RESPONSABILITÉS MÉDICALES EN CAS DE
CONTAMINATION
AYANT ENTRAÎNÉ LA MALADIE DE
CREUTZFELDT-JAKOB
M. le président.
M. Charles Miossec a présenté une question, n° 1659, ainsi rédigée
:
« Contemporain de celui du sang
contaminé, le drame des hormones de croissance endeuille chaque année huit à
dix familles dans notre pays. Pour avoir reçu dans les années 80 des
injections destinées à favoriser leur croissance, des jeunes meurent chaque
année de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, dans des conditions atroces et des
souffrances indescriptibles. L'instruction de ce dossier a commencé voilà
environ dix ans et a conduit à la mise en examen pour empoisonnement ou
homicide involontaire d'un certain nombre de hauts responsables et
d'institutions comme la Pharmacie centrale ou l'Institut Pasteur. Les procédures
n'ont toutefois pas abouti à une décision judiciaire à ce jour, déterminant les
responsabilités et fixant les indemnisations à l'égard des familles des
victimes. Toutefois, la promulgation de la loi sur la présomption d'innocence et
des délits non intentionnels a, semble-t-il, conduit un certain nombre de
personnes mises en examen à demander l'annulation de la procédure. Sans se
prononcer bien évidemment sur les éventuelles responsabilités, il ne peut être
question de classer un tel dossier et d'étouffer le problème de santé publique
qu'il pose. Par ailleurs, les familles, extrêmement traumatisées, ne pourraient
supporter que l'affaire ne soit examinée à fond devant la justice et que les
responsabilités ne soient pas établies. Dans ces conditions M. Charles
Miossec demande à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, quel est
l'état d'avancement de l'instruction de ce dossier, quelles sont les
perspectives de le voir aboutir à une décision judiciaire et sous quel délai et
quelle sera la position de l'Etat en cas de tentative d'étouffement, par des
artifices de procédure, de ce dossier extrêmement sensible. »
La parole est à M. Charles
Miossec, pour exposer sa question.
M. Charles Miossec.
Madame la garde des sceaux, ministre de la justice, je mesure bien les limites
de ma question, car elle porte sur un sujet particulièrement délicat et
sensible. Je comprendrai donc que vous manifestiez quelques réserves ou que
votre réponse soit prudente.
Le
drame des hormones de croissance, qui endeuille chaque année huit à dix
familles, ne peut nous laisser insensibles. Depuis dix ans, plus de
quatre-vingts jeunes sont morts de la maladie de Creutzfeldt-Jakob dans des
conditions horribles et des souffrances indescriptibles pour avoir reçu, dans
les années 80, des injections destinées à leur assurer une croissance aussi
normale que possible.
Contemporaine de celle du sang
contaminé, la tragédie des hormones de croissance n'a pas connu le même écho
auprès des médias, et c'est heureux. Il ne faudrait cependant pas que les
familles déjà touchées par la mort d'un enfant et celles, très nombreuses
- elles sont 2 500 environ -, qui attendent dans l'angoisse
l'apparition des symptômes de la maladie, puissent penser que l'action de la
justice est en sommeil ou éteinte.
L'instruction de ce dossier a
commencé il y a environ dix ans et a conduit à la mise en examen pour
empoisonnement ou homicide involontaire de certains responsables d'organismes ou
d'institutions comme la Pharmacie centrale ou l'Institut Pasteur. Les procédures
n'ont toutefois pas abouti à une décision judiciaire déterminant les
responsabilités et fixant les éventuelles indemnisations à l'égard des familles
des victimes. Ces familles craignent que la loi sur la présomption d'innocence
et les délits non intentionnels ne conduise certains des acteurs concernés à
user d'artifices de procédure pour retarder le déroulement normal de la justice
et échapper peu ou prou à leurs responsabilités. Je n'entends pas, bien entendu,
me prononcer sur le fond, et encore moins montrer du doigt certains
responsables, mais je crois en conscience qu'il ne peut être question de classer
un tel dossier pour de simples artifices de procédure, la loi n'étant de toute
façon pas rétroactive.
Il ne peut
être question non plus d'étouffer le problème de santé publique que pose
l'affaire des hormones de croissance. Le silence qui entoure ce dossier est de
plus en plus pesant pour les familles traumatisées, qui supportent de plus en
plus mal que celui-ci ne soit pas examiné à fond et au fond. En outre, si les
procédures devaient être ralenties ou étouffées cela aurait pour effet, à coup
sûr, de médiatiser davantage encore cette affaire et de lui donner des allures
de scandale, ce qui n'est souhaitable ni pour les familles, ni pour les
instituts, ni pour les personnes concernées, ni pour l'Etat, ni pour la
justice.
