CONSÉQUENCES DE L'APPLICATION DE LA LOI LITTORAL
AUX ZONES CONCHYLICOLES
M. le président. La parole est à M. Didier Quentin, pour exposer sa question, n° 18, relative aux conséquences de l'application de la loi littoral aux zones conchylicoles.
M. Didier Quentin. Monsieur le secrétaire d'Etat aux transports et à la mer, comme je l'ai déjà fait à plusieurs reprises auprès de l'ancien gouvernement, malheureusement sans beaucoup d'effet, j'appelle l'attention de M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer sur l'inquiétude de nombreux professionnels et élus à propos de l'application de la loi littoral aux zones conchylicoles. Je pose ma question comme député de la Charente-Maritime, mais aussi comme président de l'Association nationale des élus du littoral.
Le dispositif mis en place depuis plus de dix ans en matière d'aménagements et de travaux autorisés dans les espaces remarquables a été réduit à néant par le décret n° 2000-1272 du 26 décembre 2000. Celui-ci substitue la notion de surface hors oeuvre brute, SHOB, à la notion de surface hors oeuvre nette, SHON, dans l'article R. 146-2 du code de l'urbanisme. Ne sont plus dorénavant autorisés que des aménagements ne créant pas de surface hors oeuvre brute et des locaux d'une superficie inférieure à 20 mètres carrés, sous réserve de critères multiples et cumulatifs.
L'application de l'article R. 146-2 du code de l'urbanisme ainsi modifié rend impossible, en espace remarquable, la construction d'un hangar agricole, conchylicole ou sylvicole. Par ailleurs, il ne permet que la réalisation de cheminements piétonniers. Une telle restriction interdit le passage des cyclistes, alors que celui-ci peut se révéler nécessaire pour des raisons de sécurité et qu'il correspond à des aspirations croissantes de nos concitoyens. Désormais, tout projet d'extension, même lié à l'application des réglementations sanitaires, est interdit, ainsi que tout projet d'aménagement nouveau, fût-il léger, puisqu'il crée de la surface hors oeuvre brute dans les espaces protégés au titre de la loi littoral. Dans la mesure où la plupart des sites conchylicoles sont situés en espace remarquable, c'est l'ensemble du développement économique de ce secteur qui est remis en cause.
En conséquence, de nombreux conchyliculteurs se trouvent dans une situation incohérente et même ubuesque : les services vétérinaires exigent la mise aux normes de salubrité de leurs établissements pour en poursuivre l'exploitation alors que le ministère de l'équipement refuse d'autoriser les travaux nécessaires.
Pourtant, la loi littoral, dans son article 1er, définit notamment comme politique d'intérêt général la préservation et le développement des activités économiques liées à la proximité de l'eau, telles que la pêche, les cultures marines, les activités portuaires, la construction et la réparation navales et les transports maritimes, ainsi que le maintien ou le développement dans la zone littorale des activités agricoles ou sylvicoles, de l'industrie, de l'artisanat et du tourisme.
A l'heure où les professions conchylicoles sont en pleine mutation, avec une forte baisse du nombre de concessionnaires, il apparaît indispensable de corriger dans les plus brefs délais cette erreur d'appréciation et de revoir le découpage des espaces remarquables. Celui-ci, en effet, a été effectué dans l'urgence et sans la concertation indispensable avec les professionnels et les élus.
De surcroît, les mesures d'extension de la loi littoral aux communes riveraines des estuaires, qui pourraient faire l'objet d'un prochain décret et qui s'appliquent notamment aux estuaires de la Charente, de la Seudre et de la Gironde, sont susceptibles de compromettre encore plus le développement économique et touristique.
Je vous demande, monsieur le secrétaire d'Etat, si le Gouvernement envisage d'abroger les dispositions de l'article R. 146-2 du code de l'urbanisme, qui se révèlent contraires aux principes mêmes de la loi littoral et aux dispositions de l'article R. 146-6. A défaut de l'abrogation des dispositions de l'article R. 146-2, je me permets de souhaiter que soit recommandée aux directions départementales de l'équipement une application plus souple de ce texte sur le terrain.
