FICHE QUESTION
11ème législature
Question N° : 922  de  M.   Goulard François ( Démocratie libérale et indépendants - Morbihan ) QOSD
Ministère interrogé :  économie
Ministère attributaire :  économie
Question publiée au JO le :  28/06/1999  page :  3878
Réponse publiée au JO le :  30/06/1999  page :  6521
Rubrique :  énergie et carburants
Tête d'analyse :  EDF
Analyse :  prise de participation dans l'entreprise Clemessy. légalité
Texte de la QUESTION : M. François Goulard attire l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur l'annonce, par Electricité de France, le 20 mai 1999, de sa prise de participation de 45 % dans le capital de l'entreprise Clemessy, spécialisée dans les installations électriques et l'ingénierie des réseaux. Le projet de loi sur la modernisation et le développement du service public de l'électricité étant toujours en cours d'examen, Electricité de France reste soumise à la loi du 8 avril 1946 pour ce qui est de la définition de sa compétence et de son objet social. Elle doit en outre respecter le principe de spécialité tel qu'il se dégage de la jurisprudence du Conseil d'Etat. C'est pourquoi il est permis de s'interroger sur la légalité de la prise de participation évoquée ci-dessus, qui devrait conduire EDF à intervenir dans des domaines nouveaux. Sur un plan formel, le décret du 9 août 1953, modifié, dispose que de telles opérations doivent être approuvées par un arrêté conjoint du ministre de l'économie et des finances et du ou des ministres intéressés. Aussi lui demande-t-il si la prise de participation d'EDF dans l'entrepris Clemessy a fait l'objet d'un arrêté d'approbation.
Texte de la REPONSE : M. le président. M. François Goulard a présenté une question, n° 922, ainsi rédigée:
«M. François Goulard attire l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur l'annonce, par Electricité de France, le 20 mai 1999, de sa prise de participation de 45 % dans le capital de l'entreprise Clemessy, spécialisée dans les installations électriques et l'ingénierie des réseaux. Le projet de loi sur la modernisation et le développement du service public de l'électricité étant toujours en cours d'examen, Electricité de France reste soumise à la loi du 8 avril 1946 pour ce qui est de la définition de sa compétence et de son objet social. Elle doit en outre respecter le principe de spécialité tel qu'il se dégage de la jurisprudence du Conseil d'Etat. C'est pourquoi il est permis de s'interroger sur la légalité de la prise de participation évoquée ci-dessus, qui devrait conduire EDF à intervenir dans des domaines nouveaux. Sur un plan formel, le décret du 9 août 1953, modifié, dispose que de telles opérations doivent être approuvées par un arrêté conjoint du ministre de l'économie et des finances et du ou des ministres intéressés. Aussi lui demande-t-il si la prise de participation d'EDF dans l'entreprise Clemessy a fait l'objet d'un arrêté d'approbation.»
La parole est à M. François Goulard, pour exposer sa question.
M. François Goulard. Monsieur le secrétaire d'Etat à l'industrie, cette question s'inscrit dans la droite ligne d'un débat que nous avons eu il y a quelques mois dans cette enceinte, lors de l'examen en première lecture du projet de loi sur la modernisation et le développement du service public de l'électricité. Nous avions alors longuement débattu de l'extension de compétences de l'établissement public et de la modification que vous souhaitez apporter à la définition de l'objet social d'EDF. Nous avions exprimé nos craintes que, ce faisant, vous ne mettiez EDF en position de concurrence déloyale au détriment d'un grand nombre d'entreprises privées intervenant dans le domaine de l'installation et de l'ingénierie électrique - ce qui inquiète fortement tout un secteur d'activité comprenant à la fois de très grandes entreprises et de nombreuses PME.
Quoi qu'il en soit, nous sommes aujourd'hui, en droit positif, sous l'empire de la loi de 1946 et nous sommes soumis à la jurisprudence du Conseil d'Etat concernant la spécialité des établissements publics. C'est bien ce droit qui s'applique, et non celui qui résultera de l'adoption de votre projet de loi.
