AVENIR DE LA FILIÈRE AVICOLE
M. le président. La parole
est à M. Jean-Yves Le Drian, pour exposer sa question, n° 352, relative à
l'avenir de la filière avicole.
M. Jean-Yves Le Drian. Monsieur le ministre de l'agriculture, la
filière avicole française traverse l'une des crises les plus noires de son
histoire. Cette situation dramatique, que vous connaissez car nous avons eu
l'occasion d'en discuter, est la conséquence d'une crise ancienne liée à une
surproduction antérieure, de la perte de débouchés à l'étranger, face à une
concurrence internationale très forte, en particulier au Brésil et en Thaïlande,
d'une relative baisse de la consommation, de la porosité du marché
communautaire, de l'inévitable disparition progressive des restitutions et,
enfin, de la faiblesse générale de l'organisation du marché de la filière
avicole sur le territoire communautaire.
Cette crise touche particulièrement
la Bretagne, où le poids de l'aviculture est très important - 40 % du
volume national, près de 20 000 emplois, 7 500 dans la production et
11 000 dans l'industrie d'abattage et de transformation - et singulièrement
le Morbihan puisque c'est le premier département avicole de France. Et les
premières mesures prises ont entraîné des restructurations importantes, en
particulier dans le groupe Doux, qui se traduisent par des licenciements et des
fermetures de sites, notamment dans le Morbihan.
Monsieur le ministre, vous avez
engagé un plan d'adaptation prévoyant la fermeture nette de 400 000 mètres
carrés de poulaillers à brève échéance. Il semble bien que, malgré la relative
modestie des aides apportées à la fermeture, cette offre va trouver preneur, si
j'ose dire, tant la crise est grave. Les candidats au départ sont déjà plus
nombreux que prévu, en effet, et on peut se demander si 400 000 mètres
carrés suffiront, ce qui constitue une aberration.
Je souhaiterais donc faire le point
avec vous sur l'état de la situation et savoir si le Gouvernement a l'intention
de prendre d'autres mesures. Quel avenir peut-on proposer à cette filière ? Se
limitera-t-on à des dispositions tendant à supprimer des mètres carrés ? Ne
faut-il pas être plus vigoureux et plus audacieux dans la modernisation et les
restructurations d'entreprises ? Ne faut-il pas être plus insistant dans l'aide
à l'innovation et à la diversification des produits ? Qu'en est-il de la
préférence communautaire, aujourd'hui bien menacée ? Voilà toute une série de
questions qui se posent.
Monsieur le ministre, le sujet est
grave. Il perturbe beaucoup de familles, beaucoup d'éleveurs mais aussi de
nombreuses entreprises. Pouvez-vous nous éclairer sur les initiatives que vous
comptez éventuellement prendre en ce domaine ?
M. le président. La parole
est à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des
affaires rurales.
M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de
la pêche et des affaires rurales. Monsieur le député, comme de nombreux élus
du Grand Ouest, de la région Bretagne comme de la région Pays de la Loire, vous
m'interrogez aujourd'hui sur la situation effectivement dramatique de la filière
avicole française, qui est confrontée depuis la fin des années 90 à une
situation de déséquilibre structurel du marché. C'est le résultat de multiples
causes que vous avez rappelées.
Les débouchés à l'exportation ont
été réduits, à la suite, d'une part, des baisses de restitutions programmées
dans les accords de l'Organisation mondiale du commerce conclus à Marrakech en
1994 et, d'autre part, de l'augmentation sensible des importations de viande de
volaille en provenance de pays tiers sur les marchés, qui constituaient les
principaux débouchés pour les entreprises françaises. Ce déséquilibre est en
outre aggravé par un repli de la consommation intérieure.
J'ajoute qu'au cours de ces
dernières années la gestion de ce secteur par les pouvoirs publics n'a pas été
marquée par le plus grand courage, l'absence d'interprofession n'étant pas de
nature non plus à favoriser une stratégie collective propre à permettre de
sortir de la crise, d'autant que cette filière, tout comme la filière porcine,
ne connaît pratiquement pas de mécanisme européen de type organisation commune
de marché. Autrement dit, il s'agit d'un secteur totalement libéralisé pour
lequel nous ne disposons pas d'outils de marché comparables à ceux dont ont su
se doter d'autres productions comme le lait ou la viande.
Depuis un an, nous menons donc de
front des réformes structurelles et des mesures conjoncturelles.
Pour ce qui touche aux
importations, j'ai été alerté, dès les premiers jours de ma prise de fonctions,
sur le détournement de procédure que constituait l'importation de volailles
saumurées en provenance principalement du Brésil et de la Thaïlande. Après une
longue et difficile bataille à Bruxelles, j'ai obtenu, à la fin de 2002, la
restauration de la préférence communautaire.
