FICHE QUESTION
12ème législature
Question N° : 102390  de  M.   Morel-A-L'Huissier Pierre ( Union pour un Mouvement Populaire - Lozère ) QE
Ministère interrogé :  coopération, développement et francophonie
Ministère attributaire :  coopération, développement et francophonie
Question publiée au JO le :  22/08/2006  page :  8700
Réponse publiée au JO le :  28/11/2006  page :  12440
Rubrique :  politique extérieure
Tête d'analyse :  aide au développement
Analyse :  perspectives
Texte de la QUESTION : M. Pierre Morel-A-L'Huissier attire l'attention de Mme la ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie sur la lutte contre la pauvreté dans le monde. Selon le classement du Centre pour le développement mondial, ONG américaine, la France arriverait en 17e position sur 21 pour la générosité de son aide financière aux pays pauvres et ses efforts pour protéger l'environnement et favoriser l'investissement dans les pays en développement, rétrogradant ainsi de trois places par rapport à 2005. Aussi, il souhaiterait connaître les mesures que le Gouvernement entend prendre en la matière.
Texte de la REPONSE : Depuis 2003, le Center for Global Development (CGDev), think tank basé à Washington, publie un classement des principaux pays riches en fonction des conséquences de leurs politiques publiques vis-à-vis des pays pauvres. Ce classement s'effectue à travers un index composite, comportant sept critères pris sous des aspects à la fois quantitatifs et qualitatifs. L'aide ne constitue que l'un des critères, et son poids est limité dans le résultat final, contrairement à ce qu'a, en général, retenu la presse. L'index du CGDev a, dès sa parution en 2003, fait l'objet de nombreuses critiques, portant notamment sur la fragilité méthodologique, l'absence de pondération entre secteurs, l'ancienneté et le manque de fiabilité des données, des erreurs et des incompréhensions manifestes, et surtout les partis pris idéologiques. De nombreux biais apparaissent, et le simple bon sens arithmétique est dans certains cas bafoué. Dans l'ensemble, cet index n'a aucune valeur « scientifique ». L'origine américaine est très marquée dans la « vision » du développement promue par l'index. Cet index est un instrument de lobbying interne aux États-Unis. Il est conçu pour promouvoir certaines réformes au sein de l'aide américaine : les réformes récentes, qui « plaisent » manifestement au CGDev, sont ainsi « récompensées » par une nette remontée des États-Unis dans le classement (20e en 2003, 12e cette année, en fait essentiellement grâce au commerce). Par ailleurs, le thème de la cohérence des politiques publiques vis-à-vis du tiers-monde est le sujet d'une vaste étude lancée par la Commission européenne, de concert avec les États membres. Du fait de la publicité considérable donnée à cet indice, qui est mal compris par le public (il est pris pour un indice d'aide au développement) et très contestable dans certains points de méthodologie, la France risque d'apparaître sur la scène mondiale comme un fournisseur d'aide au développement de mauvaise qualité. Cela ne correspond en rien à la réalité. Le réseau diplomatique français est mobilisé pour apporter quand nécessaire les précisions adaptées. Par ailleurs, le ministère est en contact étroit avec le CGDev, et lui a déjà fait part de ses préoccupations méthodologiques. Au total, il convient de souligner que cet indice n'a pas la rigueur de celui de l'OCDE pour la comptabilisation de l'aide au développement, dont la méthodologie ancienne est consensuelle parmi tous ses États membres et qui conduit à classer la France en tête de l'Union européenne par le volume de son aide et en tête du G8 par la part de sa richesse nationale qu'elle y consacre. Il présente néanmoins une initiative intéressante, qui mérite d'être approfondie pour corriger ses défauts méthodologiques en partie dus à sa jeunesse.

