FICHE QUESTION
11ème législature
Question N° : 2558  de  M.   d'Aubert François ( Démocratie libérale et indépendants - Mayenne ) QG
Ministère interrogé :  justice
Ministère attributaire :  justice
Question publiée au JO le :  17/01/2001  page :  382
Réponse publiée au JO le :  17/01/2001  page :  382
Rubrique :  justice
Tête d'analyse :  magistrats
Analyse :  exercice de la profession. indépendance. respect Affaire Jean-Christophe Mitterrand
DEBAT : M. le président. La parole est à M. François d'Aubert, pour le groupe DL.
M. François d'Aubert. Madame la garde des sceaux, la semaine dernière, au terme de sa détention préventive, M. Jean-Christophe Mitterrand, relayé par des membres de sa famille, a porté des attaques et des injures d'une extrême gravité contre un magistrat juge d'instruction dans une affaire le concernant.
Je cite : «un juge qui sue la haine avant d'ouvrir la bouche», «qui fait preuve d'une hostilité poisseuse», «avec une véritable expression de haine». Sans parler de la caution de 5 millions de francs, qualifiée de «rançon», comme si M. Mitterrand était l'otage de la justice française !
Ces attaques grossières, ces insultes suscitent l'indignation de la magistrature et de tous ceux pour lesquels le respect de l'institution judiciaire et des magistrats est un des piliers de la justice et de la démocratie.
Délibérés, concertés en famille, médiatisés, les propos de M. Mitterrand semblent, hélas, correspondre à un véritable système de défense visant d'abord à faire pression sur les magistrats pour obtenir l'annulation partielle ou totale de la procédure, voire le dessaisissement du juge. Ils visent aussi à cacher l'essentiel, à savoir l'implication de M. Jean-Christophe Mitterrand dans une affaire de vente d'armes qui a alimenté une guerre civile en Angola, une guerre meurtrière qui a fait des centaines de milliers de morts et qui a abouti - c'est l'aspect le plus sordide de l'affaire - au dépôt de 13 millions de francs sur un compte en Suisse.
Tenu à l'obligation de réserve par le statut de la magistrature, un juge attaqué et injurié n'a pas les moyens juridiques de se défendre. Or l'article 2 du statut de la magistrature fait un devoir juridique et moral d'assurer la protection des magistrats et de défendre leur honneur. Et c'est à vous, madame la garde des sceaux, qu'il incombe de le faire, en prenant l'initiative de demander au parquet général d'engager des poursuites contre les auteurs de ces attaques.
M. François Goulard. Très bien !
M. François d'Aubert. Vous le savez, cela est demandé par des magistrats et par d'autres voix qui se sont élevées depuis plusieurs jours.
Qu'attendez-vous pour le faire ?
Ne laissez pas interpréter votre silence ou votre éventuelle passivité comme une sorte de quitus donné aux déclarations injurieuses et déplacées de la famille Mitterrand, ou encore comme une volonté de lui accorder une protection particulière, alors même que pareils propos contre la justice de notre pays et contre l'indépendance et l'intégrité d'un magistrat, tenus par n'importe quel autre citoyen, seraient immédiatement poursuivis. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député, vous avez fait référence à des propos qui ont été repris par la presse ou la télévision. J'en ai eu connaissance mais je voudrais, pour rétablir la vérité, rappeler que de nombreuses personnes, dont certaines sont d'ailleurs présentes sur ces bancs, ont prononcé des phrases dures à cet égard. Il n'y a donc pas eu un seul fait, il y en a eu beaucoup.
J'ai choisi de ne pas prendre le même chemin,...
M. Jean-Louis Debré. Tout le monde n'est pas garde des sceaux !
Mme la garde des sceaux. ... c'est-à-dire d'aller vers le micro ou le stylo d'un journaliste et d'entrer dans une médiatisation que je juge excessive et qui, dans cette affaire comme dans d'autres, nuit à la sérénité et à l'apaisement nécessaire.
Mme Yvette Roudy. Voilà qui est sage !
Mme la garde des sceaux. Une autre raison pour laquelle je ne vous suivrai pas, monsieur le député,...
M. José Rossi. C'est pourtant de votre responsabilité !
Mme la garde des sceaux. ... est que vous n'évoquez qu'un aspect, que vous ne prenez pas en compte l'ensemble du dossier. Vous savez - et je pense que tout le monde s'en réjouit - que l'indépendance de la justice (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants)...
Mme Odette Grzegrzulka. Ils ne savent pas ce que c'est !
Mme la garde des sceaux. ... si elle n'est pas encore dans le droit - et nous le regrettons - existe déjà dans les faits et dans l'esprit des citoyens.
M. Patrick Devedjian. Elle est dans le droit !
Mme la garde des sceaux. Pour éviter l'expression médiatique, j'ai choisi de recevoir les magistrats instructeurs de notre pays par le biais de leurs organes représentatifs - une association en l'occurrence - pour discuter avec eux de ce qu'il convenait de faire devant l'hypermédiatisation de certaines affaires.
Les magistrats font un travail difficile,...
M. Yves Fromion. Ca, on le sait !
Mme la garde des sceaux. ... ils rendent la justice au nom du peuple français,...
M. Lucien Degauchy. Baratin !
Mme la garde des sceaux. ... ils sont là pour défendre la loi commune. Et je pense qu'ils ont besoin non seulement de respect mais aussi de sérénité. C'est pourquoi le garde des sceaux doit éviter, par des propos repris dans la presse...
M. Patrick Devedjian. Ce n'est pas la question !
Mme la garde des sceaux. ... que cette ambiance générale ne déstabilise l'ensemble des magistrats de notre pays. C'est pourquoi je protégerai les magistrats avec force ! (Vives exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Et devant vous, ici, au Parlement, où je savais devoir répondre à cette question, je répète que je protège les magistrats, que je condamne tout propos inacceptable à leur encontre et que, avec eux, je m'efforcerai de redonner à la justice le climat apaisé et serein qui convient. (Exclamations sur les mêmes bancs.)
Par ailleurs, je vous rappelle, monsieur le député, que de telles affaires ne représentent que 0,01 % de l'activité de notre justice. Les citoyens nous demandent aussi d'assurer la justice de proximité, la justice quotidienne; magistrats, avocats, greffiers et auxiliaires de justice assurent ensemble une mission plus large.
Gardons-nous, par une polémique politicienne (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), de déstabiliser la justice, qui est d'abord et avant tout le garant de la démocratie. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
M. Patrick Devedjian. Vous êtes partiale !
DL 11 REP_PUB Pays-de-Loire O