FICHE QUESTION
11ème législature
Question N° : 9807  de  M.   Sarre Georges ( Radical, Citoyen et Vert - Paris ) QE
Ministère interrogé :  affaires étrangères
Ministère attributaire :  affaires étrangères
Question publiée au JO le :  09/02/1998  page :  609
Réponse publiée au JO le :  01/06/1998  page :  2972
Rubrique :  organisations internationales
Tête d'analyse :  ONU
Analyse :  cour pénale internationale. création. attitude de la France
Texte de la QUESTION : M. Georges Sarre attire l'attention de M. le ministre des affaires étrangères sur la position de la France à l'égard des juridictions pénales internationales spéciales de La Haye et d'Arusha, dans la perspective de la constitution en juin 1998 d'une cour criminelle internationale permanente, décidée en décembre 1996 par l'assemblée générale des Nations Unies. En ce qui concerne le tribunal pénal pour le Rwanda (TPR), il s'interroge sur la prétendue affirmation des services du procureur selon laquelle « les autorités françaises ne [leur] ont fait parvenir jusqu'à ce jour que de vagues synthèses sans intérêt » (le Figaro, 15 janvier 1998) et attend de M. le ministre des affaires étrangères des éclaircissements sur ce point, de nature à dissiper les sous-entendus malveillants d'une telle assertion. En ce qui concerne le tribunal pénal international (TPI) de La Haye, réprouvant vivement le mauvais procès d'intention fait à la France, il estime que le débat doit s'affranchir de toute exclusive et invective simplificatrices, pour être restitué dans sa complexité sans en occulter les ambiguïtés, en ce qui concerne par exemple la définition assez floue du mandat de la SFOR en Bosnie, autorisant les militaires de l'Alliance à arrêter les personnes recherchées par le TPI s'ils les rencontrent alors qu'ils remplissent leurs missions habituelles. Il rappelle à cet égard que la politique de la SFOR en matière de criminels de guerre est décidée par le Conseil de l'Atlantique Nord et que son mandat ne couvre pas expressément la recherche de criminels de guerre, comme le rappelait récemment le secrétaire général de l'OTAN. Les quelques arrestations de vive force, par des commandos britanniques, néerlandais ou américains de l'OTAN, de personnes recherchées par le TPI ne tranchent donc nullement le problème au fond ; la conciliation problématique du plein accomplissement de la justice en ex-Yougoslavie avec la nécessité d'éviter un nouvel embrasement du conflit, sachant que la mission de la SFOR est avant tout de soutenir le processus de paix et que la coopération des autorités serbes, croates et bosniaques avec le TPI conditionne largement le devenir du processus de paix - en ce qu'elle permet de mesurer leur degré d'engagement concret en faveur d'un règlement durable du conflit ; les garanties procédurales indispensables au bon fonctionnement du TPI, afin de « bien distinguer les accusés de crimes de guerre des témoins » et de ne pas mettre « sur le même plan des témoins, des militaires de hauts rangs, des généraux qui ont pris des responsabilités très difficiles », comme le souhaite légitimement M. le ministre des affaires étrangères. A quelques mois de la Conférence de Rome où devrait être conclu un traité établissant une cour criminelle internationale (CCI) permanente, il souhaite donc qu'il fasse le point de la position française à l'égard du TPI et du TPR et précise également la vision française de cette future CCI, en particulier sur les points suivants : la définition des crimes qu'elle aura vocation à juger, l'étendue de sa juridiction, ses modalités de saisine, le statut de son procureur et l'indépendance de ses juges, ses relations avec le Conseil de sécurité, ses soutiens financiers, les modalités de sa coopération avec les Etats (dans le cas notamment où les auteurs présumés de crimes poursuivis par la cour auraient trouvé refuge sur le territoire d'un Etat signataire), ainsi que sur le rôle de police internationale que seraient éventuellement appelés à jouer les Casques bleus dans ce cadre.
