ÉMISSION DE BILLETS D'UN EURO
M. le président. La
parole est à M. Louis Giscard d'Estaing, pour exposer sa question, n° 280, relative à l'émission de billets d'un euro.
M. Louis Giscard d'Estaing. Je souhaite, par cette question, appeler l'attention de M. le ministre de l'économie et des finances sur l'opportunité d'éditer un billet d'une valeur d'un euro, pour quatre raisons principales.
La première raison tient à l'aspect symbolique qu'aurait une telle décision. Compte tenu du fait que la valeur de l'euro correspond désormais à celle du dollar - elle est même légèrement supérieure - , il n'y a pas de raison que les agents économiques de la zone euro, particuliers, commerçants ou entreprises, ne puissent pas disposer d'un billet d'une unité équivalant à celui dont disposent les agents économiques de la zone dollar. Une telle mesure viendrait en outre couronner le succès de l'euro, qui est devenu une monnaie internationale de référence au même titre que le dollar, dont chacun sait que le fameux « billet vert » d'un dollar est le symbole. Il faut savoir que la part de ce billet dans la circulation fiduciaire en dollars américains tant aux Etats-Unis qu'à l'extérieur est de près de 35 %.
La deuxième raison est pratique, car cette absence est pénalisante sur le plan international. En effet, ne pas disposer de billets d'un euro présente un inconvénient notoire quand on se trouve en dehors de la zone euro, dans la mesure où l'on ne peut pas procéder à des opérations de change avec des pièces. Cela rend donc impossibles les paiements en euros pour des montants inférieurs à la coupure minimal de 5 euros et oblige par conséquent à disposer de billets d'un dollar pour de tels règlements, ce qui favorise l'utilisation du dollar au détriment de l'euro.
La troisième raison est
liée à l'impact psychologique qu'aurait une telle décision au plan national. En effet, l'introduction de l'euro, avec la première gamme de pièces et de billets, a eu comme caractéristique de conduire, dans tous les pays de la zone euro sans exception, à l'élévation du montant unitaire de la plus petite coupure puisque, dans les neuf pays de la zone euro, circulaient auparavant des coupures inférieures ou égales à l'actuel billet de 5 euros : la France, rappelons-le, avec son billet de 20 francs, équivalant à 3 euros ; l'Allemagne avec le billet de 5 deutschemarks, le Portugal avec le billet de 500 escudos, la Belgique avec le billet de 100 francs belges, soit des billets équivalant à 2,5 euros ; la Finlande, avec un billet de 10 marks finlandais, soit 1,7 euro ; l'Autriche, avec un billet de 20 schillings, soit 1,45 euro ; l'Italie, avec le billet de 1 000 lires soit 0,51 euro ; enfin la Grèce, avec le billet de 100 drachmes, qui équivaudrait aujourd'hui à 0,29 euro.
Pour rester sur le plan pratique, je précise que la mise en circulation d'un billet d'un euro ne serait en rien incompatible avec le maintien de la pièce d'un euro, comme c'est le cas pour le dollar : les deux coexistent mais les billets ont la préférence des consommateurs.
Enfin, quatrième raison : s'agissant d'une décision commune relevant de la Banque centrale européenne et en faveur de laquelle plusieurs pays se sont déjà prononcés, l'impression de tels billets entraînerait un développement de l'activité de fabrication et d'imprimerie de la Banque de France. Ainsi, les efforts d'amélioration de la compétitivité de son outil de production, qui ont provoqué une importante réduction d'effectifs dans les sites de Vic-le-Comte et de Chamalières, dans le Puy-de-Dôme, trouveraient une légitime récompense.
C'est pourquoi je souhaite connaître la position du ministre de l'économie et des finances à l'égard de la réalisation du billet d'un euro.
M. le président. La
parole est à M. le ministre délégué au commerce extérieur.
M. François Loos, ministre délégué au commerce extérieur. Monsieur le député, parmi vos arguments, ceux touchant au commerce extérieur me vont évidemment droit au coeur ; nous consentons en effet de gros efforts pour promouvoir l'euro comme moyen de paiement. Ainsi, actuellement, 70 % de notre commerce extérieur sont réglés en euros alors que la part de notre commerce est seulement de 60 % vers l'Union européenne et de 50 % vers la zone euro.
De même, les touristes français peuvent utiliser l'euro de plus en plus souvent à l'étranger ; l'existence d'une coupure d'un euro pourrait donc améliorer encore cette évolution.
Les différentes raisons que vous avez évoquées vous conduisent à demander la position du Gouvernement sur l'opportunité de créer un billet d'un euro.
A cet égard, il faut d'abord rappeler qu'une éventuelle modification de la gamme des billets en euros relève du système européen des banques centrales. En effet, l'article 106 du traité de Maastricht dispose que la Banque centrale européenne est seule autorisée à émettre les billets de banque. Une décision de ce type relève donc de sa compétence. Le conseil des gouverneurs a d'ailleurs fait réaliser récemment une étude approfondie sur ce sujet.
A ce stade, les enquêtes d'opinion montrent que la très grande majorité des habitants de la zone euro estiment que la gamme des billets et des pièces est parfaitement adaptée aux besoins. Il serait difficile de justifier la place d'un billet de si faible valeur faciale dans la plupart des économies de la zone, comme le montre d'ailleurs la relativement faible circulation des billets de 5 euros.
L'équilibre économique d'une telle opération serait par ailleurs très difficile à assurer pour trois raisons principales : d'abord, les vecteurs de distibution n'étant pas adaptés au billet d'un euro, son introduction entraînerait des coûts élevés pour tous les professionnels de la filière fiduciaire ; ensuite, il faudrait prendre en compte le risque de vieillissement de la coupure : plus une coupure est petite, plus son taux de rotation avant retour à l'institut d'émission et son taux de remplacement par les banques centrales sont élevés ; enfin, il existe de très importants stocks de pièces d'un euro non encore mis en circulation.
Cela étant, vos réflexions sont justes et l'existence d'un billet d'un euro pourrait être de nature à renforcer la place internationale de l'euro comme monnaie de transaction à l'étranger, à l'image de la coupure d'un dollar.
Au vu de ces différents éléments, le Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne a convenu de réexaminer cette question au printemps de 2005.
M. le président. La parole est à M. Louis Giscard-d'Estaing.
M. Louis Giscard d'Estaing. Je veux ajouter quelques réflexions après celles formulées par M. le ministre, en espérant qu'elles seront frappées au coin du bon sens.
Quant aux aspects techniques et économiques, il me semble que les avantages d'un billet d'un euro contrebalancent largement les arguments qui y sont opposés. Le billet d'un dollar en apporte une démonstration éclatante.
Concernant l'opinion, je crois qu'il aurait mieux valu lui poser la simple question de savoir si elle souhaitait ou non disposer d'un billet d'un euro. La réponse aurait eu plus de valeur que celle donnée à la question de savoir si la gamme de billets et de pièces en euros était adaptée à ses besoins, laquelle me semble bien moins pertinente.
Enfin, l'importance du stock de pièces d'un euro non écoulées est sans doute la meilleure démonstration que la pièce ne répond pas totalement à la demande des consommateurs ! Le billet, outre le fait qu'il pèse moins lourd, est perçu psychologiquement comme ayant une valeur supérieure à la pièce.
Je me réjouis donc que cette question soit mise à l'ordre du jour du Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne et je me réjouirais encore davantage, vous le comprendrez, monsieur le ministre, si la France rejoignait le camp de ceux qui militent activement en faveur du billet d'un euro.