INÉGALITÉS DE TRAITEMENT DANS LES
PRISONS
M. le président. La
parole est à Mme Maryse Joissains-Masini, pour exposer sa question,
n° 282, relative aux inégalités de traitement dans les prisons.
Mme Maryse
Joissains-Masini. Ma question s'adresse à M. le ministre de la
justice.
Il y a un peu plus de
dix jours, nous avons eu à déplorer une évasion à la prison d'Aix-en-Provence.
Je ne poserai pas la question : « que faire ? », car je suis consciente du
retard accumulé. Il va falloir du temps pour construire des prisons, les
moderniser, former du personnel, embaucher. Une seule requête : ne perdons pas
de temps !
Je veux parler d'un
problème qui joue un rôle indirect, mais important, dans le développement de la
nouvelle criminalité, toujours plus dangereuse et malheureusement trop souvent
attractive pour de jeunes délinquants primaires, du fait qu'en prison on
reproduit des schémas dangereux d'un modèle de société à proscrire. Il concerne
le droit de cantiner.
Par
tradition, quel que soit l'endroit, les prisonniers ont la possibilité de faire
venir des produits de l'extérieur afin d'améliorer leur ordinaire. Cette
possibilité entraîne la reproduction de schémas détestables et une inégalité de
traitement entre les détenus ceux de haut vol, qui ont de l'argent, et les
autres, qui se retrouvent soumis à l'autorité des plus puisssants.
Sur le plan de l'égalité, de
l'éthique, de la justice, c'est très grave, car cette tolérance a un effet
pervers pour les jeunes : elle leur montre clairement qu'en prison les caïds
continuent de faire régner leur loi en toute impunité.
Quelles mesures le Gouvernement
entend-il prendre afin que le principe d'égalité, qui devrait être
incontournable, soit respecté en prison ? Il faut mettre fin à ce qui est un
véritable scandale.
M. le président. La
parole est à M. le ministre délégué au commerce extérieur.
M. François Loos, ministre délégué au commerce extérieur.
Madame la députée, voici la réponse que Dominique Perben m'a demandé de vous
apporter à cette question qui relève bien évidemment de sa compétence :
« Le tableau que vous avez brossé
semble bien sombre et je tiens à vous rassurer sur la pratique des cantines dans
les établissements pénitentiaires.
Conformément aux dispositions du
code de procédure pénale, les détenus ont en effet la possibilité d'acquérir
avec les sommes figurant sur le compte nominatif ouvert par l'administration
pénitentiaire objets, denrées ou prestations de service, en supplément de ce qui
leur est octroyé par l'administration pénitentiaire au titre de son devoir
d'entretien.
Cette faculté, qui
peut être suspendue par mesure disciplinaire, s'exerce sous le contrôle du chef
d'établissement et dans les conditions prévues par le règlement intérieur de
l'établissement pénitentiaire.
Ainsi le règlement intérieur de
l'établissement prévoit-il les modalités pratiques de fonctionnement de la
cantine et précise-t-il les différents types de cantines existants, la liste des
produits cantinables, la périodicité, la procédure de commande et la possibilité
de commandes exceptionnelles.
Si
l'administration pénitentiaire a pour tâche de leur assurer des conditions de
vie en détention satisfaisantes, l'existence des cantines permet aux détenus
d'améliorer leur quotidien par l'achat de produits de consommation courante.
La prison n'est en effet que le
reflet de la vie à l'extérieur ; les inégalités qui existent dans le monde libre
ne disparaissent pas au moment de l'incarcération. Lorsque ces inégalités
favorisent la manifestation d'une corruption des relations, l'administration
pénitentiaire se fait un devoir de lutter contre cette dérive.
La suppression des cantines que
vous semblez appeler de vos voeux pour lutter de façon radicale contre
l'inégalité des conditions de vie en détention n'est évidemment pas une
solution.
Si le "caïdat est un
phénomène qui ne peut être nié, l'administration pénitentiaire fait le
nécessaire pour le réprimer, en usant des moyens juridiques dont elle dispose.
Le trafic, la menace de violences ou de contrainte ou l'exercice de violences
physiques à l'encontre d'un détenu constituent une faute disciplinaire,
sanctionnée avec vigueur. Par ailleurs, l'administration pénitentiaire signale
aux parquets tous les faits susceptibles d'êtres poursuivis pénalement.
Il apparaît surtout que le meilleur
moyen pour limiter les débordements auxquels vous faites référence consiste,
d'une part, à lutter contre l'indigence en détention, d'autre part, à améliorer
le taux d'activité des détenus.
La lutte contre l'indigence passe
dans un premier temps par le repérage des indigents en permettant la mise en
oeuvre d'une aide matérielle, grâce au recueil d'informations socio-économiques
sur le détenu lors de son incarcération.
Elle passe dans un second temps par
une volonté politique affirmée de limiter la pauvreté en prison, en incitant
notamment à exercer une activité rémunérée : travail ou formation
professionnelle.
Il est
évidemment indispensable d'améliorer le taux d'activité des détenus. Il est
aussi nécessaire de permettre l'augmentation des rémunérations perçues.
C'est un des objectifs visés par
l'administration pénitentiaire, objectif réalisé pour partie par la suppression
des frais d'entretien auxquels étaient astreints un grand nombre de détenus
travailleurs, décidée dans la loi d'orientation et de programmation pour la
justice du 9 septembre 2002. »
M. le président. La
parole est à Mme Maryse Joissains-Masini.
Mme Maryse
Joissains-Masini. Par ma profession, je connais toutes ces règles :
aucune n'est appliquée. Assez d'angélisme ! Les caïds cantinent en prison de
façon outrancière, donnant aux jeunes délinquants qui n'ont pas de moyens
l'impression qu'il faut aller plus loin dans la délinquance pour devenir un
chef.
Je ne propose pas comme
solution de supprimer le droit de cantiner, encore que, quand on est en prison,
on purge une peine qui doit être la même pour tous. Mais il est de notre devoir
de ne pas ignorer la réalité : même en prison, des caïds se font servir par de
jeunes délinquants. En ignorant cette réalité et en cédant à l'angélisme, on
donne aux jeunes qui sont en prison l'impression que, pour avoir un statut, ils
doivent devenir encore plus violents, encore plus délinquants. Or n'oublions pas
que certains d'entre eux n'ont pas eu d'éducation et que celle qu'on leur offre,
c'est cette vision-là.
Il faut
donc se pencher sur l'inapplication totale des règles dans ce milieu fermé et
cesser de croire que tout se passe normalement. Les chefs d'établissement n'ont
pas les moyens, à leur niveau, de faire respecter la loi. Si l'on ignore cela,
tous les moyens qu'on mettra en place pour lutter contre la délinquance, quels
qu'ils soient, seront totalement inopérants.
Mme la présidente. La
parole est à M. le ministre.
M. le ministre délégué au
commerce extérieur. Madame la députée, je suis très sensible à ce que
vous venez de dire. Je vous ai rappelé, au nom de Dominique Perben, les règles
et la politique qu'il souhaite appliquer dans ce domaine mais, fort de votre
témoignage, je lui ferai part des arguments que vous avez développés dans votre
seconde intervention.