FICHE QUESTION
11ème législature
Question N° : 3035  de  M.   Clary Alain ( Communiste - Gard ) QG
Ministère interrogé :  Premier Ministre
Ministère attributaire :  Premier Ministre
Question publiée au JO le :  07/11/2001  page :  7161
Réponse publiée au JO le :  07/11/2001  page :  7161
Rubrique :  politique extérieure
Tête d'analyse :  Afghanistan
Analyse :  interventions militaires. alternatives
DEBAT : M. le président. Pour le groupe communiste, la parole est à M. Alain Clary.
M. Alain Clary. Monsieur le Premier ministre, plus d'un mois après le début des bombardements surl'Afghanistan, le doute grandit dans les opinions publiques, notamment européennes, sur les perspectives et la crédibilité d'une démarche donnant la priorité quasiment absolue à l'action militaire. L'inacceptable multiplication des victimes civiles nous interpelle. Cet engrenage conforte les plus radicaux, risque de déstabiliser les pays riverains et fragilise une coalition qui, pour être efficace, doit être large et soutenue par les peuples. Il faut redonner toute leur place aux volets politique et économique, dans une mobilisation plus que jamais nécessaire. Comme le note justement le secrétaire général des Nations unies, c'est aux racines mêmes du terrorisme, que sont la pauvreté et l'ignorance, qu'il faut s'attaquer.
Beaucoup s'interrogent, aujourd'hui, sur la capacité de l'Union européenne à faire entendre sa voix en faveur d'une alternative à la guerre. Ne convient-il pas, à cet égard, d'exiger si ce n'est l'arrêt, tout au moins la suspension des bombardements, et d'effectuer en même temps des actes concrets et tangibles en faveur des peuples humiliés ? Que l'on s'attaque enfin aux grands défis contemporains, tels que la fracture Nord-Sud et la poudrière du Proche-Orient. Ne faut-il pas agir pour la tenue d'une conférence mondiale contre le terrorisme où, au-delà des mesures traditionnelles de sécurité, de police et de justice, seraient abordés les problèmes des paradis fiscaux et, plus généralement, les coopérations à construire sur le terrain politique et financier, dans la perspective d'un nouveau plan Marshall pour le développement et la relance de l'activité au plan mondial. Les négociations qui vont s'ouvrir dans le cadre de l'OMC doivent y contribuer.
Monsieur le Premier ministre, la France a les capacités, avec ses partenaires européens, d'agir pour une mise à plat du plan global de lutte contre le terrorisme impliquant l'adoption d'une nouvelle résolution par le Conseil de sécurité des Nations unies. Quelles initiatives envisagez-vous de prendre en ce sens au nom de notre pays ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je me suis engagé à informer régulièrement la représentation nationale sur la lutte engagée contre le terrorisme et les formes de la participation française à cette lutte. Nous l'avons fait sous forme de débats spécifiques organisés ici-même ou au Sénat. Je l'ai fait en réunissant, à Matignon, les présidents des commissions parlementaires spécialisées et les présidents des groupes des deux assemblées. Nous le faisons, les ministres et moi-même, en répondant aux questions d'actualité, et votre question, monsieur le député, me fournit l'occasion de faire le point aujourd'hui.
La stratégie de lutte contre le terrorisme depuis les attentats du 11 septembre est conduite selon deux axes.
Le premier est une action globale menée à l'échelle mondiale, aux plans judiciaire, policier, au plan des services de renseignement, aux plans économique et financier, et cette action sera conduite avec détermination par notre pays, tant qu'elle n'aura pas abouti au succès.
Le deuxième axe est naturellement la riposte armée contre Ben Laden et son réseau Al-Qaida, placée sous le signe de la légitime défense, reconnue par les Nations unies, riposte planifiée et conduite au niveau national, essentiellement par les Etats-Unis, avec l'assentiment de la communauté internationale et la participation de certains pays.
L'action militaire en Afghanistan a connu une évolution stratégique au cours de la quatrième semaine de bombardements, qui vient de s'achever. Les forces aériennes américaines ont, dans un premier temps, frappé les objectifs d'infrastructures et d'intérêts militaires sur l'ensemble du territoire afghan, tels que des centres de commandement et de contrôle des forces taliban.
Depuis le 1er novembre, des bombardements intenses leur ont succédé. Ils sont concentrés sur des forces taliban déployées devant les combattants de l'Alliance du Nord, notamment au voisinage de Mazar-e-Charif et au nord de Kaboul.
Devant une résistance taliban forte, les actions américaines sont très déterminées et devraient, à mon sens, se prolonger. Il faudrait d'ailleurs, dans l'hypothèse où, comme le suggèrent certains, elles s'arrêteraient, imaginer quelle serait alors la situation et quelle serait l'alternative.
