Texte de la REPONSE :
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Les négociations du cycle de Doha, lancées en 2001, ont été suspendues sine die, à la fin du mois de juillet, par le directeur général de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), en raison de l'impossibilité, patente depuis plusieurs mois, de trouver un accord entre les grands acteurs de la négociation agricole (Union européenne, États-Unis, Inde, Brésil). Tout au long de ces cinq ans de négociation, l'agriculture aura pesé d'un poids déterminant, tant sur la substance que sur le rythme des négociations, conditionnant souvent les concessions faites dans d'autres domaines (industrie, services). La négociation agricole avait cependant enregistré de nombreuses avancées, si bien qu'on pouvait la décrire il y a quelque mois comme mûre pour un accord final. C'est bien plutôt l'incapacité politique de certains acteurs (États-Unis, Inde) à faire des compromis dans la dernière ligne droite qui a abouti à cet échec. La négociation agricole comprend trois piliers et un certain nombre de questions thématiques. Le pilier « soutien interne », qui concerne les subventions agricoles proprement dites, a fait l'objet de vifs débats ces derniers mois : les Etats-Unis ont refusé d'abaisser leur soutien interne plus qu'ils ne l'avaient proposé le 10 octobre 2005, à savoir une baisse de 60 % de leur boîte orange (soutiens distorsifs) et de 53 % du soutien distorsif total (qui englobe également les soutiens moins distorsifs de la boîte bleue et les soutiens exonérés de boîte orange). L'Union européenne avait pour sa part annoncé sa disponibilité à abaisser sa boîte orange et son soutien distorsif total de 75 %, à condition que les États-Unis fassent 65 % d'effort. Les pays émergents du G20 demandaient 80 % à l'Europe et 75 % aux États-Unis, si bien que la position européenne pouvait constituer un compromis. Mais les États-Unis, dont le Congrès est très soucieux en cette année électorale de garder l'intégralité de sa marge de manoeuvre politique dans les discussions autour de la future loi agricole quinquennale (Farm Bill), ont refusé de faire descendre leurs soutiens distorsifs au-dessous de ce qu'ils utilisent cette année, soit un peu moins de 20 milliards de dollars. Sur la boîte bleue, le principe d'un plafonnement à 2,5 % de la production agricole était acquis, comme l'était la présence de nouvelles disciplines par produit afin de limiter les possibilités de notification des paiements contracycliques américains dans cette boîte. Sur la boîte verte (soutiens non distorsifs), les discussions autour de la « clarification » des critères ne s'orientaient pas vers des changements de substance : tout au plus était-il proposé d'introduire la notion de périodes de référence fixes et inchangées pour éviter que les paiements découplés ne soient trop souvent revus à la hausse, et certaines dispositions favorables aux pays en développement. Sur le pilier « concurrence à l'exportation », qui comprend les subventions export et mesures équivalentes, les discussions s'étaient focalisées, à la conférence de Hong Kong de décembre 2005, sur la date d'élimination des subventions. L'Union européenne avait dû accepter la date de fin 2013, tout en précisant que les modalités concrètes de cette élimination ne seraient négociées que lorsqu'un « parallélisme » suffisant aurait été atteint sur les mesures ayant des effets équivalents : aide alimentaire abusive, entreprises commerciales d'État exportatrices et crédits export. La Commission s'était engagée devant les États membres à faire tous ses efforts pour que l'élimination des restitutions se fasse en valeur, et non en volume. Cette discussion n'a pas été abordée, dans la mesure où les travaux techniques se sont focalisés sur les mesures relevant du « parallélisme ». Sur l'aide alimentaire, le principe d'une « boîte sûre » pour l'aide d'urgence, pouvant être en nature, était acquis, mais les disciplines en dehors de la boîte sûre (monétisation de l'aide, gratuité, conversion de l'aide en nature en aide financière déliée) ne faisaient pas l'objet d'un consensus. Les pays en développement craignaient notamment que ces disciplines ne réduisent le flux de l'aide américaine, en nature et liée, qui représente bon an mal an 60 % des flux d'aide dans le monde. Aucun consensus non plus n'était perceptible sur la question de