FICHE QUESTION
11ème législature
Question N° : 409  de  M.   Lellouche Pierre ( Rassemblement pour la République - Paris ) QOSD
Ministère interrogé :  PME, commerce et artisanat
Ministère attributaire :  PME, commerce et artisanat
Question publiée au JO le :  03/06/1998  page :  4622
Réponse publiée au JO le :  10/06/1998  page :  4787
Rubrique :  commerce et artisanat
Tête d'analyse :  ouverture le dimanche
Analyse :  réglementation. dérogations. Coupe du monde de football
Texte de la QUESTION : M. Pierre Lellouche attire l'attention de Mme la secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat sur la nécessité pour la petite, moyenne et grande distribution d'avoir la possibilité de procéder à l'ouverture de leurs magasins le dimanche. En effet, à la veille de la Coupe du monde de football, et de l'afflux considérable de touristes qu'elle va générer, il serait tout à fait préjudiciable que les entreprises françaises susceptibles d'être concernées par la mise en oeuvre de cette mesure ne puissent bénéficier de dérogations. Il souhaiterait savoir quelles mesures elle entend prendre pour favoriser l'essor du commerce dans l'ensemble des villes concernées par cet événement exceptionnel que constitue la Coupe du monde de football et permettre ainsi le meilleur accueil des touristes.
Texte de la REPONSE : M. le président. M. Pierre Lellouche a présenté une question, n° 409, ainsi rédigée:
«M. Pierre Lellouche attire l'attention de Mme la secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat sur la nécessité pour la petite, moyenne et grande distribution d'avoir la possibilité de procéder à l'ouverture de leurs magasins le dimanche. En effet, à la veille de la Coupe du monde de football et de l'afflux considérable de touristes qu'elle va générer, il serait tout à fait préjudiciable que les entreprises françaises susceptibles d'être concernées par la mise en oeuvre de cette mesure ne puissent bénéficier de dérogations. Il souhaiterait savoir quelles mesures elle entend prendre pour favoriser l'essor du commerce dans l'ensemble des villes concernées par cet événement exceptionnel que constitue la Coupe du monde de football et permettre ainsi le meilleur accueil des touristes.»
La parole est à M. Pierre Lellouche, pour exposer sa question.
M. Pierre Lellouche. Je vous remercie, madame la secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, d'être venue me répondre en personne. J'y suis sensible.
Par le hasard du calendrier, je vous pose cette question au moment où la Coupe du monde de football s'apprête à commencer, avec, ce soir même, les festivités, et alors que notre pays est regardé par la terre entière. Dans le cas d'Air France, c'est moins bien. En tout cas, l'ouverture le dimanche, c'est un vrai sujet de société, un vrai sujet économique, et qui concerne l'emploi.
Plus de 300 000 séjours supplémentaires sont attendus à Paris dans les cinq semaines qui viennent, si l'on compte les visiteurs, les sponsors, les journalistes, etc. Or l'ensemble de ces visiteurs, qui sont autant de consommateurs supplémentaires pour l'industrie française, trouveront porte close pour les cinq dimanches à venir.
En effet, les commerçants ont tout juste le droit de demander individuellement et à la dernière minute des dérogations à la préfecture, puisque vous avez préféré vous défausser de cette compétence sur les préfets par une lettre circulaire en date du 6 mai. Dans ces conditions, je ne doute pas que les demandes de dérogation soient bien faibles au regard de l'intérêt que cette occasion aurait pu représenter en termes de chiffre d'affaires, mais aussi d'emplois supplémentaires, d'autant plus que rien n'est prévu pour alléger le coût social de ces opérations.
Quand le magasin Haussmann des Galeries Lafayette, par exemple, qui est dans ma circonscription, ouvre le dimanche, la recette est d'environ 15 millions de francs, c'est-à-dire 20 % de la recette hebdomadaire. Ce n'est pas rien. Mais il faut savoir que, en application de l'actuel code du travail, chaque employé qui travaille le dimanche le fait sur la base du volontariat, perçoit le double de son salaire et obtient une journée de congé supplémentaire. Les 15 millions en question servent donc à couvrir les frais de la journée. Dans ces conditions, l'intérêt d'ouvrir le dimanche est extrêmement limité.
Le comble, c'est que ces dérogations ne seront octroyées que dans le cadre des cinq dimanches dérogatoires qui peuvent être accordés dans l'année, c'est-à-dire au détriment d'autres périodes où le commerce a besoin d'ouvrir pour répondre aux besoins des consommateurs, notamment les fêtes de fin d'année.