Texte de la REPONSE : L'honorable parlementaire a bien voulu appeler l'attention du ministre des affaires étrangères sur la position de la France à l'égard des tribunaux pénaux internationaux. La France a soutenu la création, par le Conseil de sécurité, des tribunaux ad hoc pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda. Nous avons été l'un des premiers pays à intégrer en droit interne les dispositions des résolutions pertinentes du Conseil (lois du 2 janvier 1955 et du 22 mai 1996). La France entretient des relations suivies avec les deux tribunaux. En ce qui concerne le tribunal pour le Rwanda, nous avons reçu à deux reprises en 1997 le procureur, madame Louise Arbour, et une visite du président du tribunal, monsieur Laity Kama, s'est déroulée les 11 et 12 septembre 1997. Le soutien de la France au tribunal est politique : il se manifeste constamment au sein du Conseil de sécurité où la France vient de soutenir le projet de création d'une chambre supplémentaire du tribunal. Notre contribution annuelle au fonctionnement du tribunal d'Arusha s'élève à 3,54 millions de dollars pour 1998 et nous finançons également l'équipement audiovisuel des salles d'audience en vue notamment de garantir une meilleure protection des témoins. Dès 1996, la France a transmis au tribunal les rapports sur l'opération Turquoise établis pat le général Lafourcade. Loin de les considérer sans intérêt, le tribunal a largement exploité ces documents dans les instructions en cours et a sollicité sur cette base des auditions préliminaires de militaires français. Ces auditions se sont déroulées en 1997. S'agissant de l'ex-Yougoslavie, il convient de rappeler que la France est engagée dans le processus en cours depuis l'origine. Elle a payé son engagement d'un lourd tribut puisque soixante-dix de nos compatriotes ont perdu la vie en Bosnie dans l'exercice de leur devoir. Nous sommes à l'origine de la résolution 827 portant statut du tribunal. La France a en effet la conviction que la poursuite et le jugement des responsables d'atrocités commises pendant le conflit constituent des éléments déterminants du processus de paix et des démocratisations dans la région. Le fait que des criminels demeurent en liberté pèse effectivement sur les chances d'un règlement durable. L'obligation de coopération des parties, y compris pour la remise des inculpés au tribunal pénal international, est inscrite dans la résolution 827 et réaffirmée dans les accords de paix signés le 14 décembre 1995. Tant au sein du Conseil de sécurité que dans le cadre du comité de suivi des accords de paix, la France et ses partenaires prennent toutes les mesures en vue de promouvoir la coopération des parties. L'usage de la force n'est pas exclu, conformément aux résolutions pertinentes du Conseil de sécurité. La France a toujours affirmé que la force de stabilisation créée par les résolutions 1031 et 1088 (SFOR) était pleinement habilitée, lorsque le défaut de coopération des parties est avéré, à procéder à des opérations d'arrestations et à remettre les inculpés au tribunal. De telles opérations sont décidées par le commandement de l'OTAN, en fonction de la situation opérationnelle sur le terrain. Tous les contingents nationaux présents sur le terrain et notamment le contingent français de 3 500 hommes jouent pleinement leur rôle à cet égard. La France coopère par ailleurs avec le TPI ex-Yougoslavie conformément à la résolution 827 et à la loi française d'adaptation. Compte tenu de notre présence sur le terrain au sein de la FORPRONU, nous sommes très sollicités. Près d'une trentaine d'auditions préliminaires d'agents publics français, y compris des officiers généraux, ont été organisées. Si le témoignage à La Haye de ces personnels est sollicité, la France respectera ses obligations. L'honorable parlementaire a également évoqué la négociation en cours, sous l'égide des Nations-Unies, en vue de créer une cour criminelle internationale de nature permanente. La France est largement à l'origine de l'idée d'une telle juridiction qui sanctionnerait les auteurs des crimes les plus odieux et permettrait de lutter contre l'impunité dans le monde. Notre objectif consiste à créer une cour internationale efficace, crédible, ayant une vocation universelle et susceptible de résister à l'épreuve du temps. Cette quadruple exigence nous conduit à privilégier l'option d'un statut détaillé, qui contiendrait notamment les principes essentiels de droit pénal et de procédure applicables par la future juridiction, assurant ainsi une certaine stabilité juridique. Des règles de