Texte de la QUESTION :
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M. Alain Bocquet attire l'attention de Mme le ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement sur les problèmes soulevés par le projet d'un parc national en Guyane française. L'idée a été lancée en juin 1992. Des études menées par la direction régionale de l'environnement (DIREN) et son comité de pilotage, où aucun Amérindien n'est représenté, envisagent l'emplacement de ce parc à vocation touristique dans la partie sud de la Guyane, zone protégée par arrêté préfectoral depuis 1970 et la seule à être actuellement habitée par les derniers indiens libres de la forêt, les WAYANA, OYAMPI, EMERILLON. Ce projet ne respecte pas les priorités écologiques dégagées par la communauté scientifique nationale et internationale qui désignait la zone centrale/Nord de ce département comme étant la seule à posséder une exceptionnelle biodiversité endémique et qui est inhabitée. Il bafoue les droits les plus élémentaires des peuples autochtones (droits à la terre, à l'utilisation des ressources de la terre, à l'autonomie, à la reconnaissance de leur culture) en ne leur laissant même pas la possibilité de s'exprimer sur un projet qui les concerne au premier dégré. Ces communautés dispersées tirent traditionnellement leur susbsistance du milieu naturel et pratiquement ancestralement le semi-nomadisme, seul système viable pour ne pas épuiser les sols fragiles de ce milieu. Leur sédentarisation les exposerait à un tourisme ethnocidaire et signifierait la mort de leur culture et l'identité. Faut-il rappeler que la France est le seul Etat des Amériques à ne toujours pas reconnaître officiellement l'existence des Amérindiens au nom de « l'unité du peuple français » ? Alors que toute pénération, autre que dans le cadre de missions administratives, scientifiques ou militaires, de la zone sud était interdite par l'arrêté préfectoral, la DIREN envisage avec le projet de parc une réglementation « plus souple et plus évolutive », encourage l'ouverture des villages amérindiens à la fréquentation touristique et les Amérindiens à se livrer à des activités « commerciales ». En outre, la direction régionale de l'industrie et des ressources énergétiques (DRIRE) ayant localisé dans cette zone des gisements aurifères, l'Etat à donné permis de recherche aux compagnies minières internationales (Australie, Canada, USA). Enfin, la Guyane n'ayant pas de code forestier, les exploitants forestiers pillent le bien collectif avec des subventions de l'ONF ! C'est pourquoi il lui demande : d'intervenir afin que la France signe enfin les conventions internationales de l'OIT n° 107 et 169 relatives aux droits territoriaux des peuples autochtones ; de surseoir au projet actuel de parc national dans le sud guyanais ; d'admettre au sein du comité de pilotage du parc des représentants des populations améridiennes du sud guyanais ; de fournir aux communautés amérindiennes une information suffisante, culturellement adaptée et transmise en langue locale ; d'effectuer un travail d'étude, d'inventaire et de recensement dans le nord guyanais et de le comparer à celui fait dans la région sud ; d'étendre à la Guyane le code minier de la France métropolitaine ; d'instituer un code forestier pour la Guyane ; d'inscrire le futur parc au patrimoine mondial de l'UNESCO avec statut de réserve de la biosphère ; de lancer une consultation nationale, amazonienne (au travers de la COICA) et européenne et de faire participer aux débats tous ces partenaires pour la réalisation d'un projet alternatif autorisant l'ensemble des parties concernées.
