaît une certaine évolution devant laquelle les adultes sont démunis. Certains collègues ont rédigé des propositions de loi pour abaisser l'âge de la majorité et de la responsabilité pénales, à l'instar de ce qui se fait dans d'autres pays. Je voudrais avoir votre sentiment à ce sujet. L'âge de la majorité sexuelle a bien été abaissé il y a quelques années, ce qui était la reconnaissance d'une certaine maturité. Ne croyez-vous pas que nous pourrions maintenant entendre ces propositions d'abaissement de la majorité et de la responsabilité pénales ?
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice. S'agissant des moyens d'appliquer l'ordonnance dans votre département, monsieur le député, le ministère de la justice s'est engagé dans la durée à mettre en oeuvre une politique déterminée sur cette question. Le traitement judiciaire de cette délinquance est en progression significative. La systématisation de la réponse pénale se traduit par le développement du recours aux procédures rapides - vous avez parlé en filigrane dans votre question de sentiment d'impunité - permettant la comparution à bref délai des mineurs délinquants devant le juge des enfants. Le taux de réponse pénale aux actes de délinquance des mineurs a atteint les 80 % en 2000, mais si beaucoup de faits sont en partie élucidés, ils ne sont pas accompagnés d'un dossier suffisant pour permettre d'aller au-delà d'un rappel à la loi, d'une mesure de réparation et, au fond, c'est tant mieux pour les jeunes.
Le département des Alpes-Maritimes a été classé parmi les départements prioritaires en matière de lutte contre la délinquance juvénile, car celle-ci y est en effet de plus en plus importante. Il faut noter qu'elle est souvent organisée par des adultes, ce qui impose des moyens d'enquête très spécifiques. Ces adultes «utilisent» des jeunes, soit pour des vols à la portière, soit pour des trafics plus importants, puis ces jeunes franchissent définitivement la ligne jaune.
Nous sommes déterminés à créer un centre de placement immédiat à Nice, pour la fin 2001. Nous disposons des moyens en personnels, mais il est très difficile de trouver un lieu d'implantation. Ce nouveau type de structure éducative, doté d'équipes chevronnées, permet de placer en urgence des mineurs qui peuvent ainsi être éloignés temporairement de leur milieu de vie habituel sans être placés dans les foyers de l'enfance dont vous avez parlé. Depuis trois ans, on assiste à un important recrutement d'éducateurs, mais nous sommes maintenant confrontés au problème de leur moyenne d'âge. Il nous va falloir répondre à la demande par des concours complémentaires.
Une antenne d'éducateurs en milieu ouvert sera mise en place prochainement à Antibes-Vallauris. Il existe actuellement une classe relais à Cannes et une autre à Nice, dans le quartier Les Moulins. Une troisième sera ouverte en septembre 2001 à Antibes-Juan-les-Pins. Nous souhaitons disséminer de telles classes sur le territoire afin d'éviter la formation de ghettos de rééducation, ce qui serait très préjudiciable.
Par ailleurs, certains de ces mineurs arrêtés pour des délits présentent des troubles du comportement qui relèvent d'une prise en charge médicale et pas seulement éducative. Pour répondre à ce type de situation, un nouveau dispositif sera mis en place à Nice, en partenariat avec la protection judiciaire de la jeunesse, un service psychiatrique spécial de l'hôpital Sainte-Marie et le conseil général, la structure intersectorielle pour adolescents difficiles - SIPAD.
Je dois souligner aussi, monsieur le député, que les autorités préfectorales, l'institution judiciaire, la police et la gendarmerie ont réalisé, dans votre département, un excellent travail pour lutter contre la montée de la violence. C'est ce type de partenariat qui permettra de progresser, car de nombreux jeunes sont en situation de crise familiale.
Faut-il changer les choses, abaisser l'âge de la majorité pénale et par conséquent recourir plus souvent à l'emprisonnement ? A l'heure actuelle, en France, 600 mineurs sont en prison, 300 dans des centres de placement immédiat et environ 500 dans des centres d'éducation renforcée dont nous allons augmenter la capacité d'accueil. J'ai noté à cet égard que les parlementaires demandaient beaucoup moins d'emprisonnement et beaucoup plus de peines alternatives. Ce qu'il faut surtout, c'est que ces peines soient exécutées et, si je peux me permettre l'expression, qu'elles soient plus «valorisées», pour que la population sache qu'une mesure de réparation ou de placement, cela fonctionne. Il faut aussi que les quartiers des mineurs attenants aux centres pénitentiaires soient visibles pour que la population sache ce qu'il advient des délinquants. Il faut qu'elle sache aussi que, si des récidivistes sont relâchés, c'est le cas, c'est parce qu'ils commettent des petits faits à chaque fois. On ne peut en effet mettre en prison un très jeune mineur qui a successivement cassé quinze rétroviseurs. Ce n'est pas un motif suffisant.
D'où l'importance d'un partenariat renforcé avec l'éducation nationale, les chambres de métiers, les artisans. Ces gens vont nous aider à créer des centres d'apprentissage renforcé où les jeunes, tout en étant encadrés, pourront bâtir un projet professionnel. Contrairement à nous, la vie des jeunes est séquencée à très court terme et si on leur présente un projet selon lequel il leur faudra des années et des années de travail scolaire avant de pouvoir sortir de la situation matérielle et affective dans laquelle ils sont, ils n'y croient pas. Il faut leur donner confiance dans le monde des adultes et nous devons progresser en travaillant, avec eux, sur des projets à court terme, avec une sortie qui soit visible pour eux et pour la société.
Mais nous avons besoin des collectivités locales. Il nous faut en effet des partenaires qui acceptent que les travaux d'intérêt général, les mesures de réparation soient réalisés dans tel ou tel organisme de gestion de bus, dans telle ou telle collectivité ou entreprise, avec un accompagnement fort. Chacun doit apporter sa contribution. Le Gouvernement ne réussira pas tout seul, quelle que soit l'ampleur des moyens utilisés. Plus de mille postes d'éducateurs ont déjà été créés, mais nous ne parviendrons à progresser que si les collectivités territoriales, les associations, les organismes consulaires s'impliquent. L'éducation nationale vient de nous présenter un programme, mais si ces efforts restent isolés, cela ne nous aidera pas à tirer la situation vers le haut.
Les jeunes ont besoin des adultes. Ils ont besoin que nous ayons confiance en eux et qu'on leur dise clairement, à un moment donné, qu'ils ne sont pas les nouveaux ennemis de l'intérieur, que nous croyons en eux et que nous aussi avons besoin d'eux.
RPR 11 REP_PUB Provence-Alpes-Côte-d'Azur O