FICHE QUESTION
11ème législature
Question N° : 21575  de  M.   Mariani Thierry ( Rassemblement pour la République - Vaucluse ) QE
Ministère interrogé :  fonction publique, réforme de l'Etat et décentralisation
Ministère attributaire :  fonction publique, réforme de l'Etat et décentralisation
Question publiée au JO le :  16/11/1998  page :  6242
Réponse publiée au JO le :  09/08/1999  page :  4864
Rubrique :  fonction publique territoriale
Tête d'analyse :  responsabilité
Analyse :  réglementation
Texte de la QUESTION : M. Thierry Mariani appelle l'attention de M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation sur les dispositions relatives à la responsabilité pénale pour des faits d'imprudence ou de négligence. L'importance et la multiplicité des fonctions et des compétences des autorités territoriales, et tout particulièrement communales, sont la source de responsabilités étendues, dont doivent répondre les dirigeants élus des collectivités décentralisées pour l'ensemble des actes des activités nécessaires ou utiles au fonctionnement de ces administrations. Cet accroissement des responsabilités s'accompagne de problèmes et de réglementations dont la technicité nécessite l'intervention de fonctionnaires territoriaux dans des domaines très pointus. Ainsi, dans le cadre de ses pouvoirs de police générale, le maire est garant de la sécurité, de la tranquillité et de la salubrité de ses administrés, ce qui implique, à la demande des édiles, l'intervention régulière des services techniques placés sous sa responsabilité. Pourtant, malgré la possibilité de mettre en jeu la responsabilité des fonctionnaires territoriaux et les nécessaires précisions apportées par la loi de 1996 relative à la responsabilité pénale pour des faits d'imprudence ou de négligence, force est de constater que certaines responsabilités incombant aux élus paraissent disproportionnées au regard de la spécificité de certains problèmes et des délégations dont bénéficient les fonctionnaires. En conséquence, il lui demande de bien vouloir lui préciser, d'une part, les conditions dans lesquelles les fonctionnaires territoriaux voient leur responsabilité exclusivement engagée et lui indiquer, d'autre part, l'interprétation jurisprudentielle de la loi de 1996 dont il faut rappeler qu'elle permet notamment de mieux préciser les conditions dans lesquelles la faute pénale d'imprudence ou de négligence doit être appréciée par les juridictions répressives.
Texte de la REPONSE : La responsabilité pénale des élus locaux peut être mise en jeu sur la base des dispositions du nouveau code pénal qui répriment : « le fait de causer par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence, la mort d'autrui » (art. 221-6) ou le fait de causer à autrui, pour les mêmes raisons, une incapacité totale de travail (art. 221-19 et 222-20). Le seul fait d'exposer autrui à un risque de mort ou de blessure, même en l'absence de toute atteinte effective, par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence, est sanctionné par l'article 223-1 du nouveau code pénal. La délégation de pouvoir est un élément essentiel de la répartition des responsabilités entre les fonctionnaires territoriaux et les exécutifs locaux. S'agissant du chef d'entreprise, dont la situation est proche de celle du maire au regard du respect des règles de sécurité, la Cour de cassation écarte sa responsabilité pour les délits involontaires commis dans l'entreprise lorsqu'il a consenti une délégation de pouvoir à un subordonné dans les conditions définies par cinq arrêts du 11 mars 1993 (Bull. crim. n° 112) : « sauf si la loi en dispose autrement, le chef d'entreprise, qui n'a pas personnellement pris part à la réalisation de l'infraction, peut s'exonérer de sa responsabilité s'il apporte la preuve qu'il a délégué ses pouvoirs à une personne pourvue de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires ». Le même raisonnement est susceptible d'être appliqué aux responsables des exécutifs des collectivités publiques. Ainsi, la Cour de cassation a déjà retenu la responsabilité exclusive du directeur général des services techniques d'une commune à la suite d'un accident survenu au sein du service, dès lors qu'il incombait à l'intéressé, sous l'autorité du maire, et bien qu'il ne disposât pas d'une délégation de pouvoir, de veiller à la mise en oeuvre des règles d'hygiène et de sécurité en vertu du décret du 18 juin 1983 et d'une note de service (Cass. crim. 22 février 1995 : Bull. crim. n° 82). Sur la base d'une proposition du Conseil d'Etat, la loi n° 96-393 du 13 mai 1996 a complété l'article 121-3 du code pénal en disposant que, même en cas de manquement à une obligation de sécurité ou de prudence édictée par la loi ou les règlements, il peut être établi qu'aucune faute de nature à être sanctionnée n'a été commise lorsque « l'auteur des faits a accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait ». Celle nouvelle rédaction de l'article 121-3 