Texte de la QUESTION :
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M. Philippe Edmond-Mariette attire l'attention de M. le Premier ministre sur le rapport qui lui a été remis par le comité de la mémoire pour l'esclavage sur les mémoires de la traite négrière, de l'esclavage et de leurs abolitions le 12 avril 2005. La traite négrière a contribué durant près de trois siècles à l'essor des grands ports français dans le cadre du commerce triangulaire, et donc à partir de l'ignoble trafic humain. Il semble qu'il existe encore dans la patrie des Droits de l'homme de fortes résistances pour faire taire toute expression collective d'une reconnaissance historique, sociale, culturelle et politique de la composante noire de la France. Malgré la loi Taubira du 10 mai 2001, on veut réduire la portée des questions posées à une simple dimension communautaire. La France est-elle capable de regarder cette partie de son passé en face, comme elle l'a déjà fait pour d'autres crimes contre l'humanité ? Le Premier ministre a dit le 12 avril 2005 que la justice devait communiquer davantage sur son action. Puis il a ajouté : « Contre le racisme et l'antisémitisme, on ne peut pas espérer que la société puisse d'elle-même évoluer dans le bon sens, s'il n 'y a pas une détermination sociale, au sens sociétal du mot, avec une forte puissance de l'action publique ». Quelle force a donc sa mobilisation sur un sujet aussi grave quand il renvoie sa décision du choix de la date de commémoration en juin, suite à un comité interministériel ? Il lui demande quand il traduira son engagement dans la lutte contre toutes les discriminations, mettant ainsi terme à la cécité des pouvoirs publics qui nourrit le communautarisme. Il lui demande d'inviter le ministre de la justice à donner instructions aux procureurs généraux de Paris et de Lyon pour que le ministère public intervienne au nom de l'Etat, dans le cadre des procédures pendantes devant ces deux juridictions et relatives aux actions introduites par le COFFAD (Comité des filles et des fils d'Africains déportés), pour que ce soient retirés de ventes aux enchères publiques des documents et objets inédits constituant indéniablement une richesse historique qui doivent être classés au titre des monuments et archives historiques. Il lui demande quelles instructions seront données demain dans toute autre nouvelle procédure de même nature tant que la loi Taubira ne sera pas complétée. Ce serait justice que d'agir de la sorte puisque l'exercice du droit de préemption ne relève actuellement que de la seule appréciation de l'Etat ; ce pourquoi le code du patrimoine fait obligation de toujours l'informer au moins sept jours avant. Dès lors, l'on nommerait l'historique préemption car l'exercice d'un tel droit ne s'effectuerait pas sous la pression et a posteriori, mais ab initio. Il lui demande d'inviter le ministre de la culture à perpétuer la mémoire de l'histoire de la traite, et à tout mettre en oeuvre pour que ces documents et archives tombent dans le domaine public et qu'ils soient déclarés inaliénables comme est imprescriptible le crime dont ils sont issus. Enfin, il l'interroge sur l'édification d'un mémorial contre ce crime odieux. Il lui demande de l'inviter à « décoloniser » les imaginaires de la France multiraciale en lui offrant manuels scolaires, programmes de télévision publique, nominations politiques et administratives et autres mesures qui féconderont dès demain la construction d'une société où la forte puissance de l'action publique sera portée et impulsée par les plus hautes autorités de l'État au nom de l'universalisme républicain.
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Texte de la REPONSE :
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MISE EN OEUVRE DES PROPOSITIONS DU RAPPORT
DU COMITE POUR LA MEMOIRE DE L'ESCLAVAGE Mme la
présidente. La parole est à M. Philippe Edmond-Mariette, pour exposer
sa question, n° 1205, relative à la mise en oeuvre des propositions du rapport
du comité pour la mémoire de l'esclavage. M. Philippe Edmond-Mariette. Madame la ministre de
l'outre-mer, le 12 avril 2005 le comité pour la mémoire de l'esclavage a remis
au Premier ministre, en votre présence, un rapport sur les mémoires de la traite
négrière, de l'esclavage et de leur abolition. Tous nous
savons que cette noire déportation a contribué durant près de trois siècles à
l'essor des grands ports français dans le cadre du commerce triangulaire, et
donc à partir d'un ignoble trafic humain. Il semble
qu'il existe sur notre sol, dans la patrie des droits de l'homme, de fortes
résistances et que l'on veuille éviter toute expression collective d'une
reconnaissance historique, sociale et culturelle de la composante noire de la
France. Malgré la loi du 10 mai 2001 l'on veut réduire
la portée des questions posées à une simple dimension communautaire.