Ne pensez-vous pas, madame la secrétaire d'Etat, puisque vous avez la charge de développer ce secteur essentiel pour la création d'emplois, avec 1,8 million d'entreprises, qu'il serait temps de revoir ces dispositions législatives, complétées par une loi de 1993, le tout formant un système archaïque, dans un sens favorable à la création de richesses et d'emplois dans notre pays ?
Il ne s'agit pas pour moi, je le dis très clairement, de revenir sur l'idée d'un repos hebdomadaire, qui est un droit fondamental des salariés, pas plus que de sacrifier le petit commerce à la grande distribution, mais, de grâce, comprenons que la France et la ville de Paris sont en première ligne dans la compétition internationale. Ce que les consommateurs étrangers ne pourront pas acheter à Paris et en France, ils l'achèteront ailleurs.
En outre, je vous demande de regarder ce qui se passe dans les autres pays, y compris à l'intérieur de l'Union européenne.
Les Suédois, que l'on aurait du mal à caricaturer comme des ultra-libéraux, ont abandonné dès 1971 une législation très stricte pour un système beaucoup plus souple, où la seule contrainte est l'interdiction de faire travailler les salariés entre zéro et cinq heures du matin et où la fixation des horaires et jours d'ouverture résulte de négociations entre organisations d'employeurs et organisations d'employés. Le Portugal a adopté en 1983 des textes permettant l'ouverture des magasins sept jours par semaine et libéralisant considérablement les horaires d'ouverture. C'est vrai aussi depuis très longtemps de l'Irlande. Au Luxembourg, les magasins peuvent ouvrir six jours par semaine et le dimanche matin. En Belgique, les commerçants ont le droit d'ouvrir six jours par semaine, y compris le dimanche. L'Allemagne, dont la législation est particulièrement restrictive puisqu'elle prévoit l'ouverture cinq jours et demi par semaine à l'exclusion du dimanche, a introduit en 1986 et en 1989 deux modifications permettant l'ouverture des magasins le dimanche dans les villes de plus de 200 000 habitants ainsi que dans les points de vente situés dans des lieux de passage important. De plus, les magasins sont ouverts le jeudi soir. La Grande-Bretagne de Tony Blair, l'Italie de Romano Prodi, où j'étais hier, le Danemark commencent eux aussi à se préoccuper de ce sujet, et l'Angleterre fera voter une loi en ce sens dès le mois de novembre prochain.
Sans polémique et sans idéologie aucune, je déclinerai ma question à trois niveaux, et tout d'abord celui de ma circonscription.
Je représente le centre de Paris, où se trouve la plus belle avenue du monde. Le Comité des Champs-Elysées et l'ensemble des grands et des petits commerçants des rues avoisinantes sont d'accord pour que les magasins soient ouverts le dimanche. Cela serait préférable à l'anarchie de la législation actuelle: dans certains quartiers comme le Marais, tous les magasins sont ouverts le dimanche, dans d'autres non. La loi de 1993 est appliquée de façon un peu romantique, ou aléatoire ! La question se pose aussi pour les grands magasins. Si vous leur aviez donné la possibilité d'ouvrir le dimanche, ils auraient ouvert.
Deuxièmement, et je vous demande cela comme une faveur pour ces commerçants, pouvez-vous faire en sorte que le dimanche supplémentaire accordé par les préfets ne soit pas décompté dans les cinq dimanches dérogatoires actuellement retenus ? C'est en votre pouvoir et cela ne nécessite pas une loi.
Enfin, et au-delà de nos divergences politiques - vous êtes pour les trente-cinq heures, moi, je suis contre; vous êtes pour les emplois publics, moi, je trouve que c'est de la consommation d'argent public au détriment du coût du travail -, ne pensez-vous pas qu'il est temps de dépoussiérer tout cela, d'ouvrir les fenêtres sur le monde, de comprendre que la France, Paris et d'autres grandes villes françaises sont en compétition, que nous sommes la première destination touristique au monde, qu'il est temps de permettre aux commerçants, aux entreprises françaises de travailler le dimanche dans le cadre de mesures négociées entre employeurs et salariés ?
Rien de tout cela n'est révolutionnaire. C'est le bon sens. Même des socialistes européens l'ont compris. J'espère que vous y viendrez.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat.
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat. Votre question, monsieur le député, est beaucoup plus longue que le texte que vous m'aviez transmis.