Les éléments constitutifs de l'approche commune du Président de la République et du Gouvernement dans la gestion de cette crise sont les suivants :
La solidarité de notre engagement aux côtés des Etats-Unis pour lutter contre le terrorisme, en particulier dans sa dimension globale, est entière. La riposte armée contre Al-Qaida doit nécessairement s'accompagner de la recherche d'une solution politique alternative viable au régime des taliban et ce n'est pas parce que la recherche de cette issue politique est plus difficile que nous l'espérions qu'elle ne doit pas être poursuivie avec détermination. Une assistance humanitaire aux réfugiés et aux déplacés sur le territoire de l'Afghanistan doit être amplifiée d'urgence et d'autant plus qu'un désastre menace. Lors de la réunion de Londres dimanche soir, avec plusieurs de nos collègues européens, nous avons non seulement discuté de l'ampleur de cette aide, des moyens de mieux les coordonner entre les différents organismes qui y procèdent, des Nations unies, du programme alimentaire mondial, des organisations non gouvernementales, des Etats eux-mêmes engagés dans cette action, mais nous avons aussi essayé de rechercher comment l'Europe pourrait elle-même mieux coordonner ses efforts. J'ai moi-même, à la suite de la réception des représentants des organisations non gouvernementales, annoncé le doublement de la contribution du Gouvernement pour la mettre à la disposition des ONG.
Il faut aussi éviter tout amalgame et résister au piège que veut tendre M. Ben Laden (Murmures sur divers bancs)...
M. Bernard Accoyer. Monsieur ?
M. le Premier ministre. ... en élargissant les termes du conflit. Je crois d'ailleurs que l'attaque que Ben Laden vient de lancer contre les Nations unies est révélateur de son état d'esprit et constitue, à mon avis, dans la bataille internationale de communication et de pédagogie qui est en jeu, une première faute et que nous devons souligner auprès des opinions publiques.
M. Gérard Bapt. Très bien !
M. le Premier ministre. Enfin, il est impérieux de reprendre les négociations au Proche-Orient et de sortir le conflit israélo-palestinien de l'impasse dangereuse dans laquelle il est enfoncé. Ce point a été longuement débattu à Londres et, comme les autres points que je viens d'évoquer, il devrait certainement servir de base à ce que le Président de la République dira dans quelques heures au Président Bush à Washington.
S'agissant des opérations militaires proprement dites et de la participation de la France, mesdames et messieurs les députés, je m'en suis toujours tenu et je m'en tiendrai toujours aux faits et aux décisions que nous prenons effectivement, me gardant des commentaires ou des gloses.
Depuis ma dernière intervention devant vous, les engagements militaires français n'ont pas changé de nature. Sont aujourd'hui déployés des moyens aériens de recueil de renseignements et de reconnaissance, tels que les Mirage IV, des moyens navals d'escorte et de ravitaillement et, très récemment, un groupe de guerre des mines.
Au-delà des facilités données, de la coopération en matière de renseignements, qui se révèle fructueuse, et des soutiens déjà apportés aux forces américaines, des propositions dans les trois domaines - aérien, naval et des forces spéciales - ont été formulées. Nous sommes prêts à intensifier notre soutien, notamment à bref délai, au plan naval, si cela nous est demandé. Cela étant, la participation de la France à des actions nouvelles implique que nous soyons pleinement associés à la définition des objectifs et à la planification militaire et que, pour ce qui concerne nos propres forces, nous les approuvions.
S'agissant enfin de la recherche d'une solution politique, la France, notamment au travers du plan de paix pour l'Afghanistan, fait de la restauration de la paix civile et de l'établissement d'un gouvernement libéré du régime des taliban, rassemblant les différents groupes à l'intérieur de ce territoire déchiré, une priorité de son action, en liaison avec ses partenaires européens et naturellement dans le cadre du groupe des cinq pays membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies.
Comme j'ai eu l'occasion de l'indiquer, la guerre actuelle n'est pas une guerre contre le peuple afghan. Elle doit permettre, si l'on revient à l'objectif initial qui fonde la légitimité même de l'action, le démantèlement d'Al-Qaida, la substitution aux taliban d'un gouvernement représentatif de toutes les composantes de la nation afghane. C'est le sens du travail de consultation entrepris notamment sous l'égide des Nations unies par M. Brahimi. C'est l'objectif que nous recherchons activement, même si nous savons que ce travail est délicat et qu'il peut prendre du temps. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur de nombreux bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
COM 11 REP_PUB Languedoc-Roussillon O