MODALITÉS DE RÉPARTITION
DU CAPITAL SOCIAL DU CRÉDIT AGRICOLE
M. le président.
M. François Guillaume a présenté une question, n° 1509, ainsi rédigée
:
« M. François Guillaume
souhaite interroger M. le ministre de l'économie, des finances et de
l'industrie sur les modifications apportées aux textes qui régissent le Crédit
agricole. En effet, en vertu de l'ordonnance n° 2000-1223 du
14 décembre 2000, prise en application de la loi d'habilitation
n° 99-1071 du 16 décembre 1999, le Gouvernement a abrogé des
dispositions importantes de la loi du 18 janvier 1988 relative à la
mutualisation du Crédit agricole. Ainsi, le texte de l'alinéa 1 de
l'article 7 et la première phrase de l'article 8 ont été transférés au
code monétaire et financier sous les articles L. 512-48 et L. 512-49, alors que
la seconde phrase de l'alinéa 2 de l'article 8, bien que relative au
fonctionnement de cet établissement financier, est maintenue dans la loi de
1988. On peut légitimement s'interroger sur la motivation réelle de cette
codification, a fortiori quand elle n'est que
partielle, et sur les raisons qui ont présidé à l'intégration de certaines
dispositions plutôt que d'autres au code monétaire et financier. Par ailleurs,
le 2 mai dernier, l'Assemblée nationale a adopté, en lecture définitive, le
projet de loi relatif aux nouvelles régulations économiques. L'article 28
de cette loi énonce les règles relatives aux prises de participation d'une
société mère dans le capital de ses sociétés filles, en l'occurrence de la
Caisse nationale du Crédit agricole à hauteur de 25 % dans le capital des
caisses régionales. Mais il existe une interprétation différente de ce texte :
l'article 28 autorise, dans la perspective de la privatisation et donc de
l'introduction en Bourse du Crédit agricole, l'ouverture à hauteur de 25 %
de son capital social à des tiers, ce qui laisse subsister le problème de la
répartition du capital social du Crédit agricole, régie par l'article 6 de
la loi du 18 janvier 1988. Aussi lui demande-t-il de préciser quel sens
donner à cet article et comment le Gouvernement entend procéder pour mettre en
adéquation les dispositions actuellement contradictoires de la loi du
18 janvier 1988 et celles de l'article 28 de la loi n° 2001-420
du 15 mai 2001 relatives aux nouvelles régulations économiques. »
La parole est à M. François
Guillaume, pour exposer sa question.
M. François Guillaume.
Je souhaite interroger le Gouvernement sur les modifications du statut de la
coopération intervenues par le biais d'une ordonnance qui supprime certaines
dispositions de la loi relative à la mutualisation du Crédit agricole pour les
réintroduire dans le code monétaire et financier. Trois articles sur dix-sept
ont ainsi été transférés, et encore, deux ne l'ont été que partiellement. Quel
est l'objectif de cette gymnastique juridique ?
Je souhaite aussi interroger le
Gouvernement sur la portée exacte de l'article 28 de la loi relative aux
nouvelles régulations économiques, qui a été adoptée en lecture définitive par
l'Assemblée nationale, au printemps dernier. Une disposition permet en effet à
une société mère - en l'occurrence la Caisse nationale de Crédit agricole - de
prendre des participations dans ses filiales, ici les caisses régionales. Je
n'en comprends pas l'objet et j'aimerais que le Gouvernement nous précise les
raisons de cette ouverture.
Une
autre interprétation de l'article 28, concurrente de celle que je viens
d'évoquer, donnerait la possibilité à la Caisse nationale de crédit agricole,
que l'on veut introduire en bourse, donc privatiser, d'ouvrir son capital à
hauteur de 25 % à des tiers : fonds de pension, multinationales ou autres
apporteurs de capitaux. Cela contrevient à la loi sur la mutualisation du Crédit
agricole, qui prévoit que le capital de la Caisse nationale est possédé à
hauteur de 90 % par les caisses régionales, de statut coopératif, et à
hauteur de 10 % par le personnel.
J'aimerais que le Gouvernement me
précise quelle est la portée exacte de la loi et qu'il m'indique comment il
entend rendre compatibles les dispositions actuelles avec celles contenues dans
la loi de janvier 1988 relative à la mutualisation du Crédit agricole.
M. le président. La
parole est à M. le secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au
commerce, à l'artisanat et à la consommation.
M. François Patriat, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes
entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation. Monsieur le
député, je me souviens d'avoir débattu avec vous, en 1988, de la mutualisation
du Crédit agricole et des débats intéressants que nous avions eus alors, les
rôles étant alors inversés.
Vous
interrogez tout d'abord le Gouvernement sur la codification dans le code
monétaire et financier de certains articles ou parties d'articles de la loi
n° 88-50 du 18 janvier 1988 relative à la mutualisation de la
Caisse nationale de crédit agricole.
Comme vous le savez, la codification
doit être effectuée à droit constant, sous réserve des adaptations de forme et
des harmonisations nécessaires. Seules les dispositions permanentes doivent être
codifiées, et non les dispositions transitoires. C'est pourquoi seuls certains
articles de la loi n° 88-50 du 18 janvier 1988 ont été repris.
Ainsi, les articles 7 et 8 ont été codifiés respectivement aux
articles L. 512-48 et L. 512-49.