Au regard à la fois de la définition de l'objet social selon la loi de 1946 et du principe de spécialité défini par la jurisprudence du Conseil d'Etat, certaines prises de participation d'EDF suscitent notre inquiétude et nous nous interrogeons même sur leur légalité.
J'aurais pu en citer ce matin de nombreux exemples. J'ai choisi la prise de participation dans une entreprise assez importante, Clemessy, spécialisée dans les installations électriques et l'ingénierie des réseaux. Aux côtés de la COGEMA, autre entreprise publique, et de Siemens, qui n'y a qu'une participation résiduelle, EDF a décidé de porter à 45 % sa participation au capital de cette entreprise, ce qui revient à racheter, avec COGEMA, cette entreprise jusqu'alors privée.
Un arrêté du ou des ministres compétents a-t-il été pris, comme le prévoit un décret de 1953 modifié en 1978, pour approuver des prises de participation réalisées par des organismes publics ? Derrière cette question qui peut paraître très formelle, il s'agit de savoir si le Gouvernement approuve la politique d'extension de ses compétences menée par l'entreprise publique et s'il entend mettre un frein à cet appétit qui nous paraît excessif et qui risque de lui permettre de faire une concurrence déloyale à d'autres acteurs de ce secteur. La concurrence serait déloyale à deux titres: d'une part, parce que EDF, acteur public, est de ce fait placé dans des conditions différentes des acteurs privés; d'autre part, parce que, même après l'ouverture à la concurrence, nous savons très bien qu'EDF restera le producteur d'électricité dominant dans le paysage électrique français. La concurrence ne peut donc pas être loyale s'agissant de réaliser des installations électriques ou de délivrer des prestations d'ingénierie électrique.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie. Monsieur le député, en effet le groupe EDF a acquis, au sein d'un groupement constitué avec les entreprises COGEMA et Siemens une participation dans la société Clemessy, qui opéra dans le secteur des installations industrielles électriques et les automatismes.
Même si cette opération ressortit d'abord au droit des affaires et des relations commerciales entre des entreprises, elle concerne également les pouvoirs publics, dans la mesure où elle relève du droit de la concurrence et où elle est relative, vous venez de le dire, à l'extension de l'objet légal d'EDF. Sur ces aspects, elle soulève, en effet, certaines questions.
En premier lieu, malgré la part limitée occupée par la société Clemessy sur ses marchés, la prise de contrôle éventuelle par EDF nécessite un examen au titre du contrôle des concentrations.
En deuxième lieu, cette affaire doit être appréciée, vous venez de le dire, au regard du projet de loi de développement et de modernisation du service public de l'électricité, qui stipule, en son état actuel - adopté par l'Assemblée nationale en première lecture - qu'EDF et ses filiales doivent se limiter, en ce qui concerne les clients non éligibles, aux prestations de conseil destinées à promouvoir la maîtrise de la demande d'électricité, à l'exclusion des services portant sur la réalisation ou l'entretien des installations intérieures, la vente et la location d'appareils utilisateurs d'énergie. En ce qui concerne les clients éligibles, le groupe EDF devrait être autorisé, en revanche, selon le projet de loi, qui viendra en discussion au Sénat au mois d'octobre, à proposer une offre globale de prestations techniques ou commerciales accompagnant la fourniture d'électricité. On distingue donc bien clients éligibles et clients non éligibles.
J'ai donc, dans l'esprit de ce qui devrait devenir le droit positif dans quelques semaines, demandé au président d'EDF de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer le respect de ces dispositions. Je lui ai, en particulier, demandé l'engagement formel, dès maintenant, dans le respect des contraintes industrielles et commerciales de Clemessy, de préparer son retrait des clientèles non éligibles et d'assurer l'autonomie commerciale de Clemessy par rapport à EDF. Je crois être clair et aller dans le sens du projet de loi.
