Texte de la QUESTION :
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M. Pierre Lang attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur l'impact négatif d'une jurisprudence communautaire récente sur notre droit de la responsabilité. Par trois arrêts du 25 avril 2002, la Cour de justice des Communautés européennes a condamné la façon dont la France a transposé la directive du 25 juillet 1985 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux. La loi du 19 mai 1998 avait retenu une conception large du nouveau régime institué par la directive, tout en maintenant l'application du droit commun des responsabilités contractuelle et délictuelle. Ce cumul était donc particulièrement favorable aux victimes, conformément à l'esprit de notre droit. Cependant, la Cour de justice veut imposer un alignement strict sur le texte communautaire. Ainsi, la France est sanctionnée pour ne pas avoir introduit la franchise de 500 euros, limitant l'indemnisation des dommages aux biens. Elle est également condamnée pour avoir soumis le fournisseur au même régime de responsabilité que le producteur, et subordonné l'exonération pour « risque de développement » et pour « fait du prince » au respect, par le professionnel, de son « obligation de suivi ». Surtout, la Cour de justice estime que le régime spécial de responsabilité du fait des produits défectueux est d'application exclusive. Par conséquent, il évince la responsabilité de droit commun. Or, ces évolutions ne sont pas favorables aux victimes, et force est de constater une diminution préoccupante de leurs droits. Ainsi, l'interdiction d'assimiler le fournisseur au producteur rendra les recours plus difficiles, notamment en matière médicale. La responsabilité du fournisseur ne pourra plus être engagée qu'à titre subsidiaire. En outre, la condamnation par la Cour de l'obligation de suivi ouvre la possibilité, au producteur soupçonné de négligence après la mise en circulation de son produit, de s'exonérer en invoquant le « risque de développement » ou le « fait du prince ». Cette solution apparaît pour le moins choquante et inéquitable. Enfin, le régime spécial étant désormais d'application exclusive, les victimes ne pourront plus se placer sur le terrain du droit commun, afin d'échapper à l'exonération pour risque de développement. Dès lors, les arrêts du 25 avril 2002 de la Cour de justice des Communautés européennes risquent de modifier en profondeur notre droit de la réparation. De nombreuses incertitudes en découlent, car les concepts de la directive (produit, défaut, mise en circulation) sont souvent peu clairs et mal définis. Les victimes, qui bénéficiaient en France de la loi du 19 mai 1998 et d'une construction jurisprudentielle protectrice, subissent une régression de leurs droits et voient leurs intérêts sacrifiés à l'autel de l'harmonisation communautaire. Cette situation milite en faveur d'une révision urgente de la directive du 25 juillet 1985, relative à la responsabilité du fait des produits défectueux. La jurisprudence communautaire récente accentue en effet la menace de nivellement par le bas de notre système de réparation. En particulier, l'introduction de l'exonération pour risque de développement apparaît tout à fait contestable, en l'absence de l'obligation de suivi qu'avait ajoutée la loi française. Il souhaiterait donc connaître les initiatives que le Gouvernement entend prendre pour préserver le sort des victimes et obtenir la révision des multiples imperfections et contresens juridiques contenus dans la directive de 1985.
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Texte de la REPONSE :
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Le garde des sceaux, ministre de la justice, fait connaître à l'honorable
parlementaire que le Gouvernement va très prochainement déposer devant le
Parlement un projet de loi d'habilitation l'autorisant à prendre par ordonnance
des dispositions de modification du titre IV du livre troisième du code
civil au sein duquel a été transposée la directive 85/374/CEE du
25 juillet 1985 relative à la responsabilité du fait des produits
défectueux. Cette intervention est en effet rendue nécessaire par les trois
arrêts prononcés le 25 avril 2002 par la cour de justice des
Communautés européennes, dont l'un a condamné la France pour mauvaise
transposition. Afin de mettre le droit français en conformité avec la directive
précitée, telle qu'interprétée par la cour de justice des Communautés
européennes, les articles 1386-2 et 1386-7 du code civil seront modifiés.
La franchise de 500 euros pour les dommages résultant des atteintes à un bien,
conformément à la directive, sera introduite à l'article 1386-2. Une étude
de la jurisprudence a permis de constater que cette insertion sera sans
incidences pratiques, les dommages déclarés étant toujours supérieurs à cette
somme. L'article 1386-7 sera modifié afin que la responsabilité des
professionnels ne puisse être engagée dans les mêmes conditions que celle du
producteur que si ce dernier demeure inconnu. Il est extrêmement peu probable
toutefois, s'agissant de médicaments, que ni le producteur ni le fournisseur ne
puissent être identifiés. Enfin, l'obligation de suivi visée au dernier alinéa
de l'article 1386-12 sera supprimée. Il convient cependant de relever à cet
égard que la directive 2001/95/CE du 3 décembre 2001 relative à
la sécurité générale des produits sera transposée au sein du code de la
consommation par voie d'ordonnance également au titre de la loi d'habilitation
précitée. Cette directive prévoit à la charge des responsables de la mise sur le
marché une obligation de suivi des produits. Ces opérateurs économiques devront
en conséquence informer les consommateurs des risques que peuvent créer les
produits qu'ils mettent sur le marché pour leur santé ou leur sécurité. Ils
devront également adopter les mesures proportionnées aux produits commercialisés
qui leur permettront d'assurer ce suivi. A ce titre, ils devront, en fonction
des caractéristiques des produits, notamment rendre possible leur traçabilité
et, si nécessaire, engager les actions de retrait ou de rappel pour répondre à
un problème de sécurité. Dans ces conditions, la suppression du dernier alinéa
de l'article 1386-12 précité est donc sans portée réelle. En outre, les
victimes d'un produit défectueux pourront toujours intenter une action pour
faute sur le fondement délictuel de l'article 1382 du code civil ou une
action en garantie des vices cachés. Ainsi, ces arrêts du
25 avril 2002 n'emportent pas modification en profondeur de notre
droit de la responsabilité. Pour autant, s'agissant de la protection des
consommateurs contre les produits défectueux, le Gouvernement considère que son
action ne peut être pleinement pertinente que dans le cadre communautaire. Si le
processus d'évaluation par la commission de l'impact effectif de la
directive 85/374/CEE, actuellement en cours, conduisait à la révision de
cette dernière, le Gouvernement prendrait alors toutes les mesures nécessaires
afin de permettre une meilleure protection des victimes.
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