Par ailleurs, je souhaite savoir si le Gouvernement entend veiller à ce que l'application de la loi littoral dans les communes estuariennes soit faite en concertation constante et étroite avec l'ensemble des acteurs locaux et socio-économiques, dans le souci d'un juste équilibre entre protection et développement.
M. le président. La
parole est à M. le secrétaire d'Etat aux transports et à la mer.
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer.
Je remercie M. Quentin de sa question, dont nous parlions encore hier dans sa circonscription. M. Quentin est naturellement en première ligne sur ce sujet puisque, même s'il ne l'a pas dit par modestie, il est également président du Conservatoire national du littoral.
Le département dont il est l'élu, et que je connais bien également, est particulièrement concerné par les décrets d'application de la loi littoral. Nous avons un vrai souci sur la protection des sites et le développement d'activités économiques, car naturellement nous souhaitons mener les deux de concert.
La directive européenne de juillet 1991, qui a été transposée en droit français par un décret du 24 avril 1994, impose en effet aux ostréiculteurs, aux mytiliculteurs, expéditeurs de coquillages, très nombreux dans votre circonscription, monsieur Quentin, des normes sanitaires concernant leurs établissements.
Or le fameux article R. 146-2 du code de l'urbanisme interdit l'édification dans les espaces littoraux de constructions excédant vingt mètres carrés de SHOB. De ce fait, comme vous l'avez rappelé, il impose aux ostréiculteurs, aux mytiliculteurs, comme d'ailleurs aux autres professions qui seraient amenées à exercer leurs activités dans ces espaces, des contraintes qui compromettent la survie de leurs exploitations et surtout, ce qui est peut-être encore plus grave, interdisent la reprise et la mise aux normes européennes des exploitations anciennes. A la limite, il va contre l'objet même de ce qui pourrait être la modernisation et la mise aux normes, et vous avez raison de souligner l'absurdité de certaines situations rencontrées.
Je le répète, il est indispensable de concilier la nécessaire protection des espèces remarquables du littoral et le maintien et le développement des activités économiques. Mais le droit actuel ne permet pas cet équilibre, pourtant voulu par la loi littoral elle-même, à laquelle je sais que vous êtes personnellement très attaché.
Vous le savez, une affaire est pendante devant le Conseil d'Etat, qui nous permettra peut-être d'y voir clair. Mais celui-ci prendra le temps nécessaire. Nous ne pouvons pas attendre sa décision et risquer de perdre du temps. J'ai donc demandé à M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, Gilles de Robien, de proposer pour la fin novembre un rapport très précis, qui vous sera communiqué personnellement, monsieur Quentin, sur la solution juridiquement la plus adaptée au problème que vous soulevez.
Naturellement, parmi les pistes possibles figure la modification de l'article R. 146-2. J'en reparlerai aujourd'hui avec M. de Robien. Mais vous avez raison de le souligner, tout cela passe également par des applications souples de la part des directions départementales de l'équipement et une concertation avec les communes et les représentants des professionnels du monde conchylicole.
La conjugaison d'une modification du code - en l'occurrence de sa partie réglementaire -, d'une application souple et d'une concertation pourrait apporter la réponse que vous attendez aux questions très légitimes que vous venez de poser.
M. le président. La parole est à M. Didier Quentin.
M. Didier Quentin. Je tiens à remercier M. le secrétaire d'Etat.
J'ai en effet écouté avec satisfaction votre réponse, monsieur le secrétaire d'Etat, qui se distingue fort heureusement de la réponse délatoire que j'avais reçue du gouvernement précédent. Vous soulignez à juste titre l'absurdité des situations rencontrées. Les élus du littoral et les acteurs de terrain se féliciteront qu'une solution juridique adaptée puisse être enfin trouvée à ce lancinant problème à la fin novembre, comme vous venez de vous y engager en annonçant la modification du décret.