FICHE QUESTION
11ème législature
Question N° : 1445  de  M.   Hage Georges ( Communiste - Nord ) QOSD
Ministère interrogé :  santé
Ministère attributaire :  santé
Question publiée au JO le :  18/06/2001  page :  3433
Réponse publiée au JO le :  20/06/2001  page :  4366
Rubrique :  établissements de santé
Tête d'analyse :  hôpitaux
Analyse :  services d'oncologie pédiatrique. fonctionnement
Texte de la QUESTION : M. Georges Hage indique à M. le ministre délégué à la santé que l'association Assistance aux malades en traitement intensif en spécialité tumorale (AMETIST) a attiré son attention sur des dysfonctionnements de l'oncologie pédiatrique dans notre pays et des manquements à l'application de la loi Huriet relative aux protocoles randomisés, ainsi que sur des atteintes caractérisées à la charte européenne des Droits de l'enfant que la France a ratifiée. Se rendant récemment et de nouveau, dans sa quête d'informations, à l'hôpital Avicenne de Bobigny - il avait été amené à protester en 1998 contre la fermeture du service d'oncologie pédiatrique à l'hôpital Robert-Debré -, il a constaté la précarité du service d'oncologie pédiatrique et le dévouement d'un personnel qui s'efforce d'y remédier, ce qu'un ouvrage Neuf petits lits dans un couloir « a remarquablement décrit et mesuré de la sorte les difficultés diverses de son fonctionnement. Il lui demande donc quel est son sentiment à l'égard de ces critiques et souhaite qu'il lui apporte des apaisements dans ce domaine.
Texte de la REPONSE : Mme la présidente. M. Georges Hage a présenté une question, n° 1445, ainsi rédigée:
«M. Georges Hage indique à M. le ministre délégué à la santé que l'association Assistance aux malades en traitement intensif en spécialité tumorale (AMETIST) a attiré son attention sur des dysfonctionnements de l'oncologie pédiatrique dans notre pays et des manquements à l'application de la loi Huriet relative aux protocoles randomisés, ainsi que sur des atteintes caractérisées à la charte européenne des Droits de l'enfant que la France a ratifiée. Se rendant récemment et de nouveau, dans sa quête d'informations, à l'hôpital Avicenne de Bobigny - il avait été amené à protester en 1998 contre la fermeture du service d'oncologie pédiatrique à l'hôpital Robert-Debré -, il a constaté la précarité du service d'oncologie pédiatrique et le dévouement d'un personnel qui s'efforce d'y remédier, ce qu'un ouvrage Neuf petits lits dans un couloir a remarquablement décrit et mesuré de la sorte les difficultés diverses de son fonctionnement. Il lui demande donc quel est son sentiment à l'égard de ces critiques et souhaite qu'il lui apporte des apaisements dans ce domaine.»
La parole est à M. Georges Hage, pour exposer sa question.
M. Georges Hage. Madame la présidente, j'ai été amené en 1998 à défendre la pérennité du service de cancérologie pédiatrique de l'hôpital Robert-Debré de Paris, alors menacé de fermeture en raison du départ en retraite de son chef de service. Ne s'agissait-il point, à vrai dire, de faire disparaître le dernier service de médecine autonome et indépendant en cancérologie pédiatrique ?
Ce service représentait la seule alternative thérapeutique pour les parents qui refusaient les protocoles standardisés et le plus souvent «randomisés» proposés par les autres services. Je m'explique. La «randomisation» est définie, par un de nos meilleurs dictionnaires, comme le: «Tirage au sort, tirage au hasard d'échantillons dans une population donnée, employé pour définir la répartition des éléments caractéristiques de celle-ci ou pour prélever un certain nombre d'unités à des fins comparatives».
Ce service était connu pour l'excellence de ses résultats, tant pour la survie des malades à long terme que pour la qualité de leur vie nouvelle, en particulier parce qu'on y évitait toute amputation.
