Texte de la QUESTION :
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M. Émile Zuccarelli souhaite attirer l'attention de M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, sur la nécessaire évolution du mode de scrutin pour l'élection des conseillers à l'assemblée territoriale de Corse. Afin d'établir des majorités stables et d'éviter le renouvellement des difficultés rencontrées en 1998 lors de l'installation des conseils régionaux, la loi n° 99-36 du 19 janvier 1999 relative au mode d'élection des conseillers régionaux prévoit désormais qu'un quart des sièges est attribué à la liste arrivée en tête avant la répartition à la proportionnelle entre toutes les listes. Confortée par la loi n° 2003-327 du 11 avril 2003, cette disposition, applicable dans toutes les régions métropolitaines, sauf la Corse, a permis d'enrayer efficacement les écueils d'un scrutin strictement proportionnel et démontré depuis lors sa pertinence en termes de gouvernante locale. Il est regrettable que la Corse n'ait pas bénéficié de cette mesure clarificatrice et continue de se voir appliquer, depuis le statut Joxe, une prime limitée à trois sièges, et de ce fait totalement inopérante. De la même manière, le seuil fixé pour l'accès des listes au second tour des élections régionales ne s'élève en Corse qu'à 5 % des suffrages exprimés, contre 10 % sur le continent, et il n'existe aucun seuil minimal pour fusionner entre les deux tours, alors que, dans toutes les autres régions métropolitaines, ce dernier s'élève à 5 % des suffrages exprimés. Le paradoxe de cette situation se révèle avec une acuité toute particulière lorsque l'on met ces pourcentages inférieurs en perspective avec le corps électoral considéré qui se trouve être le plus faible des vingt-deux régions métropolitaines. Il n'existe aucune raison de singulariser la Corse en matière électorale, le maintien du système antérieur ayant fait la preuve de ses inconvénients. Lors des dernières élections territoriales, ce particularisme infondé a une nouvelle fois engendré les effets néfastes précédemment dénoncés : cinquante et un élus répartis en neuf groupes sans majorité absolue pour élire le président de l'Assemblée de Corse et celui du conseil exécutif. Le fonctionnement quotidien de cette institution ne fait que confirmer l'inadaptation du système actuellement applicable. Au cours du débat parlementaire sur la loi n° 2003-1201 du 18 décembre 2003 relative à la parité entre hommes et femmes à l'Assemblée de Corse, l'Assemblée nationale a rejeté, à la demande du Gouvernement, un amendement qu'il défendait visant à aligner le mode d'élection à l'Assemblée de Corse en matière de primes et de pourcentages nécessaires pour se maintenir au second tour ou fusionner sur celui en vigueur dans le droit commun des autres régions métropolitaines, arguant de d'impossibilité de modifier le mode de scrutin moins d'un an avant l'élection. Au lendemain des élections territoriales, le 29 avril 2004, il déposait sur le bureau de l'Assemblée nationale la proposition de loi n° 1569 relative à la réforme du mode de scrutin pour l'élection des conseillers à l'assemblée de Corse. Cette dernière n'a depuis lors jamais été inscrite à l'ordre du jour. Interrogeant le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales sur l'échéance envisagée par le Gouvernement pour la soumettre à l'examen de la représentation nationale dans une question écrite n° 56-965 publiée au Journal officiel le 8 février 2005, ce dernier répondait le 31 mai dernier que « Le mode d'élection de l'Assemblée de Corse a toujours été volontairement choisi afin de restituer la multiplicité des opinions qui traversent les différents courants politiques. Toute réflexion sur le sujet s'inscrit nécessairement dans une réflexion plus large sur les institutions de l'île. Or, ce débat est clos par la consultation du 3 juillet 2003. C'est pourquoi le Gouvernement n'entend pas modifier le droit existant. » Cette réponse, plus qu'insatisfaisante, comprend d'inacceptables raccourcis qu'il convient de corriger. Le souci, toujours invoqué, de ne décourager aucune sensibilité n'a abouti qu'à la balkanisation des listes, la survivance de petits groupes négociant âprement leur participation dans les obscures batailles du troisième tour, et, pour finir, des situations d'instabilité nuisibles à la Corse. C'est la mise en place d'un énième statut particulier que nos concitoyens de Corse ont refusé le 3 juillet 2003. La survivance de ce système électoral se situe aux antipodes des choix démocratiquement exprimés par la population. Aussi, il lui demande de corriger des défaillances connues de tous en mettant à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale la proposition de loi n° 1569 relative à la réforme du scrutin pour l'élection des conseillers à l'Assemblée de Corse.
