FICHE QUESTION
12ème législature
Question N° : 24591  de  M.   Lang Pierre ( Union pour un Mouvement Populaire - Moselle ) QE
Ministère interrogé :  industrie
Ministère attributaire :  industrie
Question publiée au JO le :  15/09/2003  page :  7062
Réponse publiée au JO le :  10/11/2003  page :  8662
Rubrique :  propriété intellectuelle
Tête d'analyse :  brevets
Analyse :  logiciels. politiques communautaires
Texte de la QUESTION : M. Pierre Lang attire l'attention de Mme la ministre déléguée à l'industrie sur les inquiétudes suscitées par la proposition de directive sur la brevetabilité des logiciels, qui doit être débattue prochainement au Parlement européen. La protection par brevet d'invention des créations informatiques est critiquable sur le plan juridique. Les conditions de brevetabilité (nouveauté, application industrielle, activité inventive) apparaissent inadaptées aux programmes d'ordinateur. L'intégration des logiciels dans le champ des brevets comporte un risque de dénaturation de la propriété industrielle. Ainsi, l'invention doit avoir un effet technique. Lorsqu'on tente d'appliquer ce critère aux logiciels, qui sont très abstraits, le caractère technique de l'invention devient une notion confuse. Cela entraîne une jurisprudence sinueuse et contradictoire de l'Office européen des brevets. La condition d'activité inventive semble, elle aussi, très difficile à remplir pour les programmes d'ordinateur. En outre, le coeur du logiciel, « l'algorithme », consiste à adapter une théorie mathématique pour lui donner une application informatique. L'algorithme s'apparente à un raisonnement, à une méthode intellectuelle, et devrait rester de libre parcours, comme toutes les idées. Or, la pratique de l'OEB montre que les brevets de logiciels délivrés ces dernières années portent souvent sur des algorithmes, ce qui peut bloquer toute la recherche appliquée. En janvier 2000, un rapport du MIT estimait déjà que la brevetabilité des programmes aurait un impact négatif sur l'innovation et la concurrence. Le progrès en matière de logiciels suit un rythme « séquentiel », avec des innovations chronologiquement dépendantes les unes des autres. Un système de brevets interrompt ce processus et entraîne l'affaiblissement de la concurrence. Les titulaires des droits exclusifs sont tentés de « se reposer sur leurs lauriers ». C'est pourquoi les professionnels soulignent les dangers de la brevetabilité des programmes d'ordinateur en tant que tels. Le secteur de l'édition logicielle en Europe redoute une explosion des brevets « offensifs », qui n'apportent aucune invention réelle, mais visent à affaiblir les concurrents les plus innovants en multipliant les poursuites judiciaires. Ces brevets artificiels, déposés par les grands éditeurs (Microsoft, Oracle), pourraient freiner les PME dans leur développement, par crainte d'être contrefactrices. La question de l'étendue de la protection est donc particulièrement délicate. Les professionnels craignent une brevetabilité illimitée, permise selon eux par la proposition de directive européenne. Les brevets sur des méthodes commerciales, comme aux États-Unis, voire sur les autres présentations d'informations, plans, principes et méthodes, seraient appelés à se multiplier. Dans ce cas, que resterait-il du domaine public accessible à tous les inventeurs ? Enfin, les PME de l'édition logicielle font valoir que l'acquisition et le maintien en vigueur du droit de brevet ont un coût élevé, alors que la protection par le droit d'auteur est gratuite et automatique. Il souhaiterait connaître sa position sur ce problème.
Texte de la REPONSE : Le projet de directive européenne portant sur la brevetabilité des inventions mises en oeuvre par ordinateur n'a pas pour finalité d'étendre le champ de la brevetabilité, mais, bien au contraire, d'en préciser les limitations, tout en restant respectueux des accords internationaux auxquels nous adhérons. Cependant, des ambiguïtés étaient présentes dans le projet initial élaboré par la Commission européenne et avaient motivé des réserves de la France vis-à-vis de ce texte. Lors du premier examen de ce projet de directive, le Parlement européen a voté des amendements significatifs. Certains d'entre eux, issus des travaux de sa commission juridique, corrigent le texte dans le sens approprié, à l'instar de ce qui avait été proposé par le groupe de travail des représentants des etats membres. D'autres amendements introduisent des limitations plus drastiques au champ de la brevetabilité et des conditions plus limitatives aux critères de brevetabilité : ils nécessiteront une analyse complémentaire concernant leur compatibilité avec l'accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) auquel l'Union européenne et les Etats membres adhèrent en tant que membres de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). En Europe, une invention est brevetable si, relevant d'un domaine technologique, elle est nouvelle, implique une activité inventive et est susceptible d'application industrielle. Pour impliquer une activité inventive, une invention doit apporter une contribution technique. Ces critères sont bien plus restrictifs que ceux appliqués aux Etats-Unis où, en l'absence d'exigence de contribution technique, la jurisprudence a pu étendre le champ de la brevetabilité aux logiciels et aux méthodes d'affaires, ce qui n'empêche d'ailleurs pas le logiciel libre de s'y développer. En Europe, un logiciel en tant que tel n'est pas considéré comme une invention brevetable : ne pourra l'être qu'une solution technique innovante apportée à un problème technique, solution qui peut être mise en oeuvre par des moyens matériels ou logiciels. Le droit d'auteur est une protection contre la copie servile de tout logiciel, innovant ou pas, mais n'interdit pas la reconstitution d'une invention ; seul le brevet permet à un inventeur de protéger ses droits vis-à-vis de compétiteurs, notamment des grandes entreprises. Le développement des technologies informatiques a naturellement conduit à l'augmentation des dépôts de brevet dans ce secteur. Si des brevets ont été accordés alors qu'ils ne paraissent pas répondre aux critères en vigueur en Europe, la procédure d'opposition peut être utilisée pour les contester. Mais actuellement, en l'absence de texte communautaire, des divergences de jurisprudence peuvent apparaître entre États-membres. L'intérêt d'une directive communautaire est de permettre l'élaboration d'une jurisprudence européenne unifiée sur la base de critères explicites, ce qui devrait être accueilli favorablement par l'ensemble des acteurs économiques européens, en particulier les petites entreprises et les développeurs indépendants promoteurs de logiciels libres. Encore faut-il que cette future directive pose des règles claires et applicables et qu'elle soit compatible avec les engagements internationaux de l'Union européenne. C'est ce à quoi s'emploie le gouvernement français, soucieux de transparence et attentif à favoriser l'émergence de positions équilibrées.
UMP 12 REP_PUB Lorraine O