Grâce à l'association AMETIST, au nom précieux: Assistance aux malades en traitement intensif en spécialité tumorale et à ses nombreux soutiens, en particulier celui des parlementaires dont Jean-Claude Gayssot, et vous-même, monsieur le ministre, une partie de ce service a pu être sauvegardée, dans des conditions précaires toutefois, sous forme d'une unité d'adolescents transférée à l'hôpital Avicenne de Bobigny.
Le choix de l'hôpital Avicenne s'explique par sa situation en Seine-Saint-Denis où l'offre de soins est faible, voire nulle en cancérologie pédiatrique. Le développement potentiel d'un pôle de cancérologie et d'hématologie dans cet hôpital universitaire, le seul dans le département et dans la région, plaidait pour cette intégration.
Malheureusement, dès sa création, la fiche de structure avait pratiquement interdit l'admission des enfants de moins de quinze ans et restreint de façon drastique le nombre de lits. L'autorisation d'admission des adolescents à un âge supérieur à quinze ans laissait sans solution alternative les moins de quinze ans. Toutefois, dans les premières années d'installation de cette unité à Avicenne, et après l'inauguration par M. Durreleman, directeur général de l'APHP, en présence du ministre Gayssot, la direction avait mis beaucoup de souplesse dans l'entrée, non seulement des enfants de la file active - les anciens malades - mais également de nouveaux enfants malades pour lesquels l'unité pouvait offrir une alternative thérapeutique.
Malheureusement, depuis quelques mois, la situation s'est rapidement aggravée, en particulier à la suite d'un audit pratiqué par l'inspection générale de l'APHP, inspiré, prétend-t-on, par le ministère.
Cet audit a détérioré les conditions d'hospitalisation: d'une part, en restreignant le nombre de lits - sept plus deux; d'autre part, en imposant la demande d'autorisation pour tout enfant de moins de quinze ans, quel que soit le nombre de ses admissions antérieures.
Cette disposition est vécue comme un harcèlement moral par les soignants et les parents soumis à ces tracasseries administratives quotidiennes. Cela ne favorise pas la sérénité indispensable à cette thérapeutique. Néanmoins, le dévouement du personnel et l'attachement des familles assurent la survie de cette petite unité. J'ai attiré votre attention, monsieur le ministre, sur un ouvrage: Neuf petits lits au fond du couloir, qui a remarquablement décrit cette situation.
Ces dispositions administratives ne respectent pas la Convention internationale des droits de l'enfant, ratifiée par la France en août 1990.
Son article 1er stipule en effet: «Un enfant s'entend de tout être humain de moins de dix-huit ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui est applicable.»
En outre, son article 3 dispose dans son paragraphe I que toute décision concernant un enfant doit tenir pleinement compte de «l'intérêt supérieur» de celui-ci: «Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées et de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale.» Le règlement intérieur de cette unité, qui émane de l'APHP, s'explique mal...
Selon le paragraphe II de cet article 3, «les Etats parties s'engagent à assurer à l'enfant les soins nécessaires à son bien-être compte tenu des droits et des devoirs de ses parents...».
Le refus d'admettre dans l'unité d'Avicenne des enfants de moins de quinze ans, sauf par dérogation, méconnait le droit des parents et l'intérêt supérieur de l'enfant, particulièrement dans toutes les situations où, en dehors de ce service, il n'existe aucune alternative thérapeutique pour les parents qui refusent le protocole randomisé ou standardisé qu'on veut leur imposer.
Comment accepter, dans ces conditions, que cette unité autonome ne puisse accueillir tout enfant dont les parents estiment l'admission nécessaire ? C'est pourquoi les parents, à titre individuel et par l'intermédiaire de cette association AMETIST, soutenue elle-même par de nombreuses autres associations, ont fait appel à moi, représentant du peuple, pour vous demander d'assurer la pérennité de cette unité de cancérologie pédiatrique à nulle autre pareille. Il convient de lui accorder un statut véritablement autonome, un nombre de lits suffisant, des locaux adaptés, de reconnaître qu'elle est apte et officiellement autorisée à soigner des adolescents selon la définition de l'OMS - de dix à vingt ans.