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Texte de la REPONSE :
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REFORME DU MODE DE SCRUTIN POUR L'ELECTION DES CONSEILLERS
A L'ASSEMBLEE DE CORSE Mme la
présidente. La parole est à M. Émile Zuccarelli, pour exposer sa
question, n° 1449. M. Émile Zuccarelli. Monsieur le ministre
délégué à l'aménagement du territoire, je souhaite appeler l'attention de M. le
Ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, sur
la nécessaire évolution du mode de scrutin pour l'élection des conseillers à
l'assemblée territoriale de Corse. Chacun s'en souvient : les difficultés
rencontrées en 1998 lors de l'installation des conseils régionaux de France
métropolitaine furent telles qu'elles nous ont conduits à adopter la loi du 19
janvier 1999, confortée par celle du 11 avril 2003, qui a permis de dégager, aux
dernières élections, des majorités stables et gouvernables. Il est regrettable
que la Corse n'ait pas bénéficié de cette mesure clarificatrice et continue de
se voir appliquer, depuis le statut Joxe, une prime limitée à trois sièges, de
ce fait totalement inopérante. Nous sommes dans un cas de proportionnelle
absolue, alors qu'une prime de 25 % des sièges a été prévue pour les vingt et
une régions continentales. De la même manière, le seuil fixé pour l'accès
des listes au second tour des élections régionales ne s'élève en Corse qu'à 5 %
des suffrages exprimés, contre 10 % sur le continent, et il n'existe aucun seuil
minimal pour fusionner entre les deux tours, alors que dans toutes les autres
régions métropolitaines, ce dernier s'élève à 5 % des suffrages exprimés. Le
paradoxe de cette situation se révèle avec une acuité toute particulière si on
se rappelle que le corps électoral de Corse est le plus faible des vingt-deux
régions métropolitaines. Je le dis avec force : il n'existe aucune raison de
singulariser la Corse en matière électorale, d'autant plus que le maintien du
système existant a largement fait la preuve de ses inconvénients. Lors des
dernières élections territoriales, ce particularisme infondé a, une nouvelle
fois, engendré les effets néfastes précédemment dénoncés : cinquante et un élus
répartis en neuf groupes et aucune majorité absolue pour élire le président de
l'Assemblée de Corse et celui du conseil exécutif. Le fonctionnement quotidien
de cette institution en souffre évidemment. Au cours du débat parlementaire
sur la loi du 18 décembre 2003 relative à l'introduction de la parité entre
hommes et femmes à l'Assemblée de Corse, j'avais défendu un amendement visant à
aligner le mode d'élection à cette assemblée en matière de prime et de
pourcentages nécessaires pour se maintenir au second tour ou fusionner, sur
celui en vigueur dans le droit commun des autres régions métropolitaines. Le
Gouvernement avait rejeté cet amendement en arguant de l'impossibilité de
modifier le mode de scrutin moins d'un an avant les élections - nous étions en
décembre 2003 et le scrutin avait lieu en 2004. Au lendemain des élections
territoriales d'avril 2004, j'ai déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale
une proposition de loi poursuivant le même objet. Elle n'a jamais été mise à
l'ordre du jour. J'ai également interrogé le ministre de l'intérieur sur ce
point par une question écrite. La réponse mérite d'être intégralement citée : "
Le mode d'élection de l'Assemblée de Corse a toujours été volontairement choisi
afin de restituer la multiplicité des opinions qui traversent les différents
courants politiques. " Il s'agit là d'un éloge de la proportionnelle, mais où
est la singularité corse en la matière ? La multiplicité des courants d'opinion
n'existerait-elle pas également sur le continent ? Mais je poursuis : " Toute
réflexion sur le sujet s'inscrit nécessairement dans une réflexion plus large
sur les institutions de l'île. Or, ce débat est clos par la consultation du 3
juillet 2003. C'est pourquoi le Gouvernement n'entend pas modifier le droit
existant. " Cette réponse, par ailleurs insatisfaisante, contient
d'inacceptables raccourcis que je veux corriger. Le souci, toujours invoqué,
de ne décourager aucune sensibilité n'a abouti qu'à la balkanisation des listes,
à la survivance de petits groupes négociant âprement leur participation à
d'obscures batailles de troisième tour et, pour finir, à des situations
d'instabilité nuisibles pour la Corse. Lors du référendum du 3 juillet 2003,
les Corses ont rejeté un énième statut particulier. Or la survivance de ce
