FICHE QUESTION
11ème législature
Question N° : 20739  de  M.   Lefort Jean-Claude ( Communiste - Val-de-Marne ) QE
Ministère interrogé :  économie
Ministère attributaire :  économie
Question publiée au JO le :  26/10/1998  page :  5778
Réponse publiée au JO le :  01/03/1999  page :  1224
Date de signalisat° :  22/02/1999
Rubrique :  impôts et taxes
Tête d'analyse :  politique fiscale
Analyse :  taxe sur les mouvements de capitaux
Texte de la QUESTION : M. Jean-Claude Lefort attire l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur la situation qui prévaut en matière de mouvement des capitaux à l'échelle planétaire, mouvement à l'origine des différentes crises qui se sont développées et qui se développent dans de nombreux pays. D'une façon générale, il est désormais admis que les mouvements spéculatifs des capitaux - qui mobilisent des sommes considérables - participent grandement aux diverses déstabilisations enregistrées et cela en raison même de leur objet qui n'est en aucun cas de servir l'intérêt général, pas même des investissements privés utiles. L'idée a grandi, en conséquence, d'instaurer au plan mondial une taxe sur ces capitaux spéculatifs, sans foi ni loi, afin de se prémunir contre leurs seules volontés étroitement égoïstes aux effets dévastateurs pour les peuples, les pays et l'équilibre mondial. Du nom du prix Nobel d'économie, M. Tobin, un mouvement existe dans de larges parties de l'opinion française - notamment sous l'égide d'ATTAC - et internationale. Ce mouvement d'opinion vise à promouvoir une taxe sur ces mouvements, une taxe inférieure à 1 % mais qui soit néanmoins dissuasive. Face à cette exigence, il est expliqué qu'une telle taxe - dont on peut difficilement nier la nécessité - ne peut avoir de valeur que si elle est appliquée au plan mondial, suite à un accord international. On nous dit que si cette taxe est appliquée sur une partie seulement de la planète, elle pénaliserait finalement ceux des pays qui la mettraient en oeuvre, les capitaux spéculatifs pouvant se déplacer là où cette taxe n'existerait pas. Posé de la sorte, mécaniquement, cet argument sert de prétexte à l'inaction. Il faut constater, en effet, que cette explicitation privilégie l'économique mais pas le politique. Ce dernier pourrait être un levier important pour aboutir à la généralisation de cette taxe, dès lors qu'un certain nombre de pays d'un poids suffisant et aux relations assez étroites pour créer un phénomène de « masse critique » au plan économique et politique déciderait, unilatéralement si besoin est, de créer le mouvement, de la mettre en oeuvre. Ce poids leur permettrait de les préserver des conséquences décrites plus haut pour leurs propres économies tout en créant un appel d'air positif dans le monde capable de pousser, grâce à l'opinion publique, à la généralisation de cette taxe par ceux des pays récalcitrants qui seraient du même coup considérés comme néfastes et immoraux eu égard le devoir de salubrité auquel tout le monde est confronté. De ce point de vue, avec cette vision politique et morale en tête, l'Union européenne constitue précisément ce lieu pertinent capable d'entraîner le reste. Elle est la première puissance économique mondiale et si sur cette question, elle parle d'une même voix et agit à l'identique, qui pourra longtemps différer ailleurs l'application d'une telle mesure, sauf à se mettre - et pour combien de temps ? - au banc de la société mondiale. Si l'Europe a un sens et des valeurs à défendre, le sujet du mouvement spéculatif des capitaux est particulièrement important pour qu'elle paie d'exemple en ce domaine, assurée qu'en retour son prestige à travers la planète sera beaucoup plus conséquent qu'un simple désagrément momentané provoqué par le déplacement hors d'Europe de ces capitaux, des capitaux d'ailleurs bien souvent peu clairs. Un tel coup de tonnerre, une telle décision provoqueraient un événement fantastique et incontournable durablement. Il en va de même, d'ailleurs, concernant l'attitude à observer s'agissant des paradis fiscaux qui pullulent et polluent tout, ainsi qu'en atteste une étude officielle de l'OCDE, étude qui s'achève malheureusement sur de simples recommandations aux Etats. La recommandation comme le statu quo ont fait la preuve de leur inefficacité, et pour cause. En conséquence, il lui demande les mesures qu'il compte prendre, avec le gouvernement, pour que la France propose rapidement à ses partenaires européens un plan d'action et des décisions concrètes afin de porter un coup décisif à ces capitaux dont la nocivité est égale à leur masse, en instaurant en Europe une taxe « Tobin ». Cette taxe participera à la réglementation des marchés financiers mais elle ira beaucoup plus loin. Elle permettra qu'une décision, unilatérale au début, devienne vite, sous le poids des choses, une mesure multilatérale dont les plus opposés à sa mise en oeuvre seront contraints sous le poids de leur opinion publique de ne plus se dérober à cet acte de salubrité économique et morale.
