FICHE QUESTION
11ème législature
Question N° : 3107  de  M.   Chossy Jean-François ( Union pour la démocratie française-Alliance - Loire ) QG
Ministère interrogé :  emploi et solidarité
Ministère attributaire :  emploi et solidarité
Question publiée au JO le :  28/11/2001  page : 
Réponse publiée au JO le :  28/11/2001  page :  8574
Rubrique :  handicapés
Tête d'analyse :  justice
Analyse :  arrêt Perruche. conséquences
DEBAT :

JURISPRUDENCE PERRUCHE

    M. le président. Pour le groupe UDF, la parole est à M. Jean-François Chossy.
    M. Jean-François Chossy. Ma question s'adressait à M. le Premier ministre. En son absence, je la poserai à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.
    Placés devant un vide juridique insoutenable, les magistrats de la Cour de cassation s'apprêtent à instaurer une jurisprudence terrifiante. En effet, deux familles demandent aujourd'hui réparation pour leurs enfants nés avec une différence et posent ainsi, sur le fond, le problème de la légitimité de la vie humaine fragilisée par le handicap. L'arrêt Perruche a déjà prétendu que l'inexistence est préférable à la vie diminuée, et qu'il est donc fondé de demander une indemnisation du seul fait de sa naissance.
    Dans la logique de l'arrêt Perruche, les parents demandent réparation pour vie dommageable et, par l'intermédiaire de leurs avocats, exigent réparation pour préjudice moral, pour préjudice esthétique et d'agrément, et réparation pour préjudice matériel.
    Le préjudice esthétique oblige à définir une normalité. Qui va l'établir ? Le scientifique, le juge, les parents, la société ? Ne va-t-on pas très vite être confronté à un délit de « laideur » ? Ne sera-t-on pas un jour emporté dans la spirale de l'eugénisme ?
    A propos du préjudice moral, un des avocats prétend que la personne handicapée souffre parce qu'elle n'a pas eu la chance que sa mère avorte. Un magistrat réputé lui répond que, pour indemniser l'enfant, il faudra rechercher si un avortement n'aurait pas été possible, ce qui portera atteinte à sa dignité d'être humain.
    Quant au préjudice matériel, s'il est pris en compte, il va enferrer les médecins, et notamment les écographistes, dans une judiciarisation paralysante. En effet, aucun médecin ne voudra prendre ni assumer une responsabilité qui ne pourra plus être couverte par les assurances. L'indemnisation, si elle est donnée pour solde de tout compte, mettra à mal la solidarité naturelle et nationale, qui doit s'exprimer vis-à-vis des personnes fragilisées.
    Madame la ministre, il est indigne d'obliger les parents à saisir la justice pour obtenir de l'aide alors que la réponse se trouve dans l'aide sociale et dans la solidarité. Ma question est donc simple : quand allez-vous mettre en oeuvre la grande modification de la loi de 1975, qui permettra d'apporter des réponses concrètes à ces questions posées dans l'urgence et douloureusement vécues ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
    M. le président. La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.
    Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Monsieur le député, lors d'un récent débat parlementaire, M. Mattei avait soulevé cette importante question et j'étais revenue longuement sur les différents arrêts de la Cour de cassation, l'arrêt Perruche et ceux qui ont suivi. Il fallait en effer répondre à trois questions : quelle est la responsabilité des médecins ? Y a-t-il un risque d'eugénisme ? Cette jurisprudence risque-t-elle de mettre en cause la responsabilité des parents, qui pourraient être attaqués par leur enfant ?
    Sur ces trois points, la jurisprudence de la Cour de cassation, par l'arrêt Perruche et ceux qui ont suivi, montre qu'il n'est pas nécessaire de légiférer, car ces risques ne sont pas avérés. En effet, la Cour a posé des conditions extrêmement précises pour que soit mise en jeu la responsabilité des médecins : ainsi, il faut qu'ils aient commis une faute avérée...
    Mme Christine Boutin. Justement non !
    Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité. ... qui ait empêché la mère de choisir d'interrompre sa grossesse.
    L'arrêt Perruche a permis d'indemniser un enfant qui était né handicapé et l'on a pu craindre que la responsabilité des parents ne soit engagée. Mais cet arrêt ne prend en considération que le cas de l'enfant qui, un jour, risque de voir disparaître ses parents. A partir du moment où des parents peuvent être indemnisés pourquoi un enfant ne le pourrait-il pas ? La Cour de cassation, dans ses motivations, a très bien expliqué...
    Mme Christine Boutin. Non !
    Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité. ... qu'elle avait accordé cette indemnisation pour instaurer un équilibre entre les parents et l'enfant, et permettre à celui-ci, le cas échéant, de subvenir seul à ses besoins.
    Il faut par ailleurs se poser la question de l'eugénisme : de telles décisions ne risquent-elles pas de pousser des parents à vouloir un enfant parfait ? Monsieur le député, vous avez cité la loi sur l'interruption volontaire de grossesse. Or le Conseil consultatif national d'éthique a eu une remarque qui me paraît parfaitement fondée : ce serait faire injure aux femmes que de penser qu'elles seraient opportunistes au point de regretter de n'avoir pu interrompre leur grossesse pour une malformation mineure.
    Mme Christine Boutin. Ce n'est pas le problème !
    Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité. On le voit, à travers cette jurisprudence et ces observations, la nécessité de légiférer n'est pas constituée aujourd'hui.
    J'ajoute que Ségolène Royal reçoit régulièrement les associations de handicapés et qu'elle a décidé de réunir un séminaire sur le thème « éthique et handicap ». (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Nous nous assurerons ainsi que ces questions tiennent compte de toutes les préoccupations des enfants handicapés, de leurs parents et des associations qui les représentent. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    Mme Christine Boutin. C'est la démission des politiques !
   

UDF 11 REP_PUB Rhône-Alpes O