Classements et notes de la France pour les sept  critères de l'index du CGDev
CLASSEMENT
(sur 21)
NOTE MÉDIANE MOYENNE NOTE DU PREMIER NOTE DU DERNIER
Aide 9e 4,1 3,3 4,4 10 Danemark 1,1 Japon
Commerce l0e 6,0 6,0 5,5 7,6 Nouvelle-Zélande - 0,4 Japon
Investissement 14e 5,9 6,2 6,1 8,6 RU 2,5 Irlande
Migration 16e 2,6 4,8 4,6 10,5 Autriche 1,4 Portugal
Environnement 11e 6,1 6,1 5,8 7,8 RU 3,2 États-Unis
Sécurité 2le 0,5 5,6 4,8 8,1 Norv/Aust 0,5 France
Technologie 1er 6,9 5,1 5,1 6,9 France 3,0 Grèce/Irl
Moyenne 18e 4,6 5,2 5,2 6,6 Pays Bas 3,1 Japon

Notes des 21 pays
RANG PAYS AIDE COMMERCE INVESTISSEMENT MIGRATION ENVIRONNEMENT SÉCURITÉ TECHNOLOGIE MOYENNE
1 Netherlands 8,5 6,2 7,8 4,8 7,5 6,1 5,3 6,6
2 Denmark 10,0 5,9 5,3 5,0 6,1 6,9 5,5 6,4
3 Sweden 9,8 6,1 6,2 4,8 7,0 4,9 5,4 6,3
4 Norway 9,3 1,2 8,0 4,6 6,1 8,1 5,9 6,2
5 New Zealand 2,2 7,6 3,7 6,9 6,4 7,4 4,9 5,6
6 Australia 2,5 6,4 6,9 6,4 3,9 8,1 4,6 5,5
7 Finland 3,9 6,1 6,2 2,7 6,7 6,3 6,3 5,4
8 Austria 2,7 5,9 3,3 10,5 6,2 4,5 4,5 5,4
9 Germany 3,3 5,9 6,8 6,2 6,7 3,7 4,3 5,3
10 Canada 3,3 6,8 7,7 4,7 4,5 3,0 6,6 5,2
11 Switzerland 4,8 3,1 7,2 9,5 5,3 1,6 5,1 5.2
12 United Kingdom 4,6 5,9 8,6 2,6 7,8 1,6 4,5 5,1
13 United States 2,2 7,4 6,9 4,6 3,2 5,9 5,0 5,0
14 Ire land 5,9 5,7 2,5 4,6 7,5 5,9 3,0 5,0
15 Belgium 5,1 5,9 6,5 2,6 6,6 3,4 4,5 4,9
16 Portugal 2,3 6,1 6,2 1,4 6,4 6,2 5,1 4,8
17 Spain 2,5 6,0 6,7 5,2 3,8 3,5 6,1 4,8
18 France 4,1 6,0 5,9 2,6 6,1 0,5 6,9 4,6
19 Italy 1,6 6,1 5,5 3,2 4,8 3,9 5,1 4,3
20 Greece 2,7 5,9 4,0 1,7 5,2 5,6 3,0 4,0
21 Japan 1,1 - 0,4 5,6 1,7 4,3 2,8 6,3 3,1
Analyse de la note attribuée à la France sur le critère aide internationale : la France est classée 9e sur ce critère avec une note de 4,1 (10 pour le Danemark ; 4,6 pour le Royaume-Uni ; 3,3 pour l'Allemagne ; 2,2 pour les États-Unis ; 1,1 pour le Japon ; moyenne des 21 pays 4,4, médiane 3,3). Ce classement résulte : 1. Du montant de l'aide versée par chaque pays, suite à une analyse critique de la « vraie aide » versée ; 2. D'un coefficient qui mesure la qualité de l'aide, en fonction de trois critères : a) La liaison de l'aide ; b) Sa sélectivité : l'aide arrive-t-elle à destination des populations les plus pauvres ? Ce coefficient combine deux dimensions : le niveau de richesse du pays récipiendaire de l'aide (revenu national brut) et son indice de gouvernance démocratique (l'indice retenu par les auteurs est l'indice Kauffmann-Kraay pour l'année 2000) ; c) La dispersion de l'aide : les petits projets, qui accaparent les ressources humaines des pays hôtes, sont autorisés aux petits bailleurs, mais pas aux grands, qui reçoivent une pénalité. 3. De l'ajout in fine de l'aide multilatérale, puis de l'aide privée (charitable givings). Pour l'aide mise en oeuvre par les institutions multilatérales, les montants sont mesurés et ajustés selon les points 1 et 2 ci-dessus, puis ajoutés aux aides bilatérales des 21 pays selon leurs parts dans ces organismes. Les institutions multilatérales étant dans l'ensemble bien notées sur tous les critères, les pays ayant une forte part de multilatéral dans leur aide se trouvent favorisés. Pour l'aide privée, un calcul complexe aboutit surtout à relever l'aide américaine de 25 %. Selon ces calculs, en 2004, l'aide publique de la France, qui était de 8,5 milliards de dollars (Md$) dans la déclaration au CAD de l'OCDE (en APD nette), représentait 8,1 MdS $ bruts bilatéraux pour l'ensemble des pays bénéficiaires pris en compte (liste I + liste II), dont 4,8 Mds éligibles selon les critères du CGDev (point 1). Avec la prise en compte des décotes (point 2), elle ne représenterait au final (sans l'aide privée) qu'une aide bilatérale « réellement utile » de 1,47 Md$, portée à 3 Md$ avec le multilatéral.