La Coupe du monde de football est assurément un événement qui mérite que les entreprises françaises en tirent tout le parti économique souhaitable. Dans cet esprit, Martine Aubry et moi-même avons rappelé aux préfets, par une circulaire en date du 6 mai dernier, qu'ils avaient la possibilité d'accorder des dérogations particulières, prévues à l'article L. 221-6 du code du travail, au-delà des dérogations dites des «cinq dimanches» figurant à l'article L. 221-19 du même code. Vous avec donc la réponse à votre question.
M. Pierre Lellouche. «Au-delà», dites-vous ?
Mme la secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat. Oui.
M. Pierre Lellouche. J'y reviendrai dans ma réponse.
Mme la secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat. Nous avons effectivement quelques demandes provenant du centre de Paris, mais aucun accord entre les commerçants de la plupart des villes et des sites, j'y reviendrai.
La combinaison des deux dérogations est donc la façon le plus à même de répondre à l'attente des professionnels.
C'est l'afflux du public qui peut justifier des ouvertures le dimanche pendant la durée de la Coupe du monde sur les sites où se dérouleront les matches. Dans ce cas, des dérogations seront accordées, dans le respect, bien entendu, du droit en vigueur, notamment les consultations préalables à l'octroi de ces dérogations et les rémunérations des salariés pour travail dominical.
L'action des pouvoirs publics vis-à-vis des commerçants ne s'est pas limitée à cet aspect des choses. Mon département ministériel apporte en effet un soutien très significatif aux opérations menées par les commerçants sur les sites. Les opérations d'animation bénéficient d'une aide de 8 millions de francs par ville et de 10 millions de francs pour la coordination des 150 000 commerçants concernés, à leur demande d'ailleurs.
La Coupe du monde de football doit être une vitrine du savoir-faire de nos commerçants, nous en sommes tous convaincus. Leurs qualités d'accueil, de service, de compétence seront, j'en suis sûre, mieux mises en valeur par les actions très concrètes que ces commerçants ont conçues avec l'appui des pouvoirs publics.
Votre question allait bien au-delà de la Coupe du monde, et vous avez parlé d'accords négociés pour l'ouverture le dimanche entre des grands magasins et des syndicats. Ce problème nous a été posé au moment où un conflit majeur opposait organisations syndicales et patronales, et nous n'avons pas voulu interférer dans ces négociations difficiles, à la demande d'ailleurs aussi bien des responsables patronaux que des syndicats.
On ne peut pas me demander sur les mêmes bancs de cette assemblée d'accepter l'ouverture du dimanche et de protéger le petit commerce de proximité des bourgs et des centres-ville, dont les représentants, eux, me demandent de ne pas l'autoriser. Compte tenu du faible nombre de leurs salariés et de leurs capacités physiques, ces petits commerces sont incapables d'ouvrir sept jours sur sept. Nous devons être cohérents: lorsque nous avons voté une loi sur la boulangerie, récemment, nous avons exigé la fermeture hebdomadaire. L'ensemble des commerçants que je rencontre sur les sites, où je vais essentiellement d'ailleurs discuter d'équipement commercial et d'une nouvelle façon d'aborder ces sujets importants pour l'avenir, me demandent de ne pas céder à ces demandes d'ouverture le dimanche, sept jours sur sept ou vingt-quatre heures sur vingt-quatre, au nom de l'impossibilité des petites entreprises de résister. En dehors de zones très particulières où tout le monde accepte de travailler le dimanche, y compris les membres du Centre national du commerce, nous devons prendre cet élément en compte.
De même, nous devons prendre en compte le fait que le pouvoir d'achat n'est pas extensible. Or, comme vous l'avez expliqué, le coût de l'ouverture supplémentaire est important. Dans ces conditions, en dehors des périodes de tourisme dont vous avez parlé, il faudra bien que quelqu'un paie la différence. La majorité du commerce français pense aujourd'hui que ce serait une erreur économique. Telle est à ce jour ma position, mais je suis décidée à négocier.
Dans l'immédiat, ce que nous avons fait permettra d'ouvrir le dimanche. Mais il fallait surtout aider les commerçants à organiser l'animation. C'était leur plus forte demande, la seule demande collective de l'ensemble des sites de la Coupe du monde. Cela nous coûte un peu cher, mais je crois que cela valait le coup.
M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche.
M. Pierre Lellouche. Madame la secrétaire d'Etat, vous avez soutenu les opérations d'animation et je vous en rends hommage, mais je veux revenir au sujet de ma question.