Où en est l'instruction
de ce dossier ? Quelles sont les perspectives de le voir aboutir à une décision
judiciaire et dans quel délai ? Enfin, quelle sera la position de l'Etat en cas
de tentative, sinon d'escamotage, du moins de ralentissement des procédures ?
L'intérêt de toutes les parties est que la vérité soit établie, que les
responsabilités soient définies et les familles apaisées.
M. le président. La
parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme
Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre
de la justice. Monsieur le député, la question que vous posez concerne une
procédure d'information judiciaire qui est en cours auprès d'un juge
d'instruction parisien et, comme vous le savez - vous l'avez dit
implicitement dans votre question -, il ne m'appartient pas de donner des
détails sur les développements et les perspectives d'une procédure couverte par
le secret de l'instruction.
Comme
vous l'indiquez, plusieurs mises en examen sont intervenues, des chefs
d'empoisonnement ou d'homicide involontaire, et le juge d'instruction,
Mme Bertella-Geffroy, poursuit ses investigations, notamment par les
expertises qu'elle a pu ordonner et par l'exploitation des documents techniques
et des dossiers médicaux qui ont été saisis.
Comme pour tous les dossiers
relatifs aux questions les plus graves de santé publique, tel celui-ci, dès lors
que la qualification d'homicide involontaire est retenue, il est évident que la
loi du 10 juillet 2000, qui a redéfini la faute non intentionnelle en
cas de causalité indirecte, oblige les magistrats à se livrer à une réflexion
juridique, au cas par cas, approfondie. Il en est de même, d'ailleurs, pour tous
les dossiers de responsabilité médicale.
Cependant, il est totalement inexact
de soutenir que cette loi aurait pour conséquence de « classer » ce dossier,
comme certains de vos interlocuteurs le craignent. Je pense qu'ils ont mal
interprété les textes, ce qui peut se comprendre en raison de leur douleur. On
est beaucoup moins raisonnable quand on est concerné et quand on a tant de
chagrin. Pour être précise, je répondrai que la chambre d'instruction de la cour
d'appel de Paris est actuellement saisie de trois demandes : une demande d'une
partie civile aux fins d'annulation d'un acte d'expertise, une demande d'une
personne mise en examen aux fins d'annulation de certains actes et une demande
d'une autre personne mise en examen aux fins de voir prononcer en sa faveur un
non-lieu. Il appartient à la chambre d'instruction de Paris de se prononcer.
En tout état de cause, je tiens à
souligner, à l'occasion de l'évocation de cette procédure très complexe et très
douloureuse pour les familles des victimes, à quel point il est important que
votre assemblée ait voté, lors de l'examen en première lecture du projet de loi
sur les droits des malades présenté par M. Kouchner, l'amendement
gouvernemental proposant de créer des pôles judiciaires interrégionaux
spécialisés en matière de santé publique.
Ces pôles, dès leur mise en place,
permettront aux juges d'instruction saisis, et en premier lieu à ceux de Paris,
d'être aidés et accompagnés dans leurs investigations, notamment grâce à
l'intervention d'assistants spécialisés en la matière. Car ces dossiers sont
complexes, et chaque fois qu'il s'agit de santé publique, il faut être
précis.
Le projet de loi sera
examiné au Sénat la semaine prochaine et à nouveau par votre assemblée avant la
fin de la législature.
Je me suis
engagée à mettre un pôle santé immédiatement en place autour d'une magistrate
très connue, qui a déjà montré à quel point elle est compétente, mais dont les
moyens sont insuffisants.
En tout
état de cause, monsieur le député, et sans violer en quoi que ce soit le secret
de l'instruction, je voudrais que vous rassuriez vos interlocuteurs. Leur
association sera reçue par les conseillers techniques du cabinet, qui prendront
le temps de leur expliquer l'état du dossier, et vous pouvez leur dire dès à
présent qu'il est hors de question que la justice classe une affaire ayant coûté
la vie à des enfants qui avaient simplement besoin de grandir.
Au-delà de son aspect judiciaire, ce
dossier nous alerte sur les risques que présentent les hormones de croissance.
Parfois, dans les négociations commerciales internationales, on comprend mal
certaines de nos positions. Mais nous avons malheureusement une très douloureuse
expérience à faire valoir pour éviter que des interventions aient lieu sans
expertise a priori des substances, compte tenu
des maladies dégénératives qu'elles peuvent causer.
Je vous remercie, monsieur Miossec,
de porter le dossier de ces familles qui, parfois, parce que leur nombre est
faible, et c'est heureux, se sentent abandonnées.
M. le président. La
paroles est à M. Charles Miossec.
M. Charles Miossec. Je
vous remercie, madame la ministre, de votre réponse. J'en prends acte et je
rassurerai autant que faire se peut les familles concernées. Ce dossier n'est
donc pas et ne sera pas classé.