PERSPECTIVES DE LA POLITIQUE SPATIALE
M. le président. La
parole est à M. Pierre Cohen, pour exposer sa question, n° 253, relative aux perspectives de la politique spatiale.
M. Pierre Cohen. Madame la ministre déléguée à la recherche, vous n'êtes pas sans savoir que, depuis quelques mois, l'actualité s'est fait l'écho d'une situation inquiétante dans le secteur spatial : baisse des commandes liées à l'activité spatiale, notamment dans les télécommunications, diminution des budgets institutionnels comme celui du CNES, restructuration avec plans de licenciement chez Astrium et Alcatel, rapport Bonnet, démission du président du CNES, échec de la première mission de la nouvelle Ariane 5 dans sa version « 10 tonnes », l'objectif étant d'envoyer deux satellites afin de réduire les coûts, atermoiements successifs sur des projets tels que Mars premier ou Pléiade, sans parler des gels scandaleux et catastrophiques des budgets de la recherche.
La liste commence à s'allonger et, dans un contexte de crise de l'industrie spatiale européenne et mondiale, seule une intervention de la puissance publique avec une volonté politique forte peut sortir ce secteur de l'impasse dans laquelle il se trouve actuellement.
L'agglomération toulousaine, voire la région Midi-Pyrénées, vit au rythme de l'activité des secteurs de l'aéronautique et de l'espace, et cela d'autant plus depuis le sinistre accident du pôle chimique d'AZF.
Aussi tous ces événements alimentent rumeurs, inquiétude, mécontentement parfois, car il s'agit bien là d'un secteur stratégique dont la connaissance scientifique et le savoir-faire technologique doivent être préservés pour maintenir notre pays au meilleur niveau international et lui permettre de garder sa position de leader sur le plan européen. Si l'espace constitue un enjeu de souveraineté nationale en matière de défense et de sécurité, il ne doit pas pour autant nous faire oublier les retombées techniques qu'il diffuse dans la société et la généralisation de leurs applications.
Vous connaissez parfaitement le rôle déterminant que nous pouvons avoir dans l'autonomie et l'accès à l'espace avec le développement d'Ariane 5, mais nous devons surtout maintenir notre compétence dans toute la science spatiale - observation de la terre, localisation, télécommunications - tout en soutenant des projets aussi importants que Galileo et GMES.
Au regard de tous ces enjeux à portée locale mais aussi internationale, j'aimerais que vous nous indiquiez quels engagements le Gouvernement est prêt à prendre dans le secteur spatial, notamment pour les entreprises qui ont vocation à participer au développement de ce secteur à Toulouse, comme Alcatel et Astrium, et, surtout, que vous nous apportiez des éléments sur le mandat politique et les moyens que vous donnerez au CNES, particulièrement au centre de Toulouse, afin de redonner une ambition au secteur spatial, et de promouvoir des projets à la hauteur des défis que nous souhaitons tous relever.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies.
Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles
technologies. Monsieur Cohen, vous avez souligné bien sûr la situation extrêmement difficile du secteur spatial : en 2002, les spécialistes estiment que six contrats de satellite seulement ont été signés sur le marché commercial, alors que la capacité mondiale avoisine les soixante satellites, Arianespace a enregistré environ 200 millions de pertes en 2000 et en 2001 ; la situation financière pour 2002 s'annonce elle aussi difficile et Arianespace s'apprête à supprimer 150 postes en 2003 ; EADS Space a récemment annoncé 1 700 nouvelles suppressions de postes qui s'ajoutent aux 1 500 déjà programmées.
A cette conjoncture tendue, avec un impact dramatique sur l'emploi, s'ajoute une crise technique mondiale : échec d'un Soyouz en octobre, d'un lanceur Proton en novembre, de la nouvelle version d'Ariane 5 en décembre ; et, plus dramatique, car il s'est accompagné de la perte de vies humaines, l'échec de Columbia en janvier.
En réponse à toutes vos interrogations, je puis vous assurer que le Gouvernement considère toujours l'espace comme un enjeu majeur pour que la France, et avec elle l'Europe tout entière, puisse assurer son indépendance de décision et d'action dans de nombreux domaines stratégiques.
