FICHE QUESTION
11ème législature
Question N° : 1821  de  M.   Brunhes Jacques ( Communiste - Hauts-de-Seine ) QG
Ministère interrogé :  Premier Ministre
Ministère attributaire :  Premier Ministre
Question publiée au JO le :  02/02/2000  page :  513
Réponse publiée au JO le :  02/02/2000  page :  513
Rubrique :  politique extérieure
Tête d'analyse :  Autriche
Analyse :  situation politique
DEBAT : M. le président. La parole est à M. Jacques Brunhes.
M. Jacques Brunhes. Monsieur le Premier ministre, en Autriche, le leader de l'extrême droite Jorg Haider, admirateur des Waffen SS et de «la politique de l'emploi de Hitler», négocie avec la droite autrichienne pour constituer un gouvernement.
L'accession au pouvoir du parti de Haider est un défi politique,...
M. Lucien Degauchy. C'est la démocratie !
M. Jacques Brunhes. ... un défi éthique sans précédent depuis la guerre, alors même que l'Autriche est membre de l'Union européenne et du Conseil de l'Europe. Des réactions d'indignation s'expriment un peu partout. Le Président de la République a fait part de son inquiétude.
Mais l'émotion ne suffira pas. C'est aux actes qu'il faut passer pour mettre le dirigeants de Vienne au ban des opinions et des institutions communautaires. Comment accepter, en effet, un gouvernement autrichien où se retrouveraient des partisans de Haider et qui entrerait en contradiction ouverte avec les valeurs fondamentales de l'Union européenne et de la France ? Il ne s'agit pas d'isoler le peuple autrichien mais de proscrire Haider et tous ceux qui pactiseraient avec lui, comme l'avaient fait à Vienne, le 12 novembre dernier, les milliers de manifestants de la grande mobilisation antiraciste.
Personne ne peut s'exonérer de réfléchir aux raisons de cette situation en Autriche, aux conséquences des politiques néo-libérales, et aux conditions de l'élargissement de l'Union aux pays d'Europe centrale et orientale.
Dans l'immédiat, monsieur le Premier ministre, je vous demande, au nom des députés communistes, sur ce dossier où il y va des valeurs de la démocratie et de l'humanisme, quelle sera l'attitude du Gouvernement et quelles mesures il compte prendre. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert,)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Monsieur le député, l'émotion grave et forte qu'a suscité en Europe et dans notre pays le projet d'alliance entre le parti conservateur et le parti de l'extrême droite en Autriche est tout à fait légitime. Et je sais, monsieur le député, que la réprobation que vous exprimez est partagée par l'ensemble de la représentation nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants).
Nous n'avons pas oublié les brûlures de l'histoire européenne. Certes, il ne faut pas amalgamer les situations historiques. Les années 2000 en Europe ne sont pas les années 30. L'Allemagne de Hindeburg et de Hitler ne peut être comparée à l'Autriche de MM. Schüssel et Haider. Le FPO lui-même, parti de M. Haider, n'est pas un parti national-socialiste.
Non, mais c'est un parti d'extrême droite xénophobe. Non, mais c'est un parti dont le leader a rendu hommage en son temps - nous ne l'avons pas oublié - à Hitler, à sa politique de l'emploi et aux Waffen SS. Non, mais le FPO est un parti dont le leader a révélé tout récemment encore, par ses dérapages verbaux inconvenants à l'égard du Président de la République française, répugnants vis-à-vis du gouvernement belge, ce qu'il était. (Applaudissements sur de nombreux bancs.) Il est donc logique que ce projet d'alliance provoque à la fois l'indignation et le refus.
Une question est posée, notamment à Vienne, par certains responsables autrichiens: cette alliance projetée n'est-elle pas seulement l'affaire des Autrichiens ? Je crois qu'il faut, à cet égard, insister sur un élément qui n'a pas été, jusqu'ici, suffisamment mis en valeur. Dire cela, c'est ne pas prendre en compte le fait que l'Autriche appartient désormais à une communauté fondée sur des principes et des valeurs humanistes.