Pourquoi cet acharnement passionné des familles, des anciens patients devenus adultes et de nombreux élus à sauver ce service ? Parce qu'il représente actuellement la seule alternative thérapeutique au monopole organisé en réseau, qui est celui de la Société française d'oncologie pédiatrique.
Toutes ces personnes veulent, non seulement sauver cette unité «symbole», mais également permettre à d'autres services de choisir librement leurs schémas thérapeutiques et leurs réseaux, basés sur des relations ville-hôpital-association de patients.
Si les parents se sont regroupés en association - comme vous les y invitiez vous-même aux états généraux en 1998 et à l'UNESCO en février 2001 -, c'est qu'ils veulent, à l'instar des malades du sida, faire valoir leurs droits: le respect du code de la santé publique qui autorise le libre choix par le patient de son équipe médicale et sous-entend une véritable alternative thérapeutique; le respect de la loi Huriet qu'ils estiment le plus souvent bafouée par la pratique quotidienne de nombreux services français de cancérologie pédiatrique.
Les parents qui en ont fait l'expérience disent ne plus savoir si la motivation principale du médecin est de traiter leur enfant ou d'évaluer un protocole de recherche.
Le plus souvent, le formulaire de consentement dit «éclairé» qu'on leur fait signer est obtenu par de fausses allégations: les protocoles de traitement de ces équipes leur sont présentés comme les seuls utilisés en France - «tout le monde fait la même chose», leur dit-on - et leur consentement est obtenu sans qu'on leur ait offert de choix réel. Aucune information n'est jamais fournie sur les autres protocoles utilisés en France et dans le monde. Habituellement, aucun document n'est remis aux parents ni concernant le détail de la maladie de leur enfant et le détail du traitement qui va être utilisé, ni sur les publications du centre qui les traite, a fortiori sur les publications des autres groupes sur les mêmes sujets.
Il n'y a donc aucun choix réel, même la notion de tirage au sort n'est pas toujours explicitée quand elle est utilisée. Dès que le traitement a commencé, quelle que soit l'évolution, aucune adaptation personnalisée n'est prévue car il y aurait alors violation du protocole standardisé.
Les parents de nombreux patients refusent à juste titre la randomisation comme dogme scientifique. Ils rejettent l'hégémonie dont bénéficient certains groupes médicaux. Les malades du sida en on fait la preuve: la médecine peut progresser sans priver la moitié des patients du traitement le plus efficace.
Mme la présidente. Veuillez conclure, monsieur Hage !
M. Georges Hage. J'ai fini, madame la présidente.
Les parents veulent un accès au véritable choix thérapeutique. Le monopole en oncologie pédiatrique leur paraît dangereux, d'autant que ce monopole s'auto-évalue, créant de nombreux conflits d'intérêts inacceptables.
Pour toutes ces raisons que je fais miennes, l'exigence de ces familles est que l'unité d'oncologie d'Avicenne puisse vivre avec des moyens suffisants et sans souffrir de harcèlement. Acune recherche scientifique, quel que soit son intérêt, ne doit primer ni sur les droits ni sur la sécurité des patients, comme le disent les associations de défense des malades atteints du sida.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, vous aurez à coeur, au nom des patients que vous représentez, de sauver le seul espace de liberté thérapeutique de cancérologie pédiatrique qui pourrait, en outre, s'il en avait les moyens, inspirer tout un réseau de cancérologie pédiatrique, différent et complémentaire de celui de la SFOP.
Je ne doute pas que vous saurez faire respecter, et le code de la santé publique, et le serment d'Hippocrate et la loi Huriet dans les faits, et non dans les apparences. Je ne doute pas que vous saurez faire respecter la convention internationale des droits de l'enfant.
C'est pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, que les parents de petits cancéreux, réunis en association, ont fait appel à vous par mon intermédiaire parce que vous êtes ministre de la santé, mais surtout parce que vous êtes médecin et, par là même, le meilleur garant du respect de la déontologie et du serment d'Hippocrate.