procédures spécifiques, adaptées à une instance internationale, ont pu être élaborées. La France a fait en ce domaine des propositions importantes : notre idée d'une chambre préliminaire de juges qui superviserait la légalité des actes du procureur pendant la phase d'instruction, et assurerait l'égalité des armes entre la défense et l'accusation, a permis de dépasser l'opposition traditionnelle entre le droit romano-germanique et common law et de mettre en place un système équilibré. La France s'est prononcée par ailleurs pour que la compétence matérielle de la cour soit limitée à un « noyau dur » de crimes particulièrement graves : génocide, crimes contre l'humanité, crimes de guerre (cette expression recouvrant également, dans le statut de la cour, les violations du droit humanitaire international). Certains Etats suggèrent d'ajouter des crimes comme le terrorisme ou le trafic de drogue qui sont des crimes d'une autre nature et tous les pays occidentaux souhaitent éviter de tels amalgames. La future juridiction pourra être saisie soit par un Etat partie à la convention, soit par le Conseil de sécurité. La saisine ex oficio du procureur figure également parmi les options. La France s'est prononcée contre cette solution qui donnerait à une personne des prérogatives exorbitantes et pourrait mettre en cause l'équilibre institutionnel des Nations-Unies, auquel nous sommes attachés. Nous avons toutefois accepté d'examiner à Rome une nouvelle option, prévoyant une autosaisine collégiale, conjointe, de la cour et de la chambre préliminaire. L'efficacité de la future cour dépendra étroitement de la coopération des Etats. L'expérience des deux tribunaux ad hoc le démontre quotidiennement. Dans cet esprit, nous prônons la définition détaillée des obligations des Etats vis-à-vis de la cour : les modalités de l'entraide judiciaire, ou du transfert d'éventuels inculpés vers la cour, seront définis avec précision dans le statut. La France a estimé de surcroît qu'un régime de consentement des Etats à la compétence de la cour, selon des modalités à préciser, serait une garantie de leur future coopération. En cas de non-coopération, les juges pourraient saisir soit la conférence des Etats parties, soit le Conseil de sécurité, soit - selon certaines délégations - l'assemblée générale des Nations-Unies. Nous avons le souci d'éviter que la cour ne soit utilisée comme une tribune politique, saisie de plaintes abusives, « frivoles » selon l'expression des Etats-Unis qui partagent cette préoccupation, dont le seul objet serait de mettre en cause l'action extérieure des grands pays ou les décisions du Conseil de sécurité. Les forces déployées sur des théâtres extérieurs, notamment dans le cadre d'opérations de maintien de la paix, pourraient être les cibles de telles plaintes émanant d'autorités contestables. Il convient donc d'introduire dans le statut des dispositions protectrices. De nombreux pays pourvoyeurs de forces de maintien de la paix ainsi que des organisations humanitaires dont l'efficacité dépend de l'implication de telles forces sur le terrain se rendent comptent aujourd'hui, tardivement, de l'existence de ces risques. Pour la France, la question des relations futures entre la cour et le Conseil de sécurité est déterminante. Il a beaucoup été dit que le Conseil de sécurité et notamment les membres permanents ne devaient pas entraver l'action de la CCI. C'est oublier que le Conseil de sécurité a créé, à l'initiative de la France et des Etats-Unis notamment, les deux tribunaux pénaux internationaux existants. C'est oublier également que la force de stabilisation des Nations-Unies en Bosnie contribue à l'efficacité du TPI ex-Yougoslavie. Il nous paraît normal de prévoir, dans le statut, un rôle majeur du Conseil de sécurité car la plupart des situations qui intéresseront la cour, compte tenu de leur nature et de leur gravité (génocide, crimes de guerre...) intéresseront également le Conseil de sécurité, qui reste l'organe principal chargé de gérer les situations de menace ou d'atteinte à la paix et à la sécurité internationale. Si la cour devait intervenir d'une manière qui ne soit pas cohérente avec l'action du conseil dans une telle situation, ou au moment de la négociation d'un accord de paix sous les auspices des Nations-Unies, sa crédibilité en serait durablement affectée. La France, dont les positions sont susceptibles d'évolution d'ici Rome, participera activement à la conférence de Rome, du 15 juin au 17 juillet prochain, qui permettra de finaliser le projet de statut.
RCV 11 REP_PUB Ile-de-France O