DEBAT :
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NÉGOCIATIONS ENTRE L'UNION EUROPÉENNE ET LA TURQUIE M. le
président. La parole est à M. Alain Bocquet, pour le groupe des
député-e-s communistes et républicains. M. Alain Bocquet. Monsieur le président, monsieur
le Premier ministre, mes chers collègues, le 14 octobre dernier, dans le débat
ouvert ici même sur la candidature de la Turquie à l'Union européenne, j'avais
mis l'accent, au nom des député-e-s communistes et républicains, sur trois
exigences essentielles à prendre en compte pour que les conditions de son
adhésion soient remplies : être attentif à l'évolution du contexte démocratique
et social de l'autre côté du Bosphore, aider les forces démocratiques qui
oeuvrent en Turquie en ce sens et opérer dans l'Union européenne une rupture
avec le système libéral que vous défendez bec et ongles et qui compromet
l'avenir de solidarité et de paix en Europe. Depuis, les
vingt-cinq Chefs d'État et de Gouvernement ont décidé de proposer à la Turquie
l'ouverture de négociations dès le 3 octobre 2005. Aujourd'hui, l'essentiel des interrogations que j'avais
évoquées demeurent. C'est vrai des droits des minorités
en Turquie, à commencer par ceux du peuple kurde. C'est
vrai de la question chypriote, le récent engagement d'Ankara n'étant qu'une
simple étape sur le chemin de la reconnaissance pleine et entière de cet
État. C'est vrai encore du génocide du peuple arménien -
un million et demi de victimes. Notre Parlement l'a reconnu unanimement en 2000.
Le texte de Bruxelles ne le mentionne pas. La Turquie semble camper sur ses
positions. Un devoir de mémoire s'impose pourtant. Sans
oublier l'insuffisance des protections sociales, les atteintes aux droits de
l'homme, et aux droits des femmes, et le type de développement économique adopté
par la Turquie, qui creuse les inégalités entre ses habitants et fait dire à son
ministre des finances que son pays est " une alternative particulièrement
séduisante pour les candidats à la délocalisation ". Cela dit, n'oublions pas les évolutions indéniables et les
progrès accomplis par cet État. Des réformes juridiques et constitutionnelles
vont dans le sens d'un renforcement de la protection des droits fondamentaux des
citoyens turcs. La reconnaissance des langues et cultures minoritaires,
l'abolition des cours de sûreté de l'État et la suppression de la peine de mort
en témoignent. Surtout, il nous faut aussi entendre la
conviction exprimée voici quelques jours en France par Leyla Zana, députée kurde
arrêtée le jour de sa prestation de serment au Parlement turc en 1994 et
emprisonnée pour dix longues années, pour qui la perspective d'adhésion de la
Turquie à l'Union est " un immense espoir " pour son peuple. Reste pourtant que la décision de l'Union européenne
d'ouvrir les négociations est assortie de conditions draconiennes. Reste également que ces discussions, qui dureront dix à
quinze ans, pourront être stoppées à tout moment par le veto de n'importe lequel
des États membres. En saluant " les progrès décisifs
réalisés par Ankara dans son processus ambitieux de réforme ", le Conseil
européen n'hésite pas à ajouter que " ces négociations sont un processus ouvert
dont l'issue ne peut être garantie à l'avance ". Cette clause est totalement
inédite. Il n'en a jamais été ainsi lors des élargissements précédents.
Sera-t-elle imposée demain à l'entrée éventuelle d'autres pays ? C'est donc un oui d'opérette qui est concédé à la Turquie,
un oui frileux, prononcé du bout des lèvres, tandis que les conditions sont
d'ores et déjà largement créées pour décourager sa candidature et l'inciter à se
contenter d'un partenariat privilégié avec l'Union. En
conséquence, ne comptez pas sur les député-e-s communistes et républicains pour
tomber dans votre piège,... M. Charles Cova. On s'en moque ! M. Alain Bocquet.