Devant cette crise, nous avons engagé une réflexion de fond - vous avez évoqué la commission Bonnet - en concertation avec tous les acteurs, et nous élaborons une politique que je présenterai mi-avril en conseil des ministres. Certaines mesures d'urgence ont déjà été prises. Nous avons nommé M. Yannick d'Escatha président du CNES, le bras armé de la France dans le domaine spatial, avec la mission de donner au CNES une dynamique nouvelle, de corriger la surprogrammation héritée du passé, qui était très handicapante, et d'élaborer une programmation respectueuse des budgets, de participer à l'élaboration d'un scénario de sortie de crise pour la filière des lanceurs, avec une perspective de restructuration industrielle qui me semble en bonne voie, de relancer avec nos partenaires, en particulier les Allemands, la construction de l'Europe spatiale, qui est actuellement en panne.
Je vous rappelle également que le Gouvernement, en décembre 2002, dans le cadre du CIADT, a présenté des mesures favorisant le développement de l'Internet par satellite. C'est l'une des actions sur laquelle le CNES pourrait avoir une action fédératrice.
La question industrielle de la filière des satellites Alcatel et Astrium, en dépit des initiatives du Gouvernement qui, je puis vous l'assurer, sont nombreuses, n'a pas encore trouvé de solution satisfaisante, mais nous continuons à oeuvrer dans ce domaine.
L'assainissement de la situation du CNES, qu'il s'agisse de sa programmation ou de sa restructuration, relancera l'activité industrielle, en particulier à Toulouse.
Je vous confirme par ailleurs notre engagement pour le programme Pléiades. Je profite de votre question pour annoncer une bonne nouvelle : le blocage du programme Galileo semble maintenant levé grâce à l'accord survenu entre les Allemands et les Italiens vendredi dernier. Nous saurons veiller en temps opportun aux intérêts de Toulouse, en demandant l'implantation en France du centre de mission complémentaire de celui d'EGNOS.
Les événements récents nous montrent bien à quel point il est important d'avoir un accès autonome à l'information. Alors que nous souhaitons construire une Europe politique, le rôle de l'espace et de ses acteurs, institutionnels et industriels, ne doit être oublié. Cependant, cette vision doit s'accompagner de modifications profondes, industrielles et institutionnelles. Elles seront sans doute douloureuses mais tout le monde s'accorde à dire qu'elles sont nécessaires pour l'avenir.
M. le président. La
parole est à M. Pierre Cohen.
M. Pierre Cohen. D'abord quelques mots, madame la ministre, sur la surprogrammation de l'ancien gouvernement. Vous connaissez suffisamment l'espace pour savoir que la programmation doit toujours être très large, les projets de recherche qui permettent de définir un certain nombre d'orientations débouchant ensuite sur des décisions de développement. Lancer un grand nombre de programmes dans ce domaine, c'est le rôle du CNES. Il l'a toujours fait et il a eu raison. C'est ensuite aux politiques de prendre la décision. A priori, l'ancien gouvernement n'a jamais lancé de projet qui n'ait été assorti d'un budget.
Ce qui me semble important, ce sont les bonnes nouvelles que sont la confirmation de Pleiades et la piste Internet, en particulier la volonté de couvrir l'ensemble du territoire avec le haut débit au moyen du satellite. Le sujet posait quelques problèmes et il faudra que le Gouvernement arbitre de façon précise sur la place respective d'ADSL et du satellite.
Je regrette que nous ne puissions avoir certaines réponses que le 15 avril. Nous aurons l'occasion de reparler de plusieurs points quand nous connaîtrons les décisions du Gouvernement. Il me semble cependant qu'il subsiste deux interrogations très fortes : il y a le problème du devenir des stratégies industrielles entre Alcatel et Astrium ; par ailleurs, vous n'évoquez jamais, depuis que vous êtes au Gouvernement, votre positionnement sur le projet GMES qui me semble être l'enjeu futur qui correspond à peu près à ce qui s'est fait dans les années 60 en termes de sécurité militaire. J'y vois l'occasion d'acquérir une véritable indépendance pour tout ce qui concerne les risques naturels, la climatologie et tout ce qui a trait aux nuisances naturelles. Il faudrait, puisque le projet existe, porté par le CNES et par l'ESA, que le Gouvernement prenne position assez rapidement.
M. le président. La
parole est à Mme la ministre.
Mme la ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies. Au sujet de GMES, monsieur le député, vous savez qu'il s'agit d'un projet ESA et qu'il se décline en petites actions complémentaires dont Pléiades fait partie. Nous essayons, bien sûr, de sauvegarder, dans la programmation du CNES, certaines des activités scientifiques qui apporteront un élément complémentaire sur GMES.