PROCÉDURE DE MISE EN CONCURRENCE
LORS DU RENOUVELLEMENT DES CONCESSIONS DE JEUX
Mme la présidente. La
parole est à M. Jean-Louis Léonard, pour exposer sa question, n° 153,
relative à la procédure de mise en concurrence lors du renouvellement des
concessions de jeux.
M. Jean-Louis Léonard.
Monsieur le ministre délégué aux libertés locales, ma question porte sur les
droits et obligations des municipalités relatifs aux concessions de service
public, notamment celles que constituent les casinos.
Comme vous le savez, monsieur le
ministre, une loi de 1907 autorise l'ouverture de casinos dans les stations
balnéaires, thermales ou climatiques, et une loi du 5 janvier 1988
étend cette autorisation aux villes principales d'une agglomération de plus de
500 000 habitants. Or plusieurs villes de France se retrouvent dans une
situation assez critique, dans la mesure où elles doivent appliquer des
dispositions absolument inapplicables. C'est notamment le cas en
Charente-Maritime où les villes de La Rochelle, Royan, Châtelaillon-Plage,
dont je suis le maire, et Fouras ont chacune un casino.
En effet, trois de ces casinos sont
installés dans des bâtiments privés, ce qui pose un problème, puisque, depuis la
loi du 30 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à
la transparence de la vie économique et des procédures publiques, dite « loi
Sapin », qui était destinée à mettre fin à un certain nombre de « problèmes » -
et je pèse mes mots - liés aux concessions de service public, les casinos sont
considérés comme des concessions de service public relevant de la responsabilité
des maires, eux-mêmes responsables de la police des jeux dans leur commune.
Bien entendu, la loi précise que ces
délégations de service public sont soumises par l'autorité délégante, en
l'occurrence la commune, à une procédure de publicité imposant la présentation
de plusieurs offres concurrentes. Au regard de ces dispositions, il semble
cependant, comme le soulignait le rapport de 2001 de la Cour des comptes,
dans le chapitre consacré aux observations des juridictions financières, que les
exemples montrent l'inadaptation de la loi Sapin au secteur des casinos et les
difficultés d'application qu'elle soulève.
Comment, en effet, mettre en
concurrence différents candidats lors du renouvellement d'une concession,
lorsque, par exemple, il apparaît que l'un d'entre eux est propriétaire des
murs, alors que le cahier des charges, que le maire rédige sous sa propre
autorité, doit stipuler l'endroit où doit se trouver l'établissement de jeux ?
La construction ou la location d'un nouveau bâtiment abritant un nouveau casino
lors de chaque renouvellement de concession ne semble évidemment pas une
solution envisageable. Dans ces conditions, monsieur le ministre, comment
peut-on réellement assurer une mise en concurrence des candidats ?
Le même rapport de 2001 de la Cour
des comptes soulignait cet état de fait et indiquait que la concurrence reste
très faible, voire nulle lors du renouvellement des délégations. Elle précisait
même, dans son rapport, que, dans 90 % des cas examinés par les
juridictions financières, les dispositions de la loi Sapin n'avaient pas été
respectées, c'est-à-dire que les règles de la concurrence n'avaient pas joué.
Dans de rares cas de renouvellement de concession où la commune a reçu plusieurs
candidatures qui auraient permis de faire jouer la concurrence, celle-ci s'est
trouvée bloquée par l'immobilier.
Une telle situation décourage les
communes, qui, malgré tout, doivent monter - et c'est le cas actuellement de la
mienne - des dossiers extrêmement lourds régis non seulement par la loi Sapin
mais aussi par la loi sur les jeux et contrôlés, bien entendu, par le ministère
de tutelle.
Une solution
consisterait à introduire dans cette loi un article stipulant que le
concessionnaire en place doit, en cas de non-renouvellement de sa concession par
la commune, céder ses locaux ou les louer à un prix de marché évalué par les
domaines en fonction de la valeur vénale de ceux-ci et en tenant compte des
investissements réalisés - les casinos étaient des établissements coûteux. Bien
entendu, une telle solution ne pourrait être appliquée qu'aux locaux dont la
destination est, de par leur situation, leur histoire, leur statut, notoirement
réservée aux jeux et lorsqu'ils figurent dans le cahier des charges rédigé par
la commune.
Cette procédure,
quelque peu dérogatoire au droit de propriété, présenterait l'immense avantage,
d'une part, de rendre à la loi son véritable sens et, d'autre part, de permettre
aux maires, dont je suis, de jouer pleinement leur rôle et de ne plus avoir le
sentiment d'être les complices d'une organisation préétablie des jeux en
France.
Monsieur le ministre, je
pense que vous êtes en mesure de modifier cette loi, qui a été élaborée,
rapellons-le, dans un contexte extrêmement délétère, qui faisait suite à de
nombreuses affaires. Celle-ci est totalement inadaptée aux concessions de
service public, en particulier celles qui relèvent de régies, comme c'est le
cas, par exemple, pour les transports. En effet, nous savons très bien que la
mise en concurrence est souvent faussée par la propriété des locaux, par celle
des moyens. De surcroît, cette loi est encore plus inadaptée pour les casinos et
met les maires en porte-à-faux, pour ne pas dire systématiquement en situation
illégale.