Lorsque, au début des années 90, a été posée la question du passé de M. Kurt Waldheim, l'Autriche n'était pas membre de l'Union européenne. Chacun des pays européens, et des autres pays du monde, était libre de déterminer la nature de ses relations avec l'Autriche, libre de décider d'avoir ou pas des relations politiques avec elle. La communauté internationale des nations démocratiques avait alors marqué son refus en engageant une politique de boycott qui avait conduit à la démission de M. Kurt Waldheim.
Aujourd'hui, les choses sont différentes parce que l'Autriche fait partie de l'Union européenne. Nous nous réunissons régulièrement entre chefs d'Etat et de gouvernement ou au niveau des ministres, à quinze, dans l'Union européenne, et nous ne pouvons pas refuser, selon les règles du traité, la participation des Etats membres. C'est pourquoi, avant de parler d'ingérence, il faut bien considérer que le seul fait d'avoir à accepter dans ces instances des représentants de ces partis d'extrême droite,...
M. Francis Delattre. Vous avez bien des communistes, vous !
M. le Premier ministre. ... équivaudrait, en réalité, à apporter notre caution politique à une alliance que certains dirigeant ont eux-mêmes déterminée en Autriche.
Or nous refusons cette alliance parce que nous la jugeons dangereuse, comme nous la refusons dans notre propre pays. Et je rends ici hommage à la droite parlementaire qui, à quelques exceptions près dans trois de nos régions, a refusé constamment - le Président de la République en particulier - cette alliance avec l'extrême droite. Nous n'avons pas à nous la voir imposer politiquement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
M. Bernard Roman. Très bien !
M. le Premier ministre. Puisqu'une communauté implique de vivre ensemble, c'est aux quinze Etats membres de s'entendre sur les règles minimales de ce «vivre ensemble». Et les idées du FPO sont contradictoires avec les principes sur lesquels est fondée la Communauté européenne.
C'est pourquoi, mesdames, messieurs les députés, nous sommes effectivement passés aux actes, la France et les quatorze pays autres que l'Autriche. Le président de la République, avec mon plein accord (Exclamations sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République),...
M. Michel Hunault. Le président de la République n'a pas besoin de votre accord !
M. le Premier ministre. ... dès vendredi, après avoir pris contact avec le chancelier allemand, a proposé au président de l'Union, M. Antonio Guterres, un certain nombre de mesures pratiques.
Moi-même, j'ai eu, durant le week-end, des contacts téléphoniques avec le président de l'Union et la présidence portugaise qui, après l'avoir proposé hier, a adressé au Président de la République autrichienne et à l'actuel Chancelier social-démocrate Klima une déclaration selon laquelle, si une telle alliance était constituée, il n'y aurait plus de contact politique et diplomatique officiel entre les quatorze pays et l'Union européenne, les contacts au niveau des ambassadeurs seraient maintenus à un seul niveau technique, nous n'appuierions aucune des propositions de l'Autriche en matière de postes au plan européen comme au plan international.
Si nous nous sommes situés au plan des relations bilatérales pour les quatorze pays et au plan politique, mesdames, messieurs les députés, c'est que le traité ne nous permettait pas d'agir préventivement. Selon l'article 7 du traité d'Amsterdam, des violations graves et persistantes des principes fondateurs de l'Union devraient être commises par cet hypothétique nouveau gouvernement pour que nous puissions agir. Nous n'entendons pas attendre que cette situation se crée. C'est pourquoi la pression politique exercée par les chefs d'Etat et de gouvernement, par nos formations politiques, par les mouvements spirituels, par l'opinion elle-même, par les médias est absolument nécessaire.
L'objectif est de susciter une prise de conscience en Autriche, qui interrompe ce projet. S'il n'en était pas ainsi, monsieur le député, croyez bien qu'en contact avec ses partenaires européens, le gouvernement français serait conduit, sur la base de ce qui a été décidé et sur celle de nouvelles propositions qu'il pourrait faire, notamment s'il était confronté à cette situation pendant la présidence française, à prendre toutes mesures pour que l'Autriche de MM. Haider et Schüssel soit politiquement isolée en Europe. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert ainsi que sur divers bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)
COM 11 REP_PUB Ile-de-France O