FICHE QUESTION
11ème législature
Question N° : 2065  de  M.   Salles Rudy ( Union pour la démocratie française-Alliance - Alpes-Maritimes ) QG
Ministère interrogé :  justice
Ministère attributaire :  justice
Question publiée au JO le :  10/05/2000  page :  3877
Réponse publiée au JO le :  10/05/2000  page :  3877
Rubrique :  droit pénal
Tête d'analyse :  procédure pénale
Analyse :  demande d'extradition. politiques communautaires
DEBAT : M. le président. La parole est à M. Rudy Salles.
M. Rudy Salles. Monsieur le président, ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
Depuis plusieurs mois, la France suit avec horreur et consternation l'affaire Sid Ahmed Rezala. Les Français ont tout d'abord été choqués par la barbarie des crimes dont est fortement suspecté cet homme de vingt ans. Deux jeunes étudiantes, Isabelle Peake et Emilie Bazin, une mère de famille, Corinne Caillaux, ont été, en effet, sauvagement tuées.
Dois-je rappeler le parcours de ce fugitif ? Plus d'un mois de cavale, une arrestation le 13 novembre 1999 à Pontarlier, suivie d'une remise en liberté alors qu'il était porteur de cannabis, d'un couteau et d'une bombe lacrymogène. Le franchissement de la frontière espagnole, ensuite, et une possible arrestation suivie d'une brève incarcération à Madrid. Puis l'entrée au Portugal suivie, in extremis, d'une arrestation alors que Rezala allait encore fuir vers les Canaries et le Maghreb. Autant d'événements qui ont révélé de surprenants dysfonctionnements dans la coordination de nos forces de police, mais également dans la coopération policière et judiciaire européenne.
Dès son arrestation au Portugal, les autorités judiciaires françaises ont déposé une demande d'extradition. Le 11 janvier dernier, le garde des sceaux, se félicitant de cette arrestation, annonçait une extradition probable dans les quarante-huit heures. Quelques jours après, ce délai était porté à vingt jours, voire un mois. Alors que cette demande justifiée paraissait n'être qu'une formalité, on vient d'apprendre que les autorités judiciaires portugaises pourraient décider de libérer Rezala, voire de lui donner le choix de son pays d'extradition. Le motif est qu'en pareille situation le droit portugais peut refuser l'extradition d'un individu qui pourrait être condamné dans le pays émetteur de la demande d'une peine de trente ans de prison. Et cette décision devrait être prise par les autorités judiciaires du Portugal dans un délai très proche.
Monsieur le Premier ministre, l'opinion publique française est sous le choc. Et que dire des sentiments ressentis par les familles des victimes en pareille circonstance ? C'est pourquoi je souhaite vous poser deux questions. Tout d'abord, quelles initiatives avez-vous prises à l'égard des autorités portugaises pour empêcher que l'inacceptable ne soit commis ?
Par ailleurs, en ce 9 mai 2000, jour du cinquantième anniversaire de la déclaration Schuman, acte fondateur de l'Europe, cette affaire montre qu'il y a, non pas trop d'Europe, mais pas assez d'Europe, au contraire.
L'UDF prêche en faveur d'une Europe politique, avec des compétences plus étendues. Cette sinistre affaire nous apporte la démonstration qu'une justice européenne est indispensable si l'on veut éviter que des affaires Rezala ne se reproduisent.
Mme Martine David. La question !
M. Rudy Salles. Si l'on commet un crime ou un délit dans un des Etats des Quinze, l'extradition d'un pays à l'autre doit devenir automatique, pour que le criminel ou le délinquant puisse répondre de ses actes devant la justice du pays où l'acte répréhensible a été commis.
