FICHE QUESTION
11ème législature
Question N° : 1659  de  M.   Miossec Charles ( Rassemblement pour la République - Finistère ) QOSD
Ministère interrogé :  justice
Ministère attributaire :  justice
Question publiée au JO le :  21/01/2002  page :  210
Réponse publiée au JO le :  23/01/2002  page :  769
Rubrique :  santé
Tête d'analyse :  maladie de Creutzfeldt-Jakob
Analyse :  contamination. responsabilités médicales
Texte de la QUESTION : Contemporain de celui du sang contaminé, le drame des hormones de croissance endeuille chaque année 8 à 10 familles dans notre pays. Pour avoir reçu dans les années 80 des injections destinées à favoriser leur croissance, des jeunes meurent chaque année de la maladie de Creutzfeldt Jakob, dans des conditions atroces et des souffrances indescriptibles. L'instruction de ce dossier a commencé voilà environ dix ans et a conduit à la mise en examen pour empoisonnement ou homicide involontaire d'un certain nombre de hauts responsables et d'institutions comme la pharmacie centrale ou l'Institut Pasteur. Les procédures n'ont toutefois pas abouti à une décision judiciaire à ce jour, déterminant les responsabilités et fixant les indemnisations à l'égard des familles des victimes. Toutefois, la promulgation de la loi sur la présomption d'innocence et des délits non-intentionnels a, semble-t-il, conduit un certain nombre de personnes mises en examen à demander l'annulation de la procédure. Sans se prononcer bien évidemment sur les éventuelles responsabilités, il ne peut être question de classer un tel dossier et d'étouffer le problème de santé publique qu'il pose. Par ailleurs, les familles, extrêmement traumatisées, ne pourraient supporter que l'affaire ne soit examinée à fond devant la justice et que les responsabilités ne soient pas établies. Dans ces conditions M. Charles Miossec demande à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, quel est l'état d'avancement de l'instruction de ce dossier, quelles sont les perspectives de le voir aboutir à une décision judiciaire et sous quel délai et quelle sera la position de l'Etat en cas de tentative d'étouffement, par des artifices de procédure, de ce dossier extrêmement sensible
Texte de la REPONSE :