Je vous remercie, madame la présidente de votre patience, mais «ces choses-là sont rudes. Il faut pour les comprendre avoir fait des études» !
Mme la présidente. La gravité du sujet justifiait une certaine indulgence à votre égard, monsieur Hage.
M. Georges Hage. Je vous remercie, madame la présidente.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué à la santé.
M. Bernard Kouchner, ministre délégué à la santé. Monsieur le représentant du peuple (Sourires) il faut, pour comprendre, avoir fait des études. Ces choses-là, que vous avez prononcées, furent très rudes.
Votre question, monsieur Hage, est dense.
D'abord, la cancérologie, pour des raisons historiques, que je ne pourrai, hélas ! développer assez longuement, est organisée en France en instituts et en hôpitaux, qui coïncident parfois et parfois non, d'où certaines redondances.
Ensuite, le domaine de la cancérologie offre aux jeunes médecins, en particulier aux internes, un avenir peu clair en raison même de ces deux systèmes de fonctionnement.
L'un d'eux - les instituts - date du général de Gaulle, juste après la guerre, en un moment où les progrès thérapeutiques ne permettaient pas autant l'espoir que maintenant. En matière de cancérologie pédiatrique, près de 70 % des cas, lorsqu'ils sont bien traités, peuvent aujourd'hui être suivis de guérison.
La maladie est rare chez les enfants, monsieur le député, mais elle existe. C'est un drame qui touche 1 800 familles par an environ et entraîne des souffrances d'autant plus particulières qu'il s'agit d'enfants.
Je me souvient très bien, monsieur Hage, de ce service de cancérologie pédiatrique de l'hôpital Robert-Debré. Et je me souviens qu'il a été transféré en partie à l'hôpital Avicenne.
Ma première réponse sera positive. Dans les services d'Ile-de-France, la difficulté d'application de la loi Huriet est telle que j'ai saisi l'IGAS qui auditionnera l'ensemble des services spécialisés concernés à propos des modalités de mise en oeuvre de cette loi du 20 décembre 1998, destinée à assurer la continuité des soins et les bonnes pratiques de prise en charge.
C'est là une réponse purement administrative, mais je pense qu'elle portera bientôt ses fruits.
Venons-en à la «randomisation», que vous avez évoquée à plusieurs reprises. Bien sûr, cette pratique peut paraître très cruelle, mais il faut savoir, monsieur le député, qu'elle a permis d'améliorer les thérapeutiques, car la séparation un peu aléatoire de deux groupes de malades traités différemment permet d'apprécier concrètement les résultats des nouveaux traitements.
Il n'empêche, je le répète, que cette pratique peut paraître cruelle, surtout lorsqu'il s'agit d'un enfant, et vous avez eu raison de dire que les associations de malades, en particulier de malades du SIDA, nous ont fait progresser de manière considérable en ce domaine. Je ne manquerai pas de le rappeler lorsque les résultats de l'enquête me parviendront.
Enfin, peut-être trouvez-vous également cruel, parce qu'il s'agit d'enfants et donc, on ne le dira jamais assez, de souffrances particulières, que la majorité légale dans les hôpitaux français, et plus particulièrement ceux de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, soit fixée à quinze ans. Est-ce juste ? Ne l'est-ce pas ? Je pense qu'il faut tolérer une certaine liberté en la matière. Mais il n'en demeure pas moins qu'il convient de séparer les enfants des adultes, car les prises en charge ne sont pas les mêmes et la fréquentation des adultes malades n'est pas très bénéfique pour les enfants.
Cependant, y a-t-il suffisamment de services pédiatriques de cancérologie ? Certainement pas, et l'une des réponses, vous l'avez suggéré vous-même, est la constitution de réseaux efficaces. Le ministre de la santé doit prêter plus d'attention aux demandes des associations de malades et des médecins, afin que l'ensemble de la prise en charge soit assuré en partant de la famille, autour de l'enfant et en retournant à la famille.
COM 11 REP_PUB Nord-Pas-de-Calais O