Texte de la QUESTION :
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Mme Chantal Robin-Rodrigo appelle de façon toute particulière l'attention de M. le ministre des affaires étrangères sur le Musée des Cloîtres du Metropolitan Museum de New York. En effet, les « Cloisters », comme le nomment familièrement les Américains, renferment cinq trésors nationaux exportés vers les États-Unis de façon extrêmement contestable (et toujours vivement contestée) avant la Première Guerre mondiale par le collectionneur américain George Grey Barnard. Le démontage et l'exportation de cloîtres médiévaux français a mutilé de grands sites du patrimoine national : Saint-Michel-de-Cuxa (Pyrénées-Orientales), Saint-Guilhem-le-Désert (Hérault), Bonnefont-en-Comminges (Haute-Garonne), Froville (Meurthe-et-Moselle) et Trie-sur-Baïse (Hautes-Pyrénées). Par ailleurs, ces exportations peuvent être qualifiées, de nos jours et avec le recul, de frauduleuses tant elles se sont faites dans la plus pure opacité et sans tenir compte de l'opposition forcenée des populations locales. A ce sujet, dans le plus pur cynisme et mépris qui ont toujours caractérisé leur conduite, il apparaîtrait que les autorités américaines se seraient alors empressées de classer ces splendeurs du patrimoine français comme « monuments historiques des États-Unis d'Amérique » dès leur arrivée outre-Atlantique. La situation est intolérable, et l'est d'autant plus qu'elle illustre parfaitement l'une des facettes du fameux mépris latent qu'ont les États-Unis envers la « vieille Europe ». C'est pour cette raison qu'elle lui demande de lui indiquer si le Gouvernement entend déposer dans les plus brefs délais et de manière officielle auprès des autorités américaines une ferme demande de restitution sans conditions de ces biens architecturaux et culturels nationaux inestimables de notre pays.
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Texte de la REPONSE :
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Le Musée des Cloîtres, annexe du Metropolitan Museum de New York, abrite les éléments de plusieurs cloîtres français provenant de la collection G.G. Barnard, rachetée par la fondation Rockefeller pour ce musée et exposée depuis 1938 à Fort Tryon Park (New York). Cette collection comprend, en particulier, les cloîtres cisterciens de Saint-Michel-de-Cuxa (Pyrénées-Orientales), Saint-Guilhem-le-Désert (Hérault), Bonnefont-en-Comminges (Haute-Garonne), Trie-sur-Baïse (Hautes-Pyrénées) et Froville (Meurthe-et-Moselle). Les États-Unis ne connaissent pas le système français du classement au niveau national, lui préférant un système local (généralement mis en oeuvre au niveau des États) de désignation de « landmarks », ou sites remarquables. Les informations selon lesquelles les cloîtres auraient été classés monuments du patrimoine américain relèvent d'une interprétation extensive de cette disposition. Par ailleurs, les achats de George Grey Barnard en France sont aujourd'hui assez bien connus, en particulier grâce à la publication de ses Carnets par Elie de Comminges (1981) et Xavier Burrali Aliet (1987) et par diverses monographies. Ils se sont échelonnés de 1907 à 1913, date à laquelle l'intervention du sous-secrétaire d'État aux beaux-arts Léon Bérard et l'adoption de la loi du 31 décembre 1913 sur la protection et la préservation des bâtiments classés parmi les monuments historiques mirent fin à l'essentiel de son activité, qui persista néanmoins de façon limitée jusqu'en 1930 (achat des arcades de Froville, 1920). En tout état de cause, toutes les exportations sont intervenues soit avant l'adoption de la loi précitée, soit avant le classement établi sur la base de celle-ci. Lorsque G.G. Barnard commença ses achats, le démontage des cinq cloîtres cités ci-dessus était malheureusement presque achevé : gravement endommagés, voire détruits (Trie-sur-Baïse) pendant les guerres de religions, abandonnés au XVIIIe siècle avec la désaffection à l'égard du monachisme, vendus comme biens nationaux et transformés au XIXe siècle en carrières de pierre (Saint-Guilhem-le-Désert, Bonnefont), en exploitation agricole (Froville) ou en établissement industriel (Saint-Michel-de-Cuxa), la plupart de leurs pierres avaient déjà été achetées par des collectionneurs français ou réemployées dans des constructions modernes. Le vandalisme d'origine est donc malheureusement imputable non à G.G. Barnard, mais bien, comme le fait remarquer Louis Réau (Histoire du vandalisme. Les monuments détruits de l'art français, 2e édition, p. 892), aux propriétaires français de ces monuments. Il est tel qu'un grand nombre des pièces conservées aux Cloisters n'a pas été identifié avec certitude, malgré les recherches des spécialistes. On doit reconnaître à la fondation Rockefeller (qui a également financé la restauration du château de Versailles) d'avoir maintenu l'unité de la collection Barnard, d'abord en l'achetant pour en faire don au MMA, puis en la faisant installer dans les années 1930 à son emplacement actuel, dans une démarche proche de celle adoptée pour les collections khmères du musée Guimet. Dans toutes ces activités, une coopération étroite s'est d'ailleurs instaurée entre conservateurs français et américains, et le MMA a récemment remis à la France deux chapiteaux du cloître de Saint-Michel-de-Cuxa en appoint au regroupement sur site des éléments dispersés dans les collections françaises. Il faut enfin noter que le MMA, comme c'est généralement le cas aux États-Unis, n'est pas un musée national, mais un établissement privé à but non lucratif (private not for profit) dont les immeubles et les terrains appartiennent à la ville de New York, les collections relevant d'un trust. Pour toutes ces raisons, le Gouvernement ne voit pas sur quel fondement il pourrait déposer une revendication officielle auprès du gouvernement américain des éléments d'architecture religieuse médiévale conservés aux Cloisters.
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