FICHE QUESTION
11ème législature
Question N° : 545  de  M.   Bret Jean-Paul ( Socialiste - Rhône ) QG
Ministère interrogé :  affaires étrangères
Ministère attributaire :  affaires étrangères
Question publiée au JO le :  23/04/1998  page :  2903
Réponse publiée au JO le :  23/04/1998  page :  2903
Rubrique :  politique extérieure
Tête d'analyse :  Turquie
Analyse :  génocide arménien. reconnaissance
DEBAT : M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Bret.
M. Jean-Paul Bret. Ma question s'adresse à M. le ministre des affaires étrangères.
Deux questions d'actualité ont été posées, hier, sur la reconnaissance du génocide arménien. A mon tour, je souhaiterais revenir sur ce sujet.
Pourquoi cette obstination ? Bien sûr, l'histoire mérite débat. Bien sûr, la recherche historique est une nécessité. Dans le même temps, chacun sait qu'il n'est pas possible de revenir sur certains faits sans attenter à la vérité.
Un député du groupe du Rassemblement pour la République. Et pourquoi ?
M. Jean-Paul Bret. Oui, le 24 avril 1915 marque bien le début d'un génocide, celui des Arméniens de l'Empire ottoman. Quoi qu'ait voulu faire croire la politique négationniste d'Etat menée par la Turquie et sa diplomatie, qui ont fait du mensonge une stratégie officielle, il ne s'agit pas de massacres, ni d'une version arménienne de l'histoire, mais bien d'un génocide répondant à la définition qu'en a donnée l'ONU le 9 décembre 1948.
Le gouvernement «Jeune-Turc» de 1915 a mis en place une organisation spéciale pour exterminer la population arménienne. Deux tiers des Arméniens sont morts sous la torture, exécutés, ou parce qu'ils étaient soumis à des conditions de vie insupportables. Des enfants arméniens ont été enlevés ou offerts à d'autres groupes ethniques. Tout cela a été prouvé. Il s'agit bien d'un génocide.
En 1984, le Président de la République, François Mitterrand, a d'ailleurs utilisé le terme de génocide, de même que le ministre des affaires étrangères, Claude Cheysson.
A l'Assemblée nationale, depuis plusieurs années déjà, des parlementaires issus de toutes les formations politiques républicaines ont déposé des propositions de loi tendant à la reconnaissance officielle par la France de ce génocide. A ce jour, ces propositions sont restées lettre morte.
Nous ne gagnerons rien à jouer sur les mots. La diaspora arménienne est née du deuil et de la souffrance. Nous l'avons aidée à survivre. Nous devons l'accompagner sur les chemins de sa mémoire, parce que sa mémoire est aussi la nôtre.
M. Guy Teissier. Ce n'est pas ce qu'ils demandent !
M. Jean-Paul Bret. La reconnaissance du génocide arménien n'est pas seulement l'affaire de la communauté arménienne. Elle est celle de tous les hommes. Chaque fois qu'un génocide est perpétré, c'est toute l'humanité qui bascule pour n'avoir pas voulu voir ou pour avoir laissé faire. Chaque fois qu'un génocide est nié, c'est toute l'humanité qui compromet son avenir.
Monsieur le ministre, quand prononcerez-vous officiellement le mot de génocide pour qualifier le drame qui, au début de ce siècle, a frappé la communauté arménienne de Turquie ? Le groupe socialiste, pour sa part, a décidé d'utiliser les possibilités que lui donne le règlement de l'Assemblée pour prendre l'initiative d'une proposition de loi et la conduire jusqu'à son terme législatif. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française.)
M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.
M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères. Comme vous l'avez indiqué, monsieur le député, le 24 avril 1915, commençaient en Turquie de terribles massacres: il est aujourd'hui établi qu'une partie importante de la population arménienne de ce pays, alors sous un régime finissant et secoué de convulsions, a été exterminée.
Depuis lors, cet anniversaire a toujours été commémoré avec beaucoup de recueillement et d'émotion. Comme beaucoup d'autres pays, la France est hantée par ce souvenir, mais plus qu'eux encore car nombre de survivants de ces massacres ont réussi à rejoindre notre territoire, y ont refait leur vie et ont apporté, au fil des générations, une contribution admirable et reconnue, non seulement à sa vie, mais à son identité, à sa culture et à son expression.
En effet, au début des années 80, le président Mitterrand avait parlé de «génocide» à ce sujet. Aujourd'hui, le Gouvernement s'associe à la peine et au souvenir des Arméniens. Il s'exprimera solennellement, par le biais d'un communiqué du Premier ministre, le 24 avril, jour anniversaire que vous rappeliez.
M. François Rochebloine. Ce n'est pas ce qu'on demande !
M. le ministre des affaires étrangères. Nous n'avons cessé de dire aux Turcs, et encore aux responsables de la Turquie actuelle, qu'il fallait aller beaucoup plus loin que la petite ouverture dont ils ont fait preuve en commençant à autoriser des historiens à faire leur travail d'objectivité et de vérité sur ces événements.
Même si c'est encore rare, on commence à voir des ouvrages publiés en langue turque qui restituent un récit de ces événements plus conforme à l'analyse que nous en faisons.
Nous les encourageons à aller plus loin car, pour tous les amis de la Turquie, comme pour tous les amis de l'Arménie, les amis des Turcs, les amis des Arméniens, dans le monde d'aujourd'hui...
M. Guy Teissier. Bla-bla-bla !
M. le ministre des affaires étrangères. ... par rapport à l'Europe d'aujourd'hui, il faut que ce travail soit fait pour construire l'avenir. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
M. François Rochebloine. La diaspora appréciera !
SOC 11 REP_PUB Rhône-Alpes O