...celui d'une polémique fiévreuse, brusquement, et opportunément rallumée pour
faire de cette question celle dont, soudain, tout dépend. Comme si la Turquie
pouvait changer sans que change l'Europe à laquelle son peuple souhaite adhérer
! À la vérité, vous souhaitez parasiter la question
essentielle, celle du référendum sur la constitution Chirac-Giscard, la
constitution Seillière (Exclamations sur les bancs du
groupe de l'Union pour un mouvement populaire), la constitution
ultra-libérale qui enferme tous les peuples d'Europe pour trente ou cinquante
ans dans le carcan du libéralisme. (Applaudissements sur
les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) M. Richard Mallié.
C'est vous qui parasitez ! M. Alain Bocquet. Car c'est là que le bât blesse.
Chaque jour, la résistance est plus grande à cette Europe de la haute finance,
des marchands, du chômage et de la misère. M. Richard Mallié. N'oubliez pas le MEDEF ! M. Alain Bocquet. Le
jeu des partisans du oui à l'Europe du capitalisme mondialisé est donc de
focaliser et de crisper l'opinion française sur une présentation biaisée de la
question turque, de fausser la réflexion du monde du travail en réduisant les
enjeux à une hypothétique entrée de la Turquie dans l'Union européenne, qui ne
se posera dans les faits que dans quinze ans. Une fois
encore, c'est un mépris pour nos concitoyens, un mépris pour les peuples
d'Europe, un mépris pour le peuple turc ! Et tout cela pour préserver et étendre
des dominations qui font au moins vingt millions de chômeurs et cinquante-six
millions de pauvres dans l'Europe élargie. Voilà le vrai visage de l'Union
européenne que vous bâtissez ! M. André Gerin. Tout à fait ! M. Alain Bocquet. Si
votre Constitution triomphe, ce sont les politiques que vous appliquez dans
notre pays qui s'étendront à l'Europe, s'abattront sur tous les peuples,
redoubleront leurs difficultés et accentueront les inégalités qui minent d'ores
et déjà l'Europe de demain. M. Claude Goasguen. Mais non ! M. Alain Bocquet.
L'enjeu immédiat est celui du référendum sur le projet de Constitution
européenne que vous prévoyez d'avancer en toute hâte au printemps prochain.
L'adhésion de la Turquie représente, quant à elle, quinze ans de négociations
aléatoires entre États au sein des institutions. Permettez-moi de le dire : il
s'agit là d'une manipulation d'opinion qui trouble le débat sur les véritables
enjeux. Nous appelons donc nos concitoyens à se
détourner du piège ainsi tendu, pour faire de la victoire d'un non populaire et
progressiste à cette constitution leur objectif ! Un non porteur d'espoir, pour
l'ensemble des peuples d'Europe, du peuple français au peuple turc. Un non qui
offrira la perspective généreuse d'une Europe des peuples s'ouvrant demain à une
Turquie respectueuse des valeurs de progrès social et démocratique que nous
voulons mettre en oeuvre. Nous sommes pour une Europe
respectueuse des peuples, celle qui est la véritable alternative à vos projets !
Une Europe de quelque 500 millions d'hommes et de femmes qui, au-delà de leurs
particularismes culturels et religieux, partagent la volonté de bâtir une Europe
de paix, une Europe sociale, une Europe solidaire. M. André Gerin. Très
bien ! M. Alain
Bocquet. Il faut que le non l'emporte pour garantir la construction
d'une Europe fraternelle " de l'Atlantique à l'Oural " en passant par la
Méditerranée. (Applaudissements sur les bancs du groupe
des député-e-s communistes et républicains. - Exclamations sur les bancs du
groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) M. le président. La
parole est à M. le Premier ministre. (Applaudissements
sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) M. Jean-Pierre
Raffarin, Premier ministre. Monsieur le
président, messieurs les présidents de groupe, mesdames et messieurs les
députés, pour l'ouverture des négociations européennes en vue d'une éventuelle
adhésion de la Turquie, le Président de la République française a fixé la
position de la France : oui à l'entrée de la Turquie à terme si elle remplit les
critères d'adhésion à l'Union européenne. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union
pour un mouvement populaire.) Pourquoi ? Parce que, si les conditions sont
réunies, ce sera l'intérêt de la France et de l'Europe. En répondant aujourd'hui à vos questions, comme vous l'avez
souhaité, mesdames et messieurs les députés, nous engageons avec le Parlement un
dialogue que nous voulons régulier, transparent et conforme à la
Constitution. Mme Martine
David. Arrêtez ! M. le Premier ministre. Ce dialogue durera tout au
long de négociations qui peuvent s'échelonner jusqu'en 2020. M. François Hollande.