En revanche, la dernière phrase de
l'article 8 n'a pas été reprise car elle concerne l'agrément par les
ministres des finances et de l'agriculture de la nomination du directeur général
de la Caisse nationale de crédit agricole « dès lors que la distribution des
prêts bonifiés par l'Etat est réservée à la société », c'est-à-dire à la CNCA.
La distribution des prêts bonifiés ayant été ouverte à d'autres établissements
de crédit à partir de 1989 - en vertu du décret n° 89-946 du
22 décembre 1989 -, cette disposition est devenue caduque et n'a
donc pas été codifiée. L'article 6 a été analysé comme incluant des
dispositions transitoires et n'a donc pas été codifié, ni d'ailleurs abrogé.
Par ailleurs, vous interrogez le
Gouvernement sur une possible contradiction entre l'article 28 de la loi
n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations
économiques et l'article 6 de la loi n° 88-50 du
18 janvier 1988 relative à la mutualisation de la Caisse nationale de
crédit agricole. Après examen de ces dispositions, il apparaît que cette
contradiction n'existe pas.
En
effet, l'article 28 de la loi du 15 mai 2001 relative aux
nouvelles régulations économiques n'a qu'une seule finalité : ne pas prendre en
compte les titres sans droits de vote détenus par un organe central pour le
calcul du plafond de 50 % des titres sans droits de vote que ces
établissements de crédit mutualistes ou coopératifs sont autorisés à émettre.
Ces dispositions s'appliquent à tous les organes centraux - dont la
CNCA - et permettront à ceux-ci de souscrire une part non déterminée du
capital des établissements de crédit qui leur sont affiliés, au moyen de titres
représentatifs d'un apport en capital, mais sans droits de vote. Ce texte ne
comporte donc aucune obligation de souscription et ne modifie pas les équilibres
de pouvoirs au sein de ces établissements puisqu'il ne vise que des titres sans
droits de vote.
Appliqué au
Crédit agricole, cet article permet à la Caisse nationale de crédit agricole de
souscrire 25 % du capital des caisses régionales qui ont émis des
certificats coopératifs d'investissement, des CCI, sans que cette opération
entraîne l'obligation de racheter les titres émis. Cela permettra ultérieurement
aux caisses régionales qui le souhaiteraient d'émettre des certificats
coopératifs d'investissement ou des certificats coopératifs d'associés -
qui sont des titres sans droits de vote - sans être limité par la
participation de la CNCA à leur capital pour l'appréciation du plafond de
50 % déjà explicité.
En
conclusion, monsieur le député, d'une part, il n'y a pas de contradiction, et,
d'autre part, la possibilité donnée aux caisses régionales constitue une
opportunité financière intéressante.
M. le président. La
parole est à M. François Guillaume.
M. François Guillaume.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je suis surpris de cette explication très
technique. L'ordonnance comme l'article 28 n'ont pas été élaborés dans la
transparence et je donnerai un exemple. Pour savoir que les dispositions
supprimées par l'ordonnance sont réintroduites dans le code monétaire et
financier, il faut lire le nota qui suit la
publication de l'ordonnance au Journal officiel et
qui précise : « Nota. - La partie législative du code
monétaire et financier annexée à la présente ordonnance fait l'objet d'une
pagination spéciale annexée au Journal officiel de ce
jour ». C'est de la véritable jonglerie législative et juridique !
Par ailleurs, en ce qui concerne
l'article 28, j'aurais aimé que vous me donniez une explication un peu plus
politique : en effet, après vous avoir écouté, je ne sais toujours pas laquelle
des deux interprétations que je vous ai proposées est la bonne.
J'ai posé une question de fond, à
savoir pourquoi la Caisse nationale de Crédit agricole prendrait des
participations dans ses caisses régionales. Ne serait-ce pas pour avoir un moyen
de pression sur elles et gonfler ses résultats ? En effet, les caisses
régionales sont des caisses coopératives, alors que la Caisse nationale est une
société anonyme que vous voulez introduire en bourse, et ses résultats doivent
nourrir les dividendes qu'elle distribuera à des financiers tiers comme les
fonds de pension.
Permettez-moi
de vous dire que, dans cette affaire, et contrairement à ce qui s'est passé pour
la loi de mutualisation - vous avez d'ailleurs reconnu qu'un large débat
s'était engagé à cette occasion -, la transparence est inexistante, et je
viens d'en donner la preuve. Les présidents des caisses régionales que j'ai
interrogés n'ont compris ni la portée de l'ordonnance ni celle de la loi
relative aux nouvelles régulations économiques. Je n'ai pas compris non plus les
explications qui ont été données, tant à l'Assemblée qu'au Sénat, lors de
l'examen de l'article 28.
Il
m'apparaît assez étonnant, pour ne pas dire scandaleux, que la majorité que vous
défendez se fasse l'apôtre de la privatisation alors qu'en 1988 elle était
montée au créneau contre la mutualisation du Crédit agricole, qui permettait en
fait de maintenir le Crédit agricole dans le statut coopératif tout en lui
donnant une liberté d'action bancaire sur les plans national et
international.
Croyez-moi, nous
reviendrons ici sur ce sujet parce que, en tant que père de la mutualisation du
Crédit agricole et en tant que paysan, je n'accepterai pas que le travail des
générations qui se sont succédé au long du siècle dernier ne revienne pas aux
paysans eux-mêmes, qui sont les porteurs de parts sociales, et qu'il file
désormais entre les mains d'apporteurs de capitaux extérieurs.