l'élimination du pouvoir de monopole des entreprises commerciales d'État : ce sujet opposait les pays développés du groupe de Cairns (Canada, Australie) et l'Union européenne et les États-Unis, favorables à l'élimination. Sur les crédits export, il était acquis que les crédits de plus de cent-quatre-vingts jours seraient éliminés, mais les États-Unis ne voulaient pas concéder des disciplines sur les crédits plus courts que cent-quatre-vingts jours (par exemple, l'équilibre de gestion sur une période courte). Le pilier le plus conflictuel a été sans conteste celui de l'accès au marché (droits de douane). La négociation portait sur la formule de réduction des droits (taux de réduction progressifs dans les quatre « bandes » de la formule), les exceptions (nombre et traitement des produits sensibles, produits spéciaux pour les pays en développement) et les clauses de sauvegarde. Les États-Unis voulaient des réductions très fortes (66 % de baisse moyenne) en contrepartie de la baisse de leurs soutiens internes, tandis que l'Union européenne proposait 39 % dans son offre du 28 octobre 2005, en contrepartie de gains industriels. La France et treize autres Etats membres alertés par le Gouvernement ont toujours considéré que cette offre du 28 octobre était aux limites du mandat de la Commission européenne, qui prévoit de ne pas remettre en cause la politique agricole commune réformée en 2003. Le G20 proposait pour sa part une formule aboutissant à une réduction de 54 %, mais ne voulait pas ouvrir ses marchés industriels. Lors de la réunion ministérielle de Genève au mois de juin, le commissaire Mandelson a fait une nouvelle offre à 49 % de réduction, malgré les avertissements de la France, et a déclaré sa disponibilité à aller jusqu'à 51,5 %. Cependant, l'Inde et les pays en développement défensifs ont refusé d'accepter une formule ambitieuse face au refus très protecteur des États-Unis de leur accorder des produits spéciaux, et une clause de sauvegarde. Sur le nombre de produits sensibles, l'Union européenne maintenait son offre à 8 %, mais ne faisait pas mystère de sa capacité à diminuer ce chiffre, tandis que les États-Unis et le G20 parlaient de 1 %. La Commission avait enfin fait des concessions sur le traitement de ses produits sensibles, en accordant des contingents tarifaires à hauteur de 2 % de la consommation intérieure, mais sans utiliser ce critère. Enfin, la question de savoir si la clause de sauvegarde spéciale actuelle survivrait à un accord n'a pas été tranchée. Sur les autres sujets, la question des indications géographiques n'avait pas fait l'objet de discussions malgré les demandes répétées de l'Union européenne. Sur le coton, il était prévu d'éliminer les subventions export dès 2006, mais les soutiens internes au coton continuaient à dépendre des discussions générales sur ce sujet. L'érosion des préférences, sujet de préoccupation des pays les plus pauvres, avait fait l'objet de propositions, ainsi que des sujets secondaires comme les produits tropicaux ou l'escalade tarifaire. Sur la banane, la Commission espérait résoudre le conflit nous opposant à certains pays d'Amérique latine par le biais d'un « paquet global » conclu en marge du cycle. Tous ces sujets sont remis à plus tard, en vertu du principe de l'« engagement unique ». Nous n'avons aucune visibilité à ce stade sur une éventuelle reprise des discussions. Même si des contacts peuvent être renoués en décembre, après les élections de mi-mandat américaines, il n'est pas impossible que les négociations ne reprennent qu'en 2008 ou 2009. Il faudra en plus que le futur président américain obtienne de son Congrès une autorisation de négociation (« fast track »), ce qui n'est pas acquis. Il est alors improbable que les modalités discutées en 2006 soient reprises. Une discussion totalement nouvelle s'ouvrira, qui sera marquée à la fois par les choix faits par les États-Unis dans leur futur Farm Bill, la revue à mi-parcours de la politique agricole commune en 2009, et peut-être l'optimisme dû à plusieurs années de cours mondiaux particulièrement hauts en raison de la demande de biocarburants. La multiplication probable des panels, ainsi que la prolifération des négociations bilatérales, créera également une pression pour la réouverture des négociations multilatérales, notamment pour l'Union européenne.
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