Texte de la QUESTION :
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M. Charles Millon attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur l'arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 16 décembre 1999 (affaire C-239/98). La condamnation de la France pour non transposition et non application effective des directives 92/49/CEE et 92/96/CEE, qui ont pour objet et comme objectif la réalisation du marché intérieur des assurances vie et non-vie, doit être considérée au regard de la primauté absolue du droit communautaire à l'encontre de toutes normes nationales sans exception. Comme l'a établi en 1975 la Cour de cassation, l'ordre juridique communautaire intégré à celui des Etats membres est « directement applicable aux ressortissants de ces Etats et s'impose à leurs juridictions ». En tout état de cause, l'article 55 de la Constitution de 1958 donne aux dites directives une autorité supérieure à celle des lois nationales et le juge national est tenu d'écarter toute loi contraire sans même attendre l'adaptation complète de la législation nationale. Au demeurant, de par l'article 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : « Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. » Depuis bientôt six ans, leur entrée en vigueur devait intervenir au plus tard le 1er juillet 1994, les dispositions du droit communautaire dans le domaine des assurances vie et non-vie sont restées sans effet, et il ne fait pas de doute que la République française sera de nouveau condamnée le 11 mai prochain par la CJCE pour avoir manqué aux obligations qui lui incombent dans ces mêmes matières (manquement d'Etat, affaire C-296-98). Les juridictions nationales ne peuvent et ne doivent rester à l'écart de la complémentarité et de la synergie entre Luxembourg et Strasbourg évoquée à l'occasion du 25e anniversaire de la ratification de la Convention en mai dernier. « Le juge national chargé d'appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit communautaire, a l'obligation d'assurer le plein effet de ces normes, en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale, même postérieure, sans qu'il ait à demander ou même à attendre l'élimination de celle-ci par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel ». (Cour de justice des Communautés européennes, arrêt Simmenthal, 9 mars 1978). Tant du fait de la condamnation de la République française intervenue le 16 décembre 1999 que de la réponse qui lui a été donnée le 6 mars dernier (JO, AN), il lui demande quelles sont les dispositions qu'entend prendre, dès maintenant, le Gouvernement, au regard des procédures en cours, tant en métropole que dans les départements d'outre-mer, dès lors qu'un grand nombre de magistrats continuent de méconnaître la primauté du droit communautaire tant il en va des principes de confiance légitime et de sécurité juridique, alors même que la France se prépare à prendre la présidence de l'Union, le 1er juillet prochain.
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Texte de la REPONSE :
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la garde des sceaux, ministre de la justice, fait connaître à l'honorable parlementaire que sa question a retenu toute son attention. Le Gouvernement a pris acte de l'arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 16 décembre 1999 (affaire C-239/98), qui a condamné la France pour non-transposition des dispositions des directives, dites respectivement troisième directive assurance vie et troisième directive assurance non-vie, pour ce qui concerne les mutuelles régies par le code de la mutualité, et met tout en oeuvre pour se conformer à cet arrêt. Les jurisprudences respectives des plus hautes instances juridictionnelles - pour la France, le Conseil d'Etat, la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel, et, pour l'Union européenne, la Cour de justice des Communautés européennes - font l'objet de la plus grande attention du Gouvernement. Ce dernier est également soucieux de respecter les dispositions de la convention européenne des droits de l'homme, telles qu'interprétées par la Cour européenne de Strasbourg. Il convient cependant de signaler que l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes, rendu le 11 mai dernier dans l'affaire C-296/98, concernait un sujet distinct de celui sur lequel portait l'arrêt du 16 décembre 1999. En l'occurrence, cet arrêt portait sur la question de savoir si la législation française, prévoyant la communication au ministre compétent, lors de la première commercialisation d'un modèle de contrat d'assurance, des conditions de ce contrat, était conforme au droit communautaire. En ce qui concerne la question, également évoquée par l'honorable parlementaire, des relations entretenues par les jurisprudences des deux cours de Luxembourg et de Strasbourg, le garde des sceaux a rappelé à plusieurs reprises la nécessité de veiller à la nécessaire complémentarité entre ces deux juridictions. Enfin, concernant l'évocation par l'honorable parlementaire de l'activité des magistrats français, le garde des sceaux ne peut que rappeler qu'en vertu de l'article 64 de la Constitution, il est exclu qu'il intervienne de quelque manière que ce soit pour influer sur les décisions rendues par les tribunaux. Le Gouvernement est cependant conscient de la nécessité de poursuivre l'effort de formation des magistrats au droit communautaire, formation qui relève, pour les magistrats de l'ordre judiciaire, de la compétence de l'Ecole nationale de la magistrature, en vertu de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature (et notamment son article 14). Le ministère de la justice a, pour sa part, développé un réseau de correspondants communautaires au sein des juridictions, animé par le service des affaires européennes et internationales, dont l'objet est d'assurer une information régulière et des échanges entre magistrats sur la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes.
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