FICHE QUESTION
11ème législature
Question N° : 46037  de  M.   Gantier Gilbert ( Démocratie libérale et indépendants - Paris ) QE
Ministère interrogé :  Premier Ministre
Ministère attributaire :  droits des femmes et formation professionnelle
Question publiée au JO le :  08/05/2000  page :  2782
Réponse publiée au JO le :  08/01/2001  page :  181
Date de changement d'attribution :  29/05/2000
Rubrique :  femmes
Tête d'analyse :  égalité des sexes
Analyse :  féminisation des noms de fonctions
Texte de la QUESTION : M. Gilbert Gantier attire l'attention de M. le Premier ministre sur les problèmes que continue à poser la féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre. La publication au Journal officiel du 23 avril des décrets, portant promotions et nominations dans l'ordre de la Légion d'honneur, conduit une nouvelle fois à s'interroger sur l'opportunité des choix retenus en ce domaine : Mme A. est « professeure » des universités, Mme M. « proviseure », Mme D. « ingénieure », Mme C « rectrice », Mme V. « conseillère régionale », Mme B. « contrôleuse d'Etat », Mme C. « administratrice civile », Mme G. « présidente de chambre ». Cette féminisation peut d'ailleurs conduire à des incertitudes. Ainsi Mme P. est « première vice-présidente », etc., ce qui conduit à s'interroger sur le point de savoir s'il existe aussi une liste des « vice-présidents » quel que soit leur sexe. Mme Le C. est « première substitute » du procureur de la République, etc. Le procureur de la République est-il bien lui-même de sexe masculin ? Dans le cas contraire n'aurait-il pas convenu d'écrire que Mme Le C. était « première substitute de la procureuse » ? Le Journal officiel recèle également des anomalies : Mme G. est « conseillère référendaire » à la Cour des comptes, mais Mme L. en est « conseiller-maître ». D'autres titres ne font l'objet que d'une féminisation partielle : Mme B. est « praticienne des hôpitaux », mais aussi « médecin ». Mme R. est « ancienne membre, etc. ». Les partisans les plus affirmés du féminisme regretteront enfin les titres d'un certain nombre de dames ne bénéficiant d'aucune féminisation : Mme L. est « conseiller d'Etat », Mme F. « chef du service », etc., Mme W. « chef de cabinet », etc. Plus curieux encore, les grades eux-mêmes auxquels sont nommées ou promues les intéressées ne font l'objet d'aucune féminisation telle que « chevalière, officière, commandeure », etc. Il apparaît donc que la féminisation, dans des documents officiels, des mots français exprimant titres, grades, métiers ou fonctions, demeure irrationnelle, de nature à dérouter non seulement les puristes mais aussi toute personne respectueuse de notre langue. Elle résulte de la conjonction d'usages récents, des prescriptions de « circulaires », de la pression d'un militantisme féministe très attentif, mais aussi de certaines réticences ; l'académicienne nommée par ses confrères à cette haute fonction a délibérément choisi de demeurer « secrétaire perpétuel » de l'Académie française. De même, bien que le terme d'avocate soit passé dans le langage courant, le papier à lettres professionnel des dames exerçant cette profession porte la mention : « avocat à la cour », etc. On peut, dans le même esprit, s'interroger sur l'opportunité de féminiser les termes représentatifs de certaines fonctions officielles. Ainsi, entend-on couramment aujourd'hui : Mme la ministre, Mme la députée, voire Mme la sénatrice, etc. bien que notre Constitution ne reconnaisse pas ces termes. La pratique a également adopté le terme de « préfète » pour désigner, non pas comme naguère l'épouse d'un préfet, mais une femme exerçant la fonction de « préfet », et tend même à qualifier d'« ambassadrice », non plus l'épouse d'un ambassadeur, mais une femme représentant elle-même l'Etat auprès d'un Etat étranger, etc. Lorsque la fonction de questeur aura été confiée à une femme dans nos assemblées, devra-t-on l'appeler Mme le questeur ou Mme la questeuse ou Mme la questrice ? etc. On peut donc légitimement s'interroger sur le point de savoir si nous ne sommes pas déjà allés trop loin dans le désir ingénu de modifier - sous prétexte