INDÉPENDANCE DE LA JUSTICE
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Guigou, pour le groupe socialiste.
Mme Élisabeth Guigou. Ma question s'adresse à M. le garde des sceaux.
Selon le journal Le Monde daté du 10 février, Dominique Perben a indiqué dimanche : que « la chancellerie analyse le jugement prononcé par le tribunal de Nanterre contre Alain Juppé pour vérifier si le remboursement des sommes dues à la ville de Paris peut modifier la situation judiciaire du président de l'UMP. Une étude est en cours - a affirmé le garde des sceaux - pour voir quelles seraient les conséquences judiciaires de ce remboursement ». (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Vous avez, monsieur le garde des sceaux, démenti les affirmations selon lesquelles une étude serait en cours à la chancellerie. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
Mais les deux journalistes du Monde qui vous ont interrogé dimanche maintiennent leur version.
Il est impératif d'y voir clair, car il serait scandaleux que la chancellerie puisse travailler pour le compte d'un justiciable, quel qu'il soit.
De plus, cette controverse vient après les déclarations de ministres en exercice et même du Premier ministre qui, comme l'a souligné à juste titre notre collègue Roger-Gérard Schwartzenberg, cherche à jeter le discrédit sur le jugement dans des conditions - je cite le code pénal - « de nature à porter atteinte à l'autorité de la justice ou à son indépendance ». (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Enfin, le Conseil supérieur de la magistrature n'a toujours pas été saisi, alors qu'il est, selon notre Constitution, garant de l'indépendance de la justice.
J'ai trois questions à vous poser, monsieur le garde des sceaux.
Premièrement, avez-vous tenu les propos que vous prête le journal Le Monde et qui feraient - si c'était le cas - de la chancellerie une succursale du cabinet d'avocat de M. Juppé ? (Huées sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Deuxièmement, avez-vous donné des instructions au procureur de Nanterre, dans cette affaire, et comptez-vous donner des instructions au procureur général, qui va requérir devant la cour d'appel, chargée de statuer dans quelques mois ?
Troisièmement, le Président de la République va-t-il saisir le Conseil supérieur de la magistrature, seul organe habilité par la Constitution à statuer sur les atteintes à l'indépendance des juges ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
M. le président. La
parole est à M. le garde des sceaux.
M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame le ministre, vous souvenez-vous d'une déclaration d'une personnalité politique en 1996 ?
Mme Martine David. On vous demande de répondre à la question !
M. le garde des sceaux. Il est important de se souvenir de tout !
Cette personnalité déclarait en 1996 : « Une telle décision de justice est inique. » Il s'agissait de M. Jospin ! (Exclamations et huées sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
Je pense qu'il n'est pas inutile de s'en souvenir, puisque vous avez parlé des déclarations de tel ou tel.
Vous m'avez posé trois questions. Je vais y répondre de façon très précise.
Je démens formellement les déclarations qui ont été rapportées par Le Monde hier après-midi.
Mme Martine David. Les journalistes sont-ils des menteurs ?
M. le garde des sceaux. D'ailleurs, cette conversation, rapportée d'une manière totalement erronée, a été entendue par un autre journaliste qui dit le contraire.
M. Patrick Lemasle. Non !
M. le garde des sceaux. Renseignez-vous !
Deuxièmement, madame - et vous le savez - je n'ai bien entendu donné aucune instruction à quelque procureur que ce soit dans cette affaire, conformément à la position que j'ai adoptée constamment, depuis un an et demi.
Quant au Conseil supérieur de la magistrature et à la commission d'enquête administrative, je voudrais que les choses soient tout à fait claires. La situation qui a été créée par une information, publiée le samedi 31 janvier, est d'une extrême gravité, puisqu'elle suppose que des pressions auraient été exercées sur un tribunal. Cette gravité a entraîné deux décisions du Gouvernement. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) S'il vous plaît ! La chose est suffisamment grave pour qu'on en parle sérieusement !
Mme Martine David. Oui !
M. le garde des sceaux. D'une part, dès dix heures du matin le samedi, soit le jour même, j'ai demandé au procureur de la République qu'il fasse en sorte qu'une information soit ouverte, le plus rapidement possible, pour évoquer l'aspect pénal du dossier.
D'autre part, le dimanche, en plein accord avec le Président de la République, le Gouvernement a décidé de confier à trois personnalités incontestables : le vice-président du Conseil d'Etat, le premier président de la Cour de cassation et le premier président de la Cour des comptes...
M. François Hollande. Pourquoi pas le Conseil de la magistrature ?
M. le garde des sceaux. ... une enquête administrative pour traiter de l'ensemble des questions susceptibles de se poser...
M. François Hollande. Ce n'est pas la bonne instance !
M. le garde des sceaux. ... tant en matière d'organisation administrative que de fonctionnement des services.
Il a été clairement indiqué que, si cette enquête mettait en cause d'une façon ou d'une autre tel ou tel magistrat ou tel ou tel élément de l'organisation de la magistrature, le Conseil supérieur de la magistrature serait saisi.
Ces trois personnalités incontestables informeront le Conseil supérieur de la magistrature qui sera saisi, si nécessaire.
Mme Martine David. C'est incroyable !
M. le garde des sceaux. Voilà, madame Guigou, une réponse à vos trois questions. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)