RESPONSABILITÉS MÉDICALES EN CAS DE CONTAMINATION
AYANT ENTRAÎNÉ LA MALADIE DE CREUTZFELDT-JAKOB

    M. le président. M. Charles Miossec a présenté une question, n° 1659, ainsi rédigée :
    « Contemporain de celui du sang contaminé, le drame des hormones de croissance endeuille chaque année huit à dix familles dans notre pays. Pour avoir reçu dans les années 80 des injections destinées à favoriser leur croissance, des jeunes meurent chaque année de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, dans des conditions atroces et des souffrances indescriptibles. L'instruction de ce dossier a commencé voilà environ dix ans et a conduit à la mise en examen pour empoisonnement ou homicide involontaire d'un certain nombre de hauts responsables et d'institutions comme la Pharmacie centrale ou l'Institut Pasteur. Les procédures n'ont toutefois pas abouti à une décision judiciaire à ce jour, déterminant les responsabilités et fixant les indemnisations à l'égard des familles des victimes. Toutefois, la promulgation de la loi sur la présomption d'innocence et des délits non intentionnels a, semble-t-il, conduit un certain nombre de personnes mises en examen à demander l'annulation de la procédure. Sans se prononcer bien évidemment sur les éventuelles responsabilités, il ne peut être question de classer un tel dossier et d'étouffer le problème de santé publique qu'il pose. Par ailleurs, les familles, extrêmement traumatisées, ne pourraient supporter que l'affaire ne soit examinée à fond devant la justice et que les responsabilités ne soient pas établies. Dans ces conditions M. Charles Miossec demande à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, quel est l'état d'avancement de l'instruction de ce dossier, quelles sont les perspectives de le voir aboutir à une décision judiciaire et sous quel délai et quelle sera la position de l'Etat en cas de tentative d'étouffement, par des artifices de procédure, de ce dossier extrêmement sensible. »
    La parole est à M. Charles Miossec, pour exposer sa question.
    M. Charles Miossec. Madame la garde des sceaux, ministre de la justice, je mesure bien les limites de ma question, car elle porte sur un sujet particulièrement délicat et sensible. Je comprendrai donc que vous manifestiez quelques réserves ou que votre réponse soit prudente.
    Le drame des hormones de croissance, qui endeuille chaque année huit à dix familles, ne peut nous laisser insensibles. Depuis dix ans, plus de quatre-vingts jeunes sont morts de la maladie de Creutzfeldt-Jakob dans des conditions horribles et des souffrances indescriptibles pour avoir reçu, dans les années 80, des injections destinées à leur assurer une croissance aussi normale que possible.
    Contemporaine de celle du sang contaminé, la tragédie des hormones de croissance n'a pas connu le même écho auprès des médias, et c'est heureux. Il ne faudrait cependant pas que les familles déjà touchées par la mort d'un enfant et celles, très nombreuses - elles sont 2 500 environ -, qui attendent dans l'angoisse l'apparition des symptômes de la maladie, puissent penser que l'action de la justice est en sommeil ou éteinte.
    L'instruction de ce dossier a commencé il y a environ dix ans et a conduit à la mise en examen pour empoisonnement ou homicide involontaire de certains responsables d'organismes ou d'institutions comme la Pharmacie centrale ou l'Institut Pasteur. Les procédures n'ont toutefois pas abouti à une décision judiciaire déterminant les responsabilités et fixant les éventuelles indemnisations à l'égard des familles des victimes. Ces familles craignent que la loi sur la présomption d'innocence et les délits non intentionnels ne conduise certains des acteurs concernés à user d'artifices de procédure pour retarder le déroulement normal de la justice et échapper peu ou prou à leurs responsabilités. Je n'entends pas, bien entendu, me prononcer sur le fond, et encore moins montrer du doigt certains responsables, mais je crois en conscience qu'il ne peut être question de classer un tel dossier pour de simples artifices de procédure, la loi n'étant de toute façon pas rétroactive.
    Il ne peut être question non plus d'étouffer le problème de santé publique que pose l'affaire des hormones de croissance. Le silence qui entoure ce dossier est de plus en plus pesant pour les familles traumatisées, qui supportent de plus en plus mal que celui-ci ne soit pas examiné à fond et au fond. En outre, si les procédures devaient être ralenties ou étouffées cela aurait pour effet, à coup sûr, de médiatiser davantage encore cette affaire et de lui donner des allures de scandale, ce qui n'est souhaitable ni pour les familles, ni pour les instituts, ni pour les personnes concernées, ni pour l'Etat, ni pour la justice.
    Où en est l'instruction de ce dossier ? Quelles sont les perspectives de le voir aboutir à une décision judiciaire et dans quel délai ? Enfin, quelle sera la position de l'Etat en cas de tentative, sinon d'escamotage, du moins de ralentissement des procédures ? L'intérêt de toutes les parties est que la vérité soit établie, que les responsabilités soient définies et les familles apaisées.
    M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
    Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député, la question que vous posez concerne une procédure d'information judiciaire qui est en cours auprès d'un juge d'instruction parisien et, comme vous le savez - vous l'avez dit implicitement dans votre question -, il ne m'appartient pas de donner des détails sur les développements et les perspectives d'une procédure couverte par le secret de l'instruction.
    Comme vous l'indiquez, plusieurs mises en examen sont intervenues, des chefs d'empoisonnement ou d'homicide involontaire, et le juge d'instruction, Mme Bertella-Geffroy, poursuit ses investigations, notamment par les expertises qu'elle a pu ordonner et par l'exploitation des documents techniques et des dossiers médicaux qui ont été saisis.
    Comme pour tous les dossiers relatifs aux questions les plus graves de santé publique, tel celui-ci, dès lors que la qualification d'homicide involontaire est retenue, il est évident que la loi du 10 juillet 2000, qui a redéfini la faute non intentionnelle en cas de causalité indirecte, oblige les magistrats à se livrer à une réflexion juridique, au cas par cas, approfondie. Il en est de même, d'ailleurs, pour tous les dossiers de responsabilité médicale.
    Cependant, il est totalement inexact de soutenir que cette loi aurait pour conséquence de « classer » ce dossier, comme certains de vos interlocuteurs le craignent. Je pense qu'ils ont mal interprété les textes, ce qui peut se comprendre en raison de leur douleur. On est beaucoup moins raisonnable quand on est concerné et quand on a tant de chagrin. Pour être précise, je répondrai que la chambre d'instruction de la cour d'appel de Paris est actuellement saisie de trois demandes : une demande d'une partie civile aux fins d'annulation d'un acte d'expertise, une demande d'une personne mise en examen aux fins d'annulation de certains actes et une demande d'une autre personne mise en examen aux fins de voir prononcer en sa faveur un non-lieu. Il appartient à la chambre d'instruction de Paris de se prononcer.
    En tout état de cause, je tiens à souligner, à l'occasion de l'évocation de cette procédure très complexe et très douloureuse pour les familles des victimes, à quel point il est important que votre assemblée ait voté, lors de l'examen en première lecture du projet de loi sur les droits des malades présenté par M. Kouchner, l'amendement gouvernemental proposant de créer des pôles judiciaires interrégionaux spécialisés en matière de santé publique.
    Ces pôles, dès leur mise en place, permettront aux juges d'instruction saisis, et en premier lieu à ceux de Paris, d'être aidés et accompagnés dans leurs investigations, notamment grâce à l'intervention d'assistants spécialisés en la matière. Car ces dossiers sont complexes, et chaque fois qu'il s'agit de santé publique, il faut être précis.
    Le projet de loi sera examiné au Sénat la semaine prochaine et à nouveau par votre assemblée avant la fin de la législature.
    Je me suis engagée à mettre un pôle santé immédiatement en place autour d'une magistrate très connue, qui a déjà montré à quel point elle est compétente, mais dont les moyens sont insuffisants.
    En tout état de cause, monsieur le député, et sans violer en quoi que ce soit le secret de l'instruction, je voudrais que vous rassuriez vos interlocuteurs. Leur association sera reçue par les conseillers techniques du cabinet, qui prendront le temps de leur expliquer l'état du dossier, et vous pouvez leur dire dès à présent qu'il est hors de question que la justice classe une affaire ayant coûté la vie à des enfants qui avaient simplement besoin de grandir.
    Au-delà de son aspect judiciaire, ce dossier nous alerte sur les risques que présentent les hormones de croissance. Parfois, dans les négociations commerciales internationales, on comprend mal certaines de nos positions. Mais nous avons malheureusement une très douloureuse expérience à faire valoir pour éviter que des interventions aient lieu sans expertise a priori des substances, compte tenu des maladies dégénératives qu'elles peuvent causer.
    Je vous remercie, monsieur Miossec, de porter le dossier de ces familles qui, parfois, parce que leur nombre est faible, et c'est heureux, se sentent abandonnées.
    M. le président. La paroles est à M. Charles Miossec.
    M. Charles Miossec. Je vous remercie, madame la ministre, de votre réponse. J'en prends acte et je rassurerai autant que faire se peut les familles concernées. Ce dossier n'est donc pas et ne sera pas classé.
    

RPR 11 REP_PUB Bretagne O