Aujourd'hui, plus encore qu'hier, il nous faut sans honte reconnaître l'histoire
sordide de la déportation négrière et avec elle celle de sa fille, le
colonialisme. Le Premier ministre a d'ailleurs déclaré
le 12 avril 2005 : " Contre le racisme et l'antisémitisme, on ne peut pas
espérer que la société puisse d'elle-même évoluer dans le bon sens s'il n'y a
pas une détermination sociale, au sens sociétal du mot, avec une forte puissance
de l'action publique ". Quelle force a donc la
mobilisation du Gouvernement sur un sujet aussi grave quand la décision du choix
de la date de commémoration est renvoyée après le mois de mai, à un comité
interministériel ? Quels freins interdisent au
Gouvernement d'affirmer haut et fort la volonté de cette juste commémoration
? Si tel n'est pas le cas, pouvez-vous alors inviter le
garde des sceaux, ministre de la justice, à donner instruction aux procureurs
généraux de Paris et de Lyon afin que le ministère public intervienne au nom de
l'État dans le cadre des procédures pendantes devant ces juridictions et
relatives aux actions introduites par le collectif des filles et fils
d'Africains déportés pour que soient retirés des ventes aux enchères publiques
des documents inédits, vestiges et objets qui doivent être classés monuments et
archives historiques ? De telles instructions seront-elles données fin mai à
Bordeaux et dans toute autre procédure de même nature ? Comment, en l'état, ne pas entendre le cri d'indignation
des descendants de déportés et de leurs associations : " Hier, on a vendu nos
pères et mères. Aujourd'hui, on vend leur mémoire et, avec elle, leur postérité
" ? Madame la ministre, le Gouvernement n'a-t-il pas
l'obligation morale d'inviter le ministre de la culture à tout mettre en oeuvre
pour que ces archives tombent dans le domaine public et qu'elles soient
déclarées inaliénables, au même titre qu'est imprescriptible le crime dont elles
sont issues et dont elles constituent les stigmates ? A
tout le moins, ne pourrait-on compléter le décret du 3 décembre 1979 relatif à
la sauvegarde des archives privées présentant un intérêt public du point de vue
de l'histoire et vous donner compétence, madame la ministre de l'outre-mer, pour
initier la procédure de classement ? Enfin, le
Gouvernement peut-il donner instruction au ministre de l'éducation nationale
pour que l'on passe du stade de la promulgation à celui d'une concrète
application de l'article 2 de la loi Taubira imposant l'égal traitement de
toutes les déportations dans les manuels scolaires ? Quelle est la proposition du Gouvernement pour
l'édification d'un mémorial contre ce crime odieux ? L'on peut s'interroger sur la qualité de l'outil réfèrent
que constitue le projet interministériel de " guide des sources sur la traite et
l'esclavage dans les archives publiques françaises " quand on sait qu'il se
construit actuellement sans la légitime contribution des descendants de
déportés, notamment des archivistes ultramarins et africains. Mme la présidente. La
parole est à Mme la ministre de l'outre-mer. Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer. Monsieur le député, en 2001 le
parlement français s'est honoré d'avoir voté à l'unanimité une loi reconnaissant
la traite et l'esclavage comme crime contre l'humanité. A ce jour, il est le
seul à l'avoir fait. Cette loi réparatrice d'un oubli
insupportable concernant une partie tragique de notre histoire a été mise en
oeuvre par ce gouvernement qui a institué par décret le comité pour la mémoire
de l'esclavage dont les travaux ont commencé le 8 avril 2004. Ce comité a fait, en un an, un travail remarquable et je
veux saluer ici ses membres, en particulier sa présidente, Maryse Condé, et leur
dire merci d'avoir su porter, dans le contexte actuel, une parole juste et
apaisée, exprimée dans de nombreuses propositions, toutes très pertinentes,
remises le 12 avril dernier au Premier ministre. Jean-Pierre Raffarin a jugé les recommandations faites fort
intéressantes et a assuré personnellement le comité de sa volonté de travailler
rapidement à leur mise en oeuvre. Il est donc aujourd'hui de notre devoir de
donner une suite concrète à ces propositions, en liaison avec les autres
ministères - éducation nationale et culture notamment. Le comité
interministériel annoncé par le Premier ministre se tiendra avant la fin juin
pour envisager toutes les mesures nécessaires, en matière d'enseignement et de
recherche par exemple. S'agissant de la question des
ventes d'archives privées liées à la traite négrière et à l'esclavage qui vous
préoccupe particulièrement, je tiens à rappeler que la direction des Archives de
France exerce une veille systématique du marché des documents anciens afin
d'acquérir, en usant si nécessaire du droit de préemption, les documents
susceptibles d'enrichir les collections publiques. Quant
à la date de commémoration nationale proposée par le comité, toute polémique à
ce sujet serait à la fois déplacée et dérisoire. Compte tenu des délais très
courts dont nous disposons, c'est en 2006 que notre république célébrera avec
ampleur la mémoire des victimes de la traite négrière et l'abolition de
l'esclavage, répondant ainsi à une longue attente de nos compatriotes. Toutefois, je tiens à vous dire que, dès cette année, sans
attendre davantage, je souhaite faire un geste symbolique, à la fois simple et
sobre, en mémoire des victimes de l'esclavage et de ceux qui résistèrent à
l'oppression. Je baptiserai avec pose d'une plaque commémorative, le 10 mai
prochain, un salon de mon ministère du nom de Louis Delgrès, le jour
anniversaire de la fameuse proclamation de Basse-Terre du 10 mai 1802. Avec
cette célèbre proclamation " A l'univers entier ", Louis Delgrès inscrivit en
effet la révolte des esclaves dans le grand combat de la liberté et des droits
de l'homme. Mme la
présidente. La parole est à M. Philippe Edmond-Mariette. M. Philippe
Edmond-Mariette. Je vous remercie de cette réponse, madame la ministre.
Permettez-moi de m'associer à l'hommage que vous avez adressé au comité pour la
mémoire de l'esclavage. Concernant les archives
privées, il semble que la veille du ministère de la culture ait parfois des
ratés. En effet, le 19 mars dernier, à la salle des ventes de Drouot, un
particulier détenant certains vestiges et objets a souhaité les remettre à un
représentant du ministère de la culture, mais il n'y en avait pas ! Par ailleurs, notre pays pourrait avoir davantage de
prestige si était constitué ici, à Paris, un mémorial sur la traite et
l'esclavage destiné à recueillir tous les documents, les archives et les
vestiges sur le sujet. Ce lieu unique serait très apprécié des populations qui
ont eu à souffrir du problème de la traite. Je souhaite que l'on agisse très
rapidement, madame la ministre, car il y a urgence. Comme le disait le pasteur
Martin Luther King, l'émeute est le langage de ceux que l'on n'entend pas .
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