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Texte de la REPONSE :
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La ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement a pris connaissance, avec intérêt, de la question concernant le projet de parc national de la forêt guyanaise. Certaines modalités du projet concernant le parc paraissent contestables à l'honorable parlementaire pour deux raisons : la première est environnementale et la seconde est liée à l'absence de prise en compte des intérêts et des droits des populations amérindiennes. En premier lieu, pour ce qui concerne les critiques concernant la localisation du projet et liées à des raisons environnementales, il existe en effet un débat, au sein de la communauté scientifique, relatif à la localisation souhaitable d'un parc naturel en Guyane. Certains chercheurs considèrent que les zones de haute diversité biologique sont principalement situées au centre et au nord de ce département. Mais la majorité des scientifiques travaillant en Guyane, qu'ils appartiennent au Muséum, au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ou à l'Office de recherche scientifique et technique d'outre-mer (ORSTOM), estiment, pour leur part, que la qualité biologique du secteur Sud de la Guyane est équivalente à celle du secteur Nord, voire plus importante, car à ce jour moins bien connue. Tous, en revanche, considèrent comme essentiel d'intégrer dans le parc à créer, qu'il soit au centre-nord ou au sud, une large part de la chaîne Immi-Camopi, et notamment le secteur de Saül qui constitue vraisemblablement la zone contenant la plus forte diversité biologique de la Guyane. D'autre part, en ce qui concerne la prise en compte des intérêts des communautés amérindiennes et noir-marron du Haut-Maroni, de l'Oyapock et leur association à la mise en place du parc, il faut souligner que le projet a beaucoup évolué depuis la réunion du comité de pilotage de décembre 1995. Ces questions sont désormais au coeur de la démarche entreprise. L'intégration de la chaîne Immi-Camopi et la prise en compte plus forte des intérêts des communautés amérindiennes constituaient, dès 1995, des revendications présentées au ministre de l'environnement par France - Nature - Environnement, la Ligue pour la protection des oiseaux et le WWF France. En effet, les propositions formulées en décembre 1995 avaient entraîné une attitude de rejet de la part des Indiens Wayanas, totalement opposés à la notion de zones de vie ainsi qu'à une éventuelle fréquentation de leurs villages par les touristes. Ce blocage a amené le préfet, la direction régionale de l'environnement (DIREN) et la mission de création du parc à engager une nouvelle et vaste concertation avec les différents acteurs du projet. C'est ainsi que diverses missions d'écoute sur le Haut-Maroni et l'Oyapock ont permis de préciser les raisons des blocages constatés, de rétablir le dialogue jusqu'alors insuffisant avec les communautés amérindiennes, et de mettre en évidence de nombreux besoins et attentes de ces dernières : protection contrel l'orpaillage, alimentation en eau dans les villages, pérennisation des abattis, gestion de la chasse et de la pêche... Par ailleurs, la direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (DRIRE) et le Bureau de recherche géologique et minière (BRGM) ont édité, en mai 1996, l'inventaire minier du sud de la Guyane. Ce document met en évidence l'existence de potentiels, principalement aurifères, sur l'ensemble de la chaîne Immi-Camopi, descendant largement vers le sud en pays indien. Ces différents éléments dont amené la DIREN de Guyane à proposer la relance de ce projet autour d'un double objectif, de protection de la biodiversité et du respect des modes de vie traditionnels des communautés concernées. Dans cette optique, le comité de pilotage du parc a été élargi par la création d'un quatrième collège comprenant trois associations de protection de la nature, la Fédération des organisations amérindiennes de Guyane et des associations représentant les populations concernées par le parc, dont un Noir-Marron et quatre Amérindiennes : deux Wayana du Haut-Maroni, une Emerillon de Camopi et une Wayami de Trois-Sauts. De plus, dans le souci d'assurer aux Amérindiens une information adaptée et transmise en langue locale, la mission pour la création du parc de la forêt guyanaise a embauché au sein se la population, en juillet 1997, une personne relais dans chaque secteur concerné. Celle-ci a pour tâche d'apporter une information régulière à sa communauté et de signaler à la mission les attentes, problèmes et souhaits qu'elle exprime. Dix personnes relais seront en place, dont six en milieu amérindien : deux Wayanas sur le Haut-Maroni, un Emerillon à Camponi Elaé et, Caoïde, ainsi qu'un Wayampi à Trois-Sauts. La mise en oeuvre du double objectif, rappelé ci-dessus, conduit à concevoir, avec les communautés