M. Michel Hunault.
Très bien !
M. le ministre de
l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.
Les chiffres de 2002 font du reste état pour la première fois d'une baisse des
importations communautaires - environ un tiers - et cette tendance est
confirmée au premier trimestre de cette année. Ont également été mises en place
des mesures conjoncturelles de gestion de l'offre ; nous avons progressé avec
tous les partenaires dans la mise en route d'une véritable interprofession.
Mais la restauration de l'équilibre
du marché dans la durée suppose bien évidemment des mesures structurelles.
Dès le 21 novembre dernier,
j'ai annoncé un plan d'adaptation de la filière, comprenant un volet amont et un
volet aval. Le volet amont vise à accompagner, par l'octroi d'aides financières
aux producteurs qui se portent volontaires, la fermeture de 400 000 mètres
carrés de surface de bâtiments d'élevage, soit l'équivalent de 2 % environ de
notre production, permettant de revenir à de meilleurs équilibres économiques en
termes de prix. J'ai mobilisé une enveloppe de 6 millions d'euros pour
financer ce programme de cessation. Ce volet a rencontré, vous l'avez indiqué,
un écho favorable auprès des producteurs, puisque les demandes de retrait
déposées dans les directions départementales de l'agriculture et de la forêt
représentent une surface de plus de 550 000 mètres carrés.
Précisons, car c'est un point
fondamental, que je n'entends pas répéter les erreurs commises il y a
quatre ans lors du premier plan de cessation où les fermetures, en fait
financées par le contribuable, ont vu leur effet réduit à néant par des
ouvertures en d'autres endroits. J'ai donc bien précisé que, en contrepartie de
l'argent public ainsi engagé, le plan de cessation d'activité en amont
s'accompagnerait d'un tableau retraçant les entrées et les sorties. Il est hors
de question que les mètres carrés ainsi supprimés à tel endroit soient
reconstitués ailleurs. L'objectif est donc bien 400 000 mètres carrés nets
de fermetures alors que dans le précédent plan, dit plan Perrin, ces 400
000 mètres carrés se sont en fait résumés à 150 000 mètres carrés en
termes de fermetures nettes dans la mesure où, dans le même temps, 250
000 mètres carrés avaient été reconstruits.
Parallèlement à ce volet amont, le
volet aval du plan d'adaptation est d'une très grande importance. De surcroît,
les entreprises du secteur, du fait de la crise persistante, n'ont pas autant
investi qu'elles auraient voulu et dû le faire. Aussi nos outils ont-ils perdu
en compétitivité. Annoncé le 12 mai dernier, ce volet aval vise à
accompagner les entreprises qui s'engagent dans un processus de restructuration
et de modernisation de leurs sites industriels afin d'améliorer la compétitivité
de l'industrie avicole française. Une enveloppe de 3 millions d'euros est
affectée au renforcement des aides aux investissements dans les entreprises.
Cet effort sera complété par
certaines collectivités décentralisées. Le conseil général du Morbihan et la
région Bretagne m'ont déjà confirmé leur engagement aux côtés de l'Etat.
Il est certain que cette
restructuration se traduira malheureusement par la fermeture de certains outils.
Le plan vise à en atténuer les effets, notamment sur l'emploi, grâce à de
nouveaux investissements visant notamment à encourager la diversification dans
de nouveaux produits.
Mon
collègue François Fillon et moi-même avions préventivement saisi la mission
interministérielle pour les mutations économiques. Celle-ci s'est déjà réunie
deux fois sur le sujet. Ensemble, nous avons décidé de mettre en place une
cellule nationale d'accompagnement de ces mutations, où siègent les ministères
concernés, aux côtés des partenaires sociaux.
Des cellules locales de même nature
seront installées dans les bassins de production potentiellement concernés. Je
l'ai du reste indiqué à Vannes la semaine dernière lorsque j'ai rencontré les
organisations syndicales des groupes affectés par ces restructurations ainsi que
les organisations professionnelles et syndicales agricoles.
Ce second volet, qui porte à
9 millions d'euros les montants qui seront versés en 2003, témoigne de
l'engagement du Gouvernement en faveur de cette filière.
J'insiste sur le fait, monsieur le
député, que la constitution d'une interprofession forte et importante est une
condition essentielle d'une gestion durable de cette filière. Sitôt la loi sur
l'initiative économique définitivement adoptée par l'Assemblée nationale, nous
disposerons des outils législatifs qui permettront de la mettre en place. Il
faudra alors que l'ensemble de la filière, qui depuis quelques mois travaille
beaucoup sur ce sujet, ait enfin pris sa décision afin que ce secteur très
important pour l'agriculture et l'économie françaises puisse se doter d'une
gestion tout à la fois moderne et anticipatrice.