Texte de la REPONSE : Comme le signale l'auteur de la question, les mouvements de capitaux internationaux peuvent conduire à des fluctuations excessives et des variations brutales de la valeur des devises ou des cours sur les marchés financiers. L'abondance des capitaux flottants et l'existence d'instruments financiers qui permettent de démultiplier l'effet des capitaux engagés amplifient ces variations, qui perdent alors toute justification économique. De tels mouvements ont ensuite souvent des effets négatifs sur l'activité et l'emploi. Il serait inexact cependant de considérer que tous les mouvements de capitaux internationaux, fussent-ils spéculatifs et/ou n'ayant pas pour objet de servir l'intérêt général, ont des effets nocifs. La plupart des économistes s'accordent sur le fait que l'ouverture financière peut avoir des effets positifs sur la croissance. Dans les pays en phase de développement, les entrées de capitaux ont souvent joué un rôle bénéfique, en permettant une accumulation de capital supérieure aux capacités d'épargne intérieure, donc un accroissement plus rapide de la production, de l'emploi et des exportations, mais aussi en favorisant dans la plupart des cas des transferts de technologie, qui aident au « rattrapage » des économies émergentes. Dans les pays industrialisés, la libre circulation des capitaux favorise une meilleure allocation de l'épargne et constitue le complément naturel des échanges commerciaux. Il apparaît donc indispensable de veiller à la fois à ce que les pays industrialisés, et surtout les pays en développement, puissent continuer à bénéficier des capitaux qui leur sont nécessaires et à ce que ces flux de capitaux n'aient pas d'effets déstabilisants pour les uns et les autres ou pour le système monétaire et financier international dans son ensemble. L'idée sous-jacente à la taxe Tobin (mettre des grains de sable dans la spéculation) est donc juste. La taxe Tobin paraît cependant, dans l'état actuel du débat international, notamment en raison de la vive opposition des Etats-Unis, impossible à mettre en place au niveau mondial. Or l'idée ne vaudrait que si elle était appliquée partout, faute de quoi elle serait inefficace. Le Gouvernement français a donc poursuivi ces derniers mois le même objectif par d'autres moyens. La France, en contact étroit avec ses partenaires de l'Union européenne, du G 7 et du FMI, a ainsi proposé d'explorer, au travers d'un mémorandum transmis à ses partenaires de l'Union européenne en septembre et débattu aux assemblées annuelles du FMI et de la Banque mondiale à Washington début octobre, douze propositions pour réformer le système monétaire et financier international. La réforme proposée devra s'appuyer sur des dispositions concrètes. La France plaide pour que ces dispositions comprennent un renforcement du gouvernement politique des institutions financières, accompagné d'un meilleur dialogue entre pays émergents et industrialisés. Elle souhaite l'extension des règles prudentielles internationales à tous les agents financiers, en particulier aux hedge funds spéculatifs qui sont souvent dotés d'effets de levier financier importants, notamment sur les places financières émergentes. Elle milite activement pour un renforcement du contrôle et de la réglementation des paradis bancaires et fiscaux (centres offshore). Elle est favorable à un renforcement de la transparence et de la communication de données financières par tous les acteurs financiers internationaux, publics et privés. Enfin, elle souhaite que la gestion des crises soit améliorée, notamment par l'implication financière du secteur privé, si nécessaire. En matière de flux de capitaux internationaux, la France est favorable à une ouverture ordonnée et progressive des pays émergents dès lors que les infrastructures de ces pays, notamment financières, y sont suffisamment préparées. Parmi les mesures pouvant contribuer à discipliner les flux de capitaux vers les économies émergentes, la France soutient le principe de mesures non discriminatoires, visant à limiter les afflux excessifs de capitaux étrangers à court terme, et de clauses de sauvegarde si nécessaire. Ce type de mesures a été appliqué par le Chili, qui a établi une « taxe » sur les mouvements de capitaux étrangers à court terme, en instaurant un dépôt obligatoire d'un an pour tous les prêts étrangers aux institutions chiliennes, proportionnel au montant du prêt. Cette taxe, qui peut être modulée en fonction des circonstances, a participé largement à la stabilité financière du Chili et ne l'a pas empêché d'être pendant plusieurs années un pays d'accueil des capitaux internationaux. La France est favorable à des mesures pragmatiques comme celle-ci, et se réjouit que le FMI ait prévu d'étudier cette année les mesures de contrôle de capitaux « à la chilienne ». Les propositions de la France sont actuellement discutées dans les principales enceintes internationales. Elles ont reçu un accueil positif au sein du G 7, comme le montrent les communiqués du 30 octobre et du 20 février des ministres des finances et des chefs d'Etat ou de gouvernement, mais aussi au sein de l'Union européenne : la réunion du conseil des ministres des finances (Ecofin) de l'Union du 1er décembre a permis d'élaborer, sur la base du mémorandum français, un rapport sur le renforcement du système monétaire et financier international, qui reprend intégralement les préoccupations du Gouvernement français, et qui a été adopté par les chefs d'Etat et de gouvernement au conseil européen de Vienne. La mise en application des orientations contenues dans ce rapport, jointe à une concertation plus étroite en matière de politique macro-économique et de charge entre les responsables des trois grandes zones économiques mondiales, constituerait le plus sûr moyen de mettre fin à l'instabilité financière internationale. Enfin, la France plaide activement pour une harmonisation de la fiscalité de l'épargne dans l'Union européenne, à réaliser cette année.
COM 11 REP_PUB Ile-de-France O