Texte de la QUESTION :
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M. Christian Estrosi attire l'attention de M. le Premier ministre sur l'instauration d'un service minimum dans le service public. Si la jurisprudence considérait initialement la grève comme une rupture du « contrat de fonction publique » (Conseil d'Etat, 7 août 1909, Winkell), elle n'a eu de cesse d'assouplir sa position sur le droit de grève, jusqu'à le reconnaître aux fonctionnaires en 1950 (Conseil d'Etat, 7 juillet 1950, Dehaene), sur le fondement de l'article 7 du préambule de la Constitution de 1946 qui indique que « le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le règlementent ». Cette formule exige la conciliation entre le principe de valeur constitutionnelle qu'est le droit de grève et d'autres principes de même valeur. Ainsi il appartient au législateur de le réglementer, c'est-à-dire d'en soumettre l'exercice à des conditions, sous réserves que celles-ci n'aboutissent pas à priver ce droit fondamental de toute substance. Un service minimum pourrait sous cet angle être institué. Le Conseil constitutionnel et le Conseil d'Etat admettent par ailleurs que le droit de grève soit concilié avec d'autres principes de même valeur comme, par exemple, la liberté d'aller et venir ou encore la continuité du service public (Conseil constitutionnel, 2 juillet 1979, droit de grève à la radio). De même, la haute juridiction administrative estime qu'il est de la responsabilité de l'Etat d'y « apporter des limitations permettant d'en éviter un usage abusif ou contraire aux nécessités de l'ordre public ». Par ailleurs, les autorités administratives ont également le pouvoir de limiter l'exercice de ce droit, même sans habilitation légale (Conseil d'Etat, 7 juillet 1950, Dehaene). La législation actuelle ne prévoit pas, en dehors de quelques dispositions spécifiques, l'organisation d'un service minimal en cas de grève (service public de la radio et de la télévision, contrôle et sécurité de la navigation aérienne). D'autres catégories de fonctionnaires publics sont également en principe interdits de droit de grève (les magistrats, les personnels de l'administration pénitentiaire, les militaires, la police). Il lui demande de bien vouloir lui faire part de son sentiment sur ce sujet auquel les Français sont particulièrement sensibles. - Question transmise à M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
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Texte de la REPONSE :
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Le droit de grève reconnu aux agents du secteur public trouve sa source dans le septième alinéa du préambule de la constitution du 27 octobre 1946, confirmé par celui de la constitution du 4 octobre 1958, qui prévoit qu'il s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent. Il appartient donc aux pouvoirs publics de concilier la défense des intérêts professionnels, dont la grève est un moyen, avec la sauvegarde de l'intérêt général. La loi du 31 juillet 1963, codifiée dans les articles L. 521-2 à L. 521-6 du code du travail et qui s'applique à l'ensemble des personnels de l'Etat, des régions, des départements et des communes comptant plus de 10 000 habitants ainsi qu'aux agents des entreprises, organismes et établissements publics ou privés chargés de la gestion d'un service public, a de ce fait encadre la pratique de la grève dans le secteur public. Toute cessation concertée du travail doit ainsi être précédée d'un préavis qui doit parvenir à l'autorité concernée au moins cinq jours francs avec le début de la grève et en préciser le lieu, la date et l'heure de début ainsi que la durée. Cette période doit être consacrée à la négociation dans le but de parvenir à dénouer le conflit en amont. Les grèves tournantes sont interdites. L'inobservation de ces dispositions entraîne des sanctions, prévues par les réglementations applicables aux personnels concernés. En plus de cette réglementation générale du droit de grève dans le secteur public, plusieurs lois plus spécifiques sont venues en interdire l'exercice à certains agents publics, en particulier les magistrats, les militaires ainsi que les personnels de police, du service des transmissions du ministère de l'intérieur et de l'administration pénitentiaire. Par ailleurs, certains agents peuvent être astreints par la loi à un service minimum. Il en est ainsi par exemple des personnels de la navigation aérienne. Les limitations apportées par le législateur à l'exercice du droit de grève doivent naturellement s'inscrire dans le souci de préserver le fonctionnement des éléments du service dont l'interruption porterait atteinte aux besoins essentiels du pays - pour concilier le droit de grève avec le principe constitutionnel de continuité des services publics - ou à la protection de la santé et de la sécurité des personnes (DC 27 juillet 1979 et 29 juillet 1987, DC 22 juillet 1980). Enfin, en l'absence de textes législatifs, les ministres ou les chefs de service tirent de la jurisprudence du Conseil d'Etat Dehaene (7 juillet 1950) le pouvoir de réglementer l'exercice du droit de grève dans leurs services, en prévoyant notamment l'instauration d'un service minimum. Ainsi, les organes dirigeants des personnes morales chargées d'une mission de service public peuvent édicter des règles en matière d'exercice du droit de grève au sein de ces organismes. Toutefois, les limitations instaurées au droit de grève par le pouvoir réglementaire ne sauraient dépasser celles rendues strictement nécessaires par la conservation des installations et du matériel, la sécurité physique des personnes ou le fonctionnement des services indispensables à l'action gouvernementale. Les limitations imposées aux agents publics par le pouvoir réglementaire font l'objet d'un contrôle du juge qui se montre défavorable aux interdictions à caractère général et absolu. Le droit de grève fait donc l'objet dans le secteur public d'une réglementation qui tient à la fois compte de son caractère constitutionnel et de la nécessaire continuité du service public. Ainsi, l'instauration d'un service minimum généralisé ne saurait constituer une réforme adaptée tant aux besoins des usagers qu'à la résolution des conflits dans le secteur public. En s'appuyant sur la réglementation actuelle, il y a lieu plutôt de développer des dispositifs de prévention et de régulation des conflits sociaux. De tels dispositifs, respectueux du droit de grève garanti par la constitution, peuvent être négociés au niveau de chaque service public.
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