du code pénal tend à mieux prendre en compte la situation des élus, notamment du point de vue des pouvoirs et des compétences multiples qui leur sont dévolus, et tout particulièrement ceux qui remplissent leur mandat dans des petites communes où ils l'exercent souvent avec des moyens très limités. En vertu de la loi du 13 mai 1996, le principe de l'appréciation in concreto de la faute d'imprudence a été décliné dans le statut de la fonction publique (art. 11 bis A de la loi du 13 juillet 1983) et dans le code général des collectivités territoriales (art. L. 2123-34, L. 3123-28 et L. 4135-28). Ainsi a été renforcée l'invitation faite au juge pénal de prendre en compte la spécificité de l'action publique dans les collectivités locales et les difficultés particulières de son exercice. De la décision rendue par le tribunal correctionnel de Toulouse le 19 février 1997 dans l'affaire dite des thermes de Barbotan (Gazette du Palais, 27 et 28 juin 1997, p. 16), il ressort que la loi de 1996 modifiant l'article 121-3 du code pénal « peut être considérée comme une loi expressive, c'est-à-dire exprimant formellement ce qui se pratiquait déjà par la jurisprudence antérieure ». Néanmoins, le tribunal relève qu'elle « entraîne (...) la nécessité d'apprécier la faute d'imprudence ou de négligence en fonction des circonstances de fait et de la situation particulière des personnes poursuivie ». Mais il estime que « l'exigence d'une analyse plus approfondie des situations, l'examen de la nature des missions, des fonctions, des pouvoirs et des compétences de chacun des prévenus ne saurait conduire sur le chemin de la définition des fonctions des personnes en cause ». Le tribunal considère en effet qu'il outrepasserait sa compétence si, sur la base de l'article 121-3, il définissait les fonctions ou les missions d'un élu local. Sous cette réserve, le juge apprécie la faute pénale d'imprudence en se livrant à une analyse au cas par cas des responsabilités encourues. Il peut, compte tenu des circonstances de chaque espèce, condamner soit un élu local, soit un fonctionnaire territorial, soit la collectivité locale elle-même, sans que la responsabilité des uns ou des autres ait un caractère exclusif. En cas de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité, les « diligences normales » prévues par l'article 121-3 du code pénal sont définies par le tribunal de grande instance de Lyon comme « celles, adéquates, que la situation de l'auteur des faits lui permettait de concevoir et de mettre en oeuvre pour prévenir le dommage » (TGI Lyon, 26 sept. 1996). La Cour de cassation a cassé un arrêt de la cour d'appel de Toulouse, qui avait relaxé un employeur poursuivi du chef de blessures involontaires, « sans rechercher si en tant que chef d'entreprise pourvu de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires à sa mission, il avait accompli les diligences normales lui incombant au sens de l'article 121-3 du code pénal » (Cass. crim. 19 nov. 1996 : Juris-Data n° 005178). Selon la Cour de cassation, n'a pas accompli les diligences à sa charge le titulaire d'une délégation de pouvoir qui, pendant ses congés annuels, n'a pas subdélégué ses propres pouvoirs pour assurer le respect des règles sur la sécurité des travailleurs chargés d'effectuer, en son absence, des travaux exigeant des précautions particulières (Cass.crim. 24 juin 1997 : Juris-Data n° 005364). Enfin, la Cour de cassation a jugé justifiée la décision de la cour d'appel qui, saisie de poursuites pour blessures involontaires contre le président du syndicat intercommunal d'exploitation d'un plan d'eau, à la suite de l'électrocution d'un plaisancier, a retenu, pour caractériser sa faute, qu'il lui appartenait notamment d'imposer aux clubs nautiques soumis à l'agrément du syndicat les mesures propres à informer les usagers du danger créé par une ligne à haute tension en surplomb d'une zone accessible par bateau et à interdire toute navigation dans cette zone (Chambre crim. 3 décembre 1997). A l'écoute des préoccupations exprimées par les élus sur la mise en jeu de leur responsabilité pénale, le Gouvernement a jugé que l'examen de cette question ne devait pas se limiter aux exécutifs locaux mais concerner également les fonctionnaires de l'Etat et des collectivités territoriales. Dans cette perspective et conformément aux engagements pris en la matière, le garde des sceaux, Mme Elisabeth Guigou, a installé le 21 juin 1999 le groupe d'étude sur « la responsabilité des décideurs publics », précisé par M. Jean Massot, président de la section des finances du Conseil d'Etat. Le garde des sceaux a invité le groupe de travail à « une réflexion aussi large que possible, portant à la fois sur des questions de procédure pénale et de droit pénal et sur des questions de droit civil ou de droit administratif ». Les conclusions de l'étude demandée devraient être communiquées au Gouvernement avant la fin de l'année.
RPR 11 REP_PUB Provence-Alpes-Côte-d'Azur O