Vous ne serez plus là ! M.
le Premier ministre. J'engage donc mes successeurs (" Ah ! " sur les bancs du groupe socialiste.), mais
aussi les vôtres. M.
François Hollande. Il a compris que c'est nous qui le ferons ! M. Henri Emmanuelli.
Qu'est-ce qu'on fait là aujourd'hui, alors ? M. le Premier ministre. Jusqu'à présent, vous
n'avez pas été très bons en matière de pronostics ! Vous ne pouvez pas être très
fiers ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de
l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe
socialiste.) À chaque étape, le ministre des
affaires étrangères, Michel Barnier, se tiendra à la disposition de votre
assemblée. M. Henri
Emmanuelli. On lui souhaite du courage ! M. le Premier
ministre. La France propose une vision courageuse de l'histoire. Depuis 1963, la question de l'entrée de la Turquie en
Europe est clairement posée. Aucun président, aucun chef de gouvernement, aucun
ministre sur ces bancs n'a répondu à ce jour par la négative. En 1999, l'ensemble des États membres a reconnu la vocation
européenne de la Turquie. M. François Hollande. C'est vrai ! M. le Premier
ministre. Le 6 octobre, la Commission a donné un avis positif sur
l'ouverture des négociations, que le Conseil européen a autorisée le 17
décembre. Ce choix, mesdames et messieurs les députés, nous engage. Ce n'est pas
un choix d'opportunité, comme je l'ai entendu tout à l'heure, c'est un choix qui
s'appuie sur une vision de la France, sur une vision de l'Europe. Nous proposons à la Turquie de faire sa véritable
révolution européenne. Notre projet européen est à la
fois un projet de paix et de stabilité, un projet pour la démocratie, les
libertés et les droits de l'homme, et un projet de développement économique et
social. C'est notre projet européen. C'est sur ces valeurs que la Turquie devra
se prononcer. C'est à elle de rejoindre notre projet. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union
pour un mouvement populaire.) L'ancrage de la
Turquie peut renforcer l'Europe si elle réunit les conditions requises. L'ancrage de la Turquie dans l'Union consolidera la paix et
renforcera la sécurité. L'ancrage de la Turquie rendra
irréversibles la démocratisation de ce pays et la défense des libertés. L'ancrage de la Turquie dans l'Union assurera son
développement économique tout en contribuant à sa prospérité. La Turquie doit donc faire sa révolution européenne.
Laissons l'Europe exercer sa force d'attraction démocratique, car c'est là qu'en
fait réside sa puissance. Rien ne condamne la Turquie à
l'exclusion éternelle de l'Europe. La géographie ?
Quelle part d'Europe la Turquie porte-elle en elle ? C'est une question qu'elle
se pose depuis des siècles. Aujourd'hui, nous voulons résolument qu'elle penche
du côté européen. C'est notre intérêt. C'est l'intérêt de l'Europe. N'ouvrons
pas à nos portes un foyer d'instabilité tourné contre une Europe qui aurait
refusé l'espoir. La religion ? Les dirigeants turcs nous
disent vouloir construire un État laïc. La France, pays de la laïcité, et le
Parlement, qui a voté à l'unanimité une loi d'avant-garde sur ce sujet,
doivent-ils décourager les dirigeants turcs de s'engager dans cette voie ? M. Marc Laffineur.
