Texte de la QUESTION :
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M. Patrice Martin-Lalande demande à Mme le ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement quelles conséquences elle tire de la décision du tribunal administratif d'Orléans en date du 29 avril 1997 qui a condamné l'Etat pour les dégâts piscicoles résultant de la prolifération des cormorans. En effet, la lutte contre la prolifération et pour la réparation des dégâts qu'elle occasionne va entrer dans une nouvelle phase : d'une part, l'Etat disposera de plus de moyens de régulation grâce au déclassement partiel du cormoran au niveau européen et, d'autre part, l'Etat devra mieux réparer le préjudice subi par la pisciculture jusqu'alors complètement abandonnée face à ce sinistre. Sur le premier point, quelles instructions le Gouvernement compte-t-il donner aux préfets pour que les possibilités de régulation ouvertes par ce déclassement soient utilisées pleinement en fonction de chaque situation locale et qu'une évaluation des résultats permette de répondre réellement aux besoins d'exercice normal de l'activité piscicole ? Sur le second point, quand l'Etat indemnisera-t-il les victimes des dégâts occasionnés par la prolifération des cormorans qui ont fait l'objet de la décision de justice déjà évoquée ? D'autre part, sur la base de cette nouvelle jurisprudence, comment le Gouvernement compte-t-il instaurer un système d'indemnisation sans qu'il soit besoin de recourir à une décision judiciaire préalable ?
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Texte de la REPONSE :
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La ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement a pris connaissance de la question concernant la prolifération des cormorans. La protection du grand cormoran a été instituée à l'échelle de l'Europe, notamment dans les pays du Nord où l'espèce se reproduit. Cette protection a induit une expansion de l'espèce qui exerce une pression de plus en plus importante sur les eaux continentales. C'est pourquoi le ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement a engagé une politique de régulation des grands cormorans, visant à concilier la pérennité de l'espèce et la protection du milieu aquatique, afin de répondre à un objectif global d'équilibre des espèces. Depuis 1994, en application de l'arrêté du 17 avril 1981, modifié le 2 novembre 1992 pour ce qui concerne le grand cormoran, les préfets des départements sont autorisés par la ministre a délivrer, sur demande motivée, des autorisations de tir aux exploitants des étangs de pisciculture extensive. Ces autorisations étaient accordées département par département dans des secteurs géographiques arrêtés par la ministre et, dans la majorité des cas, pour un quota d'oiseaux limité à 5 % des cormorans présents sur le secteur concerné l'année précédente. Bien que le total des cormorans éliminés durant la campagne 1994-1995 ait dépassé les 3000, ces mesures sont apparues insuffisantes. Aussi après avis des conseils spécialisés, la ministre de l'environnement a décidé, en 1996, de porter les quotas de prélèvement de 5 à 10 %. Un dépassement de cette limite peut être autorisé par le préfet dans les départements à très forte concentration d'étangs et de cormorans. Afin de simplifier les démarches administratives, il a également été décidé d'aller plus loin dans la voie d'une déconcentration aux préfets de ces autorisations. Il appartient désormais aux préfets, en fonction de la situation locale et après avoir pris l'avis d'un comité réunissant les différents acteurs concernés, de déterminer les secteurs géographiques du département où les tirs sont autorisés. Le ministre de l'environnement a confié, en 1996, une mission d'expertise à deux directeurs de recherche, l'un du CNRS, spécialiste en ornithologie, l'autre de l'INRA, spécialiste en ichtyologie, afin qu'ils procèdent à une analyse globale de la situation et proposent des solutions de régulation conformes au respect des équilibres écologiques. Les mesures à prendre par le ministère de l'environnement à la suite de ce rapport ont fait l'objet d'une large concertation auprès de tous les acteurs concernés (associations de protection des milieux aquatiques, associations de protection des oiseaux, pêcheurs, pisciculteurs scientifiques...). Dès le début 1997, le ministère de l'environnement a pris, sur la base de propositions techniques du conseil supérieur de la pêche et après avis du conseil national de la protection de la nature, un arrêté autorisant, jusqu'au 31 mars 1997, des opérations expérimentales de destruction du grand cormoran. Cette opération a concerné un nombre limité de sites en eau libre accueillant des populations de poissons particulièrement menacées. Au vu des résultats de ces opérations, de l'ensemble des prélèvements effectués durant l'hiver 1996-1997 et des résultats du dénombrement de la population hivernante en France, effectué en janvier 1997, le dispositif a été adapté dans un objectif de stabilisation de l'espèce en France. Il repose sur les principes suivants : fixation d'un prélèvement national de 12 % des effectifs dénombrés en janvier 1997, répartis dans les départements en fonction du nombre d'oiseaux tués l'année précédente ; priorité d'intervention donnée à la protection des activités économiques liées aux piscicultures extensives en étang. Interventions sur les secteurs d'eau libre en périphérie des zones de piscicultures afin d'éviter le report des cormorans entre ces zones et les eaux libres périphériques ; reconduction des opérations expérimentales sur les eaux libres accueillant des espèces de poissons à valeur patrimoniale ; priorité d'intervention dès l'arrivée des cormorans afin de réduire plus efficacement les dégâts et d'éviter des opérations tardives occasionnant le dérangement d'autres espèces. Toutefois, l'essentiel des populations européennes de grands cormorans se reproduisant aux Pays-Bas ou au Danemark, c'est également dans ces pays et au niveau de l'Union Européenne que des mesures de régulation efficaces peuvent et doivent être prises. Le comité d'adaptation de la directive du conseil n° 79/409/CEE relative à la conservation des oiseaux sauvages, a proposé que la sous-espèce Phalacrocorax carbo sinensi soit retirée de l'annexe I de cette directive, cette annexe regroupant les espèces nécessitant des mesures de protection particulière de leur habitat en application de l'article 4 de la directive. Une modification de la directive communautaire est intervenue en ce sens le 19 juillet 1997. Cette modification qui ne concerne que l'habitat de l'espèce n'a pas d'incidence sur le régime de protection de l'espèce tel qu'il est prescrit par l'article 5 de la directive et tempéré par le dispositif de dérogation prévu à l'article 9 de celle-ci. Ce déclassement ne conduit donc pas à une modification du statut juridique de l'espèce en droit français, le grand cormoran demeure une espèce protégée dans les conditions prévues à l'arrêté du 17 avril 1981 modifié fixant la liste des oiseaux protégés sur le territoire national. Pour ces motifs, il n'est pas envisagé, à ce jour, de donner aux préfets des directives dans le sens d'un renforcement du processus de régulation de l'espèce Phalacrocorax carbo sinensi. Sur la question de savoir si le jugement du tribunal administratif d'Orléans du 29 avril serait au bénéfice des requérants, il convient de vous indiquer que les services du ministre chargé de la protection de la nature ont mis en oeuvre la procédure de règlement des sommes dues par l'Etat. Pour ce qui est de l'instauration d'un système d'indemnisation des dégâts imputables aux grands cormorans, il convient de souligner qu'il a été fait appel de la décision juridictionnelle du 29 avril 1997. Il n'est pas envisagé de mettre en place un procédé de réparation financière car le principe de l'absence de responsabilité de l'Etat du fait de la loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature (et codifiée articles L. 211-1 et suivants du code rural), et des textes pris pour son application, a été clairement réaffirmé par le conseil d'Etat dans un arrêt « Plan » rendu le 21 janvier 1998. Il est très probable que, s'agissant des dommages subis par les piscicultures, le juge d'appel fera de cette jurisprudence de la Haute Assemblée une juste application.
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