Texte de la QUESTION :
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M. Éric Raoult souhaite attirer l'attention de M. le ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer sur les recours déposés devant la justice administrative à l'encontre de la SNCF pour son rôle dans les déportations de la Seconde Guerre mondiale. En effet, le 6 juin dernier, la SNCF était condamnée en première instance par le tribunal administratif de Toulouse pour avoir transporté, au mois de mai 1944, des familles juives « dans des conditions indignes de la personne humaine ». Alors que la SNCF a depuis longtemps entrepris un nécessaire travail de mémoire sur cette question, avec notamment la publication en 1996 d'un rapport « La SNCF sous l'occupation allemande (1940-1944) » ou bien l'organisation d'une exposition itinérante entre 2002 et 2004, et que l'Etat, à travers la reconnaissance de sa responsabilité par le Président de la République en 1996 et la mise en place de la commission d'indemnisation des victimes des spoliations, a lui aussi entrepris un travail d'importance, ces recours donnent une image dérisoire par rapport à la tragédie vécue. Il lui demande donc quelles mesures il compte prendre pour mettre fin à ces recours.
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Texte de la REPONSE :
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MISE EN CAUSE DE LA RESPONSABILITE DE LA SNCF DANS LES
DEPORTATIONS DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE M.
le président. La parole est à M. Éric Raoult, pour exposer sa question,
n° 1733. M. Éric Raoult. Monsieur le ministre délégué aux
anciens combattants, vous vous souvenez sans doute qu'à votre invitation, nous
étions, le 19 mars 2003, avec Mme Nicole Guedj, sur les rails du camp de
déportation d'Auschwitz. Élu de la Seine-Saint-Denis, département qui compte de
nombreux lieux de mémoire et de martyre de la Shoah, je rends hommage, au terme
de cette législature qui a connu tant d'anniversaires de drames, à votre action
généreuse car vous avez été le ministre de la relance de cette mémoire et celui
du coeur en plus. C'est donc avec beaucoup d'émotion que je vous adresse, ainsi
qu'à Mme la ministre de la défense, cette question qui porte sur une regrettable
polémique. Le 6 juin dernier, le tribunal administratif de Toulouse
condamnait en première instance l'État et la SNCF pour la déportation, au mois
de mai 1944, de familles juives " dans des conditions inhumaines ". À la suite
de cette condamnation, plus de deux cents familles ont saisi la SNCF de demandes
identiques. Il a été interjeté appel de la décision, et je me garderai bien
d'intervenir sur une procédure juridictionnelle en cours. Sans remettre en cause
les faits invoqués, je tiens en revanche à témoigner de mon étonnement, voire de
ma désapprobation devant une telle initiative. Lors de l'Occupation, la SNCF
a été chargée d'effectuer selon la politique de l'État français les déportations
exigées par l'Allemagne nazie. Elle agissait alors, comme le reconnaissent de
nombreux historiens, sous le régime de la réquisition et ne pouvait, hélas,
faire autrement. Depuis, la SNCF et l'État ont effectué un long travail de
mémoire et reconnu les faits d'alors. Le 16 juillet 1995, lors de la
commémoration du 53e anniversaire de la rafle du Vél d'Hiv, le Président de la
République, Jacques Chirac, reconnaissait dans un discours fondateur et sans
précédent - puisque son prédécesseur n'avait jamais abordé la question, pour les
raisons que l'on sait - " les fautes commises par l'État " et " l'existence
d'une dette imprescriptible " à l'égard des victimes. Par la suite, a été
créée la commission Mattéoli sur la spoliation des Juifs, remplacée en 2000 par
la commission d'indemnisation des victimes des spoliations. De son côté, la
SNCF a, dès 1992, ouvert ses archives aux historiens. Sous la direction d'Henry
Rousso, une longue étude a abouti à la publication du rapport de Christian