système électoral se situe aux antipodes du choix alors démocratiquement exprimé
par la population. C'est la raison pour laquelle je demande à M. le ministre
d'État, ministre de l'intérieur, de corriger ces défaillances évidentes en
mettant à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale ma proposition de loi qui
vise à réformer le mode de scrutin pour l'élection des conseillers à l'Assemblée
de Corse, ou toute autre proposition équivalente. Mme la
présidente. La parole est à M. le ministre délégué à l'aménagement du
territoire. M. Christian Estrosi, ministre délégué à
l'aménagement du territoire. Monsieur le député, vous avez manifesté votre
souhait que les membres de l'Assemblée de Corse soient élus selon le même mode
de scrutin que les conseillers régionaux. Cette réforme - je l'atteste au nom du
ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire -,
vous la défendez régulièrement, et avec acharnement, depuis l'adoption de la loi
du 11 avril 2003, au nom de deux arguments : le premier est que rien ne
justifierait un mode de scrutin différent du droit commun, au regard notamment
de la difficulté à constituer une majorité stable à l'Assemblée de Corse ; le
second se fonde sur une hostilité supposée des électeurs au mode actuel
d'élection. Vous le savez, les réformes électorales du mode de scrutin de
l'Assemblée de Corse ont été nombreuses ces dernières années. Je n'énumérerai
pas toutes les lois électorales votées depuis 1982, mais il me semble que nous
en sommes déjà à la cinquième depuis cette date, soit, en moyenne, une réforme
tous les cinq ans. Le mode de scrutin actuel permet-il, tout à la fois, de
refléter la diversité des courants qui traversent la société corse -
préoccupation légitime - et d'assurer à l'Assemblée la majorité stable dont elle
a besoin ? Vous conviendrez d'abord, monsieur le député, que les Corses
semblent attachés à ce que leur représentation à l'Assemblée reflète la
diversité des courants politiques qui les traversent. Depuis 1982, quatorze
listes en moyenne ont sollicité les suffrages des électeurs, avec un pic de
dix-neuf listes lors du dernier scrutin de 2004, où la moitié de l'électorat a
encore opté pour des listes ne dépassant pas 10 % des suffrages. De tels
comportements de l'électorat ne peuvent pas être niés. Cependant, vous le
rappelez, et les élus corses le vivent au quotidien, le système actuel complique
à l'extrême la constitution d'une majorité absolue et peut rendre difficile le
fonctionnement, au jour le jour, de la collectivité territoriale de
Corse. Faut-il en tirer des conséquences juridiques et modifier le mode de
scrutin ? J'en conviens, monsieur le député, la question mérite d'être posée
sérieusement et étudiée dans le contexte particulier de la Corse et dans le
respect de ses équilibres institutionnels et politiques. Mme la
présidente. La parole est à M. Émile Zuccarelli. M. Émile
Zuccarelli. J'ai cru déceler dans la réponse du ministre des éléments
qui me donnent espoir, comme la prise en compte du fait que la décentralisation
ne vaudrait pas d'être mise en oeuvre si les institutions devaient être
paralysées. Nous avons récemment examiné en commission des lois un rapport de
notre collègue Michel Piron sur le fonctionnement, plus ou moins satisfaisant,
des organes de la décentralisation. Il est clair que l'Assemblée de Corse, qui a
été dotée de compétences extrêmement étendues, ne peut pas fonctionner dans les
conditions actuelles. Ce point est essentiel. On peut toujours broder sur le
pluralisme auquel les Corses seraient attachés ! La France entière est attachée
au respect des nuances les plus fines, mais il n'en demeure pas moins que les
institutions doivent être gouvernables. C'est pourquoi on ne saurait retenir
comme un argument de l'attachement particulier des Corses au pluralisme la
multiplicité des listes, car on peut toujours pousser plus loin le système et
obtenir encore plus de listes ! Un tel argument n'est pas une preuve
d'attachement au bon fonctionnement de nos institutions. Il faut avancer.
J'ai bien compris que M. le ministre de l'intérieur abordait cette question avec
une ouverture d'esprit dont je prends acte avec autant de plaisir que de
prudence. La question mérite en effet qu'on y réfléchisse. Je tiens simplement à
rappeler qu'en 2003 on m'a opposé la proximité d'un scrutin pour refuser de
changer les règles. Je vous en supplie : n'attendez pas 2008 ou 2009 pour
resservir le même argument et justifier ainsi l'immobilisme !
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