J'espère, monsieur le
ministre, que vous allez nous fournir une bonne réponse.
Mme la présidente. La
parole est à M. le ministre délégué aux libertés locales.
M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales.
Monsieur le député, permettez-moi de vous rappeler d'abord l'état du droit.
Comme l'a rappelé le Conseil d'Etat,
dans son avis du 4 avril 1995, les concessions d'exploitation des
casinos constituent des délégations de service public au sens de la loi du
29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la
transparence de la vie économique et des procédures publiques, dite « loi Sapin
». La spécificité de la matière avait en effet conduit le Gouvernement à
solliciter cet avis.
Certaines
des spécificités des concessions d'exploitation des casinos, au regard du
respect du principe de mise en concurrence, ont d'ailleurs été évoquées, vous
l'avez souligné, tant dans les rapports de la Cour des comptes que dans celui du
sénateur Trucy consacré aux jeux de hasard et d'argent en France.
Plus précisément, en cas de
renouvellement des concessions, des considérations immobilières - et c'est
l'objet de votre question - peuvent poser problème pour le respect de ce
principe de concurrence. Il s'agit des cas où l'exploitant, ou une société
civile immobilière qui lui est liée, est propriétaire des murs de l'immeuble
d'implantation du casino.
En
effet, si la commune spécifie lors de la consultation que l'activité du futur
casino devra se dérouler dans ce même bâtiment, la concurrence peut être
considérée comme faussée au bénéfice du concessionnaire sortant. Une procédure
ainsi conduite a d'ailleurs été annulée pour ce motif par le tribunal
administratif de Grenoble en 2000, s'agissant du casino d'Aix-les-Bains.
A cet égard, il convient de
souligner que l'entière application des dispositions de la loi Sapin exige de
laisser aux candidats le choix d'implantation du site du casino. Si la
municipalité veut conserver l'implantation du casino sur le même site, pour des
raisons d'histoire, d'urbanisme ou de tradition, elle doit, pour respecter la
concurrence, s'assurer préalablement au lancement de la consultation que le
propriétaire donnera à bail le bâtiment au futur exploitant du casino choisi par
la commune, quel qu'il soit. La commune doit spécifier cette condition dans le
règlement de la consultation. C'est à cette condition que, même dans cette
hypothèse, le principe de mise en concurrence inscrit dans la loi Sapin peut
être respecté.
En outre, il peut
être rappelé que ce principe a parfaitement été mis en oeuvre à plusieurs
reprises lors de consultations lancées pour l'ouverture de casinos, notamment
dans des grandes agglomérations comme Lyon, Bordeaux, Le Havre ou Toulouse.
le Gouvernement attache une grande
importance à la transparence et au rôle des communes comme autorité concédante
des casinos. C'est la raison pour laquelle il pense nécessaire de maintenir la
concession de casino dans le cadre légal des délégations de service public. Cela
étant, il est prêt à examiner les difficultés éventuelles qui se poseraient
encore dans ce cadre, et je suis à votre disposition, monsieur le député, pour
en parler avec vous. Des mesures de simplification peuvent être envisagées, mais
il nous faut rester dans le cadre légal des délégations de service public.
Mme la présidente. La
parole est à M. Jean-Louis Léonard.
M. Jean-Louis Léonard.
Je suis tout à fait d'accord avec vous, monsieur le ministre, il faut rester
dans le cadre de la délégation de service public. Nous le souhaitons tous car
nous sommes pour la transparence. Mais, le risque, c'est de rester, dans
90 % des cas, dans l'illégalité, ce n'est pas moi qui le dis, c'est le
rapport de la Cour des comptes de 2001 qui observe que 90 % des mises en
concurrence ne sont pas de réelles mises en concurrence du fait de
l'immobilier.
Certes, je veux
bien, en tant que maire, écrire dans le cahier des charges que la réponse à
l'appel d'offres doit préciser le choix du lieu mais vous savez fort bien qu'il
est impossible de trouver, dans une commune de 15 000 habitants maximum,
plusieurs lieux de casinos différents.
Quant à dire que le maire doit
prendre ses précautions avant l'appel d'offres et s'assurer que le propriétaire
actuel des lieux est disposé à mettre ce lieu à disposition d'un autre
concessionnaire, c'est une vue de l'esprit. C'est vraiment une vue théorique que
manifeste là le Conseil d'Etat. Nous souhaitons donc que le Conseil d'Etat, sur
votre insistance, prenne en compte notre expérience.
A ce propos, je retiens votre
dernière phrase, monsieur le ministre : en simplifiant, nous pourrions, tout en
restant dans une concession de service public, intégrer dans le texte que le
concessionnaire doit, en cas de non-renouvellement de sa concession, mettre à
disposition ses locaux dans des conditions définies par la loi et après une
expertise des domaines. C'est le souhait de tous mes collègues maires de ville
où sont implantés des casinos.