EN MILLIARD
de dollars
APD
2004
(CAD)
APD
bilatérale
brute,listes I+II
(CAD)
RETENU
par le CGDev
(point 1)
Id APRÈS
décote
(point 2)
APPORT
multilatéral
TOTAL
bi+ multi
APPORT
privé
TOTAL PART
du PIB (%)
France 8,5 8,1 4,8 1,47 1,53 3,0 0,05 3,1 0,15
Allemagne 7,5 5,5 3,4 1,08 1,95 3,0 0,21 3,2 0,12
RU 7,8 5,7 4,7 2,28 1,25 3,5 0,05 3,6 0,16
États-Unis 19,7 18,8 17,2 5,69 1,72 7,4 1,91 9,3 0,08
Japon 8,9 11,1 3,4 0,79 1,03 1,8 0,07 1,9 0,04
Sur le premier point (montant de l'aide), les experts du Center for Global Development (CGD) se fondent de façon inhabituelle sur des statistiques du CAD qui incluent l'ex-« liste 2 », avec les pays européens de l'ancien bloc soviétique ainsi que des pays tels que Singapour ou Israël. Ils semblent par contre exclure les TOM (qui n'apparaissent pas dans les listes). Ils déduisent logiquement les remboursements de prêts, comme le fait le CAD de l'OCDE, mais aussi les intérêts versés sur ces prêts, contrairement au CAD. Ils excluent les annulations de dettes concernant des prêts anciens ou sans rapport avec l'APD. Leurs calculs entraînent, pour tous les grands bailleurs, une forte diminution de leur « aide réelle ». Sur ce plan la France n'est pas plus critiquée que les autres pays et elle reste en très bonne place (devant le Royaume-Uni, l'Allemagne, le Japon) à l'issue de cette analyse du montant net de son aide. La critique principale des auteurs de l'indice porte en revanche (deuxième point) sur la sélectivité très médiocre de l'aide française et sur sa dispersion, telles qu'ils les mesurent. En revanche, la note qui évalue la liaison de notre aide est satisfaisante (contrairement aux États-Unis). Sélectivité : la France est très pénalisée (0,43 contre 0,58 pour le Royaume-Uni) du fait que nombre de ses principaux pays partenaires (au moins en 2004) ne sont pas particulièrement pauvres ou ont une mauvaise note de gouvernance. Dispersion de l'aide (« prolifération des projets ») : le critère retenu est complexe et nouveau. Il vise à pénaliser les projets de montant unitaire faible par rapport à la taille de l'aide du bailleur. Il favorise ainsi directement les petits bailleurs faisant de gros projets, les meilleures notes revenant ainsi à la Banque africaine et à la Banque asiatique de développement. L'aspect qualitatif est donc fortement discutable, l'idée se limitant à éviter de surcharger les capacités administratives des pays partenaires. La note de la France (0,64), sans être mauvaise (elle est égale à celle de l'Allemagne), est inférieure à celle du Royaume-Uni (0,77). Au total, cet indice composite sur l'aide de la France est intéressant dans la mesure où il fait porter l'essentiel de sa critique la plus pertinente sur l'allocation géographique de l'aide (sélectivité), et non sur son montant global, dont les auteurs reconnaissent implicitement qu'il est élevé. Cet indice vient s'ajouter à d'autres classements ou analyses critiques de l'aide publique au développement comme ceux du CAD de l'OCDE, de l'ONG britannique Reality of Aid, de la plate-forme française Coordination Sud ou encore de la plateforme européenne Concord. Cet indice vient nourrir le débat sur l'aide aux pays dont la gouvernance démocratique est très mauvaise : faudrait-il que la France se désintéresse d'Haïti, de l'Afghanistan ou du Liberia sous prétexte que l'aide y serait deux fois moins « utile » qu'en Chine, pour prendre des exemples tirés de l'annexe technique fournie ? Ou encore l'aide serait-elle deux fois plus « utile » au Togo qu'en République démocratique du Congo ?
UMP 12 REP_PUB Languedoc-Roussillon O