DEBAT :
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MAJEURS SOUS TUTELLE
M. le président. La
parole est à M. Alain Vidalies, pour le groupe socialiste.
M. Alain Vidalies. Madame la garde des sceaux, la situation des majeurs sous tutelle mérite une attention particulière dès lors qu'elle concerne plus de 500 000 personnes et que chaque famille peut être un jour confrontée à ce problème douloureux. Or le rapport d'inspection commandé par le Gouvernement a mis en évidence des dysfonctionnements et la nécessité d'assurer une protection de la personne et pas seulement de ses biens, de parvenir à un meilleur équilibre entre les mesures de protection médico-sociale et la protection judiciaire, de prévoir une révision périodique des mesures et, enfin, d'harmoniser la formation et le statut des personnes ou des structures chargées de cette mission de service public.
Le dépôt de ce rapport a permis au Gouvernement d'engager la concertation indispensable avec les associations très impliquées dans la gestion de ces services et représentant les intérêts de ceux que notre code civil qualifie de manière péjorative d'« incapables majeurs », appellation qui à elle seule révèle l'ampleur des efforts à entreprendre pour élaborer une réponse juridique et sociale compatible avec le respect de leur dignité et de leurs droits.
Vous avez annoncé, madame la garde des sceaux, un projet de réforme. Pouvez-vous informer la représentation nationale sur les mesures envisagées par le Gouvernement pour mieux protéger ces hommes et ces femmes dont la maladie, une infirmité ou un affaiblissement dû à l'âge altèrent les facultés mentales et qui, à ce titre, doivent recevoir aide et protection, mais aussi faire l'objet du respect dû à toute personne humaine ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
M. le président.
La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur le député, ce projet vise effectivement à rétablir une certaine dignité. Vous l'avez dit, un demi million de personnes sont concernées, et ce nombre va aller croissant puisque, grâce aux progrès de la médecine - fort heureux ! -, on vit aujourd'hui beaucoup mieux avec un handicap et on a allongé la durée de vie. Malheureusement, ce vieillissement - et Mme Paulette Guinchard-Kunstler y a fait récemment allusion à propos de toutes les causes de mal-être ou de maltraitance - peut déboucher sur l'incapacité à gérer ses biens et entraîner une incapacité à vivre normalement même dans des foyers. Or par respect pour ces personnes, nous devons absolument faire beaucoup mieux. Il y va de l'honneur de notre République. Comment ?
M. Thierry Mariani. En changeant de majorité !
Mme la garde des sceaux. D'abord, en accordant plus de droits à ces hommes et à ces femmes. Qu'il s'agisse d'un jeune majeur avec un handicap ou d'une personne âgée, il est intolérable de ne pas les informer des raisons d'une mesure qui vient d'être prise. Le mot « tutelle » est en soi une atteinte à la liberté individuelle et suscite parfois un sentiment de honte ou de culpabilité.
C'est pourquoi nous avons totalement changé notre approche en permettant à ces personnes d'avoir accès à leur dossier si elles le peuvent, d'être assistées par un mandant ou par un avocat lors de l'audience au tribunal d'instance - ce qui montre l'importance des tribunaux d'instance dont on parle trop peu dans ce pays -, mais aussi de demander une révision de leur statut. On peut guérir, en effet, de son handicap, on peut retrouver ses facultés. Or, parfois, on n'abroge même pas la mesure qui avait été prise. Il faut également leur donner le droit de vote. Ce n'est pas parce qu'une personne est totalement dépassée par la gestion de ses factures, de ses soucis quotidiens qu'elle n'est pas à même de porter un regard juste sur le monde. Lui rendre le droit de vote, c'est reconnaître sa citoyenneté, donc sa faculté d'appréciation du monde. Quel honneur pour elle que de se présenter à nouveau dans un bureau de vote !
M. Jean-Paul Bacquet. Très bien !
Mme la garde des sceaux. Quelle tristesse pour nous, élus locaux, d'avoir parfois été obligés d'annoncer à des personnes non prévenues qu'elles ne pouvaient pas voter ! Au-delà de l'assistance aux biens, notre volonté première est de reconnaître la personne. Par ailleurs, il faut permettre à toutes ces associations qui « portent » ces tutelles ou ces curatelles quand cela ne peut pas être la famille - et c'est souvent mieux ainsi, du reste - d'avoir une meilleure gestion de leurs comptes. Si des personnes aujourd'hui se plaignent c'est que, très souvent, les associations, faute de programmation pluriannuelle de leur financemnt, ont été obligés de vivre avec les intérêts des comptes pivots. Ne nous cachons pas derrière notre petit doigt, cela existe !
Prévoir un compte bancaire par personne, conduira à régler le problème des associations. Mme Elisabeth Guigou propose fort justement d'expérimenter en 2002 dans deux régions une nouvelle façon de financer ces associations avec des programmes pluriannuels afin que non seulement le nombre de personnes prises en charge, mais également la vie de l'association soient pris en compte.
A cet égard, la formation du personnel est essentielle. S'il est assez facile en effet, d'apprendre à gérer des factures, gérer l'angoise, l'anxiété ou le mal-être est bien plus compliqué. Or avec bientôt un million d'hommes et de femmes nécessitant une aide, les besoins en personnel vont croître.
Il est de la dignité de la République de dire que chacun a des droits, des devoirs, mais aussi des libertés. Il y va du respect qu'on doit au handicap, comme l'ont dit Mme Ségolène Royal pour les personnes handicapées et Paulette Guinchard-Kunstler pour les personnes âgées. Il y a aujourd'hui une forme de maltraitance latente dans l'espèce de culpabilité que créée la mise sous tutelle. C'est à cela que nous voulons mettre fin. Aujourd'hui, le mouvement est engagé puisque, le 1er janvier 2002, a démarré l'expérimentation. En tout cas, monsieur le député, je salue à travers votre question toutes ces personnes auxquelles notre pays doit tant. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
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