FICHE QUESTION
11ème législature
Question N° : 2512  de  M.   Floch Jacques ( Socialiste - Loire-Atlantique ) QE
Ministère interrogé :  affaires étrangères
Ministère attributaire :  affaires étrangères
Question publiée au JO le :  01/09/1997  page :  2739
Réponse publiée au JO le :  27/10/1997  page :  3686
Rubrique :  organisations internationales
Tête d'analyse :  ONU
Analyse :  cour pénale internationale. création. attitude de la France
Texte de la QUESTION : M. Jacques Floch appelle l'attention de M. le ministre des affaires étrangères sur la création d'une cour internationale de justice. En effet, il lui demande de bien vouloir lui faire savoir si le Gouvernement français soutiendra le projet d'une institution totalement indépendante, qui aurait autorité pour traduire en justice des individus pour génocide, agression armée, crimes de guerre et autres crimes contre l'humanité et qui ne serait pas soumise au véto des Gouvernements nationaux.
Texte de la REPONSE : Ainsi que le note l'honorable parlementaire, le projet de création d'une Cour criminelle internationale qui aurait pour mandat de juger les responsables des crimes les plus graves fait l'objet de négociations sous l'égide des Nations unies. Une conférence diplomatique se réunira à Rome au mois de juin 1998 afin de parachever et d'adopter un projet de convention portant statut de la future juridiction internationale. La France a contribué à la création des deux tribunaux pénaux ad hoc pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda. Dans le même esprit, elle soutient le projet d'une Cour criminelle internationale et se prononce pour une institution crédible, efficace, universelle et susceptible de résister à l'épreuve du temps. Certains pays occidentaux auraient souhaité aller plus vite dans les négociations et adopter une convention cadre d'ordre général. La France a maintenu une attitude plus exigente : nous estimons notamment que les rapports de la future cour avec les Etats et notamment les ordres judiciaires internes doivent être définis avec précision, non dans le but de porter atteinte à l'indépendance de la juridiction en voie de création, mais pour garantir le bon fonctionnement de la coopération judiciaire internationale. L'exigence d'efficacité nous conduit tout d'abord à recommander que la compétence matérielle de la cour soit limitée au « noyau dur » des crimes les plus graves : génocide, crimes contre l'humanité, crimes d'agression, crimes de guerre et violations graves du droit humanitaire international. Certaines délégations proposent d'étendre la compétence de la cour à des crimes d'une autre nature (terrorisme, trafic de drogues, atteintes à la sécurité du personnel humanitaire.). Il est clair que de tels amalgames nuiront à terme à la crédibilité de la future cour. Il convient ensuite de rappeler que l'objectif d'une Cour criminelle internationale n'est pas de décharger les Etats de leur responsabilité première dans la lutte contre les crimes graves. La cour interviendra dès lors que les juridictions internes seront incapables, ou refuseront de poursuivre les criminels. Les états commanditaires de crimes ne pourront se borner à invoquer le non-épuisement des voies de recours interne pour éviter la mise en cause de leurs ressortissants. Si la Cour internationale estime que les autorités nationales tentent de soustraire les criminels à leur responsabilité pénale, elle pourra se saisir. L'introduction dans le statut de la cour de ce principe dit de complémentarité, entre la Cour internationale et les juridictions internes, constitue un élément déterminant des consultations en cours et les propositions soumises par la France sur ce sujet font l'objet d'un large accord. Le rôle des juridictions nationales est reconnu mais des dispositions sont prévues pour permettre à la Cour internationale de passer outre les mesurs dilatoires éventuelles des Etats. Enfin, les questions de coopération judiciaire entre les Etats et la cour sont essentielles et liées aux choix des procédures de la juridiction internationale. L'expérience des tribunaux ad hoc pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda est riche d'enseignement : bien qu'elles aient été créées par le Conseil de sécurité, ces deux instances se heurtent à la non-coopération des Etats (non-livraison de documents, non-remise des inculpés, critiques publiques de leur fonctionnement.). Selon la France, ces problèmes se poseront à nouveau et seront même exacerbés dans le cadre d'une Cour criminelle internationale dont le mandat ne sera limité ni dans le temps ni dans l'espace. Il convient donc de proposer des solutions concrètes. Nous recommandons en particulier l'adoption de dispositions procédurales détaillées qui ne donnent pas la possibilité aux Etats de contester telle ou telle décision de la cour ni de susciter des débats sur l'interprétation de telle ou telle disposition. Une Cour criminelle internationale n'a pas seulement pour objet de juger des criminels ; elle a aussi un rôle de stigmatisation publique des crimes. Les deux tribunaux ad hoc ne sont pas en mesure à l'heure actuelle de remplir ce rôle essentiel pour la lutte contre l'impunité dans le monde, car leurs travaux sont freinés par des incidents de procédure. Leur mission est perdue de vue. Un statut détaillé ne devrait pas porter atteinte à l'indépendance des juges mais de leur donner les moyens d'affirmer leur autorité vis-à-vis des Etats. Nous recommandons également l'adoption de procédures adaptées au contexte international. La Cour internationale ne pourra fonctionner comme une juridiction interne : elle devra s'appuyer pour l'exécution d'actes judiciaires non sur sa propre police mais sur les autorités d'Etats souverains ; elle interviendra dans des régions imprégnées de traditions juridiques diverses et ses procédures devront être respectueuses des pratiques de chacun. A cet égard, la prédominance traditionnelle en droit pénal international de la common law ne constitue sans doute pas la réponse à toutes difficultés. Nous avons accepté dans le cadre des tribunaux ad hoc, dans l'urgence, le système accusatoire anglo-saxon du procureur : aujourd'hui, il est clair qu'une Cour criminelle internationale ne fonctionnera pas dans la sérénité si une formation de juges n'est pas mandatée pour contrôler les actes du procureur pendant la phase d'instruction et assurer « l'égalité des armes » entre la défense et l'accusation. De même, nous avions renoncé à exiger l'application de la contumace lorsque les présumés criminels se soustraient à la justice, parce que les pays anglo-saxons ne connaissaient pas cette procédure : nous ne devons pas aujourd'hui répéter cette erreur et priver la Cour criminelle internationale d'une arme aussi importante pour faire face au défaut de coopération des Etats. C'est uniquement en répondant à ces préoccupations que le projet de statut recueillera l'accord d'un grand nombre d'Etats issus de toutes les régions et de toutes les traditions juridiques du monde et répondra à l'attente des victimes et de ceux qui les représentent.
SOC 11 REP_PUB Pays-de-Loire O