Très bien ! M. le Premier
ministre. Nombreux sont les musulmans qui, en Turquie, ne veulent pas
faire de la religion un projet politique. Retrouvons-nous sur l'essentiel, sur les valeurs
fondamentales et construisons un vivre ensemble européen qui sera d'autant plus
fort qu'il rassemblera des Européens de toutes confessions. L'immigration, enfin ? Souvenez-vous que, à chaque
élargissement, la question s'est posée et que la réponse fut toujours la
même. L'entrée dans l'Union permet de fixer les
populations parce que c'est un choix d'identité, parce que c'est un choix de
prospérité, parce que c'est un choix de liberté. Le développement est toujours
plus humain à la maison. Mesdames, messieurs les
députés, la négociation n'est pas l'adhésion. Je le dis clairement, il n'y a
pas, contrairement aux caricatures que j'ai entendues tout à l'heure,
automaticité de la négociation à l'adhésion. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union
pour un mouvement populaire.) Le processus va être
long et durer plusieurs années - dix ans, quinze ans peut-être -, pour une
raison simple, que la lucidité nous impose : ni l'Europe ni la Turquie ne sont
prêtes aujourd'hui à une adhésion. En Europe d'abord et
en France en particulier, il faudra du temps pour faire partager à tous les
acteurs concernés l'intérêt de la candidature turque. Évidemment ! La Turquie doit elle-même consolider sa démocratie,
progresser en matière de respect des droits de l'homme et des minorités, avec,
notamment, les tragiques questions arménienne et kurde. Plusieurs députés du groupe
socialiste. On appelle cela un génocide ! M. le Premier
ministre. Il n'y a aucun problème à parler du génocide arménien de
1915. C'est la loi, le Parlement l'a votée : je ne fais que vous citer, avec
conviction ! (Applaudissements sur les bancs du groupe
de l'Union pour un mouvement populaire.) Je le dis clairement. J'ajoute que, derrière ce mot, il y a une stratégie, une
volonté claire d'affirmer cette reconnaissance : c'est pour tous les pays de
l'Union européenne un devoir de mémoire que nous devons assumer tous ensemble,
comme l'a fait le Parlement français. (Applaudissements
sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) La Turquie devra confirmer le processus de réconciliation
régionale qui a été engagé avec la Grèce et régler la question de Chypre dans
l'esprit de réconciliation qui caractérise lui aussi le projet européen. Des progrès socio-économiques majeurs devront également
être établis. Enfin, un considérable travail
d'intégration de l'acquis communautaire doit être évidemment poursuivi. Des périodes transitoires longues et des clauses de
sauvegarde pourront, si c'est nécessaire, être prévues et engagées. Les négociations vont donc s'ouvrir. Il va de soi que, s'il
s'avérait que la Turquie ne veut pas ou ne peut pas adhérer à l'ensemble des
réformes que l'Union européenne lui propose, l'Union devra lui proposer un lien
partenarial en lieu et place de l'adhésion. M. Christian Estrosi. Très bien ! M. le Premier
ministre. Nous souhaitons que cette proposition soit faite si la
Turquie ne peut ni ne veut réunir les conditions d'adhésion au projet européen.
(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union
pour un mouvement populaire.) Pendant toute la
période des négociations, chaque État, chaque nation, chacun des vingt-cinq
États membres de l'Union européenne pourra utiliser son veto pour bloquer la
totalité des négociations s'il considère que ces dernières ne sont pas conformes
au projet européen. Je le dis à M. Bayrou avec gravité :
la France n'a pas abandonné son droit de veto. Elle le conserve, parce que ce
n'est pas un calcul léger mais un choix d'une extrême gravité qu'elle exercera
le moment venu si le projet turc n'est pas conforme au projet européen. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour
un mouvement populaire.) Dans quelques semaines, une
réforme constitutionnelle va vous être proposée avant que le nouveau traité
constitutionnel soit soumis au référendum. M. Jean-Pierre Blazy. Quand ? M. le Premier
ministre. Et dans cette réforme, comme le Président de la République
l'a souhaité, il est prévu qu'après la Roumanie, la Bulgarie et la Croatie,
toute nouvelle adhésion fera l'objet d'un traité qui sera obligatoirement
soumis, pour sa ratification, à un référendum. Ainsi, chaque Française et chaque
Français conservera son droit d'expression personnelle. Vous avez exprimé le souhait d'un débat. Ce débat peut
avoir lieu, et nous serons toujours disponibles. Mais ne
comptez pas sur moi ni sur mon gouvernement pour mettre à mal les principes de
la ve République (Applaudissements sur les bancs du
groupe de l'Union pour un mouvement populaire) qui ont fait leurs preuves et
qui donnent au Chef de l'État la mission essentielle de négocier les traités et
donnent au Parlement et au peuple la possibilité de les ratifier. M. Henri Emmanuelli.
C'est faux ! M. le Premier
ministre. Le peuple souverain aura le dernier mot : telle est la
conception que j'ai de la ve République ! (Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe de
l'Union pour un mouvement populaire.)
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