FICHE QUESTION
11ème législature
Question N° : 305  de  Mme   Bello Huguette ( Radical, Citoyen et Vert - Réunion ) QG
Ministère interrogé :  Premier Ministre
Ministère attributaire :  Premier Ministre
Question publiée au JO le :  15/01/1998  page :  277
Réponse publiée au JO le :  15/01/1998  page :  277
Rubrique :  cérémonies publiques et fêtes légales
Tête d'analyse :  commémoration de l'abolition de l'esclavage
Analyse :  perspectives
DEBAT : M. le président. La parole est à Mme Huguette Bello.
Mme Huguette Bello. Monsieur le président, ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
Parmi les multiples célébrations qui vont marquer l'année 1998, je voudrais attirer votre attention sur le 150e anniversaire de l'abolition de l'esclavage dans les colonies et les possessions françaises. Nous allons célébrer le décret de 1848 qui met fin à la participation de la France à ce système servile, qui a duré plus de quatre siècles, qui a concerné près de 140 millions d'êtres humains et qui, au-delà des chiffres qui ne seront jamais que des estimations plus ou moins contestables, a été le plus vaste mouvement de déportation de population de l'histoire de l'humanité.
De Louis XIV et Colbert à la Seconde République, la France a été, de façon quasi continue, une puissance esclavagiste. Pour bâtir et consolider sa prospérité, pour tenir son rang parmi les grandes puissances, elle s'est engagée dans le commerce des Noirs et dans cette pratique de déshumanisation absolue qu'est l'esclavage, qu'elle a d'ailleurs réglementé dans le texte juridique le plus monstrueux de son histoire, le Code noir, ce code qui légalise ce qui ne peut l'être, comme ne saurait l'être aucun crime contre l'humanité.
Depuis 1982, les départements d'outre-mer célèbrent officiellement chaque année l'avènement de la liberté. Mais cette histoire n'est pas seulement celle des sociétés issues de l'esclavage. C'est la nôtre à tous.
Aussi, monsieur le Premier ministre, au-delà des manifestations ponctuelles qui seront organisées cette année en France pour commémorer l'abolition de l'esclavage, ce crime sans châtiment qu'on a trop souvent préféré ignorer pour ne pas avoir à l'oublier et qui n'a guère laissé de traces dans nos manuels scolaires, n'y aurait-il pas lieu de susciter chez tous les Français un grand sentiment de ferveur populaire qui, mieux encore que les nécessaires mises en garde contre le refus de l'autre, contribuerait à affirmer, en ces temps troublés, la liberté, l'égalité, la fraternité de tous les citoyens de la République ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe socialiste et du groupe communiste.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Vous êtes particulièrement bien placée, madame la députée, pour attirer l'attention de la représentation nationale, à travers elle, du pays, sur cette commémoration du 150e anniversaire de l'abolition de l'esclavage.
Au cours de l'année 1998, nous aurons à célébrer trois anniversaires: le 150e anniversaire de l'abolition de l'esclavage, le 100e anniversaire du cri que poussa Zola, le 13 janvier 1898, dans L'Aurore avec «J'accuse», et le 50e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme.
Au cours de cette année 1998, non seulement le Gouvernement, non seulement la représentation parlementaire, mais aussi de multiples collectivités, associations, citoyens et citoyennes auront à coeur de célébrer ces trois événements.
Aujourd'hui, en 1998, l'ensemble de la France, l'ensemble des forces politiques se rassemblent dans ces commémorations.
Mais, si nous nous rappelons de ce qu'étaient la gauche et la droite au moment où se passaient ces événements, on est sûr que la gauche était pour l'abolition de l'esclavage, on ne peut pas en dire autant de la droite. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Vives exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française; claquements de pupitres et huées sur les mêmes bancs.)
M. Jean Glavany et M. Daniel Marcovitch. Parfaitement !
M. Guy Teissier. Zéro !
M. Serge Janquin. C'est comme ça !
M. François Bayrou. De tels propos sont scandaleux ! C'est honteux !
M. le Premier ministre. On sait que la gauche était dreyfusarde...
M. Charles Cova. Vous vous prenez pour des justiciers !
M. le Premier ministre. ... et on sait que la droite était antidreyfusarde. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - La plupart des députés du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française se lèvent et se dirigent vers la sortie de l'hémicycle en protestant vivement.)
M. François Bayrou. C'est honteux !
M. le Premier ministre. L'esclavage, venu de la nuit des temps... (Les députés du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française, debout, huent sans discontinuer le Premier ministre.)
