PRÉSIDENCE DE L'UNION EUROPÉENNE
M. le président. La parole
est à M. François Bayrou, pour le groupe UDF.
M.
François Bayrou. Monsieur le Premier ministre, je voudrais vous
interroger sur l'accord intervenu hier soir entre les dirigeants français et les
dirigeants allemands sur une proposition de réforme des institutions
européennes.
Nous sommes
nombreux à défendre depuis longtemps l'idée qu'il faut un président à l'Europe
et, après avoir été longtemps discutée, cette idée a fait son chemin.
Aujourd'hui, vous avez décidé de donner à l'Europe deux présidents : un
président du Conseil, qui serait élu par les gouvernements, et un président de
la Commission, qui serait élu par le Parlement européen.
Cette idée nous paraît des plus
dangereuses parce que, s'il y a deux présidents, il y aura deux légitimités et
il y aura concurrence et affrontement entre les deux présidents et les deux
légitimités. (Applaudissements sur les bancs du groupe
Union pour la démocratie française et sur de nombreux bancs du groupe
socialiste.)
Nous avons fait
en France, depuis des années, l'expérience funeste de ce que la cohabitation
peut apporter comme dégâts dans un pays.
Plusieurs députés du groupe Union
pour la démocratie française. C'est vrai.
M.
François Bayrou. Pourtant, la France est un pays unitaire depuis des
siècles. Imaginez ce que serait une telle cohabitation entre deux présidents
dans une Europe à vingt-cinq, avec, de surcroît, des pays non européens comme la
Turquie, puisque vous en avez décidé ainsi.
Plusieurs députés du groupe Union
pour la démocratie française. Absolument !
M.
François Bayrou. Renoncez à une idée aussi funeste.
Plusieurs députés du groupe Union
pour la démocratie française. Très bien !
M.
François Bayrou. On le voit à propos de l'Irak. Ce que scrutent les
télévisions et les radios, c'est le moindre froncement de sourcils du Président
Bush. Nous sommes nombreux à rêver qu'un jour un président européen soit aussi
influent pour les affaires qui concernent l'avenir de l'Europe à la surface de
la planète. Nous avons besoin d'une Europe lisible par ses citoyens et audibles
par les puissances extérieures. (Applaudissements sur
les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
M.
le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M.
Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Je
note une légère inexactitude dans votre propos, monsieur le député. « Vous avez
décidé », dites-vous. Non : la France et l'Allemagne proposent une contribution
à la Convention. (Exclamations sur plusieurs bancs du
groupe socialiste.)
M. Bernard Derosier. Qui
gouverne ?
M. le Premier ministre.
C'est très important, car on a trop souvent donné le sentiment que la France
était arrogante (Applaudissements sur plusieurs bancs du
groupe de l'Union pour la majorité présidentielle) ou voulait décider pour
les autres. (Exclamations sur de nombreux bancs du
groupe socialiste.)
M. Bernard Roman. Parler
de la France, c'est parler du Président de la République !
M. le
Premier ministre. L'Histoire a montré que l'Europe avance quand il y a
un accord franco-allemand.
M. Philippe de Villiers.
Ce sont les Allemands qui décident !
M. le Premier ministre. Ce
qui nous paraît très important, c'est qu'il puisse y avoir une contribution
commune de la France et de l'Allemagne. Bref, il ne s'agit pas d'une décision
mais d'une contribution. (Exclamations sur les bancs du
groupe socialiste.)
Ce
dossier a été évoqué à plusieurs reprises par quelqu'un que vous et moi
connaissons bien, M. Giscard d'Estaing.
L'Europe a une double culture des
Etats-nations, représentés par le Conseil, et celle des peuples, représentés par
le Parlement, la Commission étant le garant de l'intérêt général européen. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union
pour la majorité présidentielle.)
Nous ne voulons pas que l'on
mésestime la culture des Etats-nations (Applaudissements
sur de très nombreux bancs du groupe de l'Union pour la majorité
présidentielle), et nous voulons respecter la culture des peuples exprimée
par le Parlement.
Vous avez été
parlementaire européen, je l'ai été aussi, nous savons bien qu'il y a deux
tendances, un courant plus intégrationniste et Les partisans des concepts de
fédération d'Etats-nations. Les Allemands, dans leur histoire, ont toujours
poussé dans le sens d'une plus forte intégration, qui fait de la Commission la
pièce centrale. Nous, nous avons toujours pensé qu'il fallait faire attention
aux dérives technocratiques et bureaucratiques d'une Europe lointaine, distante,
ne respectant pas forcément les préoccupations quotidiennes du citoyen (Applaudissements sur de très nombreux bancs du groupe de
l'Union pour la majorité présidentielle), et n'intégrant pas ce qu'il y a de
charnel dans le concept d'Etat-nation.
Plutôt que de laisser l'Europe
débattre sans avoir reçu un message clair franco-allemand, le Chancelier et le
Président de la République ont décidé d'adresser à M. Giscard d'Estaing une
contribution commune. Chacun a fait un pas. Dans notre histoire, d'ailleurs,
qu'il s'agisse du Général de Gaulle et d'Adenauer, de Valéry Giscard d'Estaing
et d'Helmut Schmidt, de François Mitterrand et d'Helmut Kohl, ou, aujourd'hui,
de Jacques Chirac et de M. Schröder, on parvient à des accords quand chacun fait
un pas vers l'autre.
Nous avons
fait un pas vers les Allemands : nous acceptons que le président de la
Commission soit élu à la majorité qualifiée par le Parlement européen, avec une
ratification par le Conseil. En retour, nous obtenons que le président du
Conseil, représentant les Etats-nations, dispose de la durée et de la stabilité.
Il sera, en effet élu par ses pairs pour cinq ans, ou pour deux ans et
demi renouvelables. Nous savons tous l'importance de la durée et de la
continuité dans une relations institutionnelle de cette nature.
Les Allemands ont fait un pas, les
Français aussi : c'est cela la construction européenne !
(Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe des
député-e-s communistes et républicains.)
Nous voulons soumettre cette
contribution à l'Europe, à tous les pays qui sont aujourd'hui rassemblés dans la
Convention, et essayer de les convaincre. Cette nouvelle Europe que nous sommes
en train de construire - et c'est avec émotion que je salue la présidente
du Parlement de la Hongrie (Applaudissements sur les
bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union
pour la démocratie française et sur plusieurs bancs du groupe socialiste),
qui va appartenir à cette Europe nouvelle - définit une nouvelle
géographie, mais il lui faudra aussi de nouvelles institutions qui, pour être
durables, devront être celles de toute l'Union européenne, et inspirées
naturellement par l'entente franco-allemande. (Applaudissements sur de très nombreux bancs du groupe de
l'Union pour la majorité présidentielle.)