concernées, un projet original respectant leurs modes de vie. C'est ainsi que la notion de « zone de vie », manifestement inadaptée car trop restrictive, est désormais abandonnée au profit d'un projet nouveau qui est à construire avec les communautés. Il est clair que cette démarche correspond largement à l'esprit des réserves de biosphères et que l'inscription du futur parc au patrimoine mondial de l'UNESCO est d'ores et déjà envisagée. Des réflexions, conduites notamment par les Wayanas, sont actuellement en cours. Elles doivent permettre de préciser les modes de vie revendiqués par les communautés amérindiennes du sud de la Guyane. Sur ces bases, un dialogue pourra être engagé avec les naturalistes afin de concevoir un projet permettant de concilier le respect de ces usages et la protection de la nature. En ce qui concerne l'exploitation minière, les derniers inventaires du BRGM ont montré qu'elle pouvait désormais affecter le sud de la Guyane, et notamment les secteurs amérindiens du Haut-Maroni et de Camopi. Le projet de parc du Sud peut permettre de fixer durablement une limite à l'extension de cette activité vers le sud. Compte tenu de l'intérêt environnemental de la chaîne Immi-Camopi, cette limite devra être localisée au sein de cette chaîne, ce qui suppose le gel d'une partie - la plus méridionale - du potentiel minier, pour garantir la protection de la forêt et de ses habitants dans le Sud guyanais. Une réflexion doit être conduite en ce sens, associant étroitement élus et représentants des communautés locales. Le préfet de Guyane a décidé de ne plus accorder de permis miniers dans la zone d'accès réglementé et de rejeter les demandes concernant des sites placés dans cette zone. Ce changement d'approche, qui a été présenté au mois de décembre 1997 au comité de pilotage du parc, reçoit aujourd'hui l'assentiment des parlementaires et des élus locaux guyanais, ainsi que des communautés locales concernées. Les éléments nouveaux et importants qu'il comporte conduisent à ce que ce projet présente, dans cette optique, un grand intérêt, à la fois sur le plan environnemental et sur celui des modes de vies des populations amérindiennes du Haut-Maroni et de l'Oyapock. Il s'agit d'un projet innovant et harmonieux à la hauteur des enjeux naturels et humains de cette partie du territoire français. L'intérêt de ce projet devrait se trouver renforcé par la création, en parallèle, d'un parc contigu situé au Brésil, permettant de constituer ainsi l'un des plus vastes espaces protégés à l'échelle mondiale. Pour autant, le centre et le nord de la Guyane ne sont pas négligés. Sur ces secteurs, la relance en cours des inventaires de zones écologiques d'intérêt faunitique et floristique (ZNIEFF) sous l'autorité du Conseil scientifique régional du patrimoine naturel doit permettre de compléter la connaissance floristique et faunistique de ces zones et de la diffuser largement. Par ailleurs, une politique ambitieuse de protection et de gestion des espaces les plus remarquables est largement engagée. A ce jour, les secteurs centre et nord de la Guyane disposent en effet de six arrêtés de biotope, d'une réserve biologique domaniale (massif de Dékou-Dékou - Lucifer) et des trois réserves naturelles (l'île du Grand Connétable, et les forêts des Nouragues et de la Trinité), protégeant au total 450 000 hectares dont 184 000 hectares de réserves naturelles. En outre, deux grands projets de réserves naturelles sont actuellement en cours d'instruction interministérielle. Ils concernent les marais de Kaw-Roura et le secteur de la Basse-Mana et d'Awala Yalimapo. Ces deux dossiers ont fait l'objet d'un avis favorable du Conseil national de protection de la nature en février 1997, et les décrets de classement correspondants devraient être pris très prochainement. Au total, compte tenu de ces différents projets, la Guyane disposera, avant la fin de cette année, d'un total de près de 600 000 hectares d'espaces protégés dans les secteurs centre et nord. La ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement ajoute que d'autres projets sont en cours d'étude par la DIREN. Par ailleurs, le conseil régional étudie la possibilité de créer un parc naturel régional. Ce type d'organisme est particulièrement porteur de la démarche propre au développement durable. Comme vous pouvez le constater, la politique du Gouvernement est particulièrement ambitieuse en ce qui concerne la protection de la nature et la sauvegarde des modes de vie amérindiens. Le réseau d'espaces protégés, en cours de constitution sur l'ensemble de la région, doit permettre la préservation sur le long terme de la diversité biologique en Guyane, le parc du Sud ayant pour sa part une vocation au moins aussi affirmée pour la préservation des cultures et des modes de vie amérindiens que pour la protection de la biodiversité.
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