En outre, considérant que la société Clemessy ne pouvait être l'unique prestataire de services des consommateurs éligibles qui continueront d'être les clients d'EDF, j'ai indiqué au président d'EDF que je ne verrais que des avantages à ce que les professions et l'établissement public se rapprochent afin d'examiner les modalités du «code de bonne conduite» dont l'instauration a été souhaitée lors de la réunion du 7 avril 1998 de l'Observatoire de la diversification à EDF.
Ce que je viens d'énoncer devant vous, monsieur le député, est une demande des professions. Il faut qu'elle se concrétise rapidement par un vrai dialogue entre EDF et ces autres professionnels du secteur de l'électricité.
Il faut ajouter que mes services organiseront, dès la rentrée prochaine, une réunion de cet observatoire, qui doit être l'occasion d'un échange de vues sur l'ensemble des questions relevant de la compétence de cet organisme, avant le débat en deuxième lecture à l'Assemblée nationale du projet de loi sur la modernisation et le développement du service public de l'électricité.
Enfin, les textes relatifs au contrôle économique et financier de l'Etat me semblent respectés, dans le cas d'espèce: l'acquisition étant effectuée par une holding du groupe EDF, elle ne nécessite pas une approbation ponctuelle par arrêté ministériel.
Je veille néanmoins à bien respecter l'esprit du texte voté par l'Assemblée et croyez bien que je n'hésiterai pas à bien marquer les frontières de ce qui est permis et de ce qui ne l'est pas dans le cadre du développement du service public de l'électricité et d'une saine concurrence, ouverte et loyale, telle qu'elle a été voulue par la directive européenne sur le marché intérieur de l'électricité.
M. le président. La parole est à M. François Goulard.
M. François Goulard. Merci, monsieur le secrétaire d'Etat, de votre réponse qui nous montre que votre préoccupation rejoint la nôtre, puisque vous avez jugé opportun d'entourer cette prise de participation d'EDF d'un certain nombre de conditions restrictives.
Cependant, je m'étonne que vous vous référiez aussi explicitement à un projet de loi qui, sans doute, sera adopté - c'est une question de mois plutôt que de semaines - mais dont les dispositions, en tout état de cause, ne sont pas en vigueur.
Au surplus, il n'est pas exclu que le juge constitutionnel censure tout ou partie de votre texte. L'exception d'irrecevabilité que j'avais défendue lors de l'examen en première lecture n'a certes pas été votée, mais les arguments d'inconstitutionnalité que j'avais développés pourraient - en tout cas, on peut aujourd'hui l'envisager - être retenus par le juge constitutionnel.
Aujourd'hui, en droit positif, je le répète, c'est la loi de 1946 et la jurisprudence du Conseil d'Etat qui s'appliquent. C'est pourquoi je maintiens que cette prise de participation pose un vrai problème.
Cela dit, je salue votre préoccupation de ne pas laisser cette entreprise publique se placer en situation de concurrence déloyale, même si je pense que vous devriez être plus restrictif.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. le secrétaire d'Etat à l'industrie. Monsieur le député, même sous l'empire de la loi future, dont je vous concède qu'elle ne devrait être adoptée définitivement par le Parlement que dans quelques mois, la loi de 1946 continuera de s'appliquer dans la plupart de ses aspects. Nous en avons discuté abondamment ici. Aujourd'hui, j'ai la conviction très ferme que la prise de participation d'EDF dans le capital de l'entreprise Clemessy que nous avons décrite est conforme tant à la jurisprudence du Conseil d'Etat concernant l'application du principe de spécialité de l'entreprise, qu'à la loi de 1946. C'est pourquoi cette situation ne m'inquiète pas et n'appelle pas d'observation particulière de ma part.
Mais j'ai souhaité placer ma réponse, comme vous votre question, dans une perspective dynamique, celle du nouveau champ juridique dont le Parlement exprimera la volonté.
Convenons donc, les uns et les autres, d'être vigilants afin de bien faire respecter les grands principes qui doivent guider l'entreprise nationale, et ceux de loyauté dans la concurrence et de non-concentration qui doivent régner sur le marché intérieur de l'électricité.
DL 11 REP_PUB Bretagne O