M. le président. Monsieur Salles, pouvez-vous conclure, s'il vous plaît ?
M. Rudy Salles. C'est pourquoi, dans le cadre de la présidence française de l'Union, qui commence le 1er juillet, puis dans celui du sommet européen de Nice qui se déroulera en septembre, nous demandons que soit inscrite la création d'un espace judiciaire européen à l'ordre du jour de nos travaux. Avez-vous l'intention de le proposer à nos partenaires européens ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député, je crois que l'Assemblée nationale tout entière partage le sentiment que vous venez d'exprimer devant l'horreur des crimes commis contre Isabel Peake, Emilie Bazin et Corinne Caillaux.
S'agissant de la demande d'extradition de Sid Ahmed Rezala, je voudrais rappeler les deux principes qui s'imposent à nous, en la matière. Le premier est la suprématie du droit international. Les actes des autorités françaises requérantes comme d'ailleurs ceux des autorités portugaises requises sont régis par la convention européenne d'extradition de 1957. C'est ce cadre juridique qui s'impose à toutes les autorités politiques, administratives ou judiciaires. Le second est l'indépendance des autorités judiciaires. Ce sont elles qui donnent leur avis en matière d'extradition, et on doit respecter leur indépendance tout au long de la procédure.
Dans le cas d'espèce, la France a demandé au Portugal, le 14 janvier 2000, la remise de Sid Ahmed Rezala sur la base de trois mandats d'arrêt décernés par les juges d'instruction d'Amiens, de Châteauroux et de Dijon, pour les trois homicides volontaires dont est soupçonné Sid Ahmed Rezala. La France a indiqué au Portugal que la qualification pénale d'homicide volontaire, choisie par les juges d'instruction - eux seuls peuvent déterminer une qualification pénale - est applicable aux faits en raison desquels Sid Ahmed Rezala est mis en cause, et que l'homicide volontaire et puni en France d'une peine maximum de trente ans. Ce point est essentiel puisque la Constitution portugaise n'autorise pas de peine supérieure à trente ans.
Les juges d'instruction ont donc fait leurs réquisitions sur cette base et nous avons confirmé que c'était bien entendu dans cette optique respectueuse de la convention européenne d'extradition que nous agirions.
Le 9 mars 2000, le tribunal compétent au premier degré de Lisbonne a donné un avis favorable à l'extradition de Sid Ahmed Rezala. Il a relevé, dans sa décision, que la France avait fourni toutes les assurances que la peine encourue par Sid Ahmed Rezala ne serait pas supérieure à la peine maximale autorisée par la Constitution portugaise, c'est-à-dire trente ans, du fait des qualifications d'homicide volontaire retenues. La défense de Sid Ahmed Rezala a fait appel et le tribunal suprême de justice au Portugal délibère en ce moment même.
Dans ces conditions, vous comprendez qu'il ne soit ni opportun, ni utile d'intervenir ou d'interférer davantage. Cette cour suprême connaît, bien entendu, les assurances qui ont été données par les autorités françaises.
S'agissant de la diffusion des mandats d'arrêt, le processus est habituel. Les mandats d'arrêt ont été diffusés dès le lendemain de la saisine des juges d'instruction «au cas où» Sid Ahmed Rezala s'échapperait ou serait libéré. Des vérifications sont faites périodiquement. Cela a donné lieu à des supputations de libération de M. Rezala, qui sont, comme chacun le voit, totalement infondées.
Cela étant, je remarque, comme vous, que cet exemple montre qu'il faut absolument approfondir l'Europe de la coopération judiciaire, les délinquants et les criminels essayant, bien entendu, de profiter des frontières pour déjouer l'action répressive des Etats. Toute l'action que nous avons engagée et que nous continuerons de mener - le Premier ministre s'exprimera plus longuement sur ce point tout à l'heure - vise précisément à faire en sorte que les pays de l'Union européenne sachent dépasser les obstacles dus aux frontières nationales pour construire un espace judiciaire européen qui évite les inconvénients que vous avez soulignés. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste du groupe communiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)
UDF 11 REP_PUB Provence-Alpes-Côte-d'Azur O