Texte de la QUESTION :
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M. Yves Dauge attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur l'organisation de manifestations sur le domaine public. L'accès soumis à un péage à des manifestations dans des rues commerçantes et pittoresques du centre historique d'une ville a été analysé comme portant atteinte au principe constitutionnel de la liberté d'aller et venir. Pourtant, dans de nombreuses communes, des manifestations organisées dans ces conditions existent depuis plusieurs années. Ainsi, le marché Rabelais, à Chinon, en Indre-et-Loire, a eu lieu pendant 26 ans dans des conditions qui ont récemment été considérées par l'administration préfectorale comme illégales, empêchant de ce fait le déroulement de la 27e édition selon la formule utilisée précédemment. En conséquence, il lui demande de préciser les règles juridiques en la matière.
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Texte de la REPONSE :
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La liberté d'aller et venir a la valeur d'un principe constitutionnel, comme l'a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 12 juillet 1979 relative à la loi relative à certains ouvrages reliant les voies nationales ou départementales. Le tribunal des conflits (préfet de la région Alsace c/Colmar, 9 juin 1986) et le Conseil d'Etat (ministre de l'intérieur et de la décentralisation c/M. Peltier, 8 avril 1987) ont qualifié la liberté d'aller et venir de liberté fondamentale. La liberté d'aller et venir se concrétise notamment par la liberté de circulation sur la voirie routière. La voirie communale appartient au domaine public artificiel de la commune, puisqu'elle est propriété de cette commune, affectée à l'usage du public et spécialement aménagée à l'effet de permettre la circulation du public. La soumission de la circulation sur la voie publique à un péage porte atteinte à la liberté d'aller et de venir et au principe de valeur législative de gratuité de l'utilisation collective du domaine public. Pour la voirie routière, ce principe a été énoncé par la loi du 30 juillet 1880 qui a prévu le rachat des péages existants et a interdit à l'avenir tout péage. Ainsi, le Conseil d'Etat a annulé l'institution d'un péage sur un pont reliant l'île d'Oléron au continent (16 février 1979, comité d'action et de défense des intérêts de l'île d'Oléron). La liberté de circulation peut cependant être limitée, comme le rappelle l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, la liberté consistant à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. Seule la loi peut déterminer les limites à l'exercice de cette liberté. La loi du 12 juillet 1979 relative à certains ouvrages reliant les voies nationales ou départementales est ainsi venue déroger, à titre exceptionnel, à ce principe de gratuité de la circulation sur la voie publique lorsque l'utilité, les dimensions et le coût d'un ouvrage d'art à comprendre dans la voirie nationale ou départementale justifient l'institution d'une redevance pour son usage. L'article 17 de la loi du 19 août 1986 portant dispositions diverses relatives aux collectivités locales a étendu la possibilité d'instituer un péage pour la circulation sur les ouvrages d'art du domaine public routier communal. L'ensemble de ces dispositions a été codifié aux articles L. 153-1 et suivants du code de la voirie routière. En dehors de ce cas spécifique prévu par la loi, une autorité administrative ne peut pas, même sous le couvert des nécessités de l'ordre public, instituer de dérogations à la gratuité de la circulation sur les voies publiques. Ainsi, le Conseil d'Etat a annulé un arrêté municipal de la commune de Bagnères-de-Luchon qui avait institué un droit de péage pour l'accès à une route, lieu d'arrivée d'une étape du Tour de France (22 février 1991, commune de Bagnères-de-Luchon c/Loquet). Aucune des dispositions du code général des collectivités territoriales, y compris celles relatives à la police de la circulation en agglomération, ne permet de soumettre à un droit de péage la circulation sur la voie publique, en l'espèce dans des rues commerçantes et pittoresques du centre historique d'une ville. Le fait qu'une manifestation se tienne dans ces rues ne saurait justifier l'existence d'un droit de péage pour pouvoir circuler sur les voies publiques concernées. En outre, dans la mesure où la tenue de ces manifestations pourrait s'analyser juridiquement comme une utilisation privative du domaine public communal au profit de leurs organisateurs, l'existence d'un droit de péage est d'autant plus illégale qu'elle se révèle incompatible avec la destination normale des voies publiques qui sont normalement affectées à la circulation. C'est ainsi que le Conseil d'Etat a jugé, dans un arrêt du 3 mai 1963, commune de Saint-Brévin-les-Pins, qu'une autorisation d'occupation privative du domaine public ne peut être légalement accordée que si, compte tenu de l'intérêt général, elle se concilie avec les usages conformes à la destination du domaine que le public est normalement en droit d'y exercer. En revanche, une manifestation peut être subordonnée à un droit d'entrée si elle se déroule sur un emplacement délimité physiquement par des moyens adéquats permettant de contrôler uniquement l'accès des personnes qui souhaitent déambuler dans cet espace clos. En tout état de cause, quelle que soit l'organisation retenue, il est nécessaire que la liberté de circulation du public sur la voie publique soit préservée de manière à ce qu'il puisse accéder gratuitement et sans entraves à l'ensemble des rues et des monuments.
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