de féminisation - une langue fixée pour l'essentiel depuis plusieurs siècles et reconnue comme un moyen d'expression accompli, sauf à intégrer parfois certains termes nés du progrès technologique. Ne convient-il pas de rappeler dans ce débat que le genre neutre fait partie du génie de la langue française, le grammairien Grévisse précisant que « le neutre (...) a disparu si on le considère comme forme spéciale du nom ou de l'adjectif, mais qu'il continue de vivre en français si on le considère dans sa valeur linguistique ». C'est ainsi que l'on pourrait dire par exemple qu'une « avocate » (féminin) exerce la profession « d'avocat » (neutre), que Mme X. exerce la fonction d'ambassadeur, Mme Y. la fonction de contrôleur d'Etat, d'administrateur civil, de conseiller référendaire à la Cour des comptes, de substitut, etc. Pour toutes ces raisons, et dans le souci d'éviter que nos fantasmes nationaux du moment ne l'emportent sur le caractère nécessairement pratique et international de notre langue, il lui demande s'il ne conviendrait pas, afin d'étayer les travaux poursuivis par la délégation générale à la langue française, de solliciter de l'Académie française une consultation ayant pour objet de déterminer les adaptations conformes au génie de la langue française qu'il conviendrait d'adopter pour prendre en compte la féminisation croissante de nombreuses fonctions ou professions, de la faire ratifier par le Parlement afin qu'elle se substitue aux circulaires ayant le même objet, et qu'elle complète ainsi l'article 2 de notre Constitution qui précise : « La langue de la République est le français ».
Texte de la REPONSE : L'honorable parlementaire a appelé l'attention de Mme la secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle sur la mise en oeuvre de la circulaire du 6 mars 1998 sur la féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre ainsi que sur sa pertinence. Comme le fait remarquer l'honorable parlementaire, les changements sont en cours et il est donc légitime que co-existent deux systèmes, l'ancien et le nouveau, pendant un certain temps. La législation concernant les femmes a beaucoup progressé depuis cinquante ans et cela fait douze ans qu'une première circulaire sur la féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre a été élaborée, qu'il a fallu réactualiser et mettre en oeuvre. Le législateur a sollicité la commission générale de sa terminologie et de néologie aux fins de faire le point sur l'état de la question. S'appuyant sur les résultats de ces travaux, le Premier ministre a demandé à l'Institut national de la langue française (INALF) d'élaborer un guide pour les usagers qui fait donc référence en la matière. La société est en évolution constante, la langue aussi ; la transformation des rôles sociaux des femmes et des hommes participe à ces évolutions. Dans ce contexte, une loi sur la parité a été votée le 3 mai 2000 à l'Assemblée nationale. La langue doit accompagner ces transformations, elle est le reflet des progrès sociaux réalisés. La féminisation correspond à un accompagnement de la réalité. Elle légitime la participation des femmes à toutes les fonctions de la société. Ces évolutions ne sont pas uniquement nationales ; ainsi, en Suisse, en Belgique et au Québec, la féminisation de la langue a été entreprise depuis plusieurs années. L'Académie française a déjà été consultée. Elle est de fait membre de droit de la commission générale de sa terminologie et de néologie (décret ministériel du 3 juillet 1996) et ses remarques ont conduit à la rédaction de la circulaire du 6 mars 1998. Cette commission ne souligne pas « d'obstacle de principe » à admettre la féminisation des noms de métier et profession ; en revanche, elle présente un désaccord s'il s'agit de la désignation de statuts de la fonction publique et de noms de fonction dans les textes juridiques. En conséquence, une réforme constitutionnelle n'apparaît pas nécessaire pour mettre en oeuvre des règles simples, mais dont les obstacles à la réalisation résident dans des résistances psychologiques qui perdureront quelque temps encore.
DL 11 REP_PUB Ile-de-France O