Pour Dreyfus, je crois que c'est clair ! (Mêmes mouvements.)
Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française. C'est honteux !
M. le président. Un peu de calme !
Mme Christine Boutin. Les propos du Premier ministre sont scandaleux !
M. le Premier ministre. Ecoutez-moi ! Pour Dreyfus, on se souvient des noms de Jean Jaurès, de Lucien Herr et de Gambetta, mais j'aimerais que l'on me cite des personnalités des partis de droite de l'époque qui se sont dressées contre l'iniquité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Vives exclamations des députés du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française.)
C'est vrai ! («Démission ! Démission !» scandent, debout, les députés du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française.)
M. Pierre Mazeaud. C'est indigne ! Vous êtes en train de vous tuer, monsieur Jospin !
M. le Premier ministre. Je rappelle l'histoire ! (Les députés du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française, debout, scandent toujours «Démission ! Démission !».)
M. Pierre Mazeaud (s'avançant vers le banc du Gouvernement). Vous ne rappelez pas l'histoire ! Vous n'êtes plus digne d'être Premier ministre !
M. le président. Un peu de calme !
M. Dominique Dord. C'est scandaleux !
M. Philippe Vasseur. C'est une honte !
M. Jean-Jacques Jégou. Suspendez la séance, monsieur le président.
M. le président. Mes chers collègues, regagnez vos places !
M. le Premier ministre. L'abolition de l'esclavage a été un cri de révolte contre la traite des Noirs (Mêmes mouvements), qui, à travers les siècles et jusqu'au xixe siècle, a dévasté l'Afrique et l'océan Indien.
Nous avons le souvenir de cette période, et nous avons nos responsabilités dans cette histoire. Nous savons que Nantes et Bordeaux ont tiré une bonne partie de leurs profits du commerce du «bois d'ébène», comme on disait, du commerce triangulaire. (Mêmes mouvements.)
Il est bon que des hommes comme l'abbé Grégoire, provoquant en 1794 la première abolition de l'esclavage, que des hommes comme Victor Schoelcher, provoquant en 1848 la deuxième et définitive abolition de l'esclavage (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert), que des hommes comme Toussaint Louverture aient obtenu que cette honte de la traite des Noirs et de l'esclavage appartienne à notre passé. (Les députés du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française, debout, continuent à huer le Premier ministre et à scander «Démission ! Démission !».)
M. Jean-Michel Ferrand. Minus ! (M. Jean-Louis Fousseret brandit un fac-similé de «J'accuse».)
M. le Premier ministre. Aujourd'hui, le Gouvernement entend que l'année 1998 serve à commémorer cette abolition. Le 10 novembre dernier, le secrétaire d'Etat à l'outre-mer, Jean-Jack Queyranne, a présenté au conseil des ministres une communication sur cette abolition. (Les députés du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française, debout, continuent à huer le Premier ministre.)
Mme Christine Boutin. Honte à vous ! Monsieur le président, il faut lever la séance. (M. Jean Glavany brandit un papier portant «Boutin, hystérique».)
M. Claude Bartolone. Boutin, dehors !
Mme Christine Boutin. Salopards !
M. le Premier ministre. D'avril à septembre 1998, une série de commémorations auront lieu dans le pays. Le Gouvernement a confié à Daniel Maximin, écrivain guadeloupéen, le soin de mettre en oeuvre l'ensemble de ces cérémonies.
Il est bon de rappeler le passé, mais il faut aussi éclairer le présent. Heureusement, l'esclavage ne frappe plus sur les terres de la France, mais beaucoup de nos compatriotes d'outre-mer sont encore touchés par le racisme ou la discrimination. (Huées permanentes des députés du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française, qui continuent lentement à s'acheminer vers la sortie de l'hémicycle.)
C'est pourquoi, en ce début d'année 1998 et dans la perspective du 150e anniversaire de l'abolition de l'esclavage, je veux transmettre mes voeux les plus chaleureux à nos compatriotes d'outre-mer en leur disant qu'ils sont nos frères et nos soeurs dans la République. (Mmes et MM. les députés du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert se lèvent et applaudissent longuement. - Les derniers députés du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française quittent l'hémicycle en huant toujours le Premier ministre.)
M. Jacques Baumel. C'est indigne, monsieur le président !
Mme Christine Boutin. Scandaleux !
M. Claude Bartolone. Boutin, dehors !
M. Dominique Dord. Ce n'est même pas digne d'un premier secrétaire !
Mme Nicole Bricq. Laissez-nous vivre, madame Boutin !
RCV 11 REP_PUB Réunion O