Bachelier : " La SNCF sous l'occupation allemande (1940-1944) ". L'État et la
SNCF ont dès lors reconnu les faits qui se sont déroulés sous l'occupation et
ils en ont tiré les conséquences, Une indemnité a été accordée aux orphelins "
dont les parents ont été victimes de persécutions antisémites ". Une fondation
pour la mémoire de la Shoah, alimentée par des fonds détenus par l'État et ayant
appartenu à des victimes, a été créée. Enfin, une procédure d'indemnisation des
victimes directes des mesures antisémites fonctionne depuis 1999. L'action
introduite par un parlementaire européen dirigeant des Verts est malheureusement
devenue polémique. La communauté juive de France est troublée par cette prise de
position maladroite et intempestive, qui se méprend sur son appréciation par
l'opinion. Les salariés de la SNCF ne comprennent pas. Alors que l'État et la
SNCF ont reconnu leurs responsabilités pendant cette période et que l'heure
devrait être plus à la mémoire qu'à la polémique, n'est-ce pas un mauvais procès
? Je souhaite donc connaître la position du Gouvernement sur ce dossier : il
faut avant tout respecter la mémoire et ne pas mettre de la politique
partout. M. le président. La parole est à M. le ministre
délégué aux anciens combattants. M. Hamlaoui Mekachera,
ministre délégué aux anciens combattants. Le recours émis par la famille
de M. Lipietz contre la SNCF pour son rôle dans les persécutions antisémites et
le récent jugement du tribunal administratif de Toulouse ont suscité une forte
émotion et de nombreux commentaires. D'ailleurs, monsieur le député, dans votre
question, il y a une partie de la réponse. Comme vous l'avez indiqué, la SNCF
a fait appel du jugement du tribunal administratif de Toulouse. S'agissant
des recours déposés par plusieurs autres familles contre la SNCF, nous
respectons le travail mené actuellement par les tribunaux, comme nous
respecterons leur décision. Il convient donc désormais d'attendre la suite de la
procédure, et il ne m'appartient ni de la commenter, ni de porter un jugement
sur ces recours. Votre question, monsieur le député, me permet de rappeler
l'héroïsme de très nombreux cheminots pendant la Seconde guerre mondiale.
Prenant des risques considérables, par milliers, en patriotes courageux, ils ont
rejoint la Résistance. Ils ont donné le meilleur d'eux-mêmes et sont parfois
allés jusqu'au sacrifice suprême. Leur rôle fut majeur et reconnu comme tel,
notamment au moment du débarquement allié en Normandie. Nous avons tous une
profonde admiration pour l'action des cheminots dans la Résistance et nous
connaissons tous le caractère unique et indicible de la Shoah. Nous avons tous
un infini respect pour les souffrances de celles et ceux qui ont été victimes
des persécutions antisémites. Il est donc souhaitable d'éviter toute polémique
et je suis sûr que la justice administrative y contribuera. M. le
président. La parole est à M. Éric Raoult. M. Éric
Raoult. Monsieur le ministre, nous sommes nombreux, sur tous les bancs,
à apprécier ces paroles de paix et d'apaisement, mais ceux-ci ne doivent pas
faire oublier que, dans les gares, nombre de Français avaient honte de voir
arborer la francisque et que nos concitoyens ont été très nombreux à figurer
parmi les justes qui ont tendu une main secourable. Il est donc important qu'à
différentes occasions, le peuple français se réunisse pour montrer, comme le dit
la publicité de la SNCF, que " le train relie les hommes, il ne les divise pas
". Au nom de mon département qui sait ce qu'a pu être le départ des trains de
la cité de la Muette à Drancy, je remercie le Président de la République pour
les propos qu'il a tenus en 1995, et M. le ministre de l'intérieur pour les mots
forts qu'il a prononcés en visitant le musée de Yad Vashem. Nous vous remercions
également, monsieur Mekachera, vous qui êtes un très grand ministre des anciens
combattants et qui oeuvrez tant pour la mémoire de cette période.
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