Dès la formation du Gouvernement, au mois de juin de l'année dernière, j'avais saisi votre attaché parlementaire pour vous rencontrer. Vous avez mis quelques mois à trouver le temps nécessaire, mais j'ai été reçu le 9 décembre. C'est donc un sujet qui m'intéresse depuis longtemps parce que je voyais venir la Coupe du monde et les célébrations de l'an 2000, qui sont pour moi l'occasion d'une pédagogie collective. Encore une fois, il ne s'agit ni de sacrifier les droits des salariés, ni de transformer les habitudes sociales de ce pays, mais de voir peu à peu si cette ouverture peut créer des richesses et des emplois. Sur ce point, je crois que nous nous retrouvons.
Sur le fond du dossier qui nous intéresse à court terme, c'est-à-dire la Coupe du monde, j'ai lu votre circulaire, et je n'en ai pas la même interprétation que vous. Si vous me dites que le dimanche supplémentaire, par exemple le 28 juin pour les Galeries Lafayette, ne fera pas partie des cinq dimanches, tant mieux. Ce sera au Journal officiel. Mais, quand je lis, dans le quatrième paragraphe de la deuxième page de votre lettre, que «cette procédure peut toutefois se heurter dans le cas présent à la détermination antérieure des cinq dimanches concernés au titre de l'année 1998», je comprends que ce dimanche ne s'ajoute pas aux cinq précédents mais s'en retranche. Si vous m'affirmez avec votre autorité qu'il s'ajoute aux cinq autres, je dis merci et tant mieux.
Mme la secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat. Il ne s'en retranche pas !
M. Pierre Lellouche. Très bien ! Je suis sûr que les commerçants concernés vous remercieront directement. En tout cas, je me fais leur interprète.
J'ai rencontré des maires et des élus locaux étrangers qui ont expérimenté l'ouverture dominical: les commerçants ont été à chaque fois effrayés par ce changement d'habitudes de consommation ou d'habitudes commerciales, mais, dans la pratique, on observe, aussi bien à New York qu'à Tokyo ou ailleurs, que l'ouverture le dimanche, non seulement favorise naturellement les grands magasins, mais génère de l'activité dans les quartiers avoisinants pour l'ensemble des petits commerçants. C'est d'ailleurs le cas à Paris. Promenez-vous le dimanche dans le Marais. Ce ne sont pas des grandes surfaces qui gagnent leur vie, ce sont des petits commerçants avec un petit nombre de salariés.
Ce qui est nécessaire dans ce pays, c'est un assouplissement. Testons au moins ce genre de formules, rendons-les possibles par des dérogations, y compris en matière sociale. Laissons les salariés et les employeurs se mettre d'accord au niveau de l'entreprise. Vous verrez que l'on créera ainsi des richesses et des emplois.
Si l'on se contente de maintenir le statut actuel, notre économie risque malheureusement de rester ce qu'elle est, c'est-à-dire une économie caractérisée essentiellement par le poids de l'Etat, l'importance des emplois publics et un très fort coût du travail.
Cela dit, je vous remercie, madame, de m'avoir donné l'occasion de dialoguer avec vous.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'Etat.
Mme la secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat. Il faut être extrêmement prudent. Les gens qui n'emploient pas de salariés peuvent ouvrir le dimanche. C'est pourquoi les commerces de proximité ouvrent le dimanche matin.
Je pense, monsieur Lellouche, que vous considérez le problème commercial français en fonction du centre de Paris. Je vous invite à rencontrer, comme d'autres parlementaires le font, l'ensemble des composantes du commerce français. Vous verrez que le problème ne peut pas être posé tout à fait en ces termes. C'est pourquoi je maintiens les éléments de ma réponse, en particulier sur la contradiction qu'il y a aujourd'hui à me demander de protéger le petit commerce et d'assouplir constamment les règlements.
Je ne crois pas au dimanche familial derrière les chariots. Cela étant, ce n'est pas ma position qui doit primer. Vous me parlez de négociations, mais les partenaires syndicaux, vous le savez, sont opposés à l'ouverture le dimanche. Compte tenu du montant des salaires, des charges de garde d'enfant et de déplacement que cela suppose, en particulier pour ceux qui habitent loin de leur lieu de travail, le problème n'est pas simple. Je pense que nous aurons une réunion de travail sur ce sujet. Cela en vaut la peine